Doudou, casse-cou par virgile

Campagne commencée le samedi 7 mars 2015 et terminée le mardi 5 mai 2015

Rounds Mots Signes Temps
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Round 1/60 écrit le samedi 7 mars 2015

509 mots | 2908 signes

  • Monsieur ! Monsieur ! Vous oubliez votre achat ! Abedoudi lève les yeux de son portable cassé et désespérément silencieux et lance à la pharmacienne un regard venimeux.
  • Oh, ça va ! J'allais pas oublier ! Pas besoin de me gueuler dessus comme si j'étais un chien ! La pharmacienne recule d’un pas.
  • Excusez-moi, Monsieur, je pensais...
  • Je pensais ! Et gni gni gni! Et gna gna gna! Fais ci, fait ça ! Si au moins vous vous occupiez de vous-même ! Je vous ai rien demandé, moi. Il déverse le contenu du sachet sur le comptoir.
  • Vous avez vu ce qu'il y a là-dedans ?
  • Monsieur, excusez-moi, je n'ai pas voulu vous agresser !
  • De quoi me flinguer dix fois!... Voilà ce que le toubib m'a prescrit ! Du poison sur ordonnance. Plus sûr qu'une balle dans la peau.
  • Monsieur, le médecin a prescrit ces médicaments pour votre bien.
  • Le médecin veut ma mort. Silence pesant. Les clients, vite regroupés dans le fond de la boutique, étudient les shampoings. Abedoudi, mal fringué, pas net, affiche avec fierté une coiffure de dandy extravaguant : cheveux crépus, mi-longs, ramenés en catogan et maintenus collés au crâne par un large bandana noir.
  • Je vous emmerde tous ! Crache-t-il. Il range les médicaments en tremblant dans la pochette en plastique et déguerpit. Dehors, sur la place du petit centre commercial désert, deux potes lui emboîtent le pas. Ils s’asseyent sur le dossier d'un banc.
  • Je les encule, Je les encule, Je les encule … Je peux plus supporter personne !
  • Laisse tomber, Doudou, file-nous ce que t’as eu ! lui dit Pepito, un petit black très agité qui porte un baggy ridiculement bas et passé de mode. Abedoudi déballe son butin et le partage avec un détachement hautain.
  • Un de ces quatre, je vais me tailler ! Dit-il.
  • Haha ! L’enfoiré ! Tu dis ça depuis que j'te connais, Doudou! Et ta famille! T'y as pensé, à ta famille ? Se marre Pepito.
  • J'en peux plus de leurs prières, de leur mensonges, de leurs interdictions. Je peux plus supporter qu'on me dise quoi et comment faire. Mes frères sont devenus de vrais cons !
  • T’as quel âge, toi, au fait ? Lui demande Momo, un grand maigre, pauvrement vêtu d’un jogging en miettes, avec une gueule tranchée et des yeux noirs de grand méchant loup.
  • Je suis vieux, mec ! Trop vieux ! Je vais avoir 38 ans ! T'imagines ! 38 ans ! Et j'ai encore rien fichu de ma vie, pas de boulot, pas d'argent...
  • Tu faisais pas un stage ? Lui dit Pepito.
  • Ouais. DEAMP.
  • C'est quoi ?
  • Diplôme d'Etat Aide Médico- Psychologique, Monsieur !
  • Ha ! Tu vas être psychologue, toi ?
  • Non, c'est un juste un diplôme pour torcher le cul des vieux ! Et le diplôme, je l’aurais même pas, trop dur !
  • Tu vas nettoyer le cul des vieux ? Abedoudi secoue son portable dont la vitre est en éclats, il le frotte avec sa manche et le rempoche.

Round 2/60 écrit le dimanche 8 mars 2015

482 mots | 2814 signes

Abedoudi passe le portail qui vient de s'ouvrir, longe la chapelle, la morgue devant laquelle stationne un corbillard au coffre ouvert. Troisième jour de son stage. Adèle, la fille de l'accueil le harponne. - Hé, vous! Madame Dabo veut vous voir. Elle est dans son bureau. - Pourquoi faire ? La fille hausse les épaules. Abedoudi frissonne. Il lui sauterai bien à la gorge pour lui apprendre la politesse mais il se dit que ce n'est pas le moment. Madame Dabo, une forte femme d'origine africaine portant une perruque blonde l'accueille dans son bureau rococo et le toise de la tête aux pieds.
- Jeune homme! Il va falloir que vous appreniez à garder vos distances et à respecter vos supérieures. Sinon, vous ne ferez pas long feu ici. - Pourquoi vous dites ça ? Qu'est ce que j'ai fait ? - Quand Mademoiselle Iphigénie vous demande de faire quelque chose, vous ne discutez pas, vous faites! - Qu'est-ce qu'elle vous a raconté ? Elle me parle mal et elle parle mal à tout le monde. Elle prend des vieux pour des objets. Elle les secoue, les lave brutalement. Elle les fait pleurer. Ils sont si fragiles. Moi, je lui dis juste de prendre son temps et de bien traiter les gens. Je veux pas faire comme elle. J'ai du respect, moi. Je me suis déjà occupé de mon grand-père... -Vous faites comme on vous dit ou vous cherchez un autre stage. Ce n'est pas vous, un stagiaire, qui allez faire la loi dans cette maison de retraite. - On s'attaque à moi alors que c'est elle qu'on devrait mettre dehors! - Vous pouvez disposer. Et si vous continuez à garder vos cheveux longs, demandez un bonnet stérile à l'intendance, comme les femmes. Abedoudi est dégoûté. Il n'a plus envie d'aller travailler. C'est le début du printemps, il pourrait se tailler, partir au bord de la mer, recommencer sa vie ailleurs.

Il se point au troisième étage, avec sa blouse blanche trop grande et son bonnet en papier. Un clown. Mademoiselle Iphigénie est hors d'elle! - Pas trop tôt! Je suis seule pour trente lits. Deux arrêts maladie et un congé-formation. Et je dois faire avec des stagiaires comme vous, incompétents. Commencez par Monsieur Gig. Il a fait une fixation sur vous. Abedoudi sent une bouffée de chaleur lui irradier le corps. Enfin quelque chose de bon à entendre. - N'allez pas vous imaginer que vous savez mieux y faire que moi! C'est juste que dès qu'il préfère les hommes.

Monsieur Gig est devenu si maigre et si petit qu'il a presque l'air d'un enfant. Il est assis dans son lit, un gros livre ouvert sur ses genoux, une loupe à la main. - Bonjour, monsieur Gig! - Ha ha!Te voilà mon garçon! Entre hommes, il faut se soutenir! Je ne survivrai plus très longtemps aux mains de ces ogresses! Toi non plus, d'ailleurs, si j'ai bien compris.

Round 3/60 écrit le lundi 9 mars 2015

441 mots | 2435 signes

Des années que personne n'est entré dans le pavillon de Monsieur Gig. Abedoudi referme la porte doucement sur lui et s'éclaire de son portable. Devant lui, un étroit couloir peint au couleur d'un autre monde. Des manteaux, des écharpes, un alignement de vieilles chaussures et de pantoufles grises. Le vieux lui a bien dit de prendre ce qu'il voulait. La maison et son contenu revient à un neveu de sa défunte épouse. Un petit con, comme il dit. -- Dans la penderie, avait-il dit, il y a deux grandes valises fermées à clés. Elles sont à moi. Il y a des papiers dedans, des lettres, des écrits personnels qui ne regardent personne. Balance tout ça dans le canal. Pas question que ce petit con en hérite et mette son nez dans mes affaires !... " -- Pourquoi vous demandez ça à moi ? avait demandé Abidadou. Z'avez pas de famille ? -- Ma seule famille, c'est ce petit con, je t'ai dit. Et encore, c'est la famille de ma femme. Moi, j'ai coupé les ponts depuis trop longtemps avec les miens pour savoir qui est encore en vie ou pas en vie et je préfère oublier d'où je viens. J'ai vécu sans ma famille, je meurs sans ma famille. La maison est à ma femme. Les meubles sont à ma femme, tout est à elle. A moi, Il n'y a que ces deux valises. Et à qui tu veux que je demande ? A la chef d'étage? A cette grosse brute de mademoiselle Frigide? Aux petites sottes qui nettoient la salle et change mes draps ? Allez, mon petit gars, prend mes clés et vas-y. Débarrasse la maison de tout ce qui m'appartient... Emporte mes valises et balance-les dans le canal. -- Vous voulez que je vous apporte vos valises ici ? -- Ramène moi les clés de la maison. Ma vie et mes centres d'intérêt ne regarde personne. Fais ce que je te demande. Tu veux combien pour ça ? - Rien, M'sieur. Si je fais ça, c'est pour vous. - Je te donnerai un petit quelque chose. Tout travail mérite salaire. Abedoudi est mal à l'aise. Une odeur de renfermé flotte dans les pièces dénuées d'âme. N'importe qui aurait pu vivre dans ce pavillon. Peu d'objet, l'essentiel. Il ne s'attarde pas au rez de chaussée et monte directement à l'étage, selon les indications de Monsieur Gig. Les valises sont bien dans la penderie de la chambre face à l'escalier. Mais au lieu de valises, ce sont deux énormes malles métalliques de voyage, des cantines bleu marine, fermement cadenassées. Impossible à soulever seul.

Round 4/60 écrit le mardi 10 mars 2015

751 mots | 4276 signes

Abedoudi médite, assis sur le banc du square. Les malles sont restées dans le pavillon de Monsieur Gig. Que faire ? Mentir au vieil homme et laisser les malles à la succession, trouver une voiture et aller les jeter dans le canal comme il a promis au vieux ou bien ramener ces malles chez lui... Qu'est ce qu'il a à cacher, ce vieil original qui s'est pris d'affection pour lui. Il est quand même bizarre... Un vieux qui ne le juge pas, ne critique pas sa coiffure, a du plaisir à converser avec lui. - Toi, mon petit, tu n'as pas encore éclos, lui a-t-il dit le matin même, pendant qu'il procédait à sa toilette dans le baignoire, avec beaucoup de douceur. Nettoyer ce vieil homme nu avec un gant, prendre le temps de le frictionner avec égard lui plait beaucoup. Le vieux se laisse faire et sa fragilité, son abandon touche Abedoudi. Il redouble de douceur et d'attention. Il n'avait pas ressenti autant de bienveillance pour son grand-père qu'il avait soigné pendant de nombreux mois. Avec son grand père, il n'était pas totalement lui-même, avec Monsieur Gig, c'est autre chose. En frictionnant avec de la mousse et un gant rose, la peau pâle du vieux, il a soudain conscience du caractère éphémère de la vie et aussi de son caractère infiniment précieux. Le vieillard a toute sa tête encore mais son corps est en train de l'abandonner, il a de moins en moins de force. - Qu'est-ce que vous voulez dire par éclos, ça veut dire quoi ? - Pas encore né. - Vous me chambrez! - Tu es noué, fermé, en guerre contre le monde. Laisse tomber les cons, ouvre toi à toi même, avance, va sur ta route, n'écoute personne! - Même pas vous ? - Haha! Moi, si, tu dois m'écouter!... Il se mit à lui frictionner le corps à l'eau de lavande. Le parfum frais et méditerranéen embaumait la salle de bain. Abedoudi était heureux, heureux d'avoir cet ami qui voyait en lui autre chose qu'un arabe agressif. Il lui avoua: - Monsieur Gig, je suis allé hier, à votre maison, les malles sont trop lourdes. Et elles sont fermées à clé. Je peux pas les soulever. Faudrait que je puisse les vider petit à petit... dans des sacs... Et puis aller jeter les sacs... - Mon petit, je ne rentrerai jamais chez moi. On sent ces choses-là. Mais je mourrai plus léger si ces malles quittent mon pavillon... Je n'ai personne à qui demander ça. - Vous êtes drôle ! Je ne comprends toujours pas pourquoi vous me demandez ça à moi! Et maintenant. Pourquoi n'y avez-vous pas pensé plus tôt ? La lavande lui chatouillait les narines. Il se retint d'éternuer. - Peut-être n’étais-je pas prêt à partir... Aujourd'hui, grâce à toi, peut-être, je le suis. Comme si je te passais le flambeau de ma vie! - Mais qui vous dis que j'en veux, moi, de votre flambeau! Si c'est lourd pour vous, c'est encore plus lourd pour moi... On n'est pas du même monde! Il enveloppa le vieux dans un peignoir éponge râpé et l'aida à revenir dans la chambre. - Je vais vous couper les ongles de pieds, vous risquez des ongles incarnés... Ma mère a déjà eu ça, ça peut s'infecter et ça fait mal... - Fait, fait... Le vieux s'assied sur le lit et laisse pendre ses pieds dans le vide. Abedoudi prend le fauteuil à accoudoir et pose un des pieds du vieux sur ses genoux. - Pas du même monde ? demande le vieux qui avait de la suite dans les idées. Le monde est fait de méchants et de gentils. Nous on des des gentils et nous passons pour des méchants... ... Méfie-toi de toi-même, agneau révolté, regarde le monde tel qu'il est... N'oublie pas que quelque part, il y a quelqu'un qui t'attend et qui saura t'aimer... Ne soit ni l'agneau, ni le révolté, trouve un compromis. - C'est bizarre comme vous parlez, c'est trop poétique pour moi. C'est comme si vous étiez un religieux... Monsieur Gig se penche vers sa table de nuit, prend son porte-feuille dont il retire quatre billets de 100 euros qu'il tend à Abedoudi. - Loue une camionnette, fais-toi aider d'un copain, ramène les malles chez toi, et là, petit à petit, quand je serai mort, tu les videras de leur contenu. Je te donnerai les clés des cadenas. Ne dis rien à personne... C'est une histoire entre toi et moi!... Ha ha ha!... Ca t'intrigue, hein ?

Round 5/60 écrit le mercredi 11 mars 2015

867 mots | 5055 signes

Abedoudi avait réussi. Les deux coffres étaient empilés dans sa chambre, toujours bien cadenassés, entre les deux lits jumeaux, au 4ème étage de son HLM à Sarcelles. Il s'était fait aider par un inconnu à qui il avait donné 100 euros pour conduire la camionnette de location et pour l'aider à transporter les lourdes malles dans les escaliers. Il en viderait progressivement le contenu.

Monsieur Gig était bien mal en point que il procéda à sa toilette le lendemain matin. Abedoudi le savonna succinctement sur son lit, sous une alaise en plastique. Le pauvre homme se plaignait à chaque mouvement. Une fois rafraîchi, changé et bordé, le vieillard ouvrit grand les yeux et lui prit la main. - Assied-toi! Abedoudi recula. - Vous savez bien, Monsieur Gig, que si je m'assieds, je vais me faire engueuler, c'est interdit de s'asseoir et de causer avec les résidents. - Les filles de l'étage sont de vraies petites ou grandes sottes. Assied-toi, prend ton temps, la vie est longue. C'est toi qui est dans le vrai, pas elle. N'écoute que ton coeur, ton intuition, tu vois juste. - Quoi ? Qu'est-ce que je vois juste ? Je me fais toujours avoir, engueuler, renvoyer de partout, dit Abedoudi en s'asseyant et en allongeant ses mains sur les draps blancs. Je suis incapable de garder une place. Justement parce que je m'écoute. Et que je vous écoute. Et que je prends mon temps pour tout. - Tu n'es pas encore à la bonne place, il y en a une pour toi quelque part, à toi de la trouver. A toi, de bouger pour te faire cette place, mon vieux, personne ne la fera pour toi. Tu ferais bien de grandir! Le vieux souleva la tête en tremblant. - A part ça, Les valises ? Demanda-t-il. Tu les as ? - Les malles! Ce sont des malles, monsieur Gig, je vous ai déjà dit. Elles sont chez moi, à Sarcelles. Dans ma chambre. Je m'en débarrasserai petit à petit. - Chez toi?!... Le vieux relaissa sa tête retomber avec plaisir sur l'oreiller. D'une main aveugle. il tâtonna à la recherche de la main d'Abedoudi qu'il trouva et serra avec chaleur. - Quelle bonne nouvelle! Merci, merci mon petit! Merci. Il tourna la tête vers la lumière du ciel. Abedoudi se leva et commença à ranger les chambres. Le vieux le rappela. - Viens là, ce n'est pas fini! Prend mon portefeuille dans le tiroir! Abedoudi s'exécuta. - Ouvre-le! Prend les billets!... - Non, Monsieur Gig, vous êtes fou, il y a une liasse de billets là-dedans, je vais me faire tuer par la direction, c'est interdit de recevoir quoique ce soit des résidents! - Tu ne le diras à personne! Qu'est-ce que tu veux que je fasse de cet argent au paradis. Crois moi, dès que je serai mort, c'est la première chose qui quittera la chambre! Avant même qu'on ait jeté le drap de la fin sur moi. Si c'est pas toi qui l'empoche, ce sera un autre qui le prendra. Oublie pas les clés des valises dans la pochette. - Y'a beaucoup trop, Monsieur Gig! Z'avez vu tout ce qu'il y a comme argent! - Personne ne sait que j'ai cet argent ici! Ha ha! Le notaire m'a apporté ça hier, en toute discrétion. Encore une chose que le neveu n'aura pas! Cet argent, c'est un départ pour toi. Tu le mérites. Range tout ça dans ton slip, qu'on te trouve pas avec. Grouille-toi, les chacals ne sont pas loin!... Et prend les clés! - Je suis une tête brûlée, Monsieur Gig,ma famille est en train de me renier, pour eux, je ne suis pas un assez bon musulman, je ne fais rien de bien, j'ai 38 ans et je suis sans boulot, j'ai jamais rien fait de ma vie... un salopard, un voleur... - Tais-toi, cache cet argent et laisse-moi dormir. Abédoudi était mal à l'aise, il se sentait observé, surveillé par le personnel d'étage, la chef de service, Dieu, il partit dans le petit cabinet de toilette, glissa la grosse liasse de billet de 100 euros dans la ceinture de son pantalon et fit redescendre sa blouse par dessus. Etourdi par des décharges brutales d'adrénaline, il se sentait ailleurs, sur une autre planète. Encore une fois, il choisissait la voie des interdits. Revenu dans la chambre, il s'approcha du lit, se pencha sur le visage du vieillard. - Merci, lui dit-il avec chaleur et bienveillance à l'oreille. Merci Monsieur Gig. Je n e pensais pas que le bon sort pouvait parfois tomber sur des gens bannis de tous comme moi. Le vieillard ouvrit les yeux. Il se regardèrent longtemps,Yeux dans les yeux, pupilles bleutées, opaques contre pupilles noires et lumineuses, au seuil d'un pays large, étendu, apaisé qu'ils ne connaissaient qu'en rêve et n'avait encore jamais découvert. Un pays vierge. Le vieux immobile baissa les paupières, son visage détendu pour la première fois depuis longtemps, sourit. Quand Abedoudi atteignit la porte, le vieil homme se redressa : - J'intercéderai en ta faveur au paradis... Qu'on soit indulgent avec toi quand tu y arriveras! Abédoudi resta un moment interdit, ne sachant quoi penser de cette phrase, puis il dit: - Bonne journée, Monsieur Gig! D'autres lits l'attendaient.

Round 6/60 écrit le jeudi 12 mars 2015

788 mots | 4674 signes

Perdu dans la banlieue, dans sa famille, dans ce pays. Abedoudi se sent tout à coup seul. Plus seul que jamais. Monsieur est mort ce week-end, son corps est à la morgue, on ne permet même pas à Abedoudi d'aller lui faire ses adieux, il n'est qu'un stagiaire. -S'il fallait dire au revoir à tous les morts qu'on a soigné, lui a-t-on dit, on en aura jamais fini. Abedoudi est triste, vide, désœuvré. Depuis qu'il s'occupait de Monsieur Gig, sa vie avait pris un autre sens, il ne s'ennuyait plus, il avait l'impression d'aller quelque part. Et voilà que Monsieur Gig était parti dans l'autre monde. C'était tellement triste. -Comment est-il mort ? Avait-t-il demandé à Mademoiselle Iphigénie. -On l'a retrouvé comme ça. Mort. Point. -Dans son sommeil ? -J'en sais rien, moi, comment il est mort, j'étais pas là pour voir. -Il est mort seul ? -Oui. -Il ira sûrement au paradis. -Tu crois encore à ces niaiseries ? -Tout le monde rêve d'aller au paradis! - Y'a que les fanatiques qui y croient encore! Le paradis!... Abedoudi se cabre intérieurement et tourne les talons. Depuis qu'il est petit, on lui parle du paradis, ce qu'il n'a jamais pensé remettre en question. « Son odeur est sentie à une distance de cent ans » a-t-il toujours entendu dire... De toute façon lui, il n'ira pas, trop mauvais croyant, il en sera chassé aux portes, son frère l'a prévenu. Il se sent attiré par la foi, par l'au-delà, mais tout le cirque autour de la religion le gonfle, les mensonges, la terreur autour. Il voudrait refaire sa vie, ailleurs, mais il a une tête d'arabe, une vraie tête d'algérien total, on le prendra toujours pour un musulman, partout. Pour les musulmans il doit pratiquer, pour les non musulman, il ne peut pas ne pas pratiquer... S'il pouvait changer de look. Le catogan est là pour ça, le bandeau aussi... Mais sa gueule tranchée, ses yeux noirs, son teint bazané... Avec l'argent du vieux, il pourrait peut-être se faire faire de la chirurgie esthétique. Ha ha! Non, quand même pas... L'argent, il l'avait caché sous son matelas, comme de l'argent volé. Qu'allait-il en faire? Il n'avait jamais eu un sou en poche, et là, tout à coup, tout cet argent, plus de cent mille euros qui lui tombaient dessus... Il en avait le vertige. Il allait trouver une femme quelque part et partir. Dans le sud, au soleil, monter un petit commerce, un garage... ou une épicerie arabe, pourquoi pas, il avait déjà la gueule de l'emploi!... Avec l'argent, il allait peut-être pouvoir séduire une fille, simple, sympa... pas une musulmane, ni une chrétienne, peut-être même un homme, il s'en fout, il rêve, personne ne voudra jamais de lui! 38 ans!

Abedoudi est seul dans l'appartement familial. Assis sur son lit, il introduit une des petits clés trouvées dans le portefeuille de Monsieur Gig dans un des serrures, puis une autre clé et ce n'est que la troisième clé qui laisse entendre un déclic. Abedoudi a le coeur qui bat la chamade. La serrure s'ouvre. C'est le moment de découvrir ce qu'il y a dans la malle. Mais il y a une deuxième serrure qui elle, résiste à toutes les clés. Impossible de l'ouvrir. La malle a de grosses armatures, robustes, épaisses, impossible à forcer et Abedoudi n'a rien d'un bricoleur. Il se dit alors que Roméo, le débile du troisième étage, peut peut-être l'aider. Ce gros type est peut-être un débile mental, en tous cas, c'est ce qu'on croit, et analphabète, mais c'est un ingénieux bricoleur. Il répare et recycle tout ce qu'il trouve, l'appartement où il vit avec son père est fait d'un bric à brac d'objets récupérés dans les poubelles, tous en état de marche, mais totalement rafistolés. Abedoudi aime bien Roméo, ils étaient en maternelle ensemble, puis jusqu'en CE1 dans le groupe scolaire du bloc de HLM. A 7 ans et demi, Roméo avait eu une drôle d'aventure, il savait pas quoi, et il tout oublié, comment lire, comment écrire et on l'avait dirigé vers une école spécialisée pour des enfants comme lui. Ils avaient plus jamais joués ensemble mais ils se disaient toujours bonjour dans les escaliers et se rendaient de menus services. Roméo était un bon gars, un vrai brave type qui n'aurait jamais fait de mal à une mouche, alors que lui, Abedoudi correspondait bien au cliché que certaines personnes se font des arabes nés en banlieue, il était voleur et bagarreur. Comme si ça l'amusait de correspondre à ce cliché... Mais'au fond, Abedoudi était bien comme tout le monde, un brave type, au fond, qui rêvait de douceur, d'harmonie, d'équilibre, de beauté, de paix... d'un monde plus juste.

Round 7/60 écrit le vendredi 13 mars 2015

691 mots | 4069 signes

Abedoudi respirait l' odeur aigre de la sueur de Roméo qui, penché sur la malle, cherrchait à l'ouvrir. Roméo était un gros bébé de 40 ans, joyeux, créatif et nourri à la mal bouffe insipide. Cake et pain longue conservation, pâte, chocolat sans cacao, oeufs pondus par des poules sans plumes... du pas cher, du bas de gammes, des produits périmés Mais bon, c'était le lot de tous les pauvres gens qui peuplaient ces HLM de dernière zone. Les grands magasins du coin mettaient piles, stylo-bic et les bas sous clés et offraient à leurs clients pauvres des lots et des lots de nourriture bourre-bourre à des prix défiant toute concurrence. Roméo était heureux qu'Abedoudi fasse appel à lui, il adorait ça, qu'on ait besoin de son ingéniosité et qu'on le sollicite, il était toujours prêt à rendre service pour être apprécié par ses voisins et collègues. - C'est un sacré truc, cette caisse! Jamais vu des serrures si compliquées. Mais on va l'avoir! Abedoudi tremblait d'impatience et en même temps, sans savoir pourquoi, il craignait ce qu'il allait découvrir. Le téléphone sonna dans la poche de Roméo qui décrocha nerveusement. - Oui! Quoi ? ... Non... Je sais pas... Non... Je t'ai cent fois dit non non et encore NON!... Il comprend vraiment rien , celui-là, fait-il à Abedoudi en mettant sa main sur le micro... Non papa non papa non papa non papa non papa non papa non papa non papa non papa non papa Tu m'entends ?... Non, il entend pas, il a décroché. Je vais me tirer, je te jure, un de ces quatre, je vais me tirer. Il range le portable dans sa poche. Inutilement. Le téléphone se remet à sonner. Roméo regarde l'écran et glisse quand même son tel dans sa poche revolver. - C'est mon paternel!... Je comprends pas... Il devient jaloux grave! Pire qu'une gonzesse! Je sais pas ce qu'i a avec moi, mais je crois qu'il est en train de péter un cable. Il se remet à triturer la serrure de la malle avec un tourne vis et des tiges de fer de grosseurs différentes. La serrure cède. Sans attendre qu'on l'y autorise, il soulève le couvercle d'un coup sec. Sa stupéfaction est totale. Abedoudi se laisse tomber sur son lit, écrasé par une réalité qui lui échappe encore. Des crânes humains, de différentes tailles, des os longs comme des fémurs, des phalanges, tout cela entortillé dans du tissus de lins, épais, sales et très jaunes, comme les bandelette du'une momie. Il y a aussi des tonnes papiers écits à la main, de la correspondance, on dirait, sur du papier fin bleu, il y a aussi beaucoup de vieilles enveloppes timbrées par avion. - Wooh... C'est quoi ? Demande Roméo. Abedoudi reste interdit, face à une réalité qui lui échappe. - Je sais pas... dit-il. - C'est pour faire quoi ? - Je ne sais pas... - Ben mon vieux... Ça fait peur, ton truc... Y'a aussi des squelettes dans l'autre malle ? - Je sais pas. Sans demander la permission, Roméo s'attaque à l'autre malle avec une ardeur plus consciencieuse qu'avant. Il en vint à bout en cinq minutes. Au lieu de soulever le couvercle, il se redresse, essuie ses mains moites sur son jean sale et range ses outils. Abedoudi a peur. Il tremble, il ne comprend plus rien. - Attend, dit-il! Reste là, on va regarder ce qu'il y a dedans! -J'ouvre ? demande Roméo. Abedoudi fait oui de la tête. Il a l'impression de tomber en arrière. Dans la seconde malle, encore des corps humains, crânes et squelettes, mais de petites dimensions, comme si ces reliques appartenaient à des enfants. - C'est des vrais squelettes? Demande Roméo. - Je sais pas... La stupeur rendait Abedoudi très bête... qu'est-ce que le vieil homme venait de lui léguer comme fardeau qu'il avait dû traîner toute sa vie ? - On dirait que c'est des os d'enfants... Y'a aussi des vieux jouets ... Des petits habits... La malle dégageait une odeur de cave humide, de laine mouillée, de champignons... Cent mille euros... Le prix qu'il m'a offert pour que je finisse le boulot pensa Abedoudi dans un éclair...

Round 8/60 écrit le samedi 14 mars 2015

334 mots | 1943 signes

Roméo éponge sa transpiration avec le bas de son t-shirt. Son gros ventre blanc apparaît, laiteux, trop nourri. Abedoudi baisse les yeux, vaguement dérangé par ce déballage de chair bien vivante, tant il est encore sous le choc de sa macabre découverte. Un mauvais rêve sans fin, voilà sa vie depuis qu'il est né. Et le sort s'acharne contre lui. - Ça vaut sûrement beaucoup d'argent! Dit Roméo en grattant son ventre à travers son T-shirt fin et poisseux. Y'a pas mal de crânes. Et d'os!... Qui ont l'air propres... - QUOI ? Mais ça vaut que des emmerdes, un fardeau pareil! Il faut que je me débarrasse de tout ça!... C'est le cadeau pourri d'un vieux mourant ! - Rien qu'un crâne, ça vaut entre 800 et 2000 euros!... fait Roméo qui regarde à l'intérieur des malles d'un air inspiré... - T'es malade! Tu veux vendre ça à qui ? - Faut trouver... C'est pas facile car c'est interdit de vendre des restes humains!... J'ai vu ça à la télé ... Mais des fanatiques de squelettes, ça se trouve! Abedoudi se frotte le crâne, sceptique. - Je peux pas garder ça ici, faut pas que mes frères découvrent la caisse... -Faut chercher des clients... - Je ne veux plus dormir avec ça dans ma chambre! C'est affreux... Aide-moi à m'en débarrasser... - Je t'aide si toi, tu me donnes un coup de main pour partir en vacances... - Je peux pas faire ça, mon vieux, t'es handicapé, tu vis avec ton père car t'es pas autonome! Je peux pas m'occuper de toi. T'es sous tutelle, non ? - Et toi ? Tu vis bien dans l'appart de tes parents depuis que t'es en maternelle? On a le même âge, non ? T'es pas plus autonome! - Moi, c'est pas pareil... Je suis parti, revenu, reparti... Je sais me gérer! - Apparemment, non! - J'ai de l'argent, beaucoup d'argent, je t'en donnerai. - Pas besoin d'argent. Je veux juste changer d'air... Avec quelqu'un comme toi, qui me connait depuis toujours...

Round 9/60 écrit le dimanche 15 mars 2015

471 mots | 2779 signes

Roméo s'étira de tout son long, referma les coffres et dit à Abedoudi: - Passe-moi ton portable, j'appelle mon oncle, j'ai plus de crédit sur le mien. Roméo chercha le numéro de son oncle sur son portable et Abedoudi le tapa nerveusement, en s'y reprenant plusieurs fois, sur son propre portable aussi vieux et fissuré que celui de Roméo. Roméo s'allongea et prit ses aises sur le lit d'Abedoudi. Il transpirait et de grandes auréoles jaunissaient son t-shirt sous les bras. - Allo, tonton Jules ? Tu fais rien ? Tu peux venir me chercher avec ta fourgonnette, j'ai deux grosses caisses à livrer en Normandie. Pour le boulot au CAT. La fourgonnette du CAT est en panne, c'est une livraison urgente, on t'indemnisera. Il met sa met sur le cornet. - Combien tu lui files pour aller et retour cap de la Hague, en Normandie ? Abedoudi est pris de court. - Je sais pas... 200 euros ? - 200, tonton, ça t'ira ?... Oui oui, on te paiera l'essence en plus. Roméo lève les yeux au ciel. - Et on t'offre le repas, bien sûr! Deux repas, oui. Les caisses sont chez un copain, dans mon immeuble! Tu sonnes et tu viens nous aider, les caisses sont lourdes.... Roméo s'assied sur le lit. - Il sera là dans une heure. Je remonte chez moi. - Pourquoi cap de la Hague ? Y'a quoi là-bas ? - T'inquiète, je gère... J'ai les clés de la maison des parents d'un pote au CAT. Il est paraplégique et ses parents sont morts. Entre potes, on se rend service... Abedoudi regarde sa montre. Ils auront le temps de sortir les coffres de l'immeuble avant que sa famille ne revienne. Dès que Roméo disparut, il dégagea de sous son matelas une grosse enveloppe emballée dans du papier journal. Le magot! Il dégagea d'une liasse quelques gros billets qu'il enfonça dans sa poche de jean et rangea le reste dans son ancien sac à dos d'écolier, une mallette tricolore jaune , bleue et rouge, raide, gribouillée au feutre, décousue sur les côtés, à la poignée cassée. Ça aussi, il allait l'emporter. Il était riche, première fois de sa vie que ça lui arrivait. Il pouvait embaucher des gens, se payer le resto, vivre, enfin! Et il ne l'avait pas volé. Mais quand même, le contenu morbide des caisses le mettait terriblement mal à l'aise. D'où venaient ces os ? De meurtres en série, de vol... Peut-être simplement des catacombes de Paris, il avait entendu parler des pilleurs de catacombes... Lui-même, plus jeune, 14-15 ans, était allé faire la fête dans les catacombes, avec des punks, des nuits et des jours durant, mais il n'avait jamais rencontré un seul squelette! Il serait content de se débarrasser de tout ça... Mais c'est vrai que finalement, si ça pouvait lui rapporter un peu d'argent, ça serait pas mal.

Round 10/60 écrit le lundi 16 mars 2015

710 mots | 4085 signes

Abedoudi et Roméo, assis à l'avant de la camionnette de l'oncle Jules. Le périf est bouché, départ en week-end pour tout le monde. L'oncle Jules râle sur tout et tout le monde, c'est un français, c'est un râleur, et Roméo se marre, il est tout excité de partir se promener avec son vieux pote de maternelle, Abedoudi. Il est fier d'avoir une mission et d'être grassement payé pour ça, mettre de côté les vieux coffres de son ami d'enfance. A peine la camionnette a-t-elle pris la route, qu'il sort les sandwiches et les canettes. Avec la musique à fond, c'est la fête dans la bagnole. Tous les trois ont l'impression de partir en vacances. Cette petite virée imprévue en Normandie arrange tout le monde. - Et ton paternel? demande Abedoudi. - Permission jusqu'à dimanche soir... Grâce à mon tonton Jules. Depuis que ma mère est décédée, papa, il est plus le même. Il pleure, il m'appelle tout le temps, il a peur de rester seul. J'espère qu'il va tenir le coup jusqu'à dimanche... C'est la première fois que ça lui arrive depuis la mort de maman... Sinon, on fait tout ensemble. - Pourquoi il prend pas une autre femme ? - Ben non!... C'est pas utile! C'est moi qui fait tout comme ma mère... - Même l'amour? Demande le vieux Jules en rigolant. Roméo ne relève pas. Il mord dans son pain saucisson avec bonheur. Ils sont arrivés sur l'autoroute de Normandie, qui se fluidifie de minutes en minutes. Le ciel est lumineux et il y a dans l'air les prémices du printemps.
Cette virée imprévue enchante Roméo, son oncle au chômage est ravi de gagner un peu d'argent et lui de quitter la maison le temps d'un week-end. Abedoudi est moins serein, dans quelle galère s'est-il encore fourré! ? Ce qui le rassure mais l'inquiète aussi, c'est la présence, à ses pieds son cartable bourré de billets de banque. Un incroyable magot tombé du ciel! Mais il y avait aussi les coffres plein de squelettes! Ce qui était moins rigolo! - J'ai l'impression de me retrouver trente ans en arrière, dit Abedoudi... quand on jouait tous les deux dans la cour de l'école primaire... En fait, tu as toujours été gentil avec moi. Pourquoi ? ... - Mmmmm!... Fait Roméo avalant sa bouchée. Je sais pas... Je crois que je suis normal... Pas agressif. Jamais agressif. Je suis gentil avec tout le monde. - T'as quoi comme handicap, en fait ? - ... Chais pas... - T'as jamais pu lire, c'est ça ?... - Si... Au CP, je savais lire. Bien. Et après, j'ai tout oublié. - Pourquoi ? Il t'es arrivé quoi? - Je sais pas. Un choc, d'après ce qu'on dit. J'ai eu un choc et j'ai tout oublié. Hein, tonton Jules? - C'est ça. Il a eu un traumatisme. Abedoudi hoche la tête,touché, presque attendri. - Je t'aime bien, Roméo. Même si je t'ai toujours un peu torturé, à l'école et dehors. - Pas grave, dit Roméo. J'ai l'habitude qu'on m'embête parce que je suis gros, ou handicapé, ou que je sais pas lire. Mais moi, je me sens bien comme je suis. Alors, ça glisse sur moi... J'aime bien vivre. J'aime les animaux. J'aime manger. J'aime la pluie et le soleil. J'aime la nuit et le froid. J'aime le silence et la musique. J'aime les gens de mon immeuble. J'aime marcher seul dans la campagne et ramasser des champignons... - Il sait pas lire mais il connaît tous les champignons comestibles qui poussent en Île de France! Dit l'oncle Jules. C'est un brave garçon. Trop brave. On en fait ce qu'on veut, de mon neveu. Il mériterait d'avoir une belle vie! - J'ai une belle vie, dit Roméo. - Tu es trop vite content. C'est pour ça que les gens te trouvent un peu simplet, dit Abedoudi. tu cherches jamais à avoir plus que ce que t'as. - C'est ce que tout le monde dit... Bon... Peut-être. Tu veux une madeleine ? Roméo ouvre un grand sac de madeleines premier prix, collantes et sans autre goût que celui de sucre et encore de sucre. Abedoudi refuse, il préfère les bons gâteaux marocains que fait sa mère, aux noix, aux amandes, aux pistaches, les madeleines de Roméo, ce sont de vrais étouffe chrétien!

Round 11/60 écrit le mardi 17 mars 2015

870 mots | 4758 signes

La maison familiale de l'hémiplégique, le collègue de Roméo, était une chouette petite maison en pierre située sur des rochers en bord de mer, à la pointe de la Hague. Si l'on oublie la construction d'une centrale nucléaire nouvelle génération et l'usine de traitement des déchets nucléaires à proximité, on se croirait au bout du monde, dans un coin de rêve, entre prés salés et mer, sans âme qui vive, proche du vent, des marées, des bateaux au large et des pêcheurs à pied quand la mer se retire. Abedoudi reste sans voix. Quel bonheur d'être soudain propulsé loin de la ville, dans un silence vivant, avec le bruit des vagues et des grandes herbes jaunes qui se couchent sous les frisottis du vent. La méditerranée, à Marseille, était la seule mer qu'Abedoudi connaissait. Il n'avait jamais ressenti encore le plaisir de respirer un air frais, marin, loin des tours de la banlieue, qu'elle soit parisienne ou marseillaise, dans un univers vierge de toute grande habitation. C'était bon et apaisant d'être là, ailleurs, au coeur de la vie. Il aurait voulu que ça dure toujours. Roméo ouvre la porte de la petite bicoque. Ils entrent directement dans la pièce principale, sorte de salon-salle à manger rudimentaire, humide, avec des livres, du matériel de pêche, des besaces en osier, de grandes bottes vertes , des filets à crevettes plus larges que des filets à papillon... Une odeur accueillante enveloppe la pièce. Roméo pose sur la table de la cuisine les provisions qu'ils viennent d'acheter dans un supermarché sur la route. Il y a deux petites chambres, l'une avec un grand lit que l'oncle Jules s'est attribuée d'office, l'autre avec deux lits jumeaux pour Roméo et Abedoudi, pas le choix. L'oncle, parti faire un tour sur la plage avant la nuit, Abedoudi se rappelle pourquoi il est là, ce qui le fait frémir d'horreur. Il aurait préféré oublier tout ça. - Les coffres, on les mets où? Demande Abedoudi à Roméo. On pourrait tout jeter à la mer, c'est ce que le vieux voulait, que je les balance dans un canal... - Y'a les marées... Impossible... ou aller en haute mer... Mais faut rien jeter, Doudou, on va trouver un acheteur, rien ne se jette tout se transforme, dit mon papa. Moi, je récupère tout dans les poubelles, je rafistole, répare, transforme... Je jette rien, fais-moi confiance!... Des malles de grand-pères comme ça, ce sont des trésors... Faut surtout rien jeter!... - J'ai peur de ces cadavres! J'ai peur! - On finira tous comme ça, faut s'y habituer, haha!... Et puis c'est pas des cadavres, ce sont des os... Des reliques, comme il y en a dans toutes les églises, toutes les familles. Tout le monde garde chez soi des reliques, dans des petites boites, des coffrets, des enveloppes, des dents de lait, des ongles, des cheveux... Ma mère, par exemple, elle a hérité des dents de lait de tous ses ancêtres, trois générations de dents de lait, plus des mèches de cheveux, plus mes dents de lait à moi de quand j'étais petit... c'est moi qui ait hérités de toutes ses reliques familiales, comme elle disait. Elles dorment dans une boite avec la sainte Vierge dessus et une petite bouteille d'eau de Lourdes... - T'es chrétien, toi ? Roméo déballe un paquet de biscuits au chocolat et se sert san s en présenter à Abedidou. - Non. Ma mère voulait que je sois catholique. Mais moi, ça me disait rien l'église, et comme suis débile et que je faisais trop de bruit pendant la messe, elle a vite abandonné l'idée de m'obliger à y aller. J'ai fait mes communions pour les cadeaux... Les dents de lait, ça peut se vendre à des étudiants qui veulent être dentiste. Les crânes, aussi, on peut leur vendre. Ou on peut les vendre à des satanistes, ou à des collectionneurs... On va trouver... - Je préférerais m'en débarrasser rapidement... et en même temps, ça m'intrigue... D'où viennent ces ossement, pourquoi monsieur Gig m'a-t-il demandé de les sortir de chez lui et de les jeter... - Il devait avoir envie que personne ne découvre ce qu'il y a dans ces coffres... sauf toi... Il savait bien que tu regarderais dedans... Que tu ne pourrais pas t'en empêcher... Tu veux un biscuit ? - Non. Je mange pas entre les repas. J'aurais mieux fait de pas regarder dans la caisse et de tout jeter dans le canal comme il me l'avait demandé... - Dans la vraie vie, personne ne détruit quoique ce soit sans savoir ce qu'il y a dedans. C'est normal. C'est humain. On va entreposer les caisses dans la maison et revenir nous en occuper plus tard, aux vacances... Peut-être que mon tonton Jules voudra bien nous accompagner encore une fois...

Round 12/60 écrit le mercredi 18 mars 2015

697 mots | 4082 signes

Abedoudi perçoit, à travers les volets clos, le bruit des vagues à marée haute. Les petits ronflements de Roméo l'empêchent de dormir. Demain, ils rentreront en banlieue en laissant les malles dans cette petite maison où plus personne ne vient jamais. Il se lève, se rhabille, quitte la chambre sans bruit et part marcher dans la nuit. Il veut profiter de ce moment unique, en pleine nature, loin de ses habitudes. C'est une sensation étrangement nouvelle pour lui. Il prend un sentier qui longent la côte, étourdi par les odeurs de mer, éclairé par une lune croissante. Il se sent proche de grandes décisions. Cette longue promenade parmi les herbages le conforte dans l'impression que sa vie est en train de prendre un nouveau tournant. Il n'a encore jamais ressenti, dans sa vie, une telle sérénité, seul, au milieu de nulle part. Son enfance en banlieue, la rigidité de son éducation religieuse, ses problèmes avec la justice pour des histoires de vols, de drogue, de bagarres, les nombreux stages d'insertion auxquels il a participé sans jamais trouver sa voie, Mécanicien auto, aide-électricien, aide-cuisinier, ouvrier du bâtiment, ouvrier paysager, gardien d'immeuble, il a tout essayé et jamais rien terminé, il a réussi à vivre jusque là avec toute sorte d'allocations et aides diverses de l'Etat, ce qui n'est pas une vie. Il n'a jamais un rond et n'est intégré nulle part... Le boulot d'AMP dans la maison de retraite est peut-être ce qu'il a préféré, s'occuper des vieux... Le problème, c'est qu'il ne s'entend jamais avec les chefs d'équipe, les contremaîtres, les petits patrons, les collègues qui se croient mieux que lui. Il ne supporte ni l'hypocrisie, ni les mensonges... Il ne comprend pas que dans la vie professionnelle, il y a des concessions à faire, que tout n'est pas bon à dire, qu'il vaut parfois mieux de se taire. Il vole au créneau à la moindre injustice. Le monde est injuste, il faut faire avec si on tient à sa peau. Aujourd'hui qu'il a son petit magot en poche, il voudrait exister autrement, faire quelque chose de sa vie, ne plus être seul, quitter sa famille, quitter Sarcelles, laisser derrière lui la banlieue parisienne... Plus il marche dans la nuit, plus il sent monter en lui la confiance et l'envie d'entreprendre, d'avancer... il voudrait tant être moins hargneux, moins revanchard, moins haineux avec les gens et le système. Il revient vers la petite maison après une longue promenade, l'esprit comme lavé d'une partie de son passé. Il est sûr que quelque chose en lui est en train de changer, il le veut, il fera tout pour. Arrivé dans la pièce principale de la petite maison, il se verse un grand verre de coca-cola et s'assied devant les malles. Il doit d'abord résoudre ce problème. Courageusement. A bras le corps. Monsieur Gig lui a offert cent mille euros pour qu'il s'occupe de ces malles. Il allait s'en occuper. Et plonger le nez dedans. Comprendre, faire disparaître, réhabiliter... Il ne savait pas encore la solution choisir... le contenu des coffres le terrorisaient et pourtant il pressentait que s'il en résolvait l’énigme, une autre vie, soudain, s'offrirait à lui. Il y avait un pas de géant à accomplir... Mais il ne savait pas lequel. Il alluma toutes les lumières et ouvrit un des coffres. - Qu'est ce que tu fais ? demanda Roméo qui se tenait à la porte de la chambre. - Rien. J'arrive pas à dormir. - Tu regardes ce qu'il y a dans les coffres ? - Oui. Non. Je cherche à comprendre. - On m'a dit que sur internet, il y avait un site, aux Etats-Unis, qui rachetait des ossements humains. On peut prendre des photos des crânes, des membres et leur envoyer par mail. Ils nous proposeront un prix. - C'est interdit, non ? - En France oui. Aux E-U, je crois pas. Ils en parlaient pas dans l'émission. Si tu veux, on étale tous les os sur la table de la cuisine et les prend en photos! Mon portable, il a pas de crédit mais on peut faire des photos avec! - Mmmm. Oui, peut-être. On peut faire ça... On verra bien.

Round 13/60 écrit le jeudi 19 mars 2015

313 mots | 1900 signes

  • Tiens, regarde, j'ai trouvé ce qu'il nous faut, des gants en caoutchouc! Dit Roméo après avoir remué le contenu d'un tiroir! Abedoudi panique, Le caoutchouc rose colle à ses doigts, résiste, Abedoudi s'y reprend à plusieurs fois, déchire un des gants, il préférerait se promener sur les sentiers devant la mer, comme tout à l'heure, ou être ailleurs... Quelque chose, pourtant, en lui, fait confiance à monsieur Gig, ce vieux monsieur avait quelque chose d'essentiel à lui transmettre, il le sent, il doit chercher à comprendre, même si c'est difficile. Il est heureux de ne pas être seul. Jamais il n'aurait cru que la présence du gros Roméo, débile, analphabète, plutôt du genre demeuré, qui travaille dans un atelier protégé à faire des tâches répétitives, puisse le rassurer à ce point.
  • Allez, on sort tout ça!.. Roméo plonge ses mains gantées dans une des caisses et en ressort un crâne qu'il pose délicatement sur un journal ouvert.
  • Drôlement léger pour un crâne!... Il l'inspecte, le retourne, le grattouille avec la pointe de son canif puis l'approche de l'ampoule allumée.
    • Mmm... très léger... Pris de fièvre, il déballe le contenu des caisses. Très vite, un tas d'ossements est érigé sur la table. Abedoudi est paralysé, inquiet, inutile. Roméo, aux commandes, dispose les cranes, petits et grands, les uns à côté des autres, comme un enfant alignerait avec des petites voitures, avec beaucoup de coeur et de rigueur.
  • Doudou, y'a un truc bizarre, tous ces os, on dirait du plastique... Les os, normalement, c'est plus lourd. J'ai l'habitude avec les os du boucher...
  • Les vieux os sont peut-être plus légers que des os frais... Ces os sont peut-être très vieux...
  • Oui... peut-être très très vieux...Vas-y , prend les photos... Il y a aussi des documents...
  • On les ramènera en banlieue...

Round 14/60 écrit le vendredi 20 mars 2015

450 mots | 2837 signes

Abedoudi reste muet devant l'amoncellement d'os humains que Roméo dépose scrupuleusement sur la table . Frappé de plein fouet par la précarité de la vie humaine, un drôle de malaise l'envahit. Ce pourrait être lui, ses frères, des gens estimés, aimés... Mais non, c'étaient des os anonymes qui avaient fait, un jour, partie, d'un corps vivant, joyeux, heureux... Des flash, vestige d'une vie passée, qu'il n'a pas vécue, que d'autres ont traversée, parviennent à sa conscience... Il voit du feu, des gens piégés, battus, abattus de sang froid, détruits sans concession par d'autres gens..., Au fond des malles, il reste des habits, petits et grands, de la dentelle, des cordons en velours de soie rose pâle, des mocassins usés, inutiles. Pourquoi ces reliques ? Qui étaient ces gens dont les corps en morceaux se retrouvaient soudain là, sur la côte normande, entre ses mains d'arabo-marocain-musulman-français à la dérive et celles, potelées, d'un handicapé mental picard... C'était fou et Abedoudi avait l'impression d'être en plein délire. Roméo, très à l'aise avec ces reliques d'un autre monde, touchait, soupesait, évaluait, organisait les éléments sortis du coffre avec un bon sens tout mathématique et pragmatique, comme s'il s'agissait d'instruments à vendre. - Bon, fait les photos, maintenant! C'est prêt, dit-il à Abedoudi. Abedoudi n'entend pas. Il regarde une petite médaille en or avec sa chaînette entortillée autour d'un ruban qui fait corps avec un humérus d'enfant. La médaille porte une inscription d'une grande finesse. - Tu as vu la médaille, dit-il à Roméo. - Oui... Je l'ai laissée exprès avec l'os, j'ai pas pu l'enlever... il y a un truc écrit dessus... Des chiffres... Un, neuf, trois, six... et une inscription, j sais pas lire... - Ilka, 1936... - Ilka ? - Oui... C'est pas français. - Arabe! - Ben non... Sans trop comprendre pourquoi, Abedoudi se sent rassuré de découvrir ce nom, Ilka, parmi tous ces os étrangement pareils, anonymes, inquiétants. Quelque chose d'humain émerge enfin du fatras sordide dégagé des malles, prometteur de vérité... Il a soudain moins peur. L'incroyable mission que monsieur Gig lui a confiée prend corps en lui, il peut s'en emparer. Ilka... Ilka... Une vie volée... Qu'il a pour mission de comprendre... Il se sent excité, triste mais aussi heureux. Il veut comprendre, il va comprendre. Le chemin s'ouvre devant lui, peuplé d'ombres et d'interrogations, mais ouvert, il avance enfin vers quelque part, avec 100000 euros en poche. Comme si cet argent était une avance versée sur salaire pour mener à bien la mission de Monsieur Gig. La mission de sa vie. - Alors, tu fais les photos, ou quoi, dans une heure, mon oncle va se réveiller, et il va rien comprendre à tout ce merdier!

Round 15/60 écrit le samedi 21 mars 2015

683 mots | 3905 signes

Le camionnette de tonton Jules trace sur l'autoroute de Normandie. Silence total dans la cabine. Abedoudi dort, une joue contre le col de sa doudoune usée, ses cheveux gras, sortis du catogan, en fouillis sur son visage. Roméo essaye de réparer un cadenas ancien trouvé à côté d'une poubelle. Il cherche, de ses mains potelées, avec ses outils de poche et divers bouts de ferraille, à en comprendre le mécanisme. C'est son dada, les serrures... Il prend son temps, des jours parfois, mais il finit toujours par en venir à bout. Rien qu'à l'oreille et aux sensations tactiles que lui procurent ses outils qui pénètrent dans la serrure, il parvient toujours en saisir les subtilités. Grâce à ce don, il a toujours réussi à se faire discrètement un peu d'argent de poche que son tuteur de père, qui a la main mise sur tout ce qu'il gagne au CAT, ne lui prend pas. Roméo, même s'il ne sait ni lire, ni écrire, a l'art de la débrouille. il est d'une grande ingéniosité et il a l'esprit de camaraderie. il aime rendre service. La seule chose qu'il n'aime pas partager, c'est la bouffe. Il mange trop, tout le temps, la monitrice d'atelier et l'assistante sociale, au boulot, essaye de le raisonner, de le rationner. A la cantine, il se fait engueuler dès qu'il se ressert de gâteaux, de madeleines, de pain, de pâte. A table, plus moyen d'être tranquille, mêmes ses collègues handicapés s'en mêlent. - Roméo, tu manges trop! - Tu te détruis la santé! Madame Irène arrête pas de te le dire! - Tu vas crever de trop bouffer! - Fichez-moi la paix! Faut bien mourir de quelque chose! - Tu va éclater! Comme la grenouille! Haha! - Tu seras plus gros que le plus gros des bœufs! - Taisez-vous, manger, j'aime ça, c'est mon unique plaisir! - Trouve-toi une nana! Elle te fera des trucs!... Hihihi! - Pas besoin d'une femme !... J'en suis déjà une, de femme, d'après mon père! - Il a raison, t'es une grosse nana avec des nichons! - Et toi, t'es une grosse pute qui couche avec tous les mecs de l'atelier! Décidément, Roméo se sent bien, sur la route, entre son copain et son tonton, au milieu de nulle part, à bricoler sa serrure... - Hein, tonton! Dit-il à haute voix. Maman disait toujours que le plus important, dans la vie, c'est de savoir ouvrir des portes... moi, j'ai pas de vie à moi, je suis débile, mais je sais ouvrir des portes! Abedoudi se réveille et s'étire sur la banquette. Lui non plus n'a pas tellement envie d'arriver en banlieue. Il se sent en bonne compagnie, rassuré par la présence de son vieux copain de maternelle et de son tonton, une brave homme, content de vivre, taiseux et solitaire. On n'a pas toujours besoin de parler, dans la vie, pour se sentir bien avec les gens, pense Abedoudi. Et lui, Que les gens soient musulmans ou pas, il s'en fout. Il voit pas pourquoi ses frères veulent qu'il épouse une femme du bled, une musulmane, Pourquoi pas une juive, ou une danoise, ou une catholique? Qu'est-ce que ça change? Quand il était petit, il était fou amoureux d'une indienne qui habitait dans sa cage d'escalier. Elle avait un corps fin et de long cheveux noirs et elle brûlait des encens devant une statue de Boudha. A 38 ans, tardivement, il espère tout à coup échapper au poids de sa famille et vivre sans religion, et sans absence de religion aussi... En fait, il ne se sent ni athée ni religieux ni hétérosexuel, ni homosexuel, il déteste les étiquettes... Mais comment vivre sans étiquette ? Et est-ce possible ?... C'est aussi pour ça qu'il sent bien avec Roméo, qui ne le juge pas et le prend juste pour ce qu'il est, Doudou, son pote de maternelle, son voisin qui habite à l'étage du dessous... Oui, il y aura un avant monsieur Gig et un après... Il a cent mille euros en poche et un prénom, Ilka... à qui, il ne sait trop pourquoi, il veut donner un visage!

Round 16/60 écrit le dimanche 22 mars 2015

629 mots | 3948 signes

Abedoudi referme discrètement la porte du secrétariat et s'éloigne rapidement vers les étages de la maison de retraite, sa blouse blanche trop large achetée 5 euros chez les gitans du marché de Sarcelles, lui battant sur les mollets. C'est une blouse de pharmacien, de médecin ou d'ingénieur, ce qui lui donne un air important. Il espère que personne ne l'a vu entrer et sortir du secrétariat. Il est perturbé mais satisfait. Monsieur Gig s'appelle Gimpel. Gig était un surnom, moqueur, sûrement, décerné par le personnel. Il regrettait d'en avoir usé. Tous les vieux ici, avaient un surnom qui faisait rire le personnel. Quelle vilaine manie. S'il était directeur, il interdirait ces pratiques. Le seul dossier qui commençait par GI, était Gimpel. Il a vite compris en l'ouvrant qh'il s'agissait du même homme. Il devait faire vite. Dans le dossier, il y avait une lettre écrite sur une demi feuille de papier et signée Elina. Les mots étaient ronds, mal formés, maladroits. Il ne prit pas le temps de la déchiffrer. Il la photographia à l'aide de son téléphone portable, avec les différents papiers du dossier. Gimpel Daniel Dov, Alexandre, né en 1920 à Leipzig, Gimpel Daniel Dov, Alexandre, né en 1920 à Leipzig... ... se répéte-t-il en boucle dans l’ascenseur qui le propulse au 3ème étage. Sa chef de salle, Mademoiselle Iphigénie, l'attend de pied ferme dans le couloir, dos au mur, bras croisés, discutant avec une femme de service qui est, elle, accoudée sur le chariot du service petit déjeuner. - 20 minutes que les chambres 56, 58 et 62 attendent pour leur toilette, lui lance Mademoiselle Iphigénie, d'un ton franchement agressif. - Vous ne rendriez pas les choses plus humaines en parlant de Madame Gimenez, de madame Torsa et de Monsieur Ben Ali!... Attaqua tout de suite Abedoudi. Chambres 56, 58 et 62!... Je suis qu'un stagiaire mais je connais déjà le nom de tous vos pensionnaires! - Faite pas le petit malin, monsieur Bensaouira! Faites surtout pas le malin. Vous avec déjà une très mauvaise réputation ici. Et ne comptez pas sur nous pour un renouvellement de votre stage. Même pas sûre qu'on vous garde jusqu'au bout de celui-ci. La lumière rouge de la chambre 56 s'allume en même temps que se fait entendre un coup de sonnette prolongé. - Madame Gimenez! Allez-y, dicte Mademoiselle Iphigénie. - J'allais le faire!... Grogne Abedoudi. - C'est ça! Vous alliez le faire avec 20 minutes de retard, oui! Et dépêchez vous, les autres pensionnaires attendent. - Ils attendront! Je prends mon temps pour chacun! Et tout le monde s'y retrouve. - Facile de prendre son temps avec trois malades à s'occuper. Vous êtes stagiaire et vous passez à côté des réalités! Dans la vraie vie, c'est pas trois malades en même temps, que vous aurez à changer, laver et préparer pour la journée, mais vingt-cinq, trente malades!
Abedoudi hausse les épaules et frappe à la porte 56. - Inutile de frapper comme ça à toutes les portes, Crie Mademoiselle Iphigénie, tous ces gens sont sourds! Pas besoin de jouer les petits saints. Abedoudi, sait, aujourd'hui, pourquoi il est vivant. Une éthique personnelle macère dans le brouillard de sa tête et émerge lentement de l'espèce d'inconscience dans laquelle il végète depuis presque 40 ans. Sa colère commence à prendre plus clairement forme, il peut presque, pas encore, mais presque, y mettre des mots... Il se sent tellement solidaire de tous ces vieux abandonnés aux mains d'un personnel soignant imbécile, insensible. Jusqu'à présent, il était en colère contre les gens friqués, les présentateurs télés, les professeurs, les mannequins, les vendeurs à la sauvette, les hommes politiques, les moniteurs d'auto-école, les flics, les gardiens d'immeuble, les chefs de service... aujourd'hui, sa colère prenait une autre tournure, plus simple, plus concrète, plus tendre...

Round 17/60 écrit le lundi 23 mars 2015

820 mots | 4524 signes

Son stage à la maison de retraite est terminé. A nouveau dans son organisme de formation pour passer ses certificats. Abedoudi en a marre, il n'aura jamais le diplôme, il n'a pas le niveau. Son rapport de stage est illisible. Sa prof, chargée de la relecture de son travail n'y a rien compris. Il n'y peut rien, il écrit comme il parle, indifférent à toute structure grammaticale. Pas de point, pas de verbe dans la phrase, orthographe approximative, lexique inexistant. Son travail est à recommencer. Tout le groupe des futurs AMP se marre. Abedoudi est comme toujours à côté de ses pompes, déconnecté, hors cadre. Comme son look, sa coiffure, sa barbe mal rasée, son état de délabrement général. Personne ne l'apprécie dans le groupe, trop personnel, étrange, vite amer, ou agressif, ou moqueur, ou alors trop gentil et collant... Il essaie de négocier avec Jeanne Dufour, la dame blonde qui anime le centre de ressources pour qu'elle lui corrige son rapport. Il le veut son diplôme, ce serait le premier de sa vie. - Je peux pas corriger un truc pareil, Faut tout refaire, Abedoudi! Tout! lui dit Madame Jeanne. - Aidez-moi! Je vous dicte et vous écrivez à ma place. - Non. Je ne peux rien faire pour toi. Quand tu viens au centre de ressources, tu ne bosses pas, tu ne fais rien, mais rien de rien, tu parles tout le temps, tu es agité, dans tous les coins à la fois et j'ai vu que tu n'étais même pas allé sur la plateforme en ligne où je t'ai inscrit pour améliorer ton français. - J'ai pas le temps, Madame, vous vous rendez pas compte. - Trouve-le le temps, au moins quand tu viens travailler ici! Je ne vais pas bosser pour toi alors que tu ne fais rien pour améliorer les choses pour toi-même. - Si, Madame, j'essaie... Ce n'est pas si facile de tout rattraper... Je me décourage vite... - Facile!... C'est la régularité qui paie, mon vieux. Tu dois travailler tous les jours. Un peu, mais tous les jours. Sans relâchement. Sans concession envers soi-même. - Pour vous, tout à l'air simple. Vous n'avez pas de problème. Vous êtes française. - Toi aussi, non ? - C'est pas pareil! - Comment, pas pareil ? T'es né en France. Et ta famille est en France depuis plus 50 ans!... - Je suis arabe! - Et alors ? - Et alors, les portes se ferment dès qu'on me voit! - Bien sûr, tu fais tout pour! Regarde comme t'es! Mal rasé, mal habillé, avec une drôle de coiffure qui ne va pas du tout avec ton look, tu fiches rien, t'emmerde tout le monde pour des bêtises, tu chicanes, tu contestes tout à propos de tout pour justifier ta paresse, bien sûr, même moi, j'ai envie de te fermer la porte au nez dès que je te vois. Ça n'a rien à voir avec le fait que t'es arabe ou pas. On n'a juste pas envie de te fréquenter. Tu es ni aimable ni attirant. En plus, tu es tout de suite dans l'attaque et dans le préjugé! C'est pas parce que je suis blonde que tout est plus facile pour moi. Teins toi en blond alors! - Wo! Comme vous y allez!... - Oui. Au moins c'est clair. Et tu sauras ce que je pense de toi. A 60 ans, je mâche plus mes mots. Comme toi, non ? Assied toi et bosse! Reprend tout à zéro. - J'ai pas le temps, Madame, de tout recommencer, je devais déjà rendre mon rapport de stage il y a une semaine! Si je le rends pas, j'aurais pas mon diplôme. - Et alors, c'est ce que tu cherches, non, depuis des mois, depuis des années, pourquoi ça changerait. Ton diplôme, tu peux faire une crois dessus, tu ne l'auras pas, point. Faut te faire une raison. Tu es le seul à pouvoir agir sur ton futur. Soit, tu t'y mets maintenant, tu travailles, tu étudies et tu te donnes des chances de transformer ta vie, soit tu restes à patauger dans ton caca. Choisis. - Wo, Madame Dufour, vous allez trop loin, vous me jugez! - Regarde-toi dans les yeux... - Si vous étiez plus jeune, je vous épouserai! - Tu veux épouser une femme qui te dicte quoi faire ? - Non. - Bon. Alors change pas de sujet et va bosser. Il n'est jamais trop tard pour commencer! - J'ai bientôt 38 ans, Madame, j'ai plus le temps... - Tu as tout le temps de terminer ton chantier de jeunesse pour commencer ta vie, la tienne, pas celle que tu vis en réaction à tout ce que tu as subis dans ta jeunesse ou ton enfance!... Arrête de râler et de te trouver tous les prétextes pour ne rien faire, arrache le poil qu'est dans ta main, mords dans la vie, prends la à pleines dents et fonce, travaille, va de l'avant... - Comme vous y allez!...

Round 18/60 écrit le mardi 24 mars 2015

655 mots | 3886 signes

Abedoudi a empilé dans un coin de sa chambre, les documents, lettres, actes de naissance, papiers d'identité et vieilles photos trouvées dans les coffres laissés au cap de la Hague. Tout cela l'intriguait mais il ne se sentait pas encore la force de s'y plonger. C'était un autre monde, si vieux, et tellement poussiéreux, que ça ne mettait mal à l'aise... Plus tard... Il s'échappe de ces papiers chiffonnés et humides une odeur animale indescriptible qui le déprime... Les vieilles photos passées, usées, sans couleurs et sans vie, lui font penser à son enfance, à ses grands parents et à leur vie au bled, à la pauvreté, à toutes les occasions perdues, à l'absence... Il préfère, ce week-end, partir explorer la maison de Monsieur Gig, ou plutôt la maison de Monsieur Gimpel Daniel Dov, Alexandre, dont il avait fait faire un double des clés. Son passé de mauvais garçon n'était pas loin... Oh, il n'allait rien voler, juste marcher, en éclaireur, sur les traces de monsieur Gig qui s'était si étrangement attaché à lui avant de mourir, ou peut-être avant de se donner la mort... Car il était bien possible qu'il se soit suicidé. Dans ce genre d'administration hospitalière où l'on condamnait les personnes âgées à l'enfermement et à la solitude, peut importait comment les gens mourraient. Les médecins délivraient le permis d'inhumer sans se poser de question. Un vieux de plus qui meurt. Les vieux mourraient, on les emballait, on les renvoyait à leur famille, il partait à la crémation ou on les ensevelissait dans une fosse commune, selon les vœux du défunt. La veille, Abedoudi était allé déposer sur sa tombe un bouquet de narcisses acheté 2 euros à un gros gitan qui les vendait sur le parking du centre commercial de son quartier. Apparemment monsieur Gig avait été enterré auprès sa femme sous une grosse pierre tombale. Une jeune femme, blonde, jeune, la trentaine, sexy, avec des couettes de gamine et des bottines léopard, s'était occupée de l'enterrement et de toute la paperasserie administrative. Ilka ? Monsieur Gig lui avait parlé d'un neveu de sa femme, qui ne devait absolument pas découvrir les coffres, mais il n 'avait rien dit sur une jeune fille qui lui serait proche. Et l'argent qui dormait dans la doublure de son matelas dans sa chambre ? Pourquoi l'avait-il reçu ?... Qu'est-ce que le vieux avait vraiment derrière la tête quand il lui avait offert cette somme ? Abedoudi prit le RER jusqu'à la gare de Pierrefitte-Stain et marcha tranquillement jusqu'au pavillon de Monsieur Gig, dans une rue pavée bordée de part et d'autre de petits pavillons d'après guerre et qui longeait la voie ferrée vers Paris. On sentait que les propriétaires n'avaient plus les moyens d'entretenir leurs biens qui était laissé à l'abandon. La petite maison de Monsieur Gig, aussi délabrée et minable que les autres, avait une cour sur le côté et un jardinet à l'arrière, avec une vieille balançoire qui datait d'un autre siècle. Abedoudi inspecta les alentours, sonna pour s'assurer qu'il n'y avait personne dans la maison, et finit, au bout de quelques minutes, par introduire sa clé dans la serrure. L'électricité n'avait pas été coupée et la maison ne sentait pas le renfermé. Rien à voir avec la dernière fois. Sur la table de la cuisine, un bol avec un fond de chocolat au lait et du pain frais. Un bouquet de crocus dans un pot de confiture. Un magazine people. Merde, Quelqu'un habitait les lieux. Mais pourquoi si vite. Comment se faisait-il ? Il ne comprenait pas. Un squatteur ? Il devait réagir. Même s'il n'était pas chez lui, même s'il n'avait aucun droit de se trouver là, dans cette maison qui ne lui appartenait pas, il se sentait volé, délesté d'un bien, dépouillé d'un secret qui lui avait été légué, qui lui appartenait en propre.

Round 19/60 écrit le mercredi 25 mars 2015

638 mots | 3675 signes

Le bruit d'une clé qui s'introduit dans la serrure de la porte extérieure se fait entendre, Abedoudi se fige, dos au frigo. Pas de repli possible. Il est là, bien réel dans cette petite cuisine fonctionnelle des années 60 dont le papier peint imitation carreaux de Delphes est jauni et déchiré aux endroits humides. Il est là, en chair et en os, avec sa gueule tranchée d'arabe, ses yeux noirs, sa doudoune sale, son serre-tête noir et ses cheveux maintenus en haut du crâne à l'aide d'un choucou entortillé. Il a beau regarder autour de lui, pas de repli possible. La jeune fille, une petite blonde avec deux couettes à la Fifi Brindacier, apparaît dans l'embrasure de la porte, un sac à provisions en papier dans les bras, elle regarde devant elle, une seconde se passe, deux secondes, et tout à coup, elle le voit, elle voit ce type qu'elle ne connait pas dans sa cuisine, elle hurle, lâche son sac et pivote sur elle-même. - Attendez! Crie-t-il. C'est une erreur. Elle franchit l'espace du couloir, se jette sur la porte extérieure fermée à clé, elle cafouille, cherche la bonne clé sur son trousseau qu'elle vient d'attraper dans la poche de son manteau, elle s'y reprend à plusieurs fois pour mettre la clé dans la serrure, elle se trompe. Abedoudi reste à distance, se voulant rassurant..
- Partez pas, je vais vous expliquer. Elle tremble presque convulsivement, comme sous l'emprise d'une crise de tétanie, elle se bat avec la serrure, elle jure sur son trousseau de clés trois fois trop volumineux. Y sont accrochées toutes les clés de tous les lieux qu'elle a habités dans sa vie, des dizaines de clés qui n'ouvrent plus rien depuis longtemps, inutiles, qu'elle traîne comme des fardeaux... Ça lui apprendra à tout conserver. La bonne clé est introuvable. Elle se colle à la porte, les fesses, les mains, le dos, comme si tout son corps allait pouvoir passer à travers la cloison par un coup de baguette magique et et se met à sangloter bruyamment... - Me faites pas de mal, je ne veux pas mourir maintenant. Pardon pardon pardon... Elle se met à genoux. - Je ne trouve plus la bonne clé... Je vais mourir à cause de moi. Abedoudi est stupéfait. - Bé non. Je ne suis pas un assassin. - Aie aie aie! La fille commence à se frotter violemment le visage, les cheveux, le corps avec ses mains aux ongles peint en noir. Elle se griffe, se décoiffe. - Quoi ? - Pas ce mot! Jamais... Oh non non non!... Pas maintenant, c'est pire que tout. - Quel mot j'ai dit ? - Ne le dite pas... Rien qu'à l'entendre ça me donne de l’eczéma... Et voilà, ça me gratte! Oh non!... j'ai pas mes comprimés sur moi! - Je peux faire quelque chose ? - Reculez, ne vous approchez pas. Abedoudi recule jusqu'à l'entrée de la cuisine, laissant tout l'espace du couloir entre eux. Elle secoue son énorme trousseau en le tenant par les pattes d'un nounours rose crasseux, probablement aussi fétiche que les clés, et finit par y dénicher la bonne clé avec laquelle elle ouvre la porte en grand. Elle se retourne vers Abedoudi tout en passant le seuil pour être à l'extérieur. - Et maintenant vous allez sortir d'ici! - Je ne demande pas mieux! A chaque pas qu'accomplit Abedoudi, elle recule d'un pas, en se grattant furieusement le thorax, sous le manteau. Elle pousse le portail extérieur et, une fois dans la rue, décide alors de l'attendre. Ses joues ont repris leur éclat et elle donne l'air d'avoir de l'aplomb. - Qu'est ce que vous êtes venu faire ici ? lui demande-t-elle quand il pose enfin les pieds sur le trottoir. - Et vous ? Ce n'est pas chez vous, que je sache!...

Round 20/60 écrit le jeudi 26 mars 2015

584 mots | 3390 signes

La jeune femme croise ses bras sur sa poitrine pour s'empêcher de se gratter. - Raaa! Cette allergie!... Je ne m'en sortirai jamais! Rien que d'y penser. Elle ajoute, boudeuse. - Mon grand-oncle m'a laissé sa maison. - Ah bon ? Il m'avait parlé d'un neveu...
Abedoudi reste respectueusement à quatre mètres d'elle. - Ben ouais... Mon père... Et mon père pense que ce serait bien que je vive dans cette maison. Que je devienne indépendante. Vous êtes qui, d'abord ? - Son AMP! - C'est quoi ? - Je l'ai lavé et toiletté jusqu'à sa mort... Il m'avait laissé les clés de chez lui. - C'est faux! Il n'aurait jamais laissé ses clés à personne, même pas à nous! Personne n'entrait chez lui. Personne, vous entendez. Abedoudi se cabre intérieurement mais se tait. - Qu'est-ce que vous faisiez ici ? - Je voulais comprendre où il avait vécu... J'étais triste d'apprendre sa mort. - Vous n'avez rien volé ? - Pour qui vous me prenez ? - Donnez-moi ses clés! Vous les avez volées! - Jamais de la vie! - Tout le monde vole tout le monde, sur cette terre! Vous, comme tout le monde! Je vais prévenir l'Ehpad que vous dépouillez les vieux qui peuvent pas se défendre! - Mais vous êtes folle! Jamais de la vie! Vous vous croyez parfaite, vous, avec vos sales cheveux blonds de bourgeoise à la con ? Mieux que tout le monde! Vous héritez d'une maison et vous voulez me pourrir la vie! J'ai rien qui me tombe dessus, tout cuit comme vous, moi! J'ai pas de maison, rien! Sinon cent mille euros et un macabre trésor... - Je ne voulais rien voler, juste voir où il avait vécu, C'était quelqu'un de bien votre grand oncle. On, s'entendait bien! - Tu parles! Ça, ça m'étonne pas! Il aimait tout le monde sauf sa propre famille! Il était méchant! Détestable! Avare! Dégoûtant. Sauf avec les inconnus! - C'est vrai, il n'aimait pas grand monde, à l'Ehpad. Mais moi, il m'aimait bien! Il voulait toujours que ce soit moi qui lui fasse sa toilette. Pourtant, je n'étais que stagiaire. -Vous avez une sale tête, excusez-moi du terme, c'est pour ça qu'il vous aimait bien... Et peut-être aussi parce que vous aviez tout le monde à dos... - C'est à dire ? Je comprends pas bien. J'ai une sale tête ? Comment vous pouvez dire ça ? Vous êtes raciste ou quoi ? - J'ai rien dit... Mais vous me faites peur... Vous avez l'air agressif, un peu comme mon grand oncle. Mais vous aussi, vous êtes raciste avec mes cheveux blonds! - Je suis moche, raciste, mal coiffé, d'accord, mais au moins, quand vous me regardez, vous ne vous grattez plus! La fille décroise les bras. - Mmm... oui, c'est vrai... - Vous n'allez pas prévenir l'Ehpad! Tenez, je vous donne la clé de votre maison. Il fait quelques pas vers elle, lui donne les clés et recule pour garder ses distances, stratégie qui lui permet de gagner peu à peu du terrain. - Vous être donc sa petite nièce, C'est ça ? - Ouais. Mon père est le fils de sa soeur. Mon père est impotent. Ou quasi. C'est moi qui fait tout pour lui. Mais maintenant, mon père pense que ça serait bien que je vive seule, dans la maison de mon grand oncle. Mais cette maison me fait peur. Elle est pleine de fantômes!... Vous en premier! - C'est vous, Ilka ? - Comment vous savez mon nom ? - Il m'a parlé de vous. - Pas possible, il connaissait à peine mon nom.

Round 21/60 écrit le vendredi 27 mars 2015

321 mots | 1939 signes

Ilka s'était remise à se gratter. L'air était frais, en ce début de printemps la rue déserte, seul le voisin d'en face, dans le jardin duquel poussaient, presque sauvagement, crocus, jonquilles et narcisses, les observait du coin de l'oeil en rentrant ses poubelles. - J'ai accompagné votre grand oncle dans ses dernières moments à l'Ehpad. C'était quelqu'un de bien. Avec de la classe. Vous avez de mauvais préjugés sur lui. - Je sais de quoi je parle!...Je le connais quand même mieux que vous! On l'a hébergé quand il est arrivé de Bulgarie... J'ai froid... Je rentre. Ne revenez plus jamais. Si je vous revois ici, je préviens la police! - Vous ne direz rien à l'Ehpad ? Le visage d'Ilka est parcouru de tics nerveux. Difficile à regarder. Abedoudi implore le ciel, prend une forte inspiration et se lance: - C'est quand même dommage de ne pas parler de votre grand oncle ensemble, d'échanger nos souvenirs de lui, c'est le meilleur moyen de le faire vivre encore... - Oh, ça va! Pas de pathos. Déjà que je suis obligée de dormir dans ses meubles, ses affaires, pouah, ça me suffit! Elle rentre dans la cour de la maison et ferme la barrière facilement enjambable avec sa grosse clé. Abedoudi fait une dernière tentative. - Vous êtes sûre que vous ne parlerez pas de moi à l'Ehpad! J'en perdrais ma place... - Je suis pas une balance, c'est bon! - Vous êtes sûre que vous ne voulez pas qu'on se revoie ? Elle court vers le petit perron puis se retourne avec un rien de coquetterie. - Pourquoi faire ? - Je veux vous convaincre que votre grand oncle était meilleur que vous ne pensez! Ilka lève les yeux au ciel et redescend les quelques marches. Elle s'approche de la barrière. - 15h, dimanche, à la foire du trône. Devant le guichet du Grand Chaos! Abedoudi l'examine, incrédule. - Z'avez entendu ? Abedoudi se ressaisit. - 15h devant le Grand KO! Tope-la!

Round 22/60 écrit le samedi 28 mars 2015

652 mots | 3815 signes

Abedoudi monta dans le RER à Pierrefitte Stains. Direction Sarcelles-Lochères, son seul bled depuis 38 ans. Il s'affale sur une banquette et pour la première fois de sa vie ne met pas les pieds sur la banquette d'en face. Que se passe-t-il? Quelques personnes montent avec lui, très peu, à cette heure de la journée, les gens vont plutôt vers Paris. Lui n'y va presque plus, pas d'argent. Il vit à 10 minutes en RER de Paris et ne se sent ni parisien ni francilien, il appartient à une sorte de monde cosmopolite, coloré, pauvre et sans patrie, à cheval entre plusieurs pays, religions, cultures, né en France, mais pas tout à fait français, ni européen, ni citoyen du monde. Il se sent peut-être juste banlieusard, comme si la banlieue était un pays à part, avec des gens à part... Il appartient à ce monde là, le monde des gens qui se sont adaptés à vivre en marge de tout... il était un vrai "no-go-zonard"! Haha! Le monde était étrange. Il repense à Ilka, cette jeune femme étrange qu'il vient de rencontrer dans la maison de Monsieur Gig. Ressentait-elle une attirance pour lui ?... Cette idée lui donne le vertige. Elle n'a pas sa place dans une famille comme la sienne, où un musulman doit impérativement épouser une musulmane. Le RER ralentit et stoppe en gare de Garges-Sarcelles, il descend du train avec lassitude et longe la nouvelle ligne de tram jusqu'aux Flanades, le centre commercial qui accueille le centre administratif de la ville et une kyrielle de vendeurs de boubous, de djellabas, de saris divers... Il s'installe dans une buvette ouverte, au coeur de la galerie, avec quelques vieux juifs tunisiens qui boivent leur thé à la menthe, un arabe et un martiniquais. Tous préparent leur pronostic du we sur les champs de courses. Abedoudi ne se sent pas seul. Il a un projet pour le WE. Il salue les vieux, commande un thé à la menthe dans un verre à fleurs, serre la main d'un tas de mecs qui passent dans la galerie, il est chez lui, dans son quartier, dans sa ville... même s'il ne se sent pas du tout sarcellois. Juste no-go-zonard!...Ah, ça lui plait ce mot! Son regard croise celui d'un jeune fille avec un bébé dans les bras, il repense à Ilka, à leur rendez-vous foire du Trône... Il boit aussitôt son thé et se lève. Temps pour lui de fouiller dans les papiers de Monsieur Gig. Il frappe à la porte de chez Roméo, un étage plus haut, son sac Carrefour rempli de vieille paperasse, à bout de bras. Roméo apparaît dans l'entrebâillement, sans détacher la chaîne qui en bloque l'ouverture. - Il est là, ton père ? - Ouais, il pionce. - Ca dérange pas si je viens avec les documents des coffres... - Chais pas lire. - Je te les lirai!... - Je fais mes maquettes d'avion. - Ah bon! C'est pas pour les gamins, ça? - J'ai trouvé des vieilles boites d'avions de guerre dans une poubelle. Il manque des pièces. Je les refais à ma façon. - T'as un ordi ? - Dans ma chambre. - Je peux venir. Moi je lis les papiers, toi tu continues tes maquettes. Et puis j'irais bien sur ton ordinateur. Roméo débloque la chaîne en soupirant et entraîne, en traînant les pieds, son vieux copain Doudou dans sa chambre. - Chais pas où tu vas t'asseoir. - Par terre. T'inquiète, Roméo. Roméo examine son bazar, les poings sur ses hanches, perplexe. Son ventre déborde sous un t shirt trop court. La pièce est encombrée d'objets de récupérations, de jouets, d'ustensiles de cuisine cassés, d'appareils électriques à réparer, d'outils de toute sorte, les draps, boudinés au pied du lit, sont crasseux, le matelas bleu, râpé, plein de trous et de ressorts apparents, fourmille de maquettes d'avion et de petites pièces détachées, étalées sur les pages grandes ouvertes du Parisien.

Round 23/60 écrit le dimanche 29 mars 2015

218 mots | 1272 signes

Abedoudi se sent finalement très bien en compagnie de Roméo. Ce type, benêt mais vachement gentil, le rassure. - Y'a un truc que je comprends pas, dit Roméo, pendant que Abedoudi s'installe, assis par terre, au pied du lit. Pourquoi tu viens chez moi... tu t'es toujours fichu de ma tronche quand j'étais petit!... Et maintenant, tu fais comme si on était amis... - J'étais con... Roméo garde en silence. il colle une pièce de sa maquette en la fixant avec les doigts. Abedidou étale les papiers devant lui, sur une descente de lit en peluche crasseuse. - Ca sent la poussière... Dit-il en remuant. - Ouais... Et alors, ça raconte quoi ? Demande Roméo. Abedoudi farfouille dans le tas de documents épars, il soulève un papier, l'examine, le repose, en cueille un autre... - Sais pas... Ça parle dans une autre langue... J'y comprends rien... Y'a des photos... des morceaux de photos, des papiers administratifs style actes de naissance... Mais pas en français... Je sais pas ce qu'on peut faire avec ça... Je peux aller sur ton ordinateur ? - Ouais, il est allumé... - A quoi ça te sert, cet ordinateur, si tu sais pas lire... - On n'a pas besoin de savoir lire pour aller sur Facebook! Je vends même des trucs sur le Bon Coin... -

Round 24/60 écrit le lundi 30 mars 2015

636 mots | 3723 signes

Abedoudi se fraie un chemin dans la foule dense ce ce dimanche après midi... Dans sa poche, une liasse de billets de 50 et 100 euros! Il se sent fort et puissant. La foire du trône, il connait. Comme un pauvre, d'en bas, en bandes et sans un rond. Il a déjà épuisé toutes les ficelles pour se faire offrir des tours gratuits, dépasser dans les queues, embobiner les visiteurs, séduire des gonzesses seules, manger gratos... Les forains ne sont pas commodes, il en a déjà fait les frais. Côtes et dents cassées, nez en miettes. Mais bon, le temps des bagarres est fini. Il s'offre une crêpe, au début de l'allée, laissant à la petite vendeuse africaine un pourboire aussi conséquent que le prix de la crêpe. Un pauvre qui a galéré longtemps, s'offre le luxe, dès qu'il a un sou en poche, d'être généreux avec les malheureux qui triment. Les nantis sortent difficilement quelques centimes de pourboire. Abedoudi parcourt des yeux les attractions tant convoitées, Buster, Canyon Raft, Flic flac, Galactica, Inferno, il se sent léger, léger, léger... Une aura scintillante illumine son regard de loup. Trop cool, d'avoir du pognon! Ses cheveux, lissés, brillants, coiffés en arrière, sont maintenus par le même chouchou que toujours, sale, plein de cheveux entortillés dans l'élastique. Peu importe, il sent beau et riche comme un prince. Il avale sa crêpe et se paie une séance de tir. Ce qu'il aime, c'est l'odeur de poudre à chaque coup tiré, Les pipes en plâtre qui explosent, les résidus blancs qui oscillent sur leur fil de fer.

15h. Il stationne sous l'attraction Chaos. Les gens hurlent. Son coeur bat. L'air est frais, le soleil voilé. Les cris de plaisirs des visiteurs se noient avec de vieux souvenirs de foire tapis dans sa mémoire. Il doute qu'Ilka vienne mais il veut qu'elle vienne, il est sûr qu'elle viendra. La foule est dense, comme si toute l'Île de France s'était donné le mot. 15 h, foire du trône. On le bouscule, il cherche, entre deux baraquements, un endroit où attendre. Pas possible qu'elle ne vienne pas. Il a de l'argent, il lui offrira tous les tours de manège qu'elle voudra. Il s'enverront dans les airs! Derrière lui, il y a un jeu avec des pinces télécommandées pour attraper des objets, montres, briquets, nounours. Il glisse une pièce dans une fente et commence, à l'aide de trois boutons, à diriger la pince vers un porte-clé nounours rose, comme celui qu'Ilka a déjà, tout sale, sur ses clés de maison. La pince s'arrête trop tôt, juste au moment où il allait saisir l'objet, et repart à son point de départ. Abedoudi donne un grand coup de poing dans la vitrine. Une jeune fille avec un bonnet à pompon sourit. - Moi, ça fait 25 balles que je perds pour attraper la montre, la rouge, là-bas!... - Laisse tomber! Tu trouvera la même à Carrefour! - Non. Je la VEUX!!! Abedoudi regarde autour de lui, nerveusement. Son visage a repris son air fermé et amer des mauvais jours. Il retire deux euros de ses poches et introduit la pièce, en tapant dessus, dans la fente de la machine. Il s'accroche aux boutons. Son regard ne sourit pas, la fille au bonnet suit religieusement la progression de sa pince. - Loupé! Dit-elle avec une sorte de soulagement qui n'échappe pas à Abedoudi. Il laisse tomber les bras et flanque un coup de pied dans la machine. - C'est fait exprès pour voler ton pognon! Il tourne le dos aux vitrines miroitantes et musicales, frustré de son échec. Ruminant de sombres pensées, furieux contre les machines et les forains qui volent l'argent des gens, il commence à faire les cent pas devant Le Chaos, bousculant sans pitié les gens qui se trouvent sur son chemin.

Round 25/60 écrit le mardi 31 mars 2015

293 mots | 1765 signes

Abedoudi piétine, shoote dans une canette vide, remonte son pantalon, fait quelques étirements , le pied sur une barrière servant à canaliser la foule. Il relace fermement ses chaussures, pas de danger qu'elles se sauvent, puis il attend, tête dans les épaules, mains dans les poches, dos à la baraque où on vend les tickets pour le Chaos. Les minutes passent. Ilka apparaît avec quarante minutes de retard, fraîche comme une fleur, deux couettes d'une poupée japonaise de part et d'autre de la tête, un petit short noir, des collants à fleurs, un blouson en jean, un sac lapin en bandoulière. Elle se plante devant Abedoudi, fière comme si elle était la bienvenue. Ni excuse, ni bise, ni poignée de mains. Abedoudi se gratte la joue en grimaçant. - Salut! Dit-il, bougon. Ilka regarde autour d'elle en rigolant. - On commence par quoi ? Abedoudi se tait. - Speed Slip, ça te dit ? demande-t-elle. Silence. - On peut faire autre chose, si tu veux. Abedoudi s'énerve. - Ça fait une heure que je t'attends. T'arrives, tu t'excuses même pas!... - Ho! T'es qui, toi, d'abord, pour me faire la morale! Abedoudi shoote dans une boite vide en polystyrène. - J'aime pas qu'on me manque de respect! - Si c'est ça, je me barre ! Un père, ça me suffit! Elle tourne les talons et se dépêche de se glisser dans la foule. Le temps qu'il réagisse, elle a disparu. Abedoudi a beau se frayer rapidement un passage entre les gens, il ne la voit nulle part. Il la cherche désespérément jusqu'au début de la soirée, dans la foule, sur les attractions, devant les stands, d'un bout à l'autre de la pelouse de Reuilly!... Rien. Ilka est introuvable. Il reprend le train pour Sarcelles, doutant plus que jamais de lui-même.

Round 26/60 écrit le mercredi 1 avril 2015

646 mots | 3784 signes

Abedoudi fait les cents pas devant le pavillon de monsieur Gig. Le soir tombe. Il a travaillé toute la journée sur son lieu de stage. 0n lui laisse les pires malades à s'occuper, pour le mettre à l'épreuve, le décourager, peut-être... Il change les couches des plus vieux, des plus sales, des plus désagréables avec plus de sang froid qu'il n'aurait cru, sans brusquerie, s'étonnant lui-même de sa douceur. Il remarque que les vieux semblent moins agités avec lui qu'avec les autres membres du personnel, il s'adresse gentiment à eux, comme on le lui a appris en cours, même s'ils restent taiseux ou agressifs. Il aiment l'étrange univers qui règne dans la chambre de ces vieilles personnes, c'est comme un autre espace-temps où le jugement des autres et les frustrations n'ont plus courts. Les gens qu'ils soignent sont aux portes mêmes de l'inconnu. Il n'a pas peur, il veut les y accompagner en douceur. Cette confiance, il l'a acquise auprès de son grand-père venu du bled, qui, dans ses derniers jours, alité dans la pénombre de sa chambre dans le HLM à Sarcelles, avait été si patient, si paisible. Il ne réclamait plus rien, ni boisson, ni repas. Abedoudi lui humectait les lèvres, aidant son vieil Hassin de grand-père, à glisser doucement, sans un mot, communiquant avec lui par le regard, un coin de sourire, quelques doigts en mouvement, dans la torpeur de la mort. Dans ces moments, il se sentait humble et reconnaissant. Personne n'est au-dessus de personne. Ilka apparaît enfin au bout de la rue pavée sur un vieux scooter jaune canari de la poste. Elle met pied à terre et retire son casque. - Encore ici, dit-elle en secouant ses couettes avec coquetterie. Je t'avais dit... - Je voulais m'excuser pour la foire du Trône. J'étais énervé. Je n'aurais pas dû... Je suis à couteau tiré, parfois... - Je vois ! - Je peux vous offrir un verre ? Y'a quelque chose dans le coin ? - Y'a que des bars plein de mecs seuls qui me matent comme des chiens en folie... Mais bon, d'accord, je range ma bécane. Faut mieux aller là-bas accompagnée! Elle ouvre la grille, il l'aide à aller garer son engin dans un appentis encombré de planches et de vieux meubles cassés. Ils longent la voie ferrée, marchant vite, à un mètre l'un de l'autre, en silence. Il fait nuit. Dans le centre ville, il y a beaucoup d'hommes sur les trottoirs, comme en état de guerre, debout, seuls ou à plusieurs, le portable à la main, qui regardent les gens et les voitures passer, comme s'ils cherchaient ou attendaient quelque chose d'important. Ces gens, Abedoudi les connaît. Des immigrés, des sans papiers, des vendeurs à la sauvette, des fumeurs, des pourvoyeurs de drogue, des receleurs de bijoux volés et revendus sur le trottoir, des hommes mariés qui cherchent à s'amuser, des supporters de foot . Des hommes souvent sur le qui vive, sans un rond ou à l'affût d'une femme ou d'une bonne affaire... Abedoudi pousse la porte du café-tabac, ça sent le vin, le thé à la menthe, le mauvais café, le sol est crasseux, des hommes partout attablés, boivent, tapent la carte, font leur tiercé, consultent leur tél portables, regardent l'écran télé des rapidos et des paris en ligne. Une table est libre entre la fenêtre et le comptoir, ils s'y asseyent. - Je viens jamais ici, dit Ilka. Je me sens étrangère. Y'a trop d'hommes. - Les hommes sont des joueurs! Ils viennent ici pour jouer aux cartes et parier. Ils vivent en meute, ils ont besoin des autres. Tu fais quoi comme travail ? - Je fais des remplacements. - Quoi ? - Des remplacements comme caissière et pour faire des ménages dans des grandes surfaces. Mais je veux être illustratrice dans des livres pour enfants. Faire rêver les enfants.

Round 27/60 écrit le jeudi 2 avril 2015

371 mots | 2286 signes

Abedoudi commande deux thés à la menthe, meilleur choix dans le "relais oriental franco-turque", bar tabac. L'ambiance est rocailleuse, dense, les hommes, en une masse compacte, soudée, parlent en français approximatif, en pur verlan, en arabe, en créole, en turque, en dieu sait quelles autres langues, beaucoup, partout, ils jouent, commentent l'actualité sur BFM TV, se moquent des politiques, de gauche, de droite, certains passent de table en table, l'un brandit un article du parisien, l'autre conseille de bons chevaux, c'est vivant et comme tapis dans l'ombre. Les étagères de cigarettes sont quasiment vides, trois ou quatre marques, Malboro, Camel, quasi rien, des cigarettes de contrebande peut-être... Abedoudi et Ilka se tiennent l'un en face de l'autre, contre la fenêtre, à bonne distance quand-même. Deux êtres farouches et explosifs. - Tu as déjà écrit un livre ? Demande Abedoudi. - Je voudrais bien. - Oui... Abedoudi ne sait pas trop quoi dire. Tu aimes bien les enfants alors ? Ilka grimace, se regarde dans la vitre. - Pas trop. - Tu vas faire des livres pour eux, c'est ça ? - Oui... - T'es française ? - Ouais. Et toi ? - Marocain. - Musulman? - Marocain. D'origine. Mais je suis français. Même si ça se voit pas! - Islamiste ? - Ni islamiste, ni musulman, ni religieux. Je crois en Dieu mais j'aime pas prier, j'aime pas obéir, haha!... C'est quoi ton Dieu? - Boudha! Abedoudi est surpris. - Le gros avec son ventre tout rond qui fait du yoga!? Hihi! T'es un peu chinoise, toi! - Ma famille était juive, à l'origine... Je crois... Mais c'est pas sûr... J'espère que t'as rien contre les juifs ? Abedoudi hausse les épaules et lève les yeux au ciel sans répondre. - Je dis ça parce que normalement, les arabes aiment pas les juifs, mais pas toujours! Le thé à la menthe arrive dans ses petits verres aux dessins dorés. On leur sert selon la tradition, en versant de haut, d'une théière cabossée. - J'ai rien contre les arabes, j'aime bien tout le monde. Je suis pas raciste. Je suis un peu bulgare d'origine. Mon père est né en Bulgarie. C'est mon grand oncle qui l'a élevé, les parents à mon père sont morts, une vieille bombe de la guerre qui a éclaté longtemps après.

Round 28/60 écrit le vendredi 3 avril 2015

365 mots | 2175 signes

La salle du bar tabac ne désemplit pas. Des hommes partent, d'autres les remplacent, habillés presque tous pareil, anorak noir, jean ou pantalon sombre, du fonctionnel acheté sur les marchés et que ces hommes traînent jour après jour. Abedoudi et Ilka s'observent à peine. Deux versions, deux couleurs, deux univers. Ils tâtonnent, à bonne distance l'un de l'autre. Leur vie a besoin de réchauffement. Ils ont grandi, chacun, dans une sorte de solitude à demi voulue, à demi-imposée, sans recevoir beaucoup d'égard de la part de leurs proches. Abedoudi, 7ème, oublié, d'une famille de douze enfants élevé dans le respect de l'Islam, Ilka, fille unique d'un homme malade et d'une mère alcoolique suicidaire qui a été internée quand elle avait 5 ans. - Mon père et mon grand oncle étaient au village quand il y a eu l'explosion. Il est rien resté de la maison, Dit Ilka. - On vit tranquillement et paf, on sait pas pourquoi, tout est terminé, dit Abedoudi. - La bombe a explosé... Un moment de silence, presque religieux, s'installe, le bruit dans la salle s'intensifie, creusant un fossé chargé de douceur et d'électricité entre eux. - T'es un peu bulgare, un peu juive, un peu de Seine Saint-Denis, finalement... - Et d'une autre planète!... L'astéroïde Gamma 167! Ilka hausse les épaules. Qui sait? Parfois, j'aimerais venir d'ailleurs... Ici, les gens se détestent, se font la guerre, se font mal, se tuent... je me tais, je me tais!... Elle se met à se gratter le cou, puis derrière les oreilles, furieusement. - J'arrête, je me tais. Abedoudi regarde les hommes accoudés au bar, puis revient sur le joli visage torturé et inquiet de cette jeune femme blonde un peu extra-terrestre. Ilka cesse de se gratter et pose ses poings fermement serrés sur la table. - Tu te mets une sacrée pression! Le monde est ce qu'il est, fais toi-s-y ! Y'a aussi des choses belles, je connais un coin, au bord de la mer en Normandie, qui change de la banlieue! Tu imagines pas comme c'est beau, entouré par la mer, le vent, la campagne, les rochers, ça sent bon, tu te sens fort, là-bas... Tu te sens très fort...

Round 29/60 écrit le samedi 4 avril 2015

342 mots | 2080 signes

  • T'aimes bien te faire des films, toi! dit Abedoudi à Ilka. Ilka plonge, incrédule, ses grands yeux un peu vides dans ceux d'Abedoudi.
  • Et alors ? Elle jette un regard défensif autour d'elle, grimace, se gratte violemment derrière l'oreille. C'est interdit de rêver, c'est ça ? Abedoudi, par mimétisme, a l'oreille qui le démange, il la frotte et appuie son menton sur ses poings, coudes joints sur la table.
    • Je sais pas. Je disais ça comme ça. Tes histoires d'astéroïdes machins, ça me fait rigoler, tu comprends... T'as quel âge pour croire à ça? Ilka semble réfléchir puis passe à l'attaque.
  • C'est quoi cette dictature mentale!? Faudrait tous penser pareil et prier en même temps!
  • J'ai rien dit. ..
    • C'est toujours mieux de vivre dans sa bulle que croire qu'on peut changer le monde avec des missiles! Elle se frictionne la nuque, les joues, derrière les oreilles.
  • Je retire ce que j'ai dit.
    • En fait, je vois pas ce que je fais là, avec un type que j'ai surpris en train de cambrioler chez moi.
  • Je n'ai rien volé!
  • Pas eu le temps! Les traits du visage d'Abedoudi deviennent mauvais.
  • Tu insinues quoi ? Ilka pose son sac sur la table. Il est temps qu'elle parte. Autour d'elle, des hommes qu'elle ne comprend pas, venus d'une autre culture, accaparent l'espace, imperméables à ses couettes, à sa blondeur artificielle, à ses tatouages, sa tenue fluo, ses collants à fleurs rouges et jaunes. Rocs inaccessibles, concrets, si loin de son propre univers. Elle sort son portable, pianote.
  • J'ai rendez-vous, dit-elle. Elle a les yeux plus que jamais dans le vague, l'air très affolé.
  • Je t'accompagne ? Elle n'ose dire non. Ils refont le chemin inverse, en silence, le long de la voie ferrée, jusqu'à la maison de Monsieur Gig.

Ilka Il ricane la la, les griffes que tu sors ?! Ilka commence à enfiler son manteau.

m'en fous de la religion. se raconter des films?
ça te dérange ? -être... La réalité m’intéresse pas trop... Je sais pas où tu vas chercher toutes

Round 30/60 écrit le dimanche 5 avril 2015

262 mots | 1632 signes

Mademoiselle Iphigénie lève brusquement la tête de ses papiers, et fusille du regard Abedoudi, mal à l'aise, sur le seuil de son bureau. - Qu'est-ce que vous voulez ? - Reprendre mon carnet de stage, c'est mon dernier jour. - Ah. Ça! Oui.... Nous l'avons rempli en réunion du personnel. - Je peux l'avoir ? - Asseyez vous. Abedoudi se laisse tomber sur une chaise, s'adosse, allonge les jambes et enfonce ses mains dans ses poches de tablier. - Personne, ici, ne vous sent prêt à travailler. Rien que votre tenue! Regardez-vous! Abedoudi se redresse, retire ses mains de ses poches pour les faire pendre entre ses genoux, coudes sur les cuisses. Elle sort une chemise d'un tiroir de son bureau. - Vous voulez tout faire à votre guise. - Je fais comme j'ai appris en cours. Les résidents sont contents. Ils aiment bien quand je m'occupe d'eux. - Un stagiaire doit apprendre à s'adapter à la structure qui l'accueille, pas imposer sa façon de faire. Votre comportement a déplu unanimement à tout le personnel. Vous avez paru à tout l'équipe instable, caractériel et asocial. Et vous êtes insolent. Désolée si je ne mâche pas mes mots. Autant être claire. - De toute façon, c'était couru d'avance. Dès le début, ma tête ne vous revenait pas! Il se met debout. Mademoiselle Iphigénie lui tend son carnet de stage. -J'espère que vos notes vous feront réfléchir. Vous n'êtes pas fait pour ce métier. Trouvez autre chose. Chercher un emploi solitaire, manuel ou en plein air, le travail en équipe, c'est pas votre fort! Abedoudi lui arrache son carnet des mains et virevolte.

Round 31/60 écrit le lundi 6 avril 2015

389 mots | 2351 signes

Le temps des vide-greniers a repris. Roméo et son tonton Jules sont en première ligne dans un village du val d'Oise. Ils vendent les objets récupérés dans les poubelles et auxquels ils donnent une deuxième vie. Roméo adore ça, cette vie dehors dès les premiers jours du printemps. Son tonton vient le chercher avec sa camionnette pleine de bric et de broc dégotés en sillonnant les rues, le jour des encombrants. Tonton Jules embarque son neveu et ses objets rafistolés avant le lever du soleil pour partir à l'assaut des brocantes du Val d'Oise jusqu'à la tombée de la nuit. Aujourd'hui, Romeo a étalé entre ses réveils, sèche-cheveux et poupées en chiffon à vendre, les photos des crânes prises par Abedoudi au cap de la Hague et il espère bien intéresser un chasseur de trésors insolites. Cette idée l'obsède et l'excite. L'oncle qui est resté célibataire, est quelqu'un de passif, de neutre, de bon vivant. Introverti de nature, il pose rarement des questions, il prend le monde comme il est, avec toutes ses incohérences. Des ossements humains, oui, pourquoi pas. Il est toujours emballé par les trouvailles de son neveu. Un mec seul, grand, barbe et cheveux noirs passe et repasse devant son stand. Il étudie sans trop s'y attarder les photos des crânes. - Lot de crânes qui vient des catacombes!... Un de mes ancêtres en a fait l'acquisition dans les années 50. Un trésor de famille... Lui dit Roméo. Pour échapper à un père possessif, autoritaire et envahissant, Roméo a développé tout un art dans la manipulation. Mentir et jouer au con, ça l'aide à obtenir ce qu'il veut. - Le lot, combien ? Demande le grand type aux allures d'un Jésus. - Ça se négocie. - Combien ? - Entre 700 et 1000 euros pièce. Le lot... - 2000 cash pour le tout... - Pas assez. -Tu sais que c'est interdit de vendre des ossements humains ? Roméo retire illico de son stand les photos des crânes. Il les glisse silencieusement dans un sac en plastique. - Donnez vos coordonnées, je vous rappelle, dit-il sans regarder l'homme qui le menace. Ça peut se discuter. Mais pas ici! - Note! lui dit méchamment le type. 06 54 67... - Je sais pas écrire, l'interrompt Roméo. Le type arrache un coin de journal où est posé un verre gravé et y inscrit très nerveusement son numéro.

Round 32/60 écrit le mardi 7 avril 2015

813 mots | 4794 signes

Abedoudi et Roméo sont sur le qui-vive. Ils ont rendez-vous, porte d'Orléans, avec le type menaçant que Roméo a rencontré à la brocante.
- 2000 euros, dit Roméo, c'est rien, je suis sûr qu'on peut en tirer le double... Ou le triple. Abedoudi se fiche bien du prix des ossements. Avec l 'argent de monsieur Gig sous son matelas, il n'est plus à quelques euros prêt. C'est pour Roméo qu'il se laisse tenter. Son voisin a les poches percées. Tout son argent file dans la bouffe, Il est toujours plus gros et plus dépendant au sucre et gras. Abedoudi ne se sent pas le droit de jouer les rabats-joie avec lui comme le font déjà tous ses collègues de travail. Roméo est un ami si fiable et un si bon vivant qu'il est difficile de lui faire la morale. Qu'il se suicide à petit feu avec la bouffe!... chacun arrange comme il peut son désordre intérieur... Question dépendance, il en connaissait un rayon, Abedoudi! Alcool, tabac, herbe, médocs... Le ciel, sans nuage, est brumeux et le soleil invisible. L'indice de pollution est élevé et l'air saturé de poussière carbonique. Le périphérique, visible du lieu de rendez-vous, un petit café sur le boulevard de la Chapelle, est bouché, les voitures, sur le boulevard de la Chapelle, font du cul à cul. Ça pue l'oxyde de carbone à plein nez. - T'as vu un peu le bordel! Dit Abedoudi. Ça te dirait pas d'aller respirer le bon air en Normandie, dans la maison de ton collègue. De toute façon, faut aller chercher les crânes. Ecoute, quelques soit le prix, on lui fourgue la marchandise. C'est malsain de garder ça! Ça porte le poisse! - On est dans la merde depuis toujours. C'est pas ça qui changera quelque chose. Le grand type rencontré au vide-grenier marche vers eux, main dans les poches de sa veste militaire, barbe noire, cheveux longs, lunettes de soleil des année 60. il leur fait un signe de tête, pousse la porte du café et les invite à le suivre. Roméo se précipite le premier, il a dû repérer des croissants sur le comptoir, suivi par Abedoudi, plus mesuré. Le café est vide. Une femme âgée, squelettique, cheveux frisés abondants, joues creusées par des dents manquantes, feuillette le parisien, accoudée derrière le bar. Pas de croissant. Juste des oeufs durs. - Messieurs... Je vous sers quoi ? - Z'avez des tartines beurrées? demande Roméo. - Ouais. - Tartines beurrées et chocolat chaud! Expresso, pour Abedoudi. Un demi pour l'homme. Chacun s'installe, prend ses aises, cherche la bonne distance à respecter par rapport aux autres. Une promiscuité distante, défensive et mercantile s'installe. Roméo surveille la fabrication de ses tartines sur le comptoir. Abedoudi se gratte la tête, défait le chouchou de son catogan et le fixe serré haut sur son crâne. L'homme les observe l'un après l'autre, derrière ses lunettes de soleil, droit sur sa chaise, le visage impassible. - Vous avez les objets ? Finit-il par demander. Roméo suit des yeux la vieille tenancière qui vient lentement, boitant, avec le plateau des commandes. L'homme la laisse disposer le pain et les boissons sur la table. Roméo commence aussitôt, avant même qu'elle reparte, à tremper ses tartines dans son chocolat chaud. Un moment de grand bonheur pour lui! Abedoudi déballe son sucre, le fait tremper puis tomber dans son café, puis il se lève pour prendre la boite à sucre sur le comptoir. Il fait descendre, un à un, 5 nouveaux morceaux de sucre dans son café. L'homme s'impatiente. - Vous avez entendu! Où sont les crânes promis. Je ne me suis pas déplacé pour rien. - On n'a rien promis, dit Roméo la bouche pleine, on a juste dit au téléphone qu'on allait discuter. L'homme pose sur la table une liasse de billets de 100 euros. - 2000 euros. Il y a le compte. - Les crânes sont en province, dit Roméo la bouche pleine. 2000 euros, ce n'est pas assez. On veut le triple. - 2000 euros, c'est mon dernier prix. - On a un acheteur à 6000 euros. Vous montez votre prix ou rien. Roméo engloutit sa deuxième tartine aussi vite que la première. Ca dégouline le long de son menton, son Tshirt est plein de miettes et de gouttes de chocolat. Abedoudi ne se sent pas concerné. il pense à la mer, au cap de la Hague, à l'air là-bas, le meilleur du monde... Ilka acceptera-t-elle de l'y accompagner... - Comme vous êtes arrivé le premier, 5000 euros, ça nous ira, dit Roméo, bon prince. L'homme finit sa bière, pose un billet de 5 euros sur la table et dit à Roméo: - Je vous rappelle dans quelques jours. J'ai votre portable. Roméo aspire bruyamment le fond de sa tasse de chocolat. L'homme s'en va. Roméo fait un clin d'oeil à Abedoudi. - J'ai pas de thunes, je peux quand-même avoir deux autres tartines ?

Round 33/60 écrit le mercredi 8 avril 2015

612 mots | 3619 signes

  • Il va pas nous laisser tranquille ce mec... Dit Abedoudi, les yeux braqués sur l'écran de l'ordinateur. Il m'a pas l'air net... Pourquoi il veut mettre un tel paquet d'argent pour des ossements ?
  • C'est un gothique... il fait des messes noires dans les catacombes, il boit du vin dans des crânes... dit Roméo, assis sur son lit.
  • On devrait lui laisser tout au prix qu'il veut et basta!
  • Non, d'abord, on cherche un meilleur acheteur! Tape tête de mort dans google... L'après-midi se passe dans la chambre encombrée de Roméo, fenêtre fermée sur les cours d'immeuble, à déposer, avec une nouvelle adresse mail, des messages mal orthographiés sur des sites plus ou moins sataniques improbables. Abedoudi, l'esprit plus occupé par sa rencontre avec Ilka et l'envie de retourner en Normandie, met peu d'empressement à la tâche. Il se sent de moins en moins connecté à la banlieue. Il redescend en fin d'après-midi dans son logement et s'enferme dans sa chambre avant que sa mère ne vienne lui prendre le chou avec ses lamentations, lui, le seul de ses enfants à refuser un beau mariage avec une cousine. 38 ans, même pas d'enfant! Qu'est ce que tu fais de ta vie ? C'est pas normal, mon fils! Abedoudi en a marre de la galère mais tout l'y replonge sans cesse. Il faut pourtant qu'il se tire de là, il a largement dépassé l'âge de vivre avec ses parents!... Il croise son visage dans le miroir et se fait peur. Son bandeau noir, poussiéreux, sur ses cheveux tirés en arrière, sa barbe de trois jours, les cicatrices de blessures et d'acné sur son visage émacié... il s'était enfermé dans un personnage décalé qui n'a de place nulle part, ni en banlieue où les codes sont tout aussi stricts qu'ailleurs, ni dans son environnement familial ou professionnel... Comment devenir ce que personne ne reconnait en lui, un type simple, humain, courageux... Mais est-il celui qu'il croit être ?... Ses colères, ses brusques montées de paranoïa, son passé de dealer, ses vols avec violence, peut-il faire une croix sur tout ce passé de voyou, ces mois passés en prison, pour recommencer sa vie ? La haine et la frustration se lisent sur son visage, il fait peur, et plus les années passent, plus il parait instable et agressif... Pourtant, dans le miroir, il voit une flamme briller dans son regard, une lueur d'espoir, celle-là même perçue quelques semaines plus tôt par Monsieur Gig. Il repense alors à Jeanne Dufour, l'animatrice du CDR à son centre de formation. Elle n'a pas mâché ses mots pour lui balancer à la figure ses quatre vérités, mais, d'un autre côté, elle lui a, elle aussi, fait entrevoir un futur possible. Il n'est jamais trop tard, lui a-t-elle dit, pour commencer, pour se mettre à bosser et rattraper le temps perdu, jamais trop tard... Il s'assied sur son lit et attire vers lui un gros livre tout neuf qui prépare au diplôme d'AMP. Il ne l'a jamais ouvert. La fin de vie... Les pathologie liées au vieillissement... on louera une barque pour faire un tour en mer avec Ilka... on ira à la pèche aux palourdes... Les notions d'autonomie et de dépendance... sur les sentiers, dans les dunes, les pentes herbues... mise en place d'aménagement diminution des neurotransmetteurs alliance collaborative qu'est ce que c'est que ce truc soin pédiluve les pieds doivent toucher le sol glisser une extrémité du drap entre ses cuisses... Ilka... elle paraît tellement jeune mais elle n'est pas si jeune finalement, presque son âge... et de jolis yeux, verts ? non, bleus?... pâles... un peu ailleurs, ou absents... mais doux...

Round 34/60 écrit le jeudi 9 avril 2015

555 mots | 3212 signes

Abedoudi profite que le centre de ressources est désert pour aborder Jeanne Dufour, l'animatrice. - La prof a refusé mon rapport d'activité. Un brouillon, qu'elle dit. Faut m'aider, Jeanne. Abedoudi s'affaise sur le tabouret devant le bureau de Jeanne Dufour, les épaules basses, le dos voûté. - Les types comme moi n'ont pas d'avenir. - Ah bon ? Qu'est ce qui te fais dire ça, Abedoudi? - Ben regardez vous-même. Je cherche à m'en sortir mais tout le monde cherche à me laisser là où je suis, on m'enfonce exprès! Je vous jure, Jeanne, même vous! - Moi ? - Vous ne m'aidez pas!... Vous pourriez m'aider, vous avez un bon fauteuil, un bel ordinateur, vous n'avez rien à faire... - Vite dit, non ? - Pardon, peut-être vous avez du travail, mais c'est pas grand chose que je vous demande! - Tu veux quoi ? - Comme la dernière fois. Que vous corrigiez mon rapport de stage! - Je te l'ai dit, c'est pas mon boulot. C'est à ta prof de le faire. - Elle a tout barré, je dois recommencer! - Et bien recommence! - Je ne sais pas par où commencer. - Par le début! - Vous avez la vie facile, vous, Jeanne, tout vous sourit. - Qu'est-ce que t'en sais? - Vous avez des habits classes, un parfum cher, je le sens d'ici, votre parfum, c'est pas du Leader Price, vous pouvez vous permettre d'être cool, parce que vous n'avez pas autant de soucis que la plupart des gens ici... - Tu t'imagines quoi!? Tout le monde, mon vieux, a ses soucis. Dès que tu ouvres les yeux sur le monde, tu es confronté à la vie, à la mort, à la misère, à la souffrance, à la différence, à l'injustice... Faut composer avec! Pas le choix. Montre-moi ton rapport de stage! Abedoudi sourit, hésite puis extirpe dans son sac à dos trois feuilles chiffonnées, raturées, écrites à la main et barrées en rouge par le prof. Jeanne rit de bon coeur. - Un vrai torchon, ton truc. Normal que la prof ait refusé. Ce n'est pas corrigeable. T'en es conscient non ? Tu ne peux par rendre un truc pareil! Si tu as un peu de dignité, tu fais pas ça! - J'aurais pas mon diplôme de toute façon! A quoi bon m'emmerder avec ces conneries! - Tu parles tout le temps de préjugés, mais c'est même sur toi que t'en as, des préjugés! Tu es tellement sûr que t'es nul et que tu ne réussiras jamais rien, que tu ne fais rien! Tu te sabotes. Ridicule. Stoppe, quoi! Fait tourner la roue dans l'autre sens, avance, bosse, crois en toi, voit pas le mal partout, confiance, dignité! Bouge toi le cul, travaille! - Vous êtes tout le temps dure comme ça ? - Réaliste. - Je plains vos enfants! - Tu rigoles ? - Oui. J'aurais bien aimé être votre fils! - Bon! Et bien je te dis la même chose que je lui dirai à mon fils!Assied-toi, allume un ordi et recommence ton rapport. Tranquillement, proprement. Mais avant, je te fais un cadeau! Jeanne Dufour lui tend l'Alchimiste, de Paulo Coelho! - Lis ce livre et vis avec, avance avec... Laisse toi guider... - J'aime pas lire. - Pas grave! Lis-le quand même et dis-moi ce que tu en penses. Abedoudi prend le livre avec lassitude, le glisse dans son sac à dos comme si c'était n'importe quoi et s'installe devant un ordinateur.

Round 35/60 écrit le vendredi 10 avril 2015

475 mots | 2927 signes

Abedoudi soupire et s'installe, sous les yeux de Jeanne, devant un ordinateur. Il l'allume et comme ce sont de vieilles bécanes -n'arrête pas de dire Jeanne- il faut leur laisser le temps, attendre. Il ouvre 'l'Alchimiste" au hasard. Lui qui n'a jamais lu un livre jusqu'au bout... Une phrase entre guillemet attire son attention: - "Quand tu veux vraiment une chose, lui avait dit celui-ci, tout l'Univers conspire à faire en sorte que tu parviennes à l'obtenir" Abedoudi relit la phrase. Conspire... - Jeanne, ça a l'air bien votre bouquin... Conspire, ça veut dire quoi ? - Ça dépend. Lis la phrase. Abedoudi déchiffre la phrase à haute voix. - "Quand tu veux vrai-ment une chose, lui avait dit celui-ci, tout l'Univers conspire à... - Tout l'Univers concourt... - Qu'on court ? - Contribue, participe. Si tu désires ardemment quelque chose, que tu bouges pour, j'ajouterais, le monde entier va contribuer à t'aider à réaliser ce que tu veux! - C'est de la magie! - Tu peux le voir comme ça... - Moi, Jeanne, vous savez, j'y crois pas trop à ces foutaises. J'ai toujours voulu avoir de l'argent, des tonnes d'argent... Et regardez moi! Galère absolue..., Depuis toujours. - Parce que tout en toi concourt, contribue à t'attirer dans la galère!... Met ton énergie au service de ton diplôme d'AMP, tu verras, ça fera tourner la roue dans l'autre sens.... Aide-toi, le ciel t'aidera... Moi, je vois plutôt ça, comme phrase! Abedoudi se tourne vers Jeanne. - Personne veut être dans la galère, Jeanne, personne cherche ça! C'est trop gros, ce que vous dites. Ca se voit que vous savez pas ce que c'est que la galère! - T'en sais rien! Elle pianote sur son clavier, les yeux branchés sur son écran, puis s'interrompt, plonge son regard bleu dans les yeux noirs d'Abedoudi. - Mets ton être tout entier au service de tes désirs profonds. Désirer seulement avoir de l'argent ne monopolisera aucune force vive en toi... Tu peux désirer occuper un jour un emploi qui te convienne et te fasse gagner de l'argent... Désire te former, t'améliorer, étudier, te concentrer sur un livre... A ce niveau-là, tu as le pouvoir de changer les choses... Ça, ça dépend de toi... Gagner de l'argent, ce n'est que la suite logique d'un ensemble de paramètres! Gagne déjà ton indépendance!... Te nourrir, te loger, protéger sa famille!... Le plus viendra peut-être ensuite... Abedoudi se remet face à son ordinateur. - J'ai oublié le code pour ouvrir une session, dit-il. - Y'a pas de code, tu vas sur utilisateur... Il clique, attend que le bureau se mette en place. - Sur quoi je fais mon rapport. - Word. - C'est où ? - Cherche. - Vous avez vraiment décidé de pas m'aider, hein, Jeanne? Ca vous amuse, hein, de me voir dans la panade!... Que je galère!... Il sourit au mot "galère", déplie son rapport raturé et commence à taper l'introduction.

Round 36/60 écrit le samedi 11 avril 2015

341 mots | 2003 signes

Abedoudi est troublé, ce qui est écrit aurait pu être pensé par lui-même... " Mais chaque fois qu'il regardait la mer ou le feu, il pouvait passer des heures sans dire un mot, plongé au coeur de l'immensité et de la puissance des éléments." Abedoudi recule de quelques lignes et lit encore... "Mais, dans le désert, il n'y avait rien d'autre que le vent éternel, le silence, les sabots des bêtes. Même les guides entre eux ne causaient guère."... Il lit et relit ces phrases. Le jeune homme du livre, c'est lui... Ces mots le charment, c'est une sensation étrange qu'il n'a encore jamais connue mais qui lui rappelle étrangement le moment extraordinaire qu'il a passé seul, dans le vent marin, la nuit, sur les falaises et entre les haies d'aubépines des landes du cap de la Hague... Il n'arrive pas à commencer l'Alchimiste, mais chaque fois qu'il l'ouvre au hasard, quelque chose, dans le style, dans les phrases, lui va droit au cœur. Un jour prochain, il le lira. Il sent que c'est important, essentiel même, qu'il se plonge vraiment dedans, même si c'est difficile, pour lui, de lire, même s'il n'a jamais lu un livre jusqu'au bout. Depuis deux jours, il tape son rapport de stage au centre de ressources, il n'aime pas écrire, c'est pénible et ennuyeux, pourtant il fait ce qu'il peut, Jeanne Dufour ne le lâche pas, dès qu'il se déconcentre, elle l'oblige à aller prendre l'air pendant quelques minutes pour revenir écrire ensuite, l'esprit plus détendu... Et ça marche... A force, il s'y prend mieux, avance, fait moins de fautes. Au centre de ressources, il se sent devenir quelqu'un... il en oublie ses vains combats pour exister. Quelque chose change en lui qu'il ne saurait expliquer... Il revoit les mains blanches et potelées d'Ilka, sa gorge si tendre, pourquoi n'aurait-il pas le droit, lui aussi, à une fille comme elle... Il ne veut pas de sa cousine, il n'en voudra jamais... il veut une fille qu'il aura choisie... Comme Ilka...

Round 37/60 écrit le dimanche 12 avril 2015

279 mots | 1685 signes

Abedoudi a fixé rendez-vous à Ilka et Roméo au bowling de Saint-Gratien. Il s'est soigné, pantalon à pinces, chemise blanche de communiant, nouveau chouchou orange fluo et bandana noir lavé et remis mouillé sur son crâne. Roméo a son gros ventre qui dépasse sous son t-shirt Johnny Halliday détendu et pas net, son pantalon de jogging n'a aucune forme, ses tennis à moitié déchirée. Pourtant, il porte cet accoutrement avec une certaine élégance. Quand Roméo se déplace, malgré son embonpoint, on dirait qu'il danse. Ses gestes sont toujours précis et délicats. Il est gracieux, notre Roméo! Abedoudi envie sa simplicité et sa constance. Ilka est très excitée, elle enfile les chaussures en s'extasiant sur leur forme, leur couleur, elle sautille, frappe dans ses mains, félicite les garçons pour leur score, Elle n'a jamais mis les pieds dans un bowling. Abedoudi lui apprend comme mettre ses doigts dans les trous, comment courir et lancer la boule, elle écoute d'une oreille, regarde autour d'elle, comme une petite fille qui entre pour la première fois dans une église, elle est comme décalée, très présente en mimiques et paroles mais totalement absente. Elle n'écoute pas les conseils, veut faire toute seule et envoie ses boules dans le décor. Drôle de fille. Roméo jette une fois sur deux sa boule dans le mille, fait tomber les quilles et accumule les points. En plus, il est magnifique à regarder jouer. Son corps est tout en souplesse et équilibre. - T'a appris où ? lui demande Abedoudi. - Par moi-même. - Où ? - Nulle part. Comme ça. En regardant les gens jouer aux boules. A la balle... Je sais pas, moi...

Round 38/60 écrit le lundi 13 avril 2015

400 mots | 2461 signes

L'entente entre Roméo, Ilka et Abedoudi, écorchés de la vie, est allée très vite. Trio de fortune. Ou d'infortune. chacun a éprouvé, au bowling, une sorte d'apaisement à jouer avec les autres, d'un même accord, le regard tourné vers les quilles, silhouettes presque humaines à faire exploser, sauter, tomber... Moment symbolique où leur solitude et leur hargne pouvaient se rejoindre en regardant dans la même direction, le bout de la piste, les quilles qui apparaissent et disparaissent devant le noir du tunnel... A la cafétaria, leur visage avait repris un petit air de jeunesse et d'insouciance, comme après un week-end au vert. Abedoudi a commandé des hamburgers et des cocas et ils ont mangé voracement leur part, les yeux tournés vers eux-mêmes, sans un mot. La retenue mais aussi le plaisir d'être là se lisaient dans leurs yeux. Trois semaines plus tard, ils prenaient le large pour le Cap de la Hague, avec tonton Jules et sa vieille camionnette, par un matin ensoleillé. Quatre célibataires, solitaires, plus ou moins vierges, peu accoutumés à partager des moments de convivialité, de connivence pour un même voyage. A chaque virage, Ilka, assise entre Roméo et Abedoudi, laissait son corps tomber mollement contre celui Roméo, et se tenait à distance, autant qu'elle le pouvait, d'Abedoudi, comme si elle le craignait. Dès qu'un tournant la poussait à tomber vers lui, elle s'en empêchait en se rigidifiant et bandant tous ses muscles pour rester droite. Abedoudi, conscient et frustré de ce petit manège, rêvait de l'accueillir contre lui, de la laisser se fondre contre son flanc, d'en épouser la forme, de respirer au plus près son odeur juvénile de shampoing à la pèche, il se sentait tellement heureux d'être assis à côté d'elle, à la source de ce nouveau voyage. Il guettait la réaction de Roméo chaque fois qu'Ilka s'affaissait contre lui, mais Roméo restait zen et de marbre, il ne changeait pas de position et ne se rendait pas plus accessible pour autant. Moyennement rassuré par l'apparente indifférence de Roméo, Abedoudi faisait des plans pour le séjour... Il trouverait bien un moyen de s'isoler avec Ilka. La présence de la jeune femme semblait par contre rendre l'oncle plus prolixe que d'habitude. Il chantonnait, faisait des commentaires tout haut sur l'état de la route, sur les contrôle rada, sur les gens, la météo favorable, le pique nique à venir !...

Round 39/60 écrit le mardi 14 avril 2015

316 mots | 1925 signes

Pendant le voyage, le paisible Roméo n'a rien ressenti de la tension nerveuse qui agitait Abedoudi. Roméo, le roi du naturel et de la simplicité se comportait de façon familière avec Ilka qui le lui rendait bien. Peu de parole mais une proximité, une complicité immédiate. Abedoudi en était mamale de jalousie, d'autant qu'Ilka l'ignorait avec soin. Trop de soin, peut-être? La camionnette se gara devant la petite maison en pierre, milieu d'après-midi, temps ensoleillé, brise légère de mer, odeur de prés salés. Du bonheur. Abedoudi prit de l'air plein ses poumons et regarda le ciel, la mer au loin, le mouvement souple des bruyères. Il se sentait comme revenu chez lui, dans ses racines, lui le gars de banlieue, le type sans attache. Jamais encore il n'avait éprouvé un tel apaisement. Mais que connaissait-il de la vie et du monde qui l'entourait ? Rien. Quasiment. Il n'avait pas voyagé, sinon trois fois au Maroc, quand il était petit, dans un village dont il gardait un rien de nostalgie. Là-bas aussi, il y avait de la bruyère et des herbes raides séchées par le vent. Seule ombre au tableau, les ossements qui l'attendaient. Roméo se mit à décharger la camionnette. Sacs et provisions pour le long week-end. - Je vais voir la mer, dit tout de suite Ilka. Je vous retrouve après... - Pourquoi faire ? Dit Abedoudi. La mer est partout! Regarde! Elle est partout, la mer. Il aurait voulu qu'elle reste là, à ses côtés. C'était à lui de lui faire découvrir le coin. Elle s'éloigna rapidement vers les rochers qui dominaient la grande plage. Abedoudi la regarda partir d'un mauvais oeil. L'indépendance de la jeune fille le perturbait. Il voulait être à la source de tous ses désirs, les prévenir, les anticiper... C'était ridicule peut-être... A force, c'était presque, lui enlever tout désir... L'amour le rendait bête, jaloux, possessif, autoritaire.

Round 40/60 écrit le mercredi 15 avril 2015

280 mots | 1723 signes

Marée descendante. Tonton Jules distribue à qui veut des filets à crevettes, des crochets, des nasses en paille pour aller pêcher sur les rochers. il est heureux comme un gamin, Ika trépigne d'impatience dans ses chaussures en caoutchouc trop grandes, excitée à l'idée d'être initiée à l'art de débusquer des coquillages, praires, bigorneaux, couteaux... Son short en jean déchiré et son T-shirt très décolleté attire les regards des trois hommes. Elle sautille derrière tonton Jules sur le sentier qui mène à la grande plage. Roméo s'apprête à les suivre en bottes en caoutchouc et bermuda écossais, mais Abedoudi le retient de justesse. - Viens m'aider, y'a les trucs à récupérer dans les coffres. On sera tranquille. Abedoudi est torturé, énervé par l'éloignement qu'il sent voulu d'Ilka, par l'indifférence qu'elle lui témoigne. C'est pourtant lui qui l'a invitée, qui en a eu l'idée, elle devrait lui être reconnaissante. - Je préfère aller à la pêche, dit Roméo. Les coffres t'appartiennent... Fais-en ce que tu veux ! - Hé mec, tu va pas me laisser tomber! Pas maintenant! On a tout fait ensemble. - Je préfère aller à la pêche. Faut comprendre. - Tu m'abandonnes ? - Les squelettes, oui. Ils seront encore là ce soir. - On ne peut pas ouvrir les caisses devant les autres. - On fera ça cette nuit. Il se frotte le ventre, hésite, donne l'impression de vouloir ajouter quelque chose puis il tourne les talons et se dépêche de rejoindre les autres, courant maladroitement entre les herbes hautes. Abedoudi pourrait le suivre, mais la jalousie l'en empêche. il n'a pas appris à être léger, insouciant. Ce qui l'attend ne va pas l'y aider.

Round 41/60 écrit le jeudi 16 avril 2015

524 mots | 2971 signes

Abedoudi voit les autres disparaître avec des filets à crevettes, des seaux, des pelles, des nasses en rotin. Il s'en veut d'être ce qu'il est, instable, intolérant, dur avec lui-même. Il lui serait si facile de rejoindre ses amis de fortune et d'être comme eux, insouciant. Il a de l'argent, celui de monsieur Gig, mais cet argent lui brûle les doigts. Les coffres et leurs lourds secrets le perturbent. Il s'assied sur le seuil de la maison, respire les parfums du large, courbé, la tête entre les épaules... Sel, marée, goémons... La paix intense du lieux, le jaune de la lande qui descend jusqu'à la mer, parsemée de bruyères en fleurs, représente comme un rêve inaccessible... Il est amer mais aussi tout prêt de comprendre quelque chose qui lui a toujours échappé. Comme s'il y avait là, dans ce coin de terre, un secret à découvrir, un trésor à saisir... Au fil des minutes, il devient plus présent au cadre, moins agité intérieurement. Il ouvre au hasard l'Alchimiste et lit: "...et les cœurs des hommes sont ainsi. ils ont peur de réaliser leurs plus grands rêves, parce qu'ils croient ne pas mériter d'y arriver, ou de ne pas pouvoir y parvenir. Nous les cœurs, mourrons de peur à la seule pensée d'amours enfuies à jamais, d'instants qui auraient pu être merveilleux et ne l'ont pas été, de trésors qui auraient pu être découverts et qui sont restés pour toujours enfouis dans le sables." Il frissonne et relit les phrases. Un vent d'amour, de peur, de douceur le renverse. Ces mots mis bout à bout, dont il n'en comprend pas le sens réel, sont une caresse à son être enfoui, à son cœur, à son âme, à sa peau, il les relit encore, un séisme d'émotions explose dans son corps, son cerveau, sa bouche, sa langue, son estomac, la cambrure de son dos, sa nuque, à la surface de sa peau, en profondeur, en bas, en haut, de haut en bas, des frissons le parcourent jusque dans ses os et le remue, le remue, le remue!... Ce livre parle de lui. Jeanne Dufour a vu en lui. Quel secret a-t-il à comprendre... Il allonge les jambes devant le seuil, sur la terre sèche et sableuse de la lande et renverse la tête en arrière. Le ciel lui apparaît dans toute sa hauteur, sa fluidité bleue, son insondable mystère, une mouette, puis une autre, très haut dans son champ de vision, passe, plane, presque immobile, un nuage de mousse éthérée s'étire au zénith, le ciel s'arrête quand... A-t-il besoin de s'encombrer de ces restes de cadavres ? Roméo veut en tirer profit, mais lui ? Il a promis à Monsieur Gig de jeter les malles dans un canal, il doit tenir ses promesses... Un semblant de sérénité le ranime. Il ôte chaussures et chaussettes, étale ses pieds nus sur le sable frais et reprend l'alchimiste. "- C'est bien. Ton coeur est vivant. Continue à écouter ce qu'il a à te dire." Il repose le livre, se lève, s'éloigne, nus pieds, sur le sentier qui mène à la grande plage.

Round 42/60 écrit le vendredi 17 avril 2015

596 mots | 3397 signes

Il fait nuit. Abedoudi pousse un des coffres vers la porte extérieure. Il n'a aucune prise. Il met toute la gomme, pousse, reprend sa respiration, pousse, se met à genoux, pousse comme un désespéré, le métal crisse sur le sol, le coffre bouge à peine... Il opte pour une nouvelle stratégie. Il enfile des gants en caoutchouc rose et se lance dans un macabre transfert du contenu des coffres vers des sacs poubelles. Il ne veut pas vendre les os, il ne veut en tirer aucun profit. Juste s'en débarrasser au plus vite. A tout jamais. Et commencer sa vie. Enfin. Le contenu de ce coffre est aussi pesant que son passé. Il ne peut tomber plus bas. - Qu'est-ce que tu fais ? Ça sent quoi ? Ilka est en petite culotte et t-shirt trop petit sur le seuil de sa chambre. Abedoudi referme le coffre. - C 'est pas tes oignons! Va te coucher. - Va te coucher! Hé, faut pas me parler comme ça, à moi! Je suis pas ton chien! - Excuse-moi, Ilka, mais j'aimerais mieux que tu me laisses tranquille, je range des affaires à moi. - Et alors ? - Tu me déranges. - Tu m'as invité à passer le week-end ici... mais enfermée dans une chambre! - Non. Laisse moi juste... un peu. J'ai besoin de paix. - Tu caches quoi ? - Rien, tu es folle! - Folle ? Tout le monde dit que je suis folle! Toi, tout le monde! Tout le monde! Tu crois vraiment que je suis folle... - Non. Me prends pas au mot, excuse-moi. Tu n'es pas folle. C'est une expression. Ilka se jette sur le canapé et ramène ses genoux contre sa poitrine, pieds étalés sur les coussins. - Tu ranges quoi ? - Rien, Ilka, Rien, je ne range rien, laisse-moi. Ilka pose son menton sur ses genoux et regarde Abedoudi de ses grands yeux bleus. - Tu ne me fais pas confiance ? - C'est pas ça. Il noue un sac en plastique plein de papiers, de vieux habits et d'os et s'assied sur le coffre qu'il vient de refermer. - Parfois, dans la vie, faut comprendre les gens qui ont besoin d'être seul. Faut les laisser, dit-il. Il se penche vers la table, attrape l'alchimiste, l'ouvre au hasard et lit tout haut: " Certaines fois, il est impossible de contenir le fleuve de la vie." Il relit la phrase à haute voix: " Certaines fois, il est impossible de contenir le fleuve de la vie." Il regarde Ilka et se sent défaillir. Il se met à frissonner, Depuis quelques temps, il est happé par des émotions qu'il contrôle difficilement. " Certaines fois, il est impossible de contenir le fleuve de la vie." Pourquoi ce livre lui parlait-il autant... Qu'est-ce que ça voulait dire? - C'est beau, dit Ilka. Moi aussi, j'écris des poèmes...
Elle se dresse sur le canapé, pose ses pieds nus sur le carrelage et écarquille les yeux. - Conscience fluide espoir révélateur de mes rêves gelés quête unique d'un univers chaotique conscience conscience, es-tu là... A quoi me sers-tu ?... Elle se tourne vers Abedoudi. - Tu aimes ? - C'est pas à moi qu'il faut demander ça. J'ai jamais rien compris à la poésie. - Pas besoin de comprendre, juste se laisser envahir, capturer... Juste prendre par le sortilège des mots... Sous ses fesses, Abedoudi ressent la froideur et la dureté de la cantine. - Si tout était aussi facile... - Tu cherches trop à imposer ta mentalité... Comme ça, tu n'arriveras jamais à rien! Elle jette un plaid sur ses épaules et se recroqueville sur le canapé.

Round 43/60 écrit le samedi 18 avril 2015

448 mots | 2606 signes

Abedoudi repose "l'Alchimiste" à l'envers sur la table. Ilka appuie son menton sur la pointe de ses genoux et reste là, sans bouger, les yeux dans le vague. - Pourquoi tu ne me laisse pas tranquille? Lui demande Abedoudi. - " Certaines fois, dit-elle, il est impossible de contenir le fleuve de la vie." L'alchimiste. Assis sur son coffre à moitié vidé, Abedoudi se gratte le crâne. Ses cheveux dénoués tombent sur son visage. - Je reste là, dit Ilka. Continue à ranger. Fais comme si je n'étais pas là. - Non. S'il te plait. Va dormir. Laisse-moi! - Y'a quoi, dans les caisses. De la drogue ? - Non. C'est pas ça. C'est privé. - Des bijoux volés ? - Non. Des affaires perso. Pas envie de te montrer. D'ailleurs, si j'ai bien compris, il y a des choses que tu ne peux pas voir. - Pourquoi ? - A cause de ton allergie. - Quelle allergie? - A cause du mot que tu ne veux pas entendre... - Tu cherches à me faire peur... - Non. Je cherche à te préserver! Il est trois heures du matin... Si tu veux profiter de la journée de demain... - Et toi ? - J'ai l'habitude! Silence. Abedoudi soupire. Ilka brise le silence en murmurant : " Certaines fois, il est impossible de contenir le fleuve de la vie."
Abedoudi ferme les yeux, résiste. Il ne peut pas, décemment, dévoiler à Ilka ce que son grand oncle lui a caché, à elle, à son père, pendant tant d'années. Si elle savait! Il se lève brusquement et vide le contenu d'un sac plastique Lidl sur la toile cirée. - En fait, voilà des documents qui peuvent t'intéresser... Ton grand père me les a confiés quand il était à la maison de retraite. Il n'avait pas envie que ton père les trouve. Ilka se déplie de son fauteuil et se met debout, le plus loin possible de la table. Comme si elle avait peur s'approcher, d'être salie par les papiers. Abedoudi reprend confiance. Son secret pèse moins lourd. - Il y a des photos dans le tas, dit-il. Des photos d'enfants... Tu les connais peut-être... Des extraits de naissance, des carnets de famille, des cartes d'identité, - Je ne sais pas si j'ai envie de les voir... De remuer tout ça... - Ton grand oncle m'a demandé de les détruire... Ilka s'approche du tas de papiers. Elle pose une main à plat dessus, comme elle le ferait pour réchauffer la main d'un ami. Puis elle écarte les papiers, doucement, les faisant glisser les uns sur les autres, rêveusement. - Mais j'aurais tant voulu le connaître mieux... qu'il me raconte des histoires de son pays... Elle allume le lustre et continue à caresser les papiers...

Round 44/60 écrit le dimanche 19 avril 2015

396 mots | 2375 signes

  • Pourquoi tu me flanques ça à la figure maintenant ? demande Ilka. Abedoudi se tait. Il ne sait pas. Il ne sait pas pourquoi il vient de déverser si peu élégamment tous les papiers du grand oncle d'Ilka sur la table. Les documents sont chiffonnés, enchevêtrés les uns dans les autres, à demi-déchirés. Ilka sonde son visage de ses yeux clairs. L'homme qui cherche à rester impassible frissonne, une porte s'ouvre en lui, il la referme aussitôt.
  • Je sais pas, dit-il. C'est toi qui a insisté. Si tu veux entrer dans l'antre du loup, vas-y, enfonce-toi s'y. T'en veux plus ? Je t'en donne plus! Il marche vers les coffres, fait basculer leurs couvercles en arrière dans un bruit sec.
  • Tu veux voir ?... Regarde!... Ilka s'écarte de la table, bascule sur le canapé, étend les jambes, croise les bras avec hostilité.
  • Pourquoi tu les ouvres si méchamment ?
  • Tu voulais savoir! Vas-y, regarde! Tu verras bien où ça te mène ! La nuit les enveloppe.
  • Tout ça t'appartient, Ilka ! Ces papiers, le contenu des coffres.
  • Je n'ai rien demandé! Je voulais juste regarder. Pourquoi tu agis comme ça ?
  • J'aurais préféré que tu restes en dehors de ça... Maintenant, c'est trop tard! Je te laisse regarder les choses en face... Ilka hésite, s'étire sur le divan, pose un pied sur l'autre. Abedoudi patiente, debout devant les coffres.
  • Je n'ai fait qu'obéir à la volonté de ton grand oncle. Je lui avais promis de me débarrasser de ces coffres. Je n'ai pas pu... pas encore. Je ne savais pas que j'allais te rencontrer... Et que tu serais concernée. Il se dirige vers la table, contemple quelques vieilles photos. Ilka se lève d'un bloc.
  • Y'a quoi, alors, dans ces coffres ? Abedoudi lui indique les malles ouvertes d'un mouvement d'épaules. Ilka sautille en petite culotte jusque là, puis stoppe net. Abedoudi aplatit une photo jaunie. Un bébé nu sur une peau de bête. Il en redresse les coins, lisse le papier. Ilka se penche sur un des coffres, plonge la main à l'intérieur, fouille, saisit un objet, le rejette et se redresse aussitôt. Elle tangue, recule, butte sur une chaise, retrouve l'équilibre, se recroqueville sur le divan. Son corps est secoué de tremblements violents, elle rougit, grimace, frissonne, gémit.
  • Mes médicaments sont sur ma table de nuit, j'étouffe, dit-elle...

Round 45/60 écrit le lundi 20 avril 2015

310 mots | 1937 signes

La découverte des ossements avait valu à Ilka une crise d'urticaire géante, pire que toutes ses crises précédentes, elle s'était mise à rougir, à se gratter furieusement, à gonfler de façon spectaculaire au niveau du cou et du visage. Abedoudi a refermé précipitamment les coffres, il a appelé l'oncle, puis Roméo, puis le SAMU qui est arrivé au bout d'un quart d'heure, grâce à la proximité de l'usine de retraitement des déchets nucléaires. Une chance. Les médicaments de confort d'Ilka ne lui servaient plus à rien. Abedoudi ne tenait pas en place, il gémissait, criait, engueulait sur Roméo qui restait assis près d'Ilka, dans un calme impénétrable. Abedoudi se tordait les mains, courrait dans tous les coins de la maison à la recherche de médicaments, d'instruments magiques pour empêcher Ilka de mourir, il suppliait l'oncle de faire quelque chose, sortait en trombe de la maison pour voir si le SAMU arrivait, marchait sur le sentier, guettait, revenait voir Ilka dont l'état ne faisait qu'empirer, repartait dehors... Quand la sirène de l'ambulance a traversé enfin la nuit, c'était dément, doux, merveilleux, meilleur que tout ce qu'il avait ressenti jusqu'à présent. Il est revenu dans la maison pour crier qu'il entendait la sirène de l'ambulance, qu'elle arrivait, qu'il fallait tenir bon, Ilka, tiens bon, tiens bon, ils arrivent, tu vas t'en sortir, il est retourné dehors, des phares éclairait la maison. C'était bon, terriblement bon. Abedoudi pleurait, bégayait des mercis sans fin aux hommes qui sortaient leur matériel avec des gestes calmes et précis. Une autre voiture s'était garée dans la foulée. Le médecin urgentiste. Ilka était dans de bonne main. Quand ils sont entrés dans la maison, l'oncle était prêt à enfoncer dans le cou d'Ilka la pointe d'un bic dont il avait enlevé la mine, pour lui faire une trachéotomie de fortune!... Mieux valait pas...

Round 46/60 écrit le mardi 21 avril 2015

388 mots | 2298 signes

Abedoudi suivait des yeux les feux arrières de l'ambulance qui emportait la jeune femme. Il était secoué par la réalité. Tout était allé si vite. Pourquoi ne l'avait-il pas préparée à ce qu'elle allait découvrir dans les coffres. Pourquoi avait-il agi avec tant de violence. il regrettait son geste. Il savait qu'Ilka était allergique au mot assassin... peut-être réagissait-elle ainsi à tout ce qui rappelait ce mot.. Abedoudi tenait l'Alchimiste contre son torse, comme enfant il avait peut-être serré contre lui une peluche, un doudou. Ce livre le mettait sur des rails inconnus et terriblement rassurants. Son langage ressemblait parfois à de la poésie, chaque phrase ou bout de phrase qu'il y lisait le confortait dans ses choix, dans son errance jusqu'à aujourd'hui, dans le décalage qu'il ressentait avec les autres. Les phares de l'ambulance disparurent dans un dernier virage. Abedoudi ne pouvait pas s'être trompé de chemin, il allait trouver une issue, il ne voulait pas rester ce type décalé et sans charisme que les gens fuyaient, évitaient, dont on craignait les réactions. Il se devait de changer. De devenir quelqu'un de meilleur... Quel était son trésor à lui?... Son but ? Sa légende personnelle comme on disait dans l'Alchimiste ? Le livre ne donnait pas beaucoup de recette, il en parlerait avec Jeanne Dufour... Mais d'abord, il fallait qu'il lise le livre en entier... Roméo et son oncle se recouchèrent et Abedoudi remit chaque objet à sa place dans les malles. il déchiffonna et lissa les documents et les photos et glissa soigneusement le tout dans des enveloppes de papier Kraft qu'il donnerait à Ilka. Quand elle irait mieux, la jeune femme lui demanderait sûrement des comptes... Ces malles étaient à elle, maintenant. Il les lui cédait avec plaisir. Il sortit de la maison à 6 h du matin. L'air était vif et chargé d'embruns, le chant des premiers oiseaux de mer montait autour de lui. Il boutonna le col de son anorak, enfonça son bonnet sur les oreilles et s'éloigna. Il se sentait aussi dispo et clair que s'il avait dormi. Incroyable comme le large lui faisait du bien, comme ça parlait à son corps, à sa tête, comme ça le vivifiait. Pourtant, il se faisait beaucoup de soucis pour la jeune fille...

Round 47/60 écrit le mercredi 22 avril 2015

435 mots | 2580 signes

Ilka ouvrit les yeux. Abedoudi et Roméo étaient assis de part et d'autre de son lit d'hôpital.
- Ah, salut! Dit-elle en les regardant l'un et l'autre avec un joli sourire. Puis tout à coup son sourire se crispa et s'éteignit. Qu'est-ce que vous voulez ? L'infirmière venait de lui faire sa dernière piqûre de cortisone et elle devait rester une journée encore à l'hôpital pour observation. - On va t'expliquer... Dit Abedoudi. Mais je ne sais pas comment faire... C'est dangereux de te parler de certaines choses... C'est difficile... Ilka tourna les yeux vers la lumière extérieure. - Les coffres, l'odeur étrange, les têtes de mort, la vieille dentelle... Elle se mit à trembler. Roméo lui prit une main et la caressa avec une sorte de recueillement. Abedoudi s'agrippa à l'autre main avec brusquerie. - Qu'est-ce que je dois faire, tu peux me le dire ? Demanda-t-il. Si je t'explique et que tu te tapes une nouvelle crise, qu'est-ce que je fais ? Je veux pas qu'il t'arrive quelque chose... - Il y avait un parfum étrange, dans la caisse, dit-elle Aïe! Tu fais mal! Elle retira sa main qu'Abedoudi retenait. - Quand je me suis approchée, il y avait un parfum que je connaissais... Un vieux parfum d'avant, d'il y a longtemps... comme une odeur de mon enfance... Même dans les papiers, sur les photos... Je ne sais pas comment dire... J'ai eu un flash de quelques secondes quand je me suis approchée de la caisse... Je me suis revue... je sais pas où... J'avais envie d'entrer dans la caisse et d'y rester à jamais. Puis j'ai vu les os, les squelettes, j'ai touché... Ilka ferma les yeux... - C'était affreux... J'ai eu honte... La pire crise de ma vie... J'aurais pu mourir. Mais je suis pas morte. Elle éclata de rire. Roméo lâcha sa main. Elle s'assit sur son lit. - Je ne suis pas morte et je vais vivre. Je n'ai jamais su ce que je voulais mais je vais savoir. - Les caisses sont à toi! Dit Abedoudi. - Haha! Ilka rejeta ses cheveux emmêlés en arrière. Cadeau empoisonné! Cria-t-elle. Cadeau empoisonné! Je n'en veux pas. Personne ne voudrait d'un cadeau pareil! Mon grand-oncle était fou... Mais je crois que je l'aimais bien quand même. Il était ma seule famille. L'énergie et la vitalité de la jeune femme revenait. - On a une offre sur Paris pour acheter les ossements, dit Roméo. On pourra partager l'argent. - Vendre les os!... C'est dégoûtant! Jamais je ferai ça! On sait même pas qui sont ces squelettes! Des ossements, ça s'enterre! Ça mérite un vrai et digne enterrement!

Round 48/60 écrit le jeudi 23 avril 2015

660 mots | 3937 signes

Abedoudi pousse la porte du centre de Ressources. Jeanne est là. Elle lève un oeil. - Te voilà!... La salle est pleine de stagiaires en formation alphabétisation. Certains sont installés devant un ordinateur, deux hommes d'un certain âge, l'un, pakistanais, avec une longue barbe blanche, l'autre africain, et des femmes voilées de différentes origines, marocaines, algériennes, irakiennes, turques, indiennes. Une vieille indienne aux cheveux gris regarde un film dans un fauteuil club, elle a enlevé ses chaussures et a posé ses pieds nus sur un petit tabouret en plastique. Abedoudi jette son sac au pied du bureau de Jeanne et s'assied sur la chaise "invité", une chaise rembourrée, différente des chaises en bois à l'usage des stagiaires.
- Je vous ai manqué ? Jeanne sourit tout en regardant son écran d'ordinateur. - Oui. Elle l'observe avec gentillesse. - On se demandait où tu étais passé. - J'ai eu un empêchement. Ma copine est tombée malade. - Et ton rapport de stage ? - J'ai pas oublié... J'ai commencé à lire votre bouquin! - Lequel ? - L'Alchimiste, vous vous souvenez pas ? J'ai lu des parties, des pages ... J'aime bien. J'ai même lu quelques phrases à ma copine... - Mais tu ne l'as pas fini ? - Non... Jeanne, j'ai toujours du mal à lire vraiment un livre... Abedoudi regarde par la fenêtre deux dromadaires d'un cirque de passage qui paissent sur le terrain vague. Il y a aussi des chevaux arabes, des chèvres, des lamas. On entend le lointain vrombissement d'une tronçonneuse. Deux hommes en salopette verte amènent aux animaux de l'eau dans des seaux noirs et du fourrage . Jeanne écrit et déplace sa souris sur l'écran. Grand calme. Le ciel est à peine voilé. - Les livres, j'ai toujours eu l'impression que c'était pas fait pour moi! - Préjugés, dit Jeanne au bout de quelques secondes de silence. Hé la porte!... Fermez la porte! Hé Ali, vient là! C'est toi qui vient d'arriver sans fermer la porte ?! Un jeune africain en costume qui s'apprêtait à signer la feuille de présence se retourne vers Jeanne d'un air effaré. - C'est toi ? La porte ouverte ? Elle montre la porte du doigt. Le jeune homme continue à écarquiller les yeux sans comprendre. - La porte! Elle fait le geste de la fermer! Le jeune homme ne réagit pas. Jeanne se lève et va fermer la porte elle-même. - Je pas compris, dit gentiment le jeune homme. Il signe la feuille de présence et s'approche d'un ordinateur. - Non, Ali, crie Jeanne! Non! Ce n'est pas à cette heure-ci qu'on arrive!... Il est 14h30! Tu aurais dû être là à 12h30! Ali se tourne vers elle, inquiet. - Je pas compris. Jeanne indique sa montre. - 14h30!... Non! Pas possible. Interdit! Tu peux pas signer! - Je pas venir prière mosquée... - Non, Ali, soit tu vas à la mosquée, soit tu viens ici, les deux, pas possible! Le cours est presque fini. Tu viens pas, tu signes pas ! - Vous êtes dure, Jeanne!... Il vient d'arriver, il connait pas encore toutes les règles! Dit Abedoudi. - Il est capable de comprendre. Il a étudié, parle et écrit l'arabe couramment. Et toi, qu'est ce que tu fais ? Tu travailles ou tu t'en vas ? - C'est clair et net, avec vous! Je viendrais peut-être travailler demain... Mais je dois aussi aller au cours, je ne sais pas quand je vais réussir à refaire mon rapport de stage. - Moi non plus, je ne sais pas et ce n'est pas moi qui le ferai à ta place! Ali, va voir la responsable de la structure, moi, je ne t'accueille plus à cette heure-ci! Elle explique et ré-explique à Ali que c'est trop tard, le jeune homme finit par s'en aller penaud. Jeanne se tourne vers une primo arrivante analphabète qui a encore du mal à utiliser la souris. - Au revoir, Jeanne, crie Abedoudi. J'espère que demain, vous pourrez m'aider à finir mon rapport de stage! Et il se sauve avant que Jeanne puisse répliquer.

Round 49/60 écrit le vendredi 24 avril 2015

351 mots | 2100 signes

  • Papa, c'est dur, toute seule!
  • Tu dois vivre ta vie, Ilka. Pas toujours restée collée à moi.
  • J'ai même pas de quoi rendre la maison plus accueillante, plus jolie...
  • Ca viendra, Ilka, ça viendra... Il regarde le tas de papiers d'archives que sa fille unique a étalé sur la table dans la cuisine. Lourdement handicapé. il se déplace en fauteuil dans la maison. Une assistante de vie vient s'occuper de lui et du ménage depuis qu'il a demandé à Ilka d'aller s'installer dans la maison de son grand oncle.
  • J'étais bien avec toi, papa, j'avais ma chambre, mes habitudes...
  • Tu dois changer. Ilka. Il est temps que tu deviennes une femme, que tu aies une vie à toi, un amoureux. Les papiers sont tous en polonais!
  • Tu comprends ?
  • Pas beaucoup lu en polonais... parlé... juste parlé... avec tonton... Il jette un oeil évasif sur les papiers, puis peu à peu, la fièvre le gagne et il se met à la tâche. Il s'emparent d'un certificat racorni, ses mains tremblent. Il déniche un lambeau de titre, en saisit un autre dont il manque un morceau, compare les deux, se caresse le crâne, revient sur un imprimé jauni, analyse diverses pièces manuscrites, prend quelques notes, trace un tableau, relit encore et encore une lettre à l'écriture dense et appliquée, explore une dizaine d'articles découpés dans des journaux, les trie par date, les confronte à des actes poussiéreux. Ilka classe les photos dont les dates et les noms sont joliment écrits au dos. Elle constitue des petits tas avec les photos. Des personnages reviennent en boucle, se superposent, prennent vie, changent de toilette, d'âge, de groupe, posent pour le photographe, gravement, paisiblement, des bébés, des jeunes mariés, des mères attentives et fières, des enfants bien coiffées, des vieux qui rassemblent autour d'eux des escaliers de descendants. Les minutes passent, précieuses, dans un silence tendu. La vie est en suspens sur la table. Ilka, de temps en temps, lève les yeux vers son père pour guetter son visage la gravité qui s’accroît de minute en minute.

Round 50/60 écrit le samedi 25 avril 2015

476 mots | 2887 signes

La nuit tombe, les néons éclairent froidement les vieux papiers qui commencent à dévoiler leur secret. Le père d'Ilka s’intéresse aux photos classées par Ilka. Son visage a perdu de sa gravité. Il semble presque avoir rajeuni. - Ilka!... On ne méritait pas d'avoir la vie difficile qu'on a eue...dit-il. L'amour qui unit le père et la fille est un amour d'infortune, ils se sont épaulés, soutenus, aidés, accompagnés, sans faillir, dans leur misère respective. - Ma mère, Ilka, ta grand-mère... dit-il. Oh... Le père se tait, des larmes lui viennent, il prend sa tête entre ses mains et se met à sangloter. - C'est si difficile à dire.... Ilka pose une main sur son épaule. - Papa... Tu peux le dire, je peux comprendre. Le père pleure. Son corps est secoué de spasmes. Jamais Ilka ne l'a vu s'effondrer de la sorte, même le jour où il s'est vu condamné au fauteuil roulant. - Papa... Son père, un si doux battant, qu'elle aime par-dessus tout, qu'elle aurait voulu ne jamais quitter, perd sa grand assurance, son courage à toute épreuve. Elle appuie sa tête sur son épaule. - Je comprends peut-être maintenant, dit-il entre deux gémissements, d'où te vient ta fragilité... Et la mienne. J'aurais voulu t'offrir une vie meilleure... Son père lui caresse les cheveux. - Papa... Tais-toi... Tu n'es pas responsable. Ma vie est ce qu'elle est, c'est la mienne... - Il faut qu'on parte en Pologne, Ilka. Qu'on refasse le chemin à l'envers, qu'on retourner à ce qui a été les fondations de nos vies. Ma mère... Je ne sais pas comme dire... Ta grand-mère... Enfin, cette femme que j'ai si peu connu... Je te promets, je sais à peine qui elle est... Oh, Ilka, tu vois comme j'ai du mal à en parler... - Essaie, papa, ça nous fera du bien... Il se remet à pleurer... - Je voudrais qu'elle n'ait jamais existé, qu'elle n'ait jamais été ma mère... Dit-il dans un gémissement. C'est affreux... - Tu n'aurais pas été là, papa... et moi non plus... je suis contente d'être là... Et de t'avoir eu pour père. Tu es le meilleur des pères!... Il continue à sangloter. - Un bon père t'aurait encouragée à faire des études supérieures... Mais tu ne t'es jamais sentie pas à ta place à l'école... C'est dommage, parce que tu es intelligente. Tu aurais pu réussir si tu avais eu plus confiance en toi... Si j'avais été un autre père... - Papa, arrête, ne recommence pas. On ne réécrit pas l'histoire... Et puis rien n'est trop tard, peut-être que j'irai, un jour, à l'université... quand j'aurais passé mon bac... Elle s'écarte de son père, ouvre le frigo et pose deux bières décapsulées sur la table. Ils boivent de concert leur moitié de bouteille, s'essuient la bouche en même temps, d'un revers de manche et se mettent à rire de bon cœur devant leur touchante harmonie père fille...

Round 51/60 écrit le dimanche 26 avril 2015

376 mots | 2542 signes

  • Je suis le fils d'une meurtrière... Il regarde Ilka, il sait que ces mots peuvent la tuer. Ilka se tient à distance. Loin loin loin...
  • Tu réalises ? Demande-t-il à sa fille. Ilka ?... Il avale une gorgée de bière. Puis une autre. Finit la bouteille.
  • Donne-moi une autre bière! Ilka sort une bière du frigo, la décapsule. Il la boit d'un trait.
  • Ilka!... Il observe sa fille. Longtemps. Dans un état flottant d'ébriété.
  • Ilka!... Moi, fils d'une meurtrière... Il insiste sur le mot. Toi, petite fille d'une meurtrière... Il traîne longtemps sur la dernière syllabe, comme s'il voulait qu'elle entre absolument dans la tête d'Ilka.
    • Papa!... Je l'ai toujours su. Le père lève les yeux sur elle.
  • En tout cas, je pensais bien... Continue-t-elle. Y'a des choses que le corps sait, même sans savoir, c'est écrit dans l'inconscient, je l'ai lu... Le père jette sa bouteille vide dans un seau près de l'évier et réclame encore une bière...
  • Non, papa! Arrête ça! Arrête de te détruire! Explique moi!
  • C'est là, dit-il en montrant les papiers sur la table... Les coupures de journaux. Il choisit une photo.
  • C'est elle! Une femme au visage grave, aux yeux noirs.
  • Et encore elle! Et elle encore!... Il étale les photos devant Ilka.
  • Elle a assassiné mon père, mes deux soeurs, les enfants de l'oncle Gig, sa femme... elle a bousillé nos vies! Ilka caresse avec bonheur son cou, son visage, elle tend les mains, examine ses avant-bras...
  • Papa! Il ne m'arrive plus rien... ça me gratte pas! Assassin assassin ASSASSIN MEURTRIER J'ai pas de rougeur... ASSASSIN MEURTRIER MEURTRIER... Elle crie de plus en plus fort:
  • ASSASSIN MEURTRIER MEURTRIER ASSASSIN MEURTRIER MEURTRIER ASSASSIN MEURTRIER MEURTRIER... Jusqu'à ce que les mots ne veuillent plus rien dire.
  • TUERASSASSINERMEURTRIERASSASSINMEURTRIERMEURTRIERTUER Son père enfouit son visage dans ses mains et se remet à pleurer.
    • Papa, papa, je ne me gratte pas! TUER ASSASSINER TUER TUER TUER ASSASSIN MEURTRIER MEURTRIER ASSASSIN MEURTRIER MEURTRIER TUERASSASSINERMEURTRIERASSASSINMEURTRIERMEURTRIERTUER
  • Ilka, je me sens si coupable... Ilka rit, pleure, saute dans la cuisine, tourne en rond, bras écarté, elle se sent folle folle folle et libérée! Elle crie.
  • ASSASSIN MEURTRIER MEURTRIER ASSASSIN MEURTRIER MEURTRIER TUERASSASSINERMEURTRIERASSASSINMEURTRIERMEURTRIERTUER papa, tu n'es pas responsable, c'est pas de ta faute...
  • J'ai tellement honte, ma chérie, tellement honte...

Round 52/60 écrit le lundi 27 avril 2015

601 mots | 3407 signes

  • Papa, je t'ai pas dit le pire... Dans les malles de tonton, il y avait des ossements humains avec les photos, des crânes, des fémurs, des humérus!... Le père regarde sa fille dans les yeux.
  • Où sont-ils ?
  • Chez un ami. En Normandie. L'AMP de la maison de retraite à qui tonton a confié son trésor!
  • Tu parles d'un trésor! Il faut donner ces malles à la police! Tu te rends compte. Mon oncle était fou!... Garder des ossements chez lui...
  • Tu crois que ce sont les ossements de tous ceux que... ta mère... ma grand-mère a tué ? Pourquoi les avoir gardés ?
  • Qu'est-ce que j'en sais!? Quelle histoire... J'ai vécu toute ma vie à côté de ces malles sans savoir!...
  • Peut-être qu'il faudrait appeler la police seulement après avoir remis les malles à leur place dans le pavillon de tonton Gig. Pour pas que mes amis aient des ennuis... En plus, ils voulaient vendre les os sur internet!... Y'a des collectionneurs pour ça, il parait, qui peuvent payer un bon prix pour des ossements humains... Le père se frotte et se malaxe le crâne avec énergie. Ilka lui sert une nouvelle bière, elle se rend bien compte qu'il en a besoin, qu'il ne peut pas absorber toutes ces terribles révélations sans en amortir le choc avec une ivresse de passage... Elle se sert une bière aussi qu'elle boit au goulot. Ils n'ont rien mangé de la soirée...
    • On ne peut changer le cours des choses, Ilka, il faut juste essayer d'avancer. Je viens de comprendre que mère était juive, tonton Gig aussi... Ils portaient l'étoile jaune, pendant la guerre, en Pologne. Ces coupures de journaux le disent... adolescents, ils auraient survécus à une rafle et assistés, cachés dans la cour d'une ferme, à l'exécution de leur parents, de tous les membres de leur famille, de voisins, d'enfants de leur âge, abattus debout, devant un trou qu'ils avaient eux-mêmes creusés... Ma mère... Bon dieu, à qui sont ces ossements... Ma mère qui a assisté à la torture ne s'en est jamais remise... Un jour, en 1952, elle a mis le feu à la maison familiale... Elle a expliqué son geste dans une lettre, avant de se donner la mort avec un Walther PP, une arme à feu, qui avait appartenu à des dirigeants nazis... Tonton Gig a réussi à me sauver des flammes, tous les autres sont morts, asphyxiés, brûlés, mes parents, mes frères et soeurs, mes cousins, ma tante... une hécatombe...
  • Et nous, on est là, papa, des survivants!... -Des survivants... Pas vraiment des vivants... D'après les journaux, on fait partie des victimes dont on n'a pas retrouvé le corps!... Oncle Gig et moi, on est venus en Europe avec de faux papiers. J'avais deux ans... Il m'a élevé comme il a pu, plus mal que bien... Sans jamais rien me dire... il a gardé ce secret pour lui...
  • Il était sûrement un peu fou aussi... Comme survivre à ça ? Il a tout perdu deux fois, papa... Ilka se lève et fait plusieurs fois le tour de la cuisine, plongée dans ses pensées. Elle s'arrête brusquement devant le fauteuil roulant de son père:
  • Papa, c'est incroyable! Au Noël de mes 16 ans, tonton Gig m'a offert" Au nom de tous les miens", de Martin Gray... Tu te souviens ?!!! Lui aussi, Martin Gray, a tout perdu deux fois toute sa famille, une première fois dans les camps d'extermination nazis, une deuxième fois dans un incendie dans le sud de la France!...

Round 53/60 écrit le mardi 28 avril 2015

408 mots | 2315 signes

  • Il faut aller chercher les coffres et les remettre dans la maison du vieux, dit Abedoudi en trouvant une place sur le lit encombré de Roméo. Ton oncle peut nous amener ?
  • Non. Il est pas disponible...
    Il croise les bras, hostile à la présence de son voisin.
  • File-moi les clés de la baraque, j'irai chercher les coffres moi-même... Lui dit Abedoudi.
  • Je peux donner les clés à personne. Excuse. Mon copain, il veut pas. Il tourne le dos à Abedoudi et bricole une maquette.
  • Oh! Ça va! Fais-moi confiance, mec, dit Abedoudi. Je fais juste un aller-retour et je te rends tes clés! Roméo fixe une pièce délicate sur un navire de guerre.
  • Oh! Tu me réponds ? crie Abadoudi. Qu'est-ce qu'il se passe ?
  • Laisse-moi tranquille. Je peux pas toujours parler! Avant tu me parlais jamais, maintenant, tu veux tout le temps parler... Moi, aujourd'hui, j'ai plus envie de parler. Laisse-moi!
  • T'es malade, toi!... Roméo tourne le dos, une vraie carapace de tortue, et fouille d'un index pointé, à la recherche d'une pièce détachée de son navire dans une vieille boite en carton.
  • En plus , dit Roméo, les os, on a dit qu'on les vendrait.
  • On les rend à leur propriétaire, on les vend plus! C'est ce que je suis en train de t'expliquer!
  • Trop tard.
  • Quoi... ? Roméo lève sa maquette à hauteur de ses yeux et l'examine à la lumière du jour.
  • 1000 euros chacun, il a promis, le bonhomme.
  • Tu les as vendu ?
  • Je les ai montré au bonhomme qui voulait les voir, t'sais... Il les a gardé pour quelques jours, il a dit... tu comprends...
  • Nan! Comprends pas! Tu les as sortis du coffre ?
  • Le bonhomme y m'a demandé...
  • Quand ?
  • T'étais à l'hôpital avec la fille. Pas pu t'appeler, t'as jamais de thunes, sur ton portable. Après, j'ai oublié.
  • Franchement, t'es trop taré! Et l'argent ?
  • Pas encore donné! Je t'aurais dit. Il voulait les voir... Et les montrer à un spécialiste, il m'a dit! J'ai essayé de l'appeler, mais son téléphone répond pas. Il est en dérangement, je crois.
  • A tous les coups, il t'a filé un faux numéro! Qu'est-ce qu'on fait maintenant que la fille sait, pour les os ?
  • Je sais pas moi, on peut mettre des os de n'importe quoi!... Elle y verra que du feu!...

Round 54/60 écrit le mercredi 29 avril 2015

643 mots | 3825 signes

  • Qu'est-ce que je fais, moi, maintenant ? demande Abedoudi.
  • Pourquoi tu t'es encore embarqué dans une histoire pareille!! Rocambolesque!
  • Je vous jure, que c'est vrai, Jeanne... Je suis perdu!
  • Ça fait longtemps que tu l'es, perdu! Tout ça est ... Et puis, arrête de m'appeler Jeanne! Je te l'ai déjà dit. Ça me dérange.
    Elle l'a cherché. Elle va toujours trop loin dans son investigation sur la vie des gens. D'où tu viens, ton père, ta mère, tes blessures d'enfant, tes deuils... Elle veut amener les gens à réfléchir sur leur parcours, les aider à trouver leur propre voie, les responsabiliser, les éduquer, leur enseigner le civisme, le respect de l'autre, des lois, de leur cadre de vie, tout ça avec une irritante rigidité, elle outrepasse ses fonctions et se mêle trop souvent de ce qui ne la regarde pas, l'intimité des gens, pour, sans doute, relativiser ses propres échecs, sa solitude, son célibat...
  • Quoi te dire... C'est à peine croyable... Mais si tu veux mon avis, j'irai à la police... Tout expliquer...
  • Non, Jeanne,
  • Madame! Elle ne veut plus se laisser appeler Jeanne. Ces histoires d'ossements la mette très mal à l'aise.
  • Madame, les flics, ils vont me prendre la tête, je les connais, je veux pas finir au trou!
  • Pourquoi tu m'en parles, alors ? Abedoudi pense au cent mille euros dont il a gardé le secret... Il ne veut pas s'en séparer... Et s'il va voir la police, il y aura une enquête à la maison de retraite, le notaire savait que Monsieur Gig avait beaucoup d'argent dans sa chambre...
  • Si tu veux t'en sortir, dit Jeanne, reste dans le chemin, pas d'autre issue. On a tous un sac à porter, inutile de porter celui des autres... Occupe-toi de ta vie!
  • Les vies se mélangent, Jeanne, forcément !
  • Ne m'appelle pas par mon prénom. Respecte les règles, les distances... Cesse de franchir les limites!
  • Madame. Pardon. On rencontre des gens, on partage, on échange, on se rapproche d'eux, c'est obligatoire... Moi, ce vieux monsieur, il m'a fait confiance...
  • Il avait pas le droit de te faire porter ce poids de ses secrets... C'était à lui de gérer ça avant de mourir! C'est violent ce qu'il te confie! Et dangereux! Et toi tu es assez naïf pour accepter!
  • Les malles étaient cadenassées.
  • En plus, tu outrepasses tes droits! Tu étais stagiaire! Y a des chartes de bonnes conduites à respecter, pour le personnel, dans les maisons de retraite! C'est interdit d'accepter quoi que ce soit, de recevoir des cadeaux sans en parler avec le service, d'aller chez eux sans rien dire. Les règlements sont là pour protéger les vieux contre eux-mêmes, pour protéger leurs familles.
  • Oui, je sais... Je fais toujours ce qu'il faut pas... Je suis excessif! C'est comme ça qu'on dit ?
  • Excessif, naïf, impulsif, pas fini! T'es pas fini, mon vieux, comme un adolescent!... Et t'as pourtant passé l'âge depuis longtemps!
  • Ouh!...
  • Va voir la petite fille du vieux et allez ensemble raconter tout ça à la police, il est temps que tu te comportes en adulte! Tant pis si tu en paies le prix! Assume tes actes!... Abedoudi grimace. Il pose l'Alchimiste sur le bureau.
  • Je l'ai pas encore fini!
  • Finis-le, tu me le rendras après! Elle prend le livre, l'ouvre, tourne quelques pages.
  • Tiens, lis ça, tout haut! Dit-elle. Abedoudi approche sa chaise du bureau. Il lit. "- Mon coeur craint de souffrir, dit le jeune homme à l'Alchimiste, une nuit qu'il regardait le ciel sans lune. - Dis-lui que la crainte de la souffrance est pire que la souffrance elle-même..." Abedoudi aime cette sensation légère et vaste qui s'empare de lui à la lecture du livre, qui l'élève, l'apaise, lui donne la vision qu'il y a quand même, peut-être, quelque part dans le monde, un chemin fait pour lui...

Round 55/60 écrit le jeudi 30 avril 2015

234 mots | 1458 signes

Roméo débarque tout excité chez Abedoudi, son téléphone portable à l'oreille. - Attendez, je vous le passe! Il camoufle le micro de son portable avec sa grosse main et dit tout bas à Abedoudi: - Les os, ils nous les rend, il peut rien en faire! - Pourquoi il en veut plus ? - Pas compris... Le type, c'est un scientifique, qu'il dit. Il a fait des analyses. Vas-y, parle-lui! Moyennement content, Abedoudi. Ça l'arrangeait que les ossements aient disparu, il n'en portaient plus le poids... Un poids morbide qui l'empoisonne à petit feu. - Vos ossements proviennent d'un charnier, dit la voix. Vous risquez de graves poursuites. Abedoudi en a marre, marre, il en a par-dessus la tête, de ces ossements! !.... - Rendez-les nous, alors... On saura quoi en faire! - Les os portent les traces de destruction violente à la chaux vive... Vous pouvez les récupérer au bar, porte de la Chapelle... Je laisserai le paquet à la patronne. Terminé la prise de tête!... Teeeerminé!... Tant pis pour la promesse faite au vieux. Toute cette histoire était teeeeerminée!... Abedoudi allait remettre les malles et leur terrible contenu chez Ilka et basta! Restaient les cent mille euros qu'il pensait avoir mérité... Mérité ?... Le formateur parlerait d'abus de confiance sur personne dépendante... pourtant, c'était bien clair que le vieux l'avait choisi lui, pas Ilka, pas son neveu, pas un autre membre du staff... Lui...

Round 56/60 écrit le vendredi 1 mai 2015

411 mots | 2366 signes

Ilka vit dans le pavillon de son grand oncle en contournant les objets sans y toucher, elle n'ose pas prendre de place, jeter des choses, changer quoique ce soit au cadre, son grand oncle est partout. Abedoudi et Roméo viennent de déposer les deux malles dans le couloir du petit pavillon, le long des bottes et des chaussons de Monsieur Gig. Tout y est, les papiers, les ossements, les vieux vêtements. Ilka se tord les mains, elle attend son père, Qu'il vienne vite. Abedoudi se répète en lui-même une phrase lue au réveil dans l'Alchimiste : "Il y a toujours dans le monde une personne qui en attend une autre, que ce soit en plein désert ou au coeur des grandes villes." - Il y a des fantômes dans les coffres... Dit Ilka. Ça se sent... - On peut attendre ton père avec toi... suggère Abedoudi. - Vais chercher les croissants... sont restés dans la camionnette, dit Roméo. - Ilka, dit Abedoudi, resté seul avec elle : "il y a toujours dans le monde une personne qui en attend une autre, que ce soit en plein désert ou au coeur des grandes villes"... Ilka plisse le front et le regarde bizarrement. - T'as dit quoi, pour le coup ? - Une phrase que j'ai lue dans mon livre, l'Achimiste, tu sais... - J'aime pas les livres, sont plein de mensonges. - Moi non plus, j'aime pas les livres, ça me gonfle, mais ce livre, quand même, tu devrais le lire. Il le sort de sa poche. - " (...) si tu fais attention au présent, tu peux le rendre meilleur. Et si tu améliores le présent, ce qui viendra ensuite sera également meilleur. Oublie le futur et vis chaque jour de ta vie..." - C'est bête! - Quoi ? Il rempoche son livre. - Demain n'existe pas, le passé n'existe pas... Normal qu'il faut vivre maintenant... il dit rien de plus, ton livre! - Pourquoi t'as peur des fantômes alors ? Roméo détend l'atmosphère en arrivant de l'extérieur avec les croissants et le vent du dehors. Il fonce direct à la cuisine et ouvre bruyamment les placards! Il trouve du café soluble bon marché qu'il pose sur la table de la cuisine. - Un bon petit café avec les croissants! - La boite date de quand mon grand oncle vivait ici. Périmée je suis sûre!... - C'est toujours bon, les trucs périmés, y mettent des dates sur les boites pour faire vendre encore plus, dit Roméo plongeant le nez dans la boite.

Round 57/60 écrit le samedi 2 mai 2015

367 mots | 2224 signes

Abedoudi entre sans frapper et s'installe d'office sur la chaise visiteur. Il vient toujours se confier à Jeanne en fin de journée, quand elle se prépare à partir et Jeanne s'en accommode. Elle déteste les fins de journée et la perspective de rentrer seule, dans le vide glaçant de la grande maison qui appartenait de ses parents. Elle s'ennuie dans sa propre vie. Elle vit la vie des autres par procuration. Elle accueille Abedoudi d'un regard amène et se réinstalle confortablement sur sa chaise de bureau pour parler avec le jeune homme jusqu'à ce que les assistantes ferment les portes de la structure. - Quoi de neuf ? dit-elle en passantet repassant un coup de lingette sur son bureau, son clavier, les bords de son ordinateur. Je sais pas pourquoi je me suis attachée à toi. Tu me touches... -Vous êtes dure, Jeanne, mais pas tant que ça... Ça dépend... - Appelle-moi Madame, veux-tu! Qu'est ce que tu veux ? Il ouvre l'Alchimiste sur une page largement cornée et lit: " Lorsqu'on voit toujours les mêmes personnes, on en vient à considérer qu'elles font partie de notre vie. Et alors, puisqu'elles font partie de notre vie, elles finissent par vouloir transformer notre vie. Et si nous ne sommes pas tels qu'elles souhaiteraient nous voir, les voilà mécontentes. Car tout le monde croit savoir exactement comment nous devrions vivre. Mais personne ne sait comment il doit lui-même vivre sa propre vie." Il regarde Jeanne. - Vous voulez que je vous relise ? - Non. -Mes parents, ils sont comme ça, ils me dictent ma conduite!... Je suis perdu, Jeanne. Madame... Ilka est juive. Son grand-père, son père, toute sa famille est juive!... - Et alors ? - Je comprends rien aux juifs... - Tu racontes n'importe quoi! Apprend à les connaître, point! Ils sont pas différents des autres! - Jeanne, l'argent que le vieux m'a donné avant de mourir, j'en ai besoin, je veux le garder... et il me fait peur!... Comme s'il était hanté par les ossements...

  • Vous feriez quoi, vous, si quelqu'un vous plait ? Demande-t-il.

Il est entrée en formation pour s'occuper d'enfants dans les écoles maternelle. Elle vient au centre de ressources avec son groupe.

Round 58/60 écrit le dimanche 3 mai 2015

320 mots | 1764 signes

Abedoudi compte les billets de banque, les lie entre eux par parquet de mille euros et les entasse dans son vieux sac à dos. Sa vie reste un échec et il ne sait toujours pas quoi faire de lui. L'argent n'apporte rien à des gens pauvres comme lui. Des flics entrent et sortent du pavillon de Monsieur Gig, des ordres fusent, des portières claquent, c'est la ruche en uniforme et blouse blanche et brassard de la police. Ilka est assise sur les marches de la porte d'entrée, en mini-jupe et collant arc-en-ciel, l'air ailleurs. Abedoudi la siffle, elle dresse la tête, ne montre aucun signe de contentement, se lève, marche vers lui, yeux plissés, épaules voûtées, impassible. - Tu veux quoi? Tu crois pas qu'il y a assez de bordel comme ça ? Abedoudi ouvre grand les yeux. Ses cheveux longs retombent grossièrement sur son visage, il n'a pas pris la peine de les laver ni de les nouer en catogan. - Je veux pas te faire avoir plus d'ennuis... - On a parlé de toi aux flics, tu vas être convoqué! - Je suis prêt, dit Abedoudi. Il peuvent m'embarquer tout de suite. Il ouvre son sac à dos et le présente sous le nez d'Ilka. - C'était l'argent que ton grand oncle m'avait confié pour m'occuper des malles... J'ai tout foiré. Fais en ce que tu veux. C'était à lui. Donc à toi. Ouy à ton père. A ta famille de fous! - J'en veux pas! Ça me sort par les trous de nez! Garde-le, jette le, fais-en ce que tu veux! Cet argent me dégoûte! - Il appartient à ta famille. Comme les malles, comme les ossements!... - Mon grand oncle ne m'a jamais rien donné, jamais un sou! C'est moi qui me suis occupée de son enterrement, de tout, et tu vois, son argent est allé tout droit à un inconnu! Il ne m'a jamais aimé.

Round 59/60 écrit le lundi 4 mai 2015

511 mots | 3029 signes

Je reviens de l'enterrement d'un de mes stagiaires, pas le préféré, mais le plus intrigant. Abedoudi. Je l'aimais bien. il est mort. J'ai tout foiré. Je regrette de ne pas l'avoir mieux guidé dans ses choix. il venait souvent me demander une aide que je lui ai refusée, je regrette. Mon rôle était de l'accompagner, de l'amener à devenir autonome, de l'aider à corriger son rapport de stage pour qu'il obtienne son diplôme. Mais je l'ai abandonné à ses lacunes alors qu'il n'était pas taillé pour avancer seul. Il ne savait pas écrire trois mots de suite en français. Alors que, quand même, il avait fait toute sa scolarité en France. Ils sont tous comme ça, ceux que je reçois, les oubliés du système, les canards boiteux, les élèves décrocheurs! C'est pourtant pas à moi de réparer tous les dégâts causés par l'école de la République. Abedoudi était plus fragile qu'il ne paraissait. En fait, il était inadapté socialement. Professionnellement aussi. Anachronique. Décalé. J'aurais dû venir à son secours plus efficacement et précisément, là où étaient ses besoins, le materner le cas échéant, ce qu'il voulait, ce que tout le monde fait partout, et surtout arrêter de me mêler de sa vie personnelle, de sa possible histoire d'amour avec une fille pas de sa culture, pas de sa religion, de lui donner mon avis sans qu'il me le demande, de chercher à le transformer malgré lui, à le façonner à ma sauce... Je n'ai rien fait pour l'aider à obtenir son diplôme d'AMP, rien... Au contraire, je l'ai déstabilisé, sorti de l'équilibre dans lequel il survivait. Je suis désolée. J'ai mes faiblesses. Je suis loin d'être parfaite. Je n'ai pas eu homme dans ma vie, pas d'enfant. Mais j'ai eu une mère toute puissante qui a vécu sa vie comme si elle était moi. Et moi, je n'ai pas eu d'autre choix que d'aller vivre hors de moi, par procuration, dans la vie des autres... mais ça c'est personnel. Si je m'étais mieux occupée d'Abedoudi, sans vouloir le transformer avec des livres à méditer, il serait sûrement pas mort aujourd'hui. Je regrette. Il me manque. C'est triste. Une vie gâchée.
C'est drôle, Abedoudi était allé lui-même, quelques jours plus tôt, au carré juif du nouveau cimetière de Sarcelles, avec llka et son père, assister à l'inhumation des ossements trouvés dans les coffres de Monsieur Gig, reliques des membres de sa famille abattus par les SS pendant la guerre et jetés nus dans une fosse, dans la cour de leur ferme. A 8 ans, Monsieur Gig avaient assistés avec sa petite sœur de deux ans plus jeune, à cette tuerie, cachés derrière une cuve de la ferme. A la fin des années 50, avant la vente de l'exploitation familiale, le frère et la sœur avaient exhumés les ossements enterrés dans la cour de la ferme dans le but de leur offrir une meilleure sépulture... Après le second drame familial qui a frappé Monsieur Gig, les précieuses reliques étaient restées dans les coffres, des années durant...

Round 60/60 écrit le mardi 5 mai 2015

348 mots | 2182 signes

Ilka regarde autour d'elle, désorientée. Des années qu'elle a quitté le milieu des études. Jamais allée plus loin que la quatrième. Jeanne Moreau l'accueille, lui offre la chaise visiteur. Elles se sont rencontrées au carré musulman du cimetière de Sarcelles, à l'enterrement d'Abedoudi. Il y avait la famille, en noir, les femmes, voilées, les hommes, anoraks noirs enfilés par-dessus leurs habits traditionnels, les potes du quartier, Roméo, avec un costume noir, trop petit, chiffonné, les connaissances, pas mal de monde, et elle deux, derrière, en retrait. Jeanne était venue vers elle comme si elle la connaissait depuis toujours. Elle l'avait tout de suite appelée par son prénom et mise à l'aise. Ça lui avait plu, à Ilka, d'exister si fort aux yeux de quelqu'un. Jeanne avait tout de suite été comme une tante, une amie, une confidente, elle devinait tout avant qu'Ilka ne dise quoi que ce soir, c'était étrange, vertigineux et apaisant en même temps. Jeanne l'avait invitée à aller boire un café après l'inhumation, pour échanger les souvenirs qu'elles gardaient d'Abedoudi, ce type improbable, écorché, déchiré, croisé sur leur route, qui avait bêtement fini renversé par un train de banlieue alors qu'il traversait, comme toujours, sur les voies, en escaladant les barrières, pour aller plus vite, pour braver les peureux, les flics, la vie, pour se sentir tout puissant, une dernière fois. - Tu pourrais devenir AMP, dit Jeanne à Ilka. C'est un premier diplôme. Et il y a de l'embauche dans ce métier. Ensuite, rien ne t'empêche d'aller plus loin, de passer d'autres diplômes... Le regard d'Ilka s'arrête sur le livre posé sur le bureau de Jeanne, l'Alchimiste, sale et corné. Jeanne caresse la couverture avec la paume de sa main. - Il était dans la poche d'Abedoudi, dans le train l'a fauché... La famille me l'a rendu. Un silence recueille ses paroles... Ilka fait glisser le livre vers elle et l'ouvre au hasard avec infiniment de délicatesse. Elle lit, la voix enrouée par l'émotion: - "Quand on ne peut revenir en arrière, on doit se préoccuper de la meilleure manière d'aller de l'avant."