Round 1/60 écrit le samedi 7 mars 2015
509 mots | 2908 signes









- Monsieur ! Monsieur ! Vous oubliez votre achat ! Abedoudi lève les yeux de son portable cassé et désespérément silencieux et lance à la pharmacienne un regard venimeux.
- Oh, ça va ! J'allais pas oublier ! Pas besoin de me gueuler dessus comme si j'étais un chien ! La pharmacienne recule d’un pas.
- Excusez-moi, Monsieur, je pensais...
- Je pensais ! Et gni gni gni! Et gna gna gna! Fais ci, fait ça ! Si au moins vous vous occupiez de vous-même ! Je vous ai rien demandé, moi. Il déverse le contenu du sachet sur le comptoir.
- Vous avez vu ce qu'il y a là-dedans ?
- Monsieur, excusez-moi, je n'ai pas voulu vous agresser !
- De quoi me flinguer dix fois!... Voilà ce que le toubib m'a prescrit ! Du poison sur ordonnance. Plus sûr qu'une balle dans la peau.
- Monsieur, le médecin a prescrit ces médicaments pour votre bien.
- Le médecin veut ma mort. Silence pesant. Les clients, vite regroupés dans le fond de la boutique, étudient les shampoings. Abedoudi, mal fringué, pas net, affiche avec fierté une coiffure de dandy extravaguant : cheveux crépus, mi-longs, ramenés en catogan et maintenus collés au crâne par un large bandana noir.
- Je vous emmerde tous ! Crache-t-il. Il range les médicaments en tremblant dans la pochette en plastique et déguerpit. Dehors, sur la place du petit centre commercial désert, deux potes lui emboîtent le pas. Ils s’asseyent sur le dossier d'un banc.
- Je les encule, Je les encule, Je les encule … Je peux plus supporter personne !
- Laisse tomber, Doudou, file-nous ce que t’as eu ! lui dit Pepito, un petit black très agité qui porte un baggy ridiculement bas et passé de mode. Abedoudi déballe son butin et le partage avec un détachement hautain.
- Un de ces quatre, je vais me tailler ! Dit-il.
- Haha ! L’enfoiré ! Tu dis ça depuis que j'te connais, Doudou! Et ta famille! T'y as pensé, à ta famille ? Se marre Pepito.
- J'en peux plus de leurs prières, de leur mensonges, de leurs interdictions. Je peux plus supporter qu'on me dise quoi et comment faire. Mes frères sont devenus de vrais cons !
- T’as quel âge, toi, au fait ? Lui demande Momo, un grand maigre, pauvrement vêtu d’un jogging en miettes, avec une gueule tranchée et des yeux noirs de grand méchant loup.
- Je suis vieux, mec ! Trop vieux ! Je vais avoir 38 ans ! T'imagines ! 38 ans ! Et j'ai encore rien fichu de ma vie, pas de boulot, pas d'argent...
- Tu faisais pas un stage ? Lui dit Pepito.
- Ouais. DEAMP.
- C'est quoi ?
- Diplôme d'Etat Aide Médico- Psychologique, Monsieur !
- Ha ! Tu vas être psychologue, toi ?
- Non, c'est un juste un diplôme pour torcher le cul des vieux ! Et le diplôme, je l’aurais même pas, trop dur !
- Tu vas nettoyer le cul des vieux ? Abedoudi secoue son portable dont la vitre est en éclats, il le frotte avec sa manche et le rempoche.