4 novembre, année 1 – École d’Ingénierie Supérieure, Halle n° 3. Jour 0
Je descendis de nouveau l’escalier avant d’entamer la traversée de la halle technique. Entre l’odeur de l’huile et le bruit des robots, j’aime cette ambiance si typique des bâtiments industriels. J’arrivais près de la ligne d’assemblage. Le technicien avait bien avancé sa réparation, plusieurs panneaux étaient ouverts. Je passai devant lui tout en me demandant si j’allais revoir l’étudiant brun.
En tout cas, j’avais intérêt à améliorer mon niveau de conversation. Une catastrophe la dernière fois !
Tout à coup, j’entendis derrière moi un bruit étrange, un fort crépitement. Je me retournai et aperçus le technicien à terre, inconscient. Je me dirigeais vers lui quand, dès le second pas, une intense douleur irradia mon bras gauche. Si puissante qu’elle me foudroya sur place. Elle traversa ensuite mon corps à la vitesse d’un éclair, me paralysant complètement. Je ne pouvais ni bouger ni même respirer. Incapable de me retenir, je me sentis tomber. D’un coup, ce fut l’obscurité totale.
Que s’était-il passé ? J’avais tellement froid et mon corps était si raide. Puis, la douleur s’évapora aussi vite qu’arrivée. La froideur du sol s’atténua, tout comme l’alarme stridente qui ressemblait à un murmure maintenant. À ce moment le plus critique de mon existence, j’entendis une voix. Mais, impossible d’en comprendre les paroles, les sons étaient diffus et lointains. Celle-ci s’arrêta et le silence fut absolu, à la fois apaisant et angoissant. Je ne ressentais plus rien. Mes sensations corporelles avaient disparu. Tout s’était passé si vite ! Finalement, ma vie aurait été plus courte que je ne l’imaginais. Ce fut ensuite le calme, le néant.
Au bout d’un moment, une petite lumière blanche apparut. Elle grandissait, se rapprochait, comme dans un tunnel. Plus intense, la lumière m’éblouit soudain. Mes yeux mirent plusieurs secondes à s’habituer à cette clarté inattendue. Peu à peu, une grande étendue jaune se révéla à moi. Je me trouvais au milieu d’une vaste prairie, encerclée par de hautes collines escarpées et arides. Sur l’une d’entre elles, la plus lointaine, se dressait une forêt. Ce lieu semblait coupé du monde, sans habitation ni trace de civilisation en vue. D’une cinquantaine de centimètres, l’herbe dorée bougeait avec le vent. Un arbre imposant était perché sur le flanc de la plus proche colline. Il ressemblait à un chêne et sa couleur, un vert profond, tranchait avec le magnifique ciel bleu. Tout était harmonieux et calme.
Était-ce cela, le paradis ? Probablement… cependant, je ne voulais pas y croire. Le paysage et la température me faisaient penser au sud-ouest, où se trouvait la maison de mes grands-parents. Un ancien souvenir refaisant surface ? Dernier moment de conscience avant la fin ? Bon, de toute façon je ne maîtrisais rien, alors, autant en profiter !
Je me dirigeai vers l’arbre. Le ciel était d’une pureté absolue et une brise chaude soufflait délicatement. Une fois sous les branches, je m’assis contre le tronc. D’ici, j’avais une vue dégagée. Bercée par le bruit des feuilles, je me sentais si bien dans ce lieu. C’était plus agréable que mes derniers instants, froids et angoissants.
Au bout de plusieurs minutes, un lointain bruit de moteur attira mon attention. Dans la réalité, des avions de chasse traversent fréquemment la région. Les militaires s’entraînent souvent dans ces endroits isolés.
Je regardai le ciel et aperçus alors deux points noirs. Ceux-ci grossissaient de seconde en seconde et le son se rapprochait. D’un coup, une explosion se produisit sur le premier objet. Une épaisse fumée blanche s’échappa, se répandant dans son sillage. Je me levai d’un bond, des branches me coupaient la vue. J’observai la course de l’appareil, anxieuse de savoir comment elle se terminerait. Le problème, c’est que je me rendis compte bien trop tard de sa vitesse.
Brusquement, il vira de bord pour foncer droit dans ma direction. Sans réfléchir, je courus le plus vite possible vers le centre de la prairie. Un son de moteur monta dans mon dos. Le sol trembla dans un bruit assourdissant et un épais nuage de poussière m’entoura. Un courant d’air me happa. Mes jambes quittèrent le sol et le paysage tournoya autour de moi. Puis, je redescendis avant de retomber face contre terre. Allongée à plat ventre, je relevai la tête hors du nuage. Derrière moi, j’aperçus l’engin. Il s’était crashé à une centaine de mètres. Ce n’est pas passé loin ! Le souffle du choc avait dû me projeter hors de la zone d’impact. Tout en tapotant mes vêtements, je vérifiai si je n’étais pas blessée. Mon atterrissage s’était fait en douceur... contrairement à celui de l’engin. Le vent chassant la poussière, je le distinguais mieux. Malgré la violence de l’impact, le petit appareil était resté en un seul morceau. Seules les ailes s’étaient brisées. À certains endroits, son fuselage gris brillait sous le soleil. Sa forme me rappelait un drone, comme sur les posters de Jérémy. Mon petit frère adorait les avions, et tout ce qui volait. En tout cas, son envergure semblait bien plus imposante que sur les photos.
— Je suis désolé, je ne vous ai vue qu’au dernier moment, annonça soudain une voix.
Je sursautai, quelqu’un avait parlé ? Est-ce qu’une personne se trouvait dans l’engin ? Si c’était le cas, elle était sûrement blessée. Pourtant, la voix ne semblait pas venir d’aussi loin. Je me relevai en un éclair pour chercher mon interlocuteur. Je n’osais pas m’approcher de l’appareil de peur qu’il n’explose. Néanmoins, après avoir observé les lieux plusieurs fois, je ne voyais toujours personne. Mince alors, j’aurais pourtant juré…
— Regardez plus haut !
Une nouvelle fois, je tressaillis. Plus haut ?
Lentement, je levai les yeux vers le ciel. Ce que j’aperçus me tétanisa : un homme se tenait assis sur une sorte de grande planche noire à rayures rouges. Il flottait dans les airs à plus de cinq mètres du sol. Je fus tellement stupéfaite que je restai pétrifiée. L’homme portait une combinaison noire avec une bande rouge de chaque côté de son corps. Elle était suffisamment moulante pour mettre en valeur la forte musculature de son propriétaire. Un casque noir mat le cachait entièrement. Mais le plus impressionnant, c’était sa planche volante. Triangulaire, fine, elle mesurait dans les deux mètres.
L’homme s’avança ensuite vers moi, dans un silence absolu. Je n’avais jamais rien vu de semblable, sauf dans les films de science-fiction ! Il s’arrêta à trois mètres, toujours en lévitation. Il m’observa longuement, me mettant mal à l’aise. D’une main, il appuya sur le côté droit de sa visière. J’entendis un petit bip suivi d’un second. Mon sang se glaça : qui était-il et que faisait-il ici avec un tel équipement ?
— Bonjour, je suis désolé de vous avoir effrayée, dit-il enfin.
Abasourdie par la situation, je ne savais quoi répondre.
— Bon-bonjour, bafouillai-je.
Quelques minutes avant, je pensais être morte. Maintenant, c’était sûr : je n’étais pas au paradis. Mais alors, où ?
Ma curiosité finit par l’emporter sur mes interrogations :
— Que s’est-il passé ?
— Je poursuivais cet engin.
Sa planche descendit et il sauta à terre. Je me rendis compte qu’il était très grand, mesurant plus d’un mètre quatre-vingt-dix. Sa planche resta en lévitation à une cinquantaine de centimètres du sol. L’homme s’avança ensuite vers moi et sa visière se releva. Ses yeux perçants m’observaient avec attention.
J’étais plantée là sans rien dire, je devais briser ce silence gênant :
— Heu, qu’est-ce que c’était ? demandai-je en désignant l’appareil.
— Un drone.
J’avais vu juste. Au moins, une chose me semblait familière ici.
— Il a failli me percuter, j’ai eu de la chance, continuai-je.
— La chance n’a pas sa place ici. Je vous ai surtout vue au dernier moment !
— Quoi ?
Je mis quelques secondes à comprendre le sens de ses paroles.
— C’est vous qui m’avez poussée ?
— Oui. Ne me remerciez pas, surtout !
— Heu, merci, bafouillai-je déstabilisée par le ton employé.
Plutôt imbu de sa personne, pour qui se prenait-il celui-là ?
— À mon tour de poser des questions. Que faites-vous seule ici ?
Oups, que répondre à cette question ? Je ne savais même pas où j’étais. Et encore moins comment j’y étais arrivée. Bref, rien n’avait de sens !
Cependant, je ne pouvais le lui avouer.
— Heu, je me promenais.
Pitoyable, mon mensonge.
— Vous vous promeniez ? À vingt kilomètres de la ville la plus proche ?
— Vingt kilomètres ?
De plus en plus étrange ! Peut-être que je rêvais tout simplement.
— Par quel moyen êtes-vous venue jusqu’ici ? continua l’homme.
— Excusez-moi, mais vous faites partie de l’Armée, n’est-ce pas ?
Même si rien ne l’indiquait sur sa combinaison, c’était pour moi la seule explication logique. J’avais peut-être pénétré une zone d’essais interdite aux civils. La région possédait un site militaire.
— L’armée ?
— Oui, enfin, je suppose, vu ce drone et votre équipement, vous devez sûrement réaliser des essais de nouvelles technologies ?
— Je suis désolé, mais je ne vois pas de quoi vous parlez.
— Je comprends, vous ne voulez pas que les civils soient informés !
— Tout le monde connaît nos activités. Elles ne sont pas secrètes, bien au contraire. Et nous ne faisons surtout pas partie d’une armée !
Il y avait quelque chose d’étrange dans ses propos. En même temps, tout était bizarre.
— Vous ne faites pas partie de l’Armée ?
— C’est que je viens de vous dire ! répliqua-t-il d’un ton désobligeant.
Voilà qu’il devenait franchement désagréable. Il m’agaçait de plus en plus ce type !
— La Fondation ELPIS est indépendante, continua-t-il.
— La quoi ?
— La Fondation, vous ne nous connaissez pas ?
Il se montrait très étonné par mon ignorance.
— Heu, non.
Un fou ! C’était bien ma veine quand même. Seule au milieu de nulle part, il fallait que je tombe sur un inventeur illuminé !
— ELPIS, vous avez dit ?
— Oui, c’est l’abréviation de Égalité — Liberté — Paix — Impartialité et Savoir. C’est aussi une divinité grecque.
Brusquement, une explosion retentit au niveau du drone, interrompant notre étrange conversation. Par réflexe, je me baissai. Cependant, je ne perçus ni le souffle ni la chaleur, nous étions pourtant trop près pour y échapper. Je relevai lentement la tête et compris pourquoi : l’inconnu était arrivé à mes côtés en une fraction de seconde. Il me protégeait, m’entourant de ses bras musclés. En jetant un coup d’œil au drone, j’aperçus des flammes lécher la carcasse de l’engin.
— Vous n’avez rien ? demanda l’homme en m’aidant à me relever.
— No-non, balbutiai-je, perturbée par cette soudaine proximité.
Au moins, l’explosion me servait d’alibi. Il se détacha ensuite de moi puis retira son casque.
Ses cheveux, châtain doré, étaient légèrement décoiffés sur le devant. J’avais ce sentiment étrange, de le connaître. À son tour, il me fixa avec une certaine curiosité. Il me fallut plusieurs secondes avant de reconnaître l’étudiant démonstratif de l’école, alias le mur. Que faisait-il ici ? Et pourquoi me vouvoyait-il ?
— Je suis Delta 3, annonça-t-il.
— Heu, moi, c’est Laura.
C’était quoi ce pseudo ridicule ? Il ne me reconnaissait pas ? Devais-je lui rappeler ou entrer dans son jeu ?
— Merci de m’avoir protégée. Co-comment avez-vous réussi à venir si vite ? bafouillai-je.
— Vous n’avez jamais entendu parler de nous ?
— Heu non, jamais.
— C’est étrange.
Étrange, le mot qui résumait bien la situation !
— D’où venez-vous ?
Quelle bonne question !
— De la région, mentis-je. Mes grands-parents y habitent.
— Vous avez emprunté ce tunnel ?
— Quel tunnel ?
— Celui-là, précisa Delta 3 en pointant de la tête quelque chose derrière moi.
Je me retournai et distinguai au loin un petit monticule de terre. Je n’avais pas la moindre idée de ce que c’était. Toutefois, ignorant comment j’étais arrivée ici, mieux valait mentir.
— Heu bien sûr, acquiesçai-je en essayant de masquer mon inquiétude. Mais c’est la première fois, où sommes-nous exactement ?
— Dans un parc naturel, au nord de Toulouse.
Cela confirma ma première hypothèse. Cette histoire de Fondation, il avait dû l’inventer pour cacher des essais.
— Je suis désolée d’avoir pénétré sur votre terrain d’entraînement.
— Ce terrain n’appartient pas à la Fondation.
— Et c’est quoi au juste votre fondation ?
Mon interlocuteur poussa un soupir. Devais-je m’en vexer ?
— Nous avons pour mission de protéger la population à travers le monde. Cette organisation a été créée, il y a des dizaines d’années par Le Fondateur. Il sait reconnaître les gens ayant un certain potentiel.
— Un potentiel ?
— Oui. Nous allons attendre l’arrêt des flammes avant de rejoindre le tunnel.
Refusant de m’en dire plus, il se tourna vers le drone en feu. Alors, je l’imitai tout en l’observant discrètement. Ses mâchoires ressortaient à peine, cachées sous une fine barbe. Ses sourcils, plutôt épais, soulignaient la puissance de son regard. Et la lumière du feu faisait apparaître les éclats dorés de ses yeux ambrés. Étrange. Les traits de son visage arrondi étaient à la fois différents et identiques. Toutefois, son charme impertinent n’avait pas changé. Les flammes baissèrent progressivement en intensité, même si je percevais encore la chaleur sur mon visage.
— Je peux vous reconduire. Nous irons plus vite par les airs, me proposa Delta 3.
— Heu, merci, c’est gentil mais je préfère utiliser le tunnel, répliquai-je en fixant la planche avec appréhension.
— Vous êtes sûre ?
— Certaine. Je préfère la terre ferme.
— Elle permet de supprimer la gravité.
Sans blague, je n’avais pas remarqué ! N’empêche, elle était quand même surprenante. Jérémy adorerait la voir.
— Comment ?
— Je ne le sais pas moi-même…
Il ne voulait surtout rien me dire !
— Mais je peux vous montrer, reprit-il.
Le mur sauta dessus puis s’assit à califourchon avant de me tendre une main.
— Venez, montez devant moi.
— Quoi ? Non, ce n’est pas une bonne idée.
Je n’étais vraiment pas partante pour un tour en planche volante.
— Faites-moi confiance, insista-t-il.
Malgré son sourire charmeur, je redoutais ce type d’expérience.
— Allez, vous ne risquez rien, je vous le promets. Nous allons juste survoler la prairie.
Il semblait sincère. Après tout, c’était l’unique fois où je volerais de cette façon. Et comme j’hallucinais sûrement, je me laissai convaincre. Je m’avançai vers lui et donnai ma main. Sa peau était si chaude ! Je m’assis devant lui avec appréhension avant de remarquer deux poignées noires à l’avant de l’appareil. Comme sur les motos, une petite bulle transparente de 30 centimètres de hauteur les protégeait du vent.
— Accrochez-vous fermement aux rebords de la planche.
Je m’exécutai immédiatement, pendant que ses mains se posaient sur ma taille. Une légère accélération survint et nous décollâmes. Tous mes muscles se crispèrent, la peur me gagna. Le sol s’éloignait et je renforçai mon étreinte, nullement rassurée. Nous étions maintenant à une dizaine de mètres de hauteur.
— On y va ? demanda mon étrange interlocuteur.
Je répondis par un signe de tête, tout en me demandant pourquoi j’avais accepté ! Alors, la planche accéléra de nouveau et par réflexe, je fermai les yeux. Ses bras m’enserraient avec force et son torse m’empêchait de partir en arrière. J’entendis le vent siffler autour de mes oreilles et finis par ouvrir les paupières.
Incroyable, je volais ! Les collines s’étendaient à perte de vue dans un ciel parfaitement bleu. J’étais émerveillée par ce panorama. Je me sentais vivante, c’était si fantastique… que ça ne pouvait exister. OK, les sensations semblaient réelles (le vent tiède sur mon visage, l’accélération…) mais quand même ! Une planche volante !
— Alors ? demanda Delta 3.
— C’est incroyable.
— Oui, la plupart des nôtres ne font plus attention. Pourtant, je trouve cela
extraordinaire.
Il avait raison, cette sensation de liberté était enivrante. Plutôt sympa comme hallucination.
Nous continuions à avancer, paisiblement. Et mon regard croisa les deux poignées présentes à l’avant.
— Comment faites-vous, la planche avance seule ?
— Je peux la piloter à distance grâce à ma montre, mais seulement en vitesse
lente.
Hum, vitesse lente, question de point de vue ! Puis, le paysage commença à changer. Les collines devinrent de plus en plus rares, cédant la place à des bocages. Et des champs apparurent. Au loin, une lumière attira mon attention. Quelque chose brillait sous le soleil, mais impossible de distinguer ce que c’était.
Delta 3 fit demi-tour et nous redescendîmes vers la prairie. Les flammes s’étaient éteintes, mais la carcasse de l’appareil fumait encore. Il s’arrêta à l’endroit où nous avions décollé et m’aida à descendre de son extraordinaire planche. Lorsque mes pieds touchèrent le sol, un puissant vertige me saisit. Ma tête tournait et j’avais envie de vomir. J’essayai de faire un pas, mais impossible. C’était comme si j’avais tourné sur moi-même vingt fois ! Delta 3 me retint in extremis par les épaules.
— Désolé, j’avais oublié de vous prévenir, annonça celui-ci. Il faut plusieurs minutes avant de retrouver l’équilibre. L’oreille interne ne sait plus trop où elle en est.
— Merci de m’en informer ! répliquai-je, agacée par mon mal-être.
— Excusez-moi. Avec l’habitude, nous ne faisons plus attention. Venez, mieux vaut vous asseoir quelques instants.
Je fus heureuse qu’il me le propose, mon trouble s’intensifiait et je n’avais pas envie de vomir sur ses bottes. Il m’aida à marcher jusqu’à l’arbre. Une fois assise, mon estomac s’apaisa un peu.
— Vous avez apprécié ? demanda-t-il en prenant place à côté de moi.
À ce moment, son arrogance avait disparu.
— Jusqu’à l’atterrissage !
— Cet effet secondaire disparaît rapidement.
Il avait raison, je commençais déjà à me sentir mieux.
— Alors Laura, que faites-vous dans la vie ?
Je le fixai, étonnée par cette question. D’ailleurs, cela me fit tiquer. Essayait-il de se renseigner ?
— Je suis étudiante, en école d’ingénieur, précisai-je.
— Ah oui ? Et dans quelle ville habitent vos grands-parents ?
Aucune réaction de sa part à l’évocation de l’école et j’hésitai à répondre. Cette histoire était vraiment délirante.
Par chance, une voix s’éleva à ce moment :
— Delta 3, ici Delta 1, où es-tu ?
Le son émanait de son casque.
— Secteur 46, répondit celui-ci en approchant l’objet près de sa bouche.
— Tu as réussi à détruire le drone ?
— Affirmatif, il n’a pas eu le temps d’aller bien loin.
— OK, tant mieux. Tu peux rentrer à la base, j’ai un code 7, ici. Terminé.
— OK. Terminé.
Il se tourna vers moi.
— Bon, je vous raccompagne jusqu’au souterrain ? demanda-t-il en se levant.
— Heu, d’accord.
Mon équilibre s’était rétabli assez vite. Mais par prudence, Delta 3 m’aida à me relever.
— Vous souhaitez reprendre le tunnel ou y aller par la voie des airs ?
— Heu, merci, mais je n’ai pas changé d’avis.
— Comme vous voulez.
Nous avancions en silence vers le souterrain. Cependant, je n’étais pas à l’aise. Et s’il voulait à tout prix m’accompagner ? Je serai bientôt fixée, nous arrivions près de l’entrée.
— Encore merci, déclarai-je.
— De rien.
Il avait une étrange lueur dans les yeux.
— Bon, au revoir alors.
Je pivotai rapidement vers l’entrée du tunnel, espérant que nous en resterions là. Pourtant, dès le premier pas j’eus ma réponse.
— Où mène ce tunnel ? demanda-t-il.
Le ton employé m’apparut suspicieux. Je me retournai lentement, sans savoir quoi lui dire.
— Tout cela est étrange. Qui êtes-vous exactement ? continua-t-il.
Je fus désarçonnée par sa question.
— Heu, Laura, Laura Éléonore James, pourquoi ?
Il plaça son casque près de sa bouche.
— Chercher Laura Éléonore James dans la base.
Deux secondes après, une voix robotisée lui répondit.
« Ce nom est inexistant. Voulez-vous réessayer ? »
Alors, il me fixa droit dans les yeux.
— Bon, je réitère ma question, dit-il d’un ton menaçant.
— Je suis Laura James, je vous le jure !
Je sentais la situation déraper.
— Pourtant, vous n’êtes pas fichée ! Ni votre nom ni votre visage.
— Mon-mon visage ?
— Ne faites pas comme si vous ne saviez pas !
— Écoutez, je ne comprends pas, je suis désolée, paniquai-je.
— Tout le monde est fiché sauf les membres de l’Organisation.
J’avais l’impression d’être en plein cauchemar. Me prenait-il pour une
terroriste ?
— Je ne fais partie d’aucune organisation !
Delta 3 continuait de me fixer avec intensité. Son silence me gênait encore plus que ses questions. Je ne possédais aucun papier d’identité sur moi, rien me permettant de lui prouver ma bonne foi.
— Je vous crois, déclara-t-il finalement.
Je ne pus m’empêcher de lâcher un soupir, soulagée.
— Vous ne correspondez pas au profil de ces criminels.
— Je ne sais même pas de quelle organisation vous parlez.
Il parut surpris de ma réponse.
— Vous devriez rentrer maintenant, ajouta-t-il.
— Heu, oui.
Je me dirigeai à nouveau vers le tunnel, le regard de Delta 3 braqué sur moi. Toutefois, à quelques mètres de l’entrée, je perçus un courant d’air.
— Attendez ! dit-il.
Je me retournai pendant qu’il descendait de sa planche d’un geste souple. Puis, il détacha de sa ceinture un petit objet noir et me le présenta.
— Tenez.
Je m’avançai vers lui, hésitante.
— Qu’est-ce que c’est ? demandai-je avec méfiance.
— Un transpondeur. Appuyez sur le bouton au milieu et je serai informé de votre
retour.
— Merci, répondis-je en prenant l’objet.
Nous nous fixâmes quelques secondes puis il remonta sur sa planche. Je regagnai ensuite l’entrée du tunnel et y pénétrai.
J’avançai lentement, à tâtons, soulagée que chacun de mes pas m’éloigne de cet endroit étrange. Puis, le froid ambiant commença à engourdir mon corps. Était-ce la fin cette fois ? Je continuai d’avancer, essayant de lutter. Je n’avais pas envie de mourir si jeune !
Soudain, une voix résonna à travers le tunnel.
— Allez, réveille-toi ! S’il te plaît !
Me réveiller ? Qui parlait ? Brusquement, une bouffée de chaleur me parcourut, suivie par une lumière intense. Un flou total apparut et mes yeux piquèrent comme jamais. Mais c’était quoi cette lumière ?
Je clignai plusieurs fois des paupières avant de distinguer une forme au-dessus de moi. Une puissante douleur se diffusa dans mon bras gauche.
Lorsque ma vision se rétablit enfin, je reconnus l’étudiant brun penché vers moi.
— Comment te sens-tu ?
Agenouillé à mes côtés, il m’observait avec inquiétude. Que faisait-il là ? Et pourquoi étais-je allongée par terre ?
— Ça va ?
Mon absence de réponse le préoccupait.
— Oui… je crois… bredouillai-je en voulant m’asseoir.
— Attention à ton bras. Ne te relève pas tout de suite.
— Que s’est-il passé ? demandai-je, anxieuse.
— Je ne sais pas. Je t’ai trouvé allongée par terre, inanimée.
Pour la première fois, je regardai autour de moi. Nous nous trouvions dans un vaste bâtiment. Des poutrelles métalliques soutenaient un haut plafond en verre. Sauf que je ne reconnaissais pas cet endroit et je n’avais aucun souvenir de la façon dont j’y étais arrivée. Je me rappelais seulement du tunnel et de la prairie.
Paniquée, mon rythme cardiaque s’affola et je le regardai, effrayée.
— Tout va bien, me rassura-t-il.
Ses prunelles vertes me scrutaient.
— Où sommes-nous ?
— Dans la halle technologique.
— Qu’est-ce que je fais là ?
— Tu avais cours ici. Tu as eu un accident en traversant le bâtiment, m’expliqua-t-il avec calme.
Il essayait de me rassurer, mais c’était peine perdue.
— Tu ne te rappelles pas ?
— Non, seulement du tunnel.
— Du tunnel ?
— Celui de la prairie.
Il me dévisagea, visiblement étonné.
— Il n’y a ni tunnel ni prairie ici.
Progressivement, de nouveaux souvenirs me revenaient… le cours du professeur Namara, la halle, la douleur foudroyante. J’avais dû m’évanouir lors de ma traversée du bâtiment. Que s’était-il passé ? Et pourquoi avais-je eu cette étrange hallucination ?