Illusion, saga Laura James par vivianeL

Campagne commencée le mercredi 25 janvier 2017

Rounds Mots Signes Temps
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Round 1/30 écrit le mercredi 25 janvier 2017

742 mots | 4723 signes | 00:38:24

Vous souvenez-vous de votre dernier rêve ? Vous savez, celui qui vous a laissé cette étrange sensation au réveil. Parfois même, des impressions vous reviennent dans la journée alors que les images se sont envolées. Qu’il soit farfelu, haletant, émouvant, triste ou même coquin, votre rêve vous a semblé réel un court instant. Comment est-ce possible ?

Si notre cerveau demeure encore un mystère, jamais la science n’a autant progressé que ces cent dernières années. Chaque mois, de nouvelles découvertes changent notre vision du monde. Et cela me fascine.

Mon père est un cartésien, ingénieur dans une grande entreprise d’aéronautique. Il m’a transmis très tôt le virus scientifique. Sa devise ? Tout est explicable, et ce qui ne l’est pas aujourd’hui le sera demain.

Étudiante modèle, ma route était toute tracée pour suivre son exemple. Mais cessons de tergiverser maintenant, vous vous doutez que rien ne s’est passé comme prévu. Vous avez raison. Je m’appelle Laura James et je vais vous raconter mon histoire.

3 septembre, année 1 – Prés de Bordeaux, France. J-63

Jouant avec une mèche de cheveux, j’étais allongée sur mon lit, les yeux rivés sur le tome 1 de Twilight. Cécile, ma meilleure amie m’avait tellement parlé de ce livre que j’avais fini par céder. Pourtant, il ne ressemblait pas à mes lectures habituelles. Je préférais les romans policiers. Traquer les indices, élaborer des hypothèses et essayer de deviner le tueur, voilà ce qui me captivait.

Trois jours avant mon départ pour Paris, je tentais de me changer les idées, sans même me douter qu’un compte à rebours venait de s’enclencher pour moi, comme pour deux autres personnes. Vous vous demandez sans doute de quoi il s’agit. Ne soyez pas si impatient, chaque détail compte. Un conseil cependant : ne faites pas la même erreur que moi, les apparences sont parfois trompeuses…

3 septembre, année 1 – Gaborone, Botswana. J-63

Brun, dans les 1m80, il possédait un regard à faire rougir les filles. D’ailleurs, il en avait bien profité lors de son retour en France. Mais depuis un an, c’était le calme plat. Ces relations superficielles, il s’en était lassé. Et puis, il ne pensait qu’à la jeune femme qu’il avait rencontrée à une soirée, il y avait de cela un mois. Avec sa meilleure amie, elle avait fêté ses 20 ans, soit deux ans de moins que lui. Jamais personne ne l’avait autant attiré, surtout sans avoir échangé la moindre parole ! Toutefois, il valait mieux l’oublier. Déjà, il ne savait pas comment la trouver. Ensuite (et surtout), il ne pouvait s’attacher, à personne. Jamais.

Il observa quelques instants le paysage aride, tout en buvant une gorgée d’eau. Il se sentait si bien ici. La vue sur la petite ville lui manquait le reste de l’année.

Il noua ses cheveux longs en un catogan avant d’essuyer la sueur présente sur son front. Avec concentration, il commença les réparations d’une moto appartenant à l’un de ses amis botswanais, tout en jetant des coups d’œil réguliers sur le programme informatique qui chargeait. Il l’avait créé en moins d’une semaine à la demande de son parrain. C’est un homme extrêmement brillant, mais il n’a jamais rien compris aux ordinateurs. Alors que pour lui, c’était aussi simple que d’allumer une lampe ou de réparer cette moto.

3 septembre, année 1 – Le Mans, France. J-63

Un bruit de moteur se rapprochait. Bientôt, ça sera à son tour. Depuis son enfance, il venait ici chaque année pour assister à la célèbre course des 24 heures du Mans. Ce circuit était mythique. Et pour une fois, pas question de faire des tours de piste en Porsche ou en Ferrari. Non, il allait participer aux premiers essais de la voiture ! Son père manquait peut-être de temps pour le voir, mais pas de relations. Non sans mal, il avait dû faire ses preuves comme n’importe qui, prouvant à ses coéquipiers qu’il était un excellent pilote, agressif tout en étant précis et vif. Et sûrement un des plus jeunes à tenter l’aventure. Mais il restait beaucoup d’optimisations à mener avant les qualifications.

Il lissa d’une main ses cheveux châtain clair (pour une fois, il avait renoncé au gel) puis enfila son casque. Malgré son 1m90, il se faufila par la fenêtre avant. La piste s’étalait devant lui. Du coin de l’œil, il aperçut sa dernière conquête dans les gradins : une grande brune à la silhouette de mannequin.

Après un dernier test de son oreillette, il était prêt. Le feu changea de couleur et la voiture rouge démarra en trombe dans un bruit assourdissant.

Round 2/30 écrit le jeudi 26 janvier 2017

2958 mots | 20272 signes | 00:38:24

7 septembre, année 1 – Appartement de tante Emma, Paris. J-59

Des sons de klaxons me tirèrent de mon sommeil. Je n’étais pas encore habituée aux bruits de la capitale ! En ouvrant les yeux, j’aperçus les rayons du soleil à travers les rideaux de la chambre d’amis.

Mon cœur s’accéléra à l’idée de mon premier jour et l’adrénaline chassa ma torpeur. Au même moment, l’alarme de mon téléphone se déclencha. Je l’avais programmé plus tôt que nécessaire. Ma principale crainte : un retard du métro. Je devais me rendre dans la plus prestigieuse école d’ingénieurs française. D’illustres scientifiques y avaient fait leurs classes et sa réputation était internationale. Trois années intensives sans droit à l’erreur, et sans Cécile ni Doug, mes meilleurs amis. Tout serait différent sans eux.

Je me levai puis m’habillai avec les affaires préparées la veille. En mettant de l’ordre dans ma longue chevelure auburn, le stress ressurgit, même si l’excitation s’en mêlait. Ma tante Emma servait le petit déjeuner lorsque je sortis de la chambre. Ses beaux cheveux blonds entouraient son visage d’un ovale parfait. Déjà prête, son élégance naturelle me rendait admirative. Elle travaillait dans une grande agence de communication, un poste à responsabilité, à la tête d’une dizaine de personnes. Comme mon père, elle avait quitté les États-Unis il y a quelques années après sa rencontre avec Yves, son conjoint.

Une fois prête, je me dirigeai vers la station de métro. La chaleur y était étouffante. Bon, premier métro supprimé, ça commençait bien ! En attendant le prochain, j’en profitai pour observer les affiches des spectacles prévus dans la Capitale. L’ambiance si particulière de Paris, c’était assez excitant. Le métro arriva enfin, accompagné d’une odeur de soufre. Je m’engouffrai dans la rame et réussis à trouver une petite place, serrée entre une femme tombée dans sa bouteille de parfum, un groupe de collégiens bruyants et un homme qui ignorait le déodorant ! Quatre stations me séparaient de l’école, j’étais chanceuse. En plus, cette partie de la ligne était aérienne et j’aperçus un petit bout de Paris, par-dessus une épaule. Le métro s’enfonça ensuite dans un tunnel avant de s’arrêter. Après un dédale de couloirs et d’escaliers, je débouchai enfin à l’extérieur. Un énorme rond-point avec des jets d’eau à ma gauche : la place d’Italie. Au bout de cinq cents mètres, j’aperçus l’angle d’un édifice beige surmonté de tuiles rouges. Puis l’imposante façade se dessina. Composée de quatre tours carrées reliées entre elles par des bâtiments d’une hauteur d’un étage, l’école ressemblait un peu à un ancien château fort, version Second Empire. La dernière, et unique fois où j’avais mis les pieds ici, ça avait été pour passer le concours de sélection en juin. Le plus gros stress de ma vie. Entre les deux tours du milieu, l’édifice comportait un étage supplémentaire. L’entrée principale s’y trouvait et l’on pouvait voir au-dessus d’elle un arc abritant deux statues : un homme et une femme face à face se tenant par la main.

Cette première matinée se déroulait dans l’amphithéâtre principal, situé non loin de l’entrée des étudiants. Mais avant, rendez-vous au secrétariat afin de déposer certains documents administratifs. En arrivant dans le vaste hall, un panneau m’indiqua la direction à suivre. L’école était immense, il était facile de s’y perdre au début.

Je parcourus trois larges couloirs, dont l’un comportait une fresque avec les armoiries de l’école, avant de trouver le bureau. Une femme d’une cinquante d’années se tenait assise derrière un comptoir. Son visage était incroyablement fermé. Comme les gens dans le métro, ça change ! Une petite blonde curieusement vêtue patientait au bout de la file d’attente. Elle portait un pantalon blanc assez ample. Par-dessus, une tunique aux couleurs vives de style africain descendait jusqu’à ses genoux. Ses cheveux bouclés étaient retenus par un large bandeau rouge. Devant elle, six étudiants attendaient leur tour. Un silence de mort régnait dans la pièce et je me plaçai discrètement en bout de file. Après quelques minutes, la petite blonde se retourna. Miracle, enfin une personne souriante !

— Salut !

— Heu, bonjour, répondis-je, surprise qu’elle ose briser le calme ambiant.

— Ça fait plaisir de voir des filles ici ! s’exclama-t-elle un peu trop fort, car la secrétaire releva la tête et nous fixa avec sévérité. Mieux valait ne pas troubler la quiétude des lieux…

— Raison de plus pour faire connaissance. Moi, c’est Chloé, chuchota-t-elle dès que la femme reprit ses activités.

— Laura.

— Tu es de la région ?

— Non… je viens de Bordeaux.

— Oh, super sympa comme coin. Tu peux profiter de l’océan. Moi, j’habite à trente kilomètres d’ici, alors le dépaysement, on oublie ! Tu as trouvé un logement sur Paris ?

Chloé semblait assez curieuse et plutôt bavarde, tout mon contraire. Mais j’étais contente de faire sa connaissance. J’avais l’impression de me sentir moins seule pour ce premier jour.

— En fait, ma tante habite sur Paris, elle va m’héberger la première année.

— C’est cool, tu feras des économies. Et sinon, tu as...

— Suivante !

Chloé fut interrompue par la secrétaire. Et vu le ton employé, mieux valait ne pas la faire attendre. Chloé me fit un petit signe puis prit place au comptoir. Une fois passée, elle revint vers moi.

— On se retrouve tout à l’heure.

À mon tour, je présentai mes papiers à l’aimable secrétaire. En deux minutes, c’était plié et j’entendis un « Suivant ! » dans mon dos.

Je me rendis à l’amphithéâtre et franchis les portes battantes. Un vaste espace lumineux m’apparut. Le grand plafond blanc nuançait avec les boiseries beiges des gradins. En forme d’hémicycle, l’amphi comptait des centaines de sièges découpés en trois parties. La plus haute se trouvait derrière moi, tandis que la seconde commençait à mon niveau. La dernière était composée de trois petits groupes de sièges, placés juste devant l’estrade. Sur celle-ci étaient disposées une longue table et quatre chaises. À droite, un pupitre était équipé de deux microphones.

Une quarantaine d’élèves s’y trouvaient déjà. Je descendis les marches avant de choisir une place vers le centre. Après avoir ouvert le siège rabattable, je regardai ma montre. Comme à mon habitude, j’étais en avance d’une bonne demi-heure. En attendant, je sortis mes affaires puis jetai un coup d’œil sur le plan de l’école. L’amphithéâtre se remplissait de manière exponentielle. Les bruits d’ouverture et de fermeture des sièges s’intensifiaient.

Quinze minutes après, Chloé entra à son tour. Son regard croisa ma direction et elle se dirigea vers moi.

— J’ai hâte de connaître notre professeur de section, déclara-t-elle en s’asseyant à ma gauche. J’ai commencé à me renseigner et il paraît que le professeur Latoure est le plus redouté.

— Ah bon ?

— C’est une vraie peau de vache. Il est directeur adjoint et sa spécialité consiste à mener la vie dure aux étudiants.

— On verra bien, éludai-je.

Je me méfiais des jugements de ce type. Après tout, l’École était réputée pour sa rigueur et son exigence. J’avais choisi la difficulté, donc cela ne me faisait pas peur.

— C’est moi ou tu as un petit accent anglais ?

— Heu, américain. Je suis revenue en France il y a cinq ans.

— Cool ! Chloé balaya ensuite l’amphi des yeux.

— Peu de filles, il fallait s’y attendre, remarqua-t-elle. Effectivement, moins d’une dizaine d’étudiantes se trouvaient parmi la centaine de personnes présentes.

— Alors, tu as visité Paris ? Je connais des bars sympas à Saint Michel, on ira.

— Heu, oui, répondis-je poliment. Mais je ne suis pas trop…

Je fus interrompue par l’arrivée de cinq professeurs. Ils se dirigèrent vers l’estrade avant de prendre place sur les chaises. Le premier professeur était d’origine indienne. Ses cheveux bruns entouraient sa peau cuivrée. Âgé d’une trentaine d’années, c’était le plus jeune. Un homme discutait avec lui et le contraste était saisissant. Bien plus vieux, sa peau blanche était marquée par des rides profondes, lui conférant un air sympathique. Il avait une barbe grise correctement taillée. Le troisième professeur semblait écouter la discussion des deux premiers. Cet homme, corpulent et d’une quarantaine d’années, portait des petites lunettes bleues et rondes. Quant au quatrième, il avait des cheveux en bataille et une large écharpe qui lui montait jusqu’aux narines. Il était enrhumé. Mais de tous, le dernier m’intriguait le plus. Ses fines lèvres étaient pincées et son regard reflétait la dureté. Contrairement aux autres, il ne s’était pas assis et observait les étudiants, mâchoire serrée. Ses cheveux de jais, coupés en brosse, lui donnaient un air militaire. Et sa longue silhouette renforçait cette impression.

Chloé se rapprocha de mon oreille.

— Il n’a pas l’air commode, n’est-ce pas ? chuchota-t-elle. Je hochai la tête en guise de réponse.

À cet instant, celui-ci s’avança vers le pupitre avant de prendre la parole.

— Bonjour ! dit-il avec une voix puissante. Le petit murmure s’arrêta net. L’autorité naturelle de cet homme venait d’être démontrée. Je regardais Chloé, une petite moue se dessinait sur ses lèvres.

— Je m’appelle Fabrice Latoure, directeur adjoint et responsable de section. J’exige le silence durant cette matinée passée ensemble, comme à chacun de mes cours d’ailleurs ! Ce matin, nous vous expliquerons le fonctionnement de l’école et quelques petits détails élémentaires. Nous n’oublierons pas non plus de vous rappeler ce que nous sommes en droit d’exiger de votre part. Vous passerez ensuite l’après-midi avec votre responsable de section. Celui-ci sera votre principal interlocuteur durant vos prochaines années. Vous trouverez votre affectation sur les panneaux d’affichage dans le couloir. Je vais maintenant laisser la parole à Monsieur Loiseau, le Directeur de cette école. Je vous prie de l’accueillir comme il se doit.

Les étudiants applaudirent pendant que le Directeur s’avança vers le pupitre. Il venait tout juste d’arriver. C’était un petit homme bedonnant, habillé d’un costume trois-pièces gris et de lunettes noires. Il ajusta le micro.

— Bonjour à tous et bienvenue à L’École d’Ingénierie Supérieure, dit-il d’une voix chaleureuse. Je suis heureux de vous accueillir dans cet amphithéâtre qui a vu défiler plus d’une centaine de promotions. Je vous félicite d’avoir réussi le concours d’entrée. L’école est classée parmi les dix meilleures institutions dans le monde. Cela implique une exigence extrême sur vos résultats. Vous avez réussi à entrer, mais ne relâchez pas vos efforts pour autant, la première année est déterminante. Nous comptons sur vous pour fournir le meilleur et continuer sur les traces de vos prédécesseurs. En attendant, je vous laisse avec mes collègues. Durant ces trois années, ils sauront vous transmettre toutes les compétences nécessaires pour faire de vous de brillants ingénieurs. Bonne réussite à toutes et à tous !

De nouveaux applaudissements résonnèrent dans l’amphithéâtre. Puis, le professeur Latoure reprit la parole et introduisit les quatre autres professeurs. Tous responsables d’une section et spécialistes d’un domaine technique.

Vers 11 h 30, nous clôturâmes cette première matinée en consultant les panneaux d’affichage. Chloé et moi étions dans la même section, celle du professeur Latoure. Pour notre plus grand bonheur !

Dix minutes plus tard, nous étions à la cafétéria. Localisée au sous-sol, c’était une grande salle rectangulaire moderne où se trouvaient des tables rondes un peu partout. Les murs, recouverts d’affiches diverses, donnaient à cet espace une ambiance conviviale. Un homme blond d’une quarantaine d’années s’activait derrière un comptoir d’où s’échappait une odeur de friture. Après avoir payé son plateau, Chloé se dirigea vers une des tables centrales.

Une fois assise, elle me dévisagea un instant avant de s’exclamer soudain :

— Ça y est, je sais à qui tu me fais penser ! À la petite rouquine dans les films d’Harry Potter. Elle jouait qui déjà ?

Ginny Weasley. Je ne comptais plus le nombre de fois où l’on me l’avait dit. Nous avions un peu le même genre de visage (mâchoire carrée, yeux en amandes) et de gabarit (taille moyenne et corpulence plutôt fine). Et puis, mes longs cheveux coupés au carré n’arrangeaient rien puisqu’ils renforçaient cette ressemblance. Un jour, il faudra vraiment que j’envisage une autre coiffure !

— Alors, si je me souviens bien, tu es hébergée par ta tante ? continua-t-elle en mâchant une frite.

— Oui, dans le quatorzième.

— Tu comptes rester chez elle l’année entière ?

— Ma tante me l’a proposé, mais je suis un peu gênée de m’imposer.

— Je comprends. Moi, j’en ai marre de vivre chez mes parents. Mais les apparts ici, pff. Et sinon, tu as laissé ton copain sur Bordeaux ?

— Heu, non. (Cette question si directe me surprit.) Personne pour le moment, je préfère me concentrer sur mes études, ajoutai-je.

Et aussi parce que ma précédente histoire avait été compliquée. Mais ça, je préférais le garder pour moi. Chloé me sourit, avec un rictus signifiant : Super, je suis tombée sur une intello coincée !

Gênée, je détournai mon regard vers la pièce et remarquai un étudiant debout, près d’une table. Il mimait une scène à son auditoire : quatre garçons assis autour de lui. Châtain clair, plutôt mignon, il portait un t-shirt noir faisant ressortir sa musculature et son bronzage. Mais surtout, on pouvait facilement deviner qu’il aimait se mettre en avant. Son public riait aux éclats pendant qu’il faisait de grands gestes. Un vrai comédien. Bref, il possédait le profil du garçon populaire des lycées américains. Je n’aurais jamais imaginé un type de ce genre dans cette école ! Après le déjeuner, il nous restait cinquante minutes avant de retrouver le professeur Latoure.

— Cela ne te dérange pas si je vais à la bibliothèque ? demandai-je à Chloé en sortant.

— Non, je vais faire un tour au centre commercial.

— OK, à tout à l’heure alors.

Je pris la direction de l’aile Est. Cette partie du bâtiment était ancienne, elle datait de la création de l’école et avait subi peu de modifications. La bibliothèque comptait des milliers d’ouvrages dans tous les domaines techniques.

Une fois devant, j’ouvris une des deux grandes portes en bois. Celle-ci se rebella en grinçant et se bloqua au milieu de sa course. Quand je réussis enfin à passer, une bibliothécaire m’observa d’un air amusé. La honte : quelle arrivée discrète ! Tout en marchant sur le marbre, je levai les yeux : les talons d’une femme résonnaient sur le parquet de la mezzanine. Celle-ci s’étalait du centre de la pièce jusqu’au fond. J’y aperçus plusieurs étagères en bois massif et un escalier noir en colimaçon. Avançant, je passai devant un long comptoir à ma droite (derrière lequel une bibliothécaire inspectait des livres). À l’opposé, des fauteuils verts se trouvaient près de trois grandes fenêtres qui donnaient sur un petit jardin à la française. Je zigzaguai entre des tables rectangulaires jusqu’à parvenir sous la mezzanine. Une trentaine de rayons se dressaient en occupant tout l’espace.

Après avoir fait le tour des différents domaines, et feuilleté trois ou quatre livres, j’entendis deux petits bip provenant de la porte d’entrée. Me retournant, je compris qu’il s’agissait de l’imposante pendule présente au-dessus. Mince, il restait moins de dix minutes avant la reprise des cours.

Je me battus de nouveau avec la porte puis m’engouffrai en vitesse dans le corridor, plan de l’école en main. Je devais me dépêcher, la salle se trouvait à l’opposé. Dans ma précipitation, je percutai une personne au détour d’un couloir. Mon plan vola dans les airs et une épaule s’écrasa contre ma joue droite. Aïe !

— Houlà, attention ! s’exclama le mur devant moi.

Je reconnus l’étudiant démonstratif de la cafétéria. Il était plus grand que je ne le pensais, me dépassant d’au moins une tête.

— Ça va ? s’inquiéta-t-il.

Il me fixait d’un regard vif et flamboyant. Certes, il possédait un charme évident et il le savait. Je m’aperçus qu’il me tenait dans ses bras, une main à peu trop au sud pour moi ! Je me dégageai aussitôt.

— Oui, rétorquai-je en me frottant la joue.

— Il faut regarder où tu marches, répliqua-t-il en souriant. Je ne suis pas sûr de vouloir t’éviter la prochaine fois.

Une prochaine fois ? Il pouvait toujours rêver ! Son attitude de charmeur m’agaçait. Il se pencha vers mon plan, tombé à côté. Ne voulant rien lui devoir, je me précipitai et réussis à ramasser la feuille juste avant lui.

— Quelle fougue ! Eh bien, à bientôt, j’espère.

Il me toisa, un sourire de séducteur aux lèvres. — C’est ça, bonne journée, lâchai-je, agacée. Puis, je le contournai et me remis à avancer. Je sentis son regard sur ma nuque… Enfin, j’espérai qu’il fixait bien cette partie de mon anatomie ! Ce garçon m’agaçait, imbu et bien trop sûr de lui ! Je regardai l’heure à mon poignet. Il me restait seulement cinq minutes avant le début du cours. Je pressai alors le pas, angoissée à l’idée d’arriver en retard. Heureusement, je trouvai la salle de suite. En entrant, je repérai Chloé en grande discussion avec un élève aux cheveux crépus assis juste derrière elle. — Laura, je te présente Charlie. — Content de te rencontrer, me salua celui-ci avec un sourire.

Charlie possédait une jolie peau chocolat et une voix grave, agréable à entendre. De couleur noisette, ses yeux reflétaient la vivacité.

— Nous étions dans le même collège, m’expliqua Chloé. C’est drôle de se retrouver ici.

À cet instant, plusieurs élèves entrèrent avec précipitation dans la salle. Et je compris pourquoi lorsque le professeur Latoure apparut. Un étudiant châtain clair aux cheveux hirsutes s’assit à la hâte à côté de Charlie.

Le professeur nous informa de son indisponibilité. Puis, il introduisit le professeur Laurent Namara, spécialisé en robotique. C’était le plus jeune des professeurs ayant participé à la présentation du matin. Il nous fit passer un tas de paperasses à remplir et Charlie nous questionna sur les cours optionnels choisis.

Lorsque je lui répondis, l’étudiant assis près de lui s’exclama :

— Waouh, trois ? T’es courageuse !

Il portait un t-shirt bleu, sur lequel une planche de surf était dessinée. Ses cheveux, d’une longueur de cinq centimètres environ, étaient ébouriffés avec du gel. Le look typique d’un surfeur, ça me rappelait Lacanau, une station balnéaire à 50 kilomètres de Bordeaux.

— Moi, c’est William, continua-t-il.

— Salut, William, répondit Chloé en souriant.

L’après-midi passa rapidement et cette première journée prit fin à 16 heures. Ces études seraient un vrai challenge, mais j’étais plus motivée que jamais.

Et voilà, mon destin était en marche, et les jours, comptés. Je venais de percuter une des personnes qui allaient me suivre dans cette histoire incroyable. Et je n’allais pas tarder à rencontrer celle qui en fut la source.

Round 3/30 écrit le dimanche 29 janvier 2017

2569 mots | 17604 signes | 00:38:24

6 octobre, année 1 – École d’Ingénierie Supérieure. J-29

Il faisait froid ce midi-là, nous étions déjà en octobre. Je n’avais pas vu le temps défiler depuis mon arrivée sur Paris. Nous avions commencé par les enseignements les plus importants pour ce semestre. Le professeur Latoure restait fidèle à sa réputation, ses cours étant parmi les plus difficiles. Les études et travaux pleuvaient, nous plongeant directement dans le bain. Durant ce premier mois, j’avais passé mon temps avec Chloé, Charlie et William. Je les connaissais mieux maintenant. Charlie avait toujours vécu à Paris. Sa vivacité d’esprit m’impressionnait et j’appréciais son tempérament calme. William, lui, aimait sortir et rencontrer des gens. Il logeait à la résidence universitaire où les occasions de s’amuser étaient nombreuses. Il avait fait connaissance avec des étudiants de deuxième et troisième année. Grâce à lui, certains devoirs surveillés n’avaient plus de secrets pour nous. Le plus étonnant, c’était qu’il s’en sortait toujours aux examens sans franchement réviser. Mais celle avec qui je m’entendais le mieux, c’était Chloé. Quelque part, elle me rappelait Cécile, ma meilleure amie. Un peu fêtarde, avec un grand cœur et sérieuse lorsque nécessaire. La pauvre avait déjà subi des réflexions vexantes de la part du professeur Latoure. D’ailleurs, il ne passait pas un jour sans que nous parlions de lui. Et toujours le même débat au sein de notre petit groupe : pour ou contre les méthodes du professeur ?

— Je n’aime pas la manière, mais je trouve ses cours intéressants et bien construits, déclara Charlie. Il veut simplement que ses élèves soient les meilleurs.

— C’est pas en nous donnant un examen sans prévenir que je vais améliorer mes résultats ! se plaignit William.

J’adorais son joli accent du sud. Pendant qu’ils discutaient, mon regard balaya la cafétéria. J’aperçus en face de nous une table avec trois étudiants. Parmi eux, un élève blond platine capta mon attention. Il possédait de longs cheveux lisses, si clairs qu’ils en étaient presque blancs. Retenus en demi-queue de cheval, ils contrastaient avec l’élastique noir qui les maintenait. Quand il ne souriait pas, son visage de porcelaine ressemblait à celui d’une statue. Il se pencha vers son plateau et un pendentif argenté se détacha de son buste. Je plissais les yeux, mais il était trop loin et trop petit pour reconnaître la forme. Se sentant observé, l’étudiant se tourna vers moi. Dans un réflexe, je baissai le regard vers mon assiette.

— Allô ? Laura ?

— Désolée, j’étais dans mes pensées. Tu disais ?

— Tu fais quoi ce week-end ? répéta Charlie.

— Je vais voir mes parents. Je n’aime pas trop m’imposer chez ma tante. Chloé en profita pour se retourner.

— Hum, c’est sûr, il est magnifique. J’apprécie beaucoup tes pensées, plaisanta-t-elle en apercevant l’étudiant blond.

— Non, ce n’est pas ce que tu crois. En fait, c’est son pendentif qui m’intrigue, me justifiai-je, gênée.

— Moi, je le préfère à son pendentif ! s’esclaffa avec espièglerie Chloé.

— Ce sont des membres de la fraternité étudiante, m’expliqua Charlie. Ils sont en troisième cycle et préparent un doctorat.

— Une fraternité ? Comme aux États-Unis ? J’en ai jamais entendu parler ! rétorqua William.

— Moi non plus, ajoutai-je, étonnée.

— L’école communique peu, car celle-ci n’est pas officielle. Je sais juste que les anciens diplômés choisissent les nouveaux en fonction de leurs résultats. Mon cousin avait rencontré un des membres lors d’une soirée, et depuis il n’arrête pas de me chambrer avec ça !

Je le regardai à nouveau. L’étudiant se leva puis me sourit juste avant de sortir. Je piquai un fard, il m’avait grillée ! Une fois terminé, notre groupe se dispersa. C’était l’heure de mon premier cours sur les Sciences du vivant et des biotechnologies, une de mes options.

Je me dirigeai vers un petit amphithéâtre, situé de l’autre côté du bâtiment principal. Après avoir passé les lourdes portes battantes, je ne reconnus personne. Pas étonnant, cette option n’était pas censée être choisie par les élèves de première année. J’en profitai pour compter le nombre d’étudiants présents. À peine une quinzaine… dont le mur m’ayant heurté le premier jour. Il était seul, au dernier rang, et fixait son smartphone.

À cet instant, il releva la tête. Nos regards se croisèrent et j’eus le droit à un grand sourire. Il semblait toujours croire en son charme ! Je me retournai, sans y répondre.

Puis, le professeur entra. Il portait un pardessus marron et un chapeau style années quarante. Avec sa barbe grise, il ressemblait à un personnage d’un de ces vieux films américains. Il posa sa sacoche sur le bureau puis enleva son écharpe. Juste derrière lui, un dernier élève pénétra dans l’amphi. Brun foncé et cheveux mi-longs retenus en catogan, sa silhouette me parut familière. Celui-ci s’assit au premier rang et me tourna le dos. Le professeur compta les étudiants en retirant son manteau qu’il posa ensuite sur la chaise. Il prit enfin la parole.

— Bonjour à tous. Je suis ravi de vous accueillir pour ce premier cours de science du vivant et des biotechnologies.

Sa voix douce était agréable. En plus, il semblait abordable, tout l’inverse du professeur Latoure.

— Avant d’entrer dans le vif du sujet, je vais d’abord me présenter. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m’appelle Henri Matthieu et je suis responsable du laboratoire de Biomécanique. Nous ne serons pas nombreux cette année, cette spécialité ne semble pas très à la mode. Je tiens d’ailleurs à souligner que ce cours est habituellement réservé aux étudiants de deuxième année. Cependant, vu le faible effectif, nous avons fait une exception, annonça-t-il en me fixant.

Mince, comment savait-il ? Je ne pus m’empêcher de piquer un fard, tout en esquissant un sourire timide.

— Bien, commençons !

Le professeur se montra très pédagogue, passionné par son métier. Plusieurs fois, j’observais l’étudiant brun du premier rang sans réussir à voir son visage. À la fin des deux heures, le professeur sortit un livre de sa mallette.

— Je tiens à vous présenter un livre traitant du sujet. C’est une vieille édition, il doit rester deux exemplaires à la bibliothèque. Il pourra vous servir si vous souhaitez vous spécialiser dans le domaine. Je vous le fais passer.

Lorsqu’il arriva à ma hauteur, je le feuilletai avec soin. Il semblait intéressant, je l’emprunterai. En me levant, j’aperçus l’étudiant brun sortir de la salle. Dommage, j’aurais aimé voir son visage même si je devais confondre avec quelqu’un d’autre. Je rassemblai le reste de mes affaires puis sortis à mon tour.

10 octobre, année 1 – 6e arrondissement, Paris. J-25

Le samedi suivant, je pris le métro en direction du Quartier latin. J’avais découvert cet arrondissement quelques semaines plus tôt quand Charlie nous avait emmenés dans un bar pour assister à un mini-concert. J’étais décidée à trouver le livre présenté par le professeur Matthieu. Le troisième cours avait lieu bientôt et j’avais sous-estimé le niveau attendu, certaines bases me manquaient. Le dernier exemplaire de la bibliothèque avait été détérioré l’année dernière. Toutefois, Google m’avait donné l’adresse d’une librairie spécialisée dans les éditions anciennes. La boutique se trouvait dans une petite rue non loin de la place Saint Michel. Je m’arrêtai face à une devanture bleue et dorée. Après avoir observé la vitrine, je me décidai à entrer. Un homme d’une cinquantaine d’années, assez bedonnant, triait des livres derrière une table.

— Bonjour, mademoiselle, puis-je vous être utile ? demanda-t-il.

— Oui, bonjour. On m’a conseillé votre adresse, je suis à la recherche de ce livre, expliquai-je en lui donnant un post-it.

— C’est une édition assez rare, il ne doit m’en rester qu’un. Vous le trouverez dans la rangée E1 au fond à droite. Je vous laisse le feuilleter, je reste à votre disposition si vous avez besoin.

— Merci.

J’avançai vers le fond de la boutique que j’avais quelque peu sous-estimée. L’échoppe, très profonde, accueillait un grand nombre d’ouvrages. Plusieurs rangées d’étagères, pleines à craquer, s’élevaient un peu partout. Certaines atteignaient même le plafond. Les allées étaient étroites et deux personnes pouvaient difficilement se croiser. Je m’engouffrai à travers les rayonnages, à la recherche de la rangée E1. Une fois localisée, je parcourus les étagères, les unes après les autres.

Appuyé contre la dernière, un homme en blouson de cuir feuilletait un livre. Ce dos, cette chevelure… il me rappelait l’étudiant brun. Se sentant observé, il se retourna. Alors, pour la première fois, je vis son visage. Sans m’y attendre, son charme me frappa comme un électrochoc. La première chose qui me fascina fut son regard pénétrant. Ses magnifiques yeux verts me fixaient, interrogateurs. De suite, je me sentis rougir et mon pouls s’emballa comme un fou. Je n’arrivais plus à détourner mon regard de son visage. Il ne possédait pas des traits parfaits, pourtant, jamais de ma vie, je n’avais ressenti une telle attirance. Était-ce ça le coup de foudre ? Et merde !

— Salut. Tu cherches le livre dont parlait le professeur Matthieu ? demanda-t-il. Je mis plusieurs secondes avant de réaliser qu’il s’adressait à moi. Si je ne voulais pas avoir l’air d’une idiote, je devais vite reprendre mes esprits.

— Oui… c’est ça, bredouillai-je.

— Je pensais être le seul à m’y intéresser, annonça-t-il.

Son sourire fit ressortir une petite fossette, cachée sous une barbe de quelques jours. Il portait un col roulé noir qui mettait en valeur sa longue silhouette. Je réalisai alors qu’il m’avait complètement hypnotisée. Ressaisis-toi, ma fille !

— Heu, apparemment non, dis-je bêtement.

— Il n’y a qu’un exemplaire.

— Il paraît…

Mes réponses étaient vraiment nulles. Quelle gourde !

— Tu le veux ? ajouta-t-il.

— Merci… mais tu étais là le premier.

— Ne t’en fais pas, j’arriverai bien à en avoir un.

Il tendit un bras vers une des étagères et en ressortit le livre.

— Tiens, dit-il.

Après l’avoir pris, je relevai timidement la tête vers lui.

— Merci, c’est gentil, ajoutai-je mal à l’aise.

— De rien.

Il passa près de moi, me frôlant dans la minuscule allée. Je sentis alors son parfum, subtil mélange de jasmin et d’épices sucrées.

— Au fait, joli accent.

Il me gratifia d’un magnifique sourire avant de disparaître entre les étagères.

— Heu, merci, répliquai-je trop tard.

Le cerveau encore embrumé, il me fallut de longues secondes pour me remettre de cette rencontre. Pourtant, ça ne me correspondait pas. Je n’avais jamais adhéré au concept des contes de fées ni des romans à l’eau de rose ! Après avoir payé le livre, je le rangeai dans mon sac puis sortis rapidement de la boutique. L’étudiant était déjà parti. Je m’aperçus à ce moment que je ne connaissais pas son prénom. Je secouais la tête, contrariée par mon comportement de collégienne !

14 octobre, année 1 – École d’Ingénierie Supérieure. J-21

La semaine suivante, Will eut une idée brillante. Chloé venait de se plaindre (encore) car elle ne supportait plus ses deux heures quotidiennes de RER. Quant à moi, Doug, mon meilleur ami, voulait me rendre visite le week-end prochain. Seulement, je ne souhaitais pas infliger sa présence à ma tante. Alors, une colocation s’était imposée comme la solution idéale, et ça, c’est Will qui nous l’avait fait remarquer.

Les jours défilèrent et je n’avais pas eu l’occasion de reparler à l’étudiant brun. Parfois, il me souriait en arrivant dans l’amphi pour le cours du professeur Matthieu. Mais, rien d’autre. C’était mieux ainsi, cette année était trop décisive pour me laisser distraire.

Avec Chloé, nous avions enfin trouvé un appartement. Par chance, Tante Emma et Yves en avaient acheté un dans leur immeuble voilà plusieurs années. Et celui-ci se libérait. Ma tante avait accepté de nous le louer contre un loyer modeste. De style Haussmannien, il disposait de deux petites chambres avec une fenêtre chacune, une aubaine. Mais le vrai luxe était caché dans la salle de bain : une baignoire. Ainsi, nous avions emménagé fin octobre avec l’aide de Charlie et William. Toutes mes économies allaient y passer, mais au moins, j’avais enfin mon indépendance.

4 novembre, année 1 – École d’Ingénierie Supérieure. Jour 0

Nous commencions ce mercredi par une session de travaux pratiques qui se déroulait dans une des halles technologiques. Collés les uns aux autres, ces bâtiments rassemblaient les différents équipements et laboratoires de chaque spécialité. Ils se situaient à l’arrière de l’école et un parking interne les séparait du reste.

En arrivant, Chloé et moi, nous rencontrâmes Charlie et William qui fumaient leurs cigarettes près de l’entrée.

— Vous devriez arrêter de cloper comme des pompiers vous deux ! lança Chloé aux garçons. Et vu votre tête, vous avez encore fait la bringue hier soir, non ?

— Arrête de te prendre pour notre mère, répliqua Will en souriant.

Les garçons tirèrent une dernière bouffée puis écrasèrent leurs cigarettes. Notre petit groupe entra dans la halle n° 3, dédiée à la robotique. De suite, l’odeur typique de l’huile mécanique arriva jusqu’à mes narines. Le haut plafond était constitué d’une verrière retenue par d’imposantes poutres métalliques. Le sol en béton rappelait son rôle de bâtiment industriel. Plusieurs petits robots, dont certains en forme d’insectes, étaient exposés à l’entrée. Nous passâmes devant une longue ligne d’assemblage robotisée où un groupe observait l’installation. Parmi eux, je reconnus l’étudiant brun. Encore lui ! Tout au bout, un technicien déposait ses outils contre la dernière machine. Ah, voici l’escalier permettant d’accéder à la mezzanine. Notre cours se situait là-haut, au fond du bâtiment. Le professeur Namara parcourait la salle et démarrait les différents ordinateurs. Je l’appréciais, ces cours étaient intéressants et bien structurés. La pause de dix heures arriva rapidement, nous prenant par surprise tant le cours était captivant. Je devais me rendre au secrétariat, l’administration avait encore besoin d’un justificatif suite à notre déménagement. Autant en finir avec la paperasse ! Après avoir prévenu les autres, je sortis de la salle en ignorant que cette minuscule décision allait tout changer.

Car c’est à ce moment précis que mon destin a basculé. Pendant que je marchais (en râlant intérieurement au sujet de ce justificatif), une personne était sur le point de bouleverser ma vie sans le vouloir.

4 novembre, année 1 – École d’Ingénierie Supérieure, Halle n° 3. Jour 0

Tapi dans l’obscurité, dans un coin de la mezzanine, un homme regardait l’étudiant en contrebas. Ainsi, ce serait lui ? se demanda-t-il. Il l’observait avec attention, se remémorant chaque détail de son plan. S’il voulait le tester, c’était maintenant. L’endroit s’était vidé et tous les paramètres réunis. Cela ressemblerait à un parfait accident. L’homme était entraîné depuis sa jeunesse à espionner, traquer et maquiller les preuves. Son organisation l’avait bien formé, mais ses derniers échecs avaient agacé son supérieur. Seize ans déjà que le garçon hantait ses pensées. Il se souviendrait toute sa vie de cette mission, personne ne l’avait pris au sérieux. Pourtant, il n’était pas fou ! Bientôt de l’histoire ancienne, pensa-t-il. Il comptait apporter la preuve qui restaurerait sa réputation.

Bien, c’est maintenant, ou jamais ! Il fit trois pas sur le côté puis pianota sur son téléphone. La décharge électrique se déclencha, illuminant cette partie du bâtiment. Sauf qu’il n’avait pas prévu la jeune fille rousse qui passait par là. Fine et de taille moyenne, ses cheveux lisses bougeaient au rythme de ses pas. L’homme baissa les yeux vers le niveau inférieur : trop tard, son plan avait échoué. Il devrait tout recommencer. Une pointe d’agacement le parcourut, il la chassa aussitôt. La colère n’est pas compatible avec la précision. Et il lui en faudrait, tout comme de la patience, pour mener à bien la mission qu’il s’était assignée. Il rangea son téléphone et se dirigea vers la grande armoire électrique. Un petit carré noir l’y attendait, le boîtier magique comme il l’appelait, la dernière de ses inventions.

Tôt ou tard, dans cinq jours ou plusieurs mois, il retenterait sa chance. Après tout, il n’était plus à quelques semaines près. Il quitta rapidement le bâtiment sans imaginer un instant que la jeune fille étendue sur le sol l’aiderait dans sa quête pour la vérité.

Round 4/30 écrit le lundi 30 janvier 2017

3667 mots | 26071 signes | 00:38:24

4 novembre, année 1 – École d’Ingénierie Supérieure, Halle n° 3. Jour 0

Je descendis de nouveau l’escalier avant d’entamer la traversée de la halle technique. Entre l’odeur de l’huile et le bruit des robots, j’aime cette ambiance si typique des bâtiments industriels. J’arrivais près de la ligne d’assemblage. Le technicien avait bien avancé sa réparation, plusieurs panneaux étaient ouverts. Je passai devant lui tout en me demandant si j’allais revoir l’étudiant brun. En tout cas, j’avais intérêt à améliorer mon niveau de conversation. Une catastrophe la dernière fois !

Tout à coup, j’entendis derrière moi un bruit étrange, un fort crépitement. Je me retournai et aperçus le technicien à terre, inconscient. Je me dirigeais vers lui quand, dès le second pas, une intense douleur irradia mon bras gauche. Si puissante qu’elle me foudroya sur place. Elle traversa ensuite mon corps à la vitesse d’un éclair, me paralysant complètement. Je ne pouvais ni bouger ni même respirer. Incapable de me retenir, je me sentis tomber. D’un coup, ce fut l’obscurité totale.

Que s’était-il passé ? J’avais tellement froid et mon corps était si raide. Puis, la douleur s’évapora aussi vite qu’arrivée. La froideur du sol s’atténua, tout comme l’alarme stridente qui ressemblait à un murmure maintenant. À ce moment le plus critique de mon existence, j’entendis une voix. Mais, impossible d’en comprendre les paroles, les sons étaient diffus et lointains. Celle-ci s’arrêta et le silence fut absolu, à la fois apaisant et angoissant. Je ne ressentais plus rien. Mes sensations corporelles avaient disparu. Tout s’était passé si vite ! Finalement, ma vie aurait été plus courte que je ne l’imaginais. Ce fut ensuite le calme, le néant.

Au bout d’un moment, une petite lumière blanche apparut. Elle grandissait, se rapprochait, comme dans un tunnel. Plus intense, la lumière m’éblouit soudain. Mes yeux mirent plusieurs secondes à s’habituer à cette clarté inattendue. Peu à peu, une grande étendue jaune se révéla à moi. Je me trouvais au milieu d’une vaste prairie, encerclée par de hautes collines escarpées et arides. Sur l’une d’entre elles, la plus lointaine, se dressait une forêt. Ce lieu semblait coupé du monde, sans habitation ni trace de civilisation en vue. D’une cinquantaine de centimètres, l’herbe dorée bougeait avec le vent. Un arbre imposant était perché sur le flanc de la plus proche colline. Il ressemblait à un chêne et sa couleur, un vert profond, tranchait avec le magnifique ciel bleu. Tout était harmonieux et calme.

Était-ce cela, le paradis ? Probablement… cependant, je ne voulais pas y croire. Le paysage et la température me faisaient penser au sud-ouest, où se trouvait la maison de mes grands-parents. Un ancien souvenir refaisant surface ? Dernier moment de conscience avant la fin ? Bon, de toute façon je ne maîtrisais rien, alors, autant en profiter !

Je me dirigeai vers l’arbre. Le ciel était d’une pureté absolue et une brise chaude soufflait délicatement. Une fois sous les branches, je m’assis contre le tronc. D’ici, j’avais une vue dégagée. Bercée par le bruit des feuilles, je me sentais si bien dans ce lieu. C’était plus agréable que mes derniers instants, froids et angoissants.

Au bout de plusieurs minutes, un lointain bruit de moteur attira mon attention. Dans la réalité, des avions de chasse traversent fréquemment la région. Les militaires s’entraînent souvent dans ces endroits isolés.

Je regardai le ciel et aperçus alors deux points noirs. Ceux-ci grossissaient de seconde en seconde et le son se rapprochait. D’un coup, une explosion se produisit sur le premier objet. Une épaisse fumée blanche s’échappa, se répandant dans son sillage. Je me levai d’un bond, des branches me coupaient la vue. J’observai la course de l’appareil, anxieuse de savoir comment elle se terminerait. Le problème, c’est que je me rendis compte bien trop tard de sa vitesse.

Brusquement, il vira de bord pour foncer droit dans ma direction. Sans réfléchir, je courus le plus vite possible vers le centre de la prairie. Un son de moteur monta dans mon dos. Le sol trembla dans un bruit assourdissant et un épais nuage de poussière m’entoura. Un courant d’air me happa. Mes jambes quittèrent le sol et le paysage tournoya autour de moi. Puis, je redescendis avant de retomber face contre terre. Allongée à plat ventre, je relevai la tête hors du nuage. Derrière moi, j’aperçus l’engin. Il s’était crashé à une centaine de mètres. Ce n’est pas passé loin ! Le souffle du choc avait dû me projeter hors de la zone d’impact. Tout en tapotant mes vêtements, je vérifiai si je n’étais pas blessée. Mon atterrissage s’était fait en douceur... contrairement à celui de l’engin. Le vent chassant la poussière, je le distinguais mieux. Malgré la violence de l’impact, le petit appareil était resté en un seul morceau. Seules les ailes s’étaient brisées. À certains endroits, son fuselage gris brillait sous le soleil. Sa forme me rappelait un drone, comme sur les posters de Jérémy. Mon petit frère adorait les avions, et tout ce qui volait. En tout cas, son envergure semblait bien plus imposante que sur les photos.

— Je suis désolé, je ne vous ai vue qu’au dernier moment, annonça soudain une voix.

Je sursautai, quelqu’un avait parlé ? Est-ce qu’une personne se trouvait dans l’engin ? Si c’était le cas, elle était sûrement blessée. Pourtant, la voix ne semblait pas venir d’aussi loin. Je me relevai en un éclair pour chercher mon interlocuteur. Je n’osais pas m’approcher de l’appareil de peur qu’il n’explose. Néanmoins, après avoir observé les lieux plusieurs fois, je ne voyais toujours personne. Mince alors, j’aurais pourtant juré…

— Regardez plus haut !

Une nouvelle fois, je tressaillis. Plus haut ?

Lentement, je levai les yeux vers le ciel. Ce que j’aperçus me tétanisa : un homme se tenait assis sur une sorte de grande planche noire à rayures rouges. Il flottait dans les airs à plus de cinq mètres du sol. Je fus tellement stupéfaite que je restai pétrifiée. L’homme portait une combinaison noire avec une bande rouge de chaque côté de son corps. Elle était suffisamment moulante pour mettre en valeur la forte musculature de son propriétaire. Un casque noir mat le cachait entièrement. Mais le plus impressionnant, c’était sa planche volante. Triangulaire, fine, elle mesurait dans les deux mètres.

L’homme s’avança ensuite vers moi, dans un silence absolu. Je n’avais jamais rien vu de semblable, sauf dans les films de science-fiction ! Il s’arrêta à trois mètres, toujours en lévitation. Il m’observa longuement, me mettant mal à l’aise. D’une main, il appuya sur le côté droit de sa visière. J’entendis un petit bip suivi d’un second. Mon sang se glaça : qui était-il et que faisait-il ici avec un tel équipement ?

— Bonjour, je suis désolé de vous avoir effrayée, dit-il enfin.

Abasourdie par la situation, je ne savais quoi répondre.

— Bon-bonjour, bafouillai-je.

Quelques minutes avant, je pensais être morte. Maintenant, c’était sûr : je n’étais pas au paradis. Mais alors, où ?

Ma curiosité finit par l’emporter sur mes interrogations :

— Que s’est-il passé ?

— Je poursuivais cet engin.

Sa planche descendit et il sauta à terre. Je me rendis compte qu’il était très grand, mesurant plus d’un mètre quatre-vingt-dix. Sa planche resta en lévitation à une cinquantaine de centimètres du sol. L’homme s’avança ensuite vers moi et sa visière se releva. Ses yeux perçants m’observaient avec attention. J’étais plantée là sans rien dire, je devais briser ce silence gênant :

— Heu, qu’est-ce que c’était ? demandai-je en désignant l’appareil.

— Un drone.

J’avais vu juste. Au moins, une chose me semblait familière ici.

— Il a failli me percuter, j’ai eu de la chance, continuai-je.

— La chance n’a pas sa place ici. Je vous ai surtout vue au dernier moment !

— Quoi ?

Je mis quelques secondes à comprendre le sens de ses paroles.

— C’est vous qui m’avez poussée ?

— Oui. Ne me remerciez pas, surtout !

— Heu, merci, bafouillai-je déstabilisée par le ton employé.

Plutôt imbu de sa personne, pour qui se prenait-il celui-là ?

— À mon tour de poser des questions. Que faites-vous seule ici ?

Oups, que répondre à cette question ? Je ne savais même pas où j’étais. Et encore moins comment j’y étais arrivée. Bref, rien n’avait de sens ! Cependant, je ne pouvais le lui avouer.

— Heu, je me promenais.

Pitoyable, mon mensonge.

— Vous vous promeniez ? À vingt kilomètres de la ville la plus proche ?

— Vingt kilomètres ?

De plus en plus étrange ! Peut-être que je rêvais tout simplement.

— Par quel moyen êtes-vous venue jusqu’ici ? continua l’homme.

— Excusez-moi, mais vous faites partie de l’Armée, n’est-ce pas ?

Même si rien ne l’indiquait sur sa combinaison, c’était pour moi la seule explication logique. J’avais peut-être pénétré une zone d’essais interdite aux civils. La région possédait un site militaire.

— L’armée ?

— Oui, enfin, je suppose, vu ce drone et votre équipement, vous devez sûrement réaliser des essais de nouvelles technologies ?

— Je suis désolé, mais je ne vois pas de quoi vous parlez.

— Je comprends, vous ne voulez pas que les civils soient informés !

— Tout le monde connaît nos activités. Elles ne sont pas secrètes, bien au contraire. Et nous ne faisons surtout pas partie d’une armée !

Il y avait quelque chose d’étrange dans ses propos. En même temps, tout était bizarre.

— Vous ne faites pas partie de l’Armée ?

— C’est que je viens de vous dire ! répliqua-t-il d’un ton désobligeant. Voilà qu’il devenait franchement désagréable. Il m’agaçait de plus en plus ce type !

— La Fondation ELPIS est indépendante, continua-t-il.

— La quoi ?

— La Fondation, vous ne nous connaissez pas ?

Il se montrait très étonné par mon ignorance.

— Heu, non.

Un fou ! C’était bien ma veine quand même. Seule au milieu de nulle part, il fallait que je tombe sur un inventeur illuminé !

— ELPIS, vous avez dit ?

— Oui, c’est l’abréviation de Égalité — Liberté — Paix — Impartialité et Savoir. C’est aussi une divinité grecque.

Brusquement, une explosion retentit au niveau du drone, interrompant notre étrange conversation. Par réflexe, je me baissai. Cependant, je ne perçus ni le souffle ni la chaleur, nous étions pourtant trop près pour y échapper. Je relevai lentement la tête et compris pourquoi : l’inconnu était arrivé à mes côtés en une fraction de seconde. Il me protégeait, m’entourant de ses bras musclés. En jetant un coup d’œil au drone, j’aperçus des flammes lécher la carcasse de l’engin.

— Vous n’avez rien ? demanda l’homme en m’aidant à me relever.

— No-non, balbutiai-je, perturbée par cette soudaine proximité.

Au moins, l’explosion me servait d’alibi. Il se détacha ensuite de moi puis retira son casque. Ses cheveux, châtain doré, étaient légèrement décoiffés sur le devant. J’avais ce sentiment étrange, de le connaître. À son tour, il me fixa avec une certaine curiosité. Il me fallut plusieurs secondes avant de reconnaître l’étudiant démonstratif de l’école, alias le mur. Que faisait-il ici ? Et pourquoi me vouvoyait-il ?

— Je suis Delta 3, annonça-t-il.

— Heu, moi, c’est Laura.

C’était quoi ce pseudo ridicule ? Il ne me reconnaissait pas ? Devais-je lui rappeler ou entrer dans son jeu ?

— Merci de m’avoir protégée. Co-comment avez-vous réussi à venir si vite ? bafouillai-je.

— Vous n’avez jamais entendu parler de nous ?

— Heu non, jamais.

— C’est étrange.

Étrange, le mot qui résumait bien la situation !

— D’où venez-vous ?

Quelle bonne question !

— De la région, mentis-je. Mes grands-parents y habitent.

— Vous avez emprunté ce tunnel ?

— Quel tunnel ?

— Celui-là, précisa Delta 3 en pointant de la tête quelque chose derrière moi.

Je me retournai et distinguai au loin un petit monticule de terre. Je n’avais pas la moindre idée de ce que c’était. Toutefois, ignorant comment j’étais arrivée ici, mieux valait mentir.

— Heu bien sûr, acquiesçai-je en essayant de masquer mon inquiétude. Mais c’est la première fois, où sommes-nous exactement ?

— Dans un parc naturel, au nord de Toulouse.

Cela confirma ma première hypothèse. Cette histoire de Fondation, il avait dû l’inventer pour cacher des essais.

— Je suis désolée d’avoir pénétré sur votre terrain d’entraînement.

— Ce terrain n’appartient pas à la Fondation.

— Et c’est quoi au juste votre fondation ?

Mon interlocuteur poussa un soupir. Devais-je m’en vexer ?

— Nous avons pour mission de protéger la population à travers le monde. Cette organisation a été créée, il y a des dizaines d’années par Le Fondateur. Il sait reconnaître les gens ayant un certain potentiel.

— Un potentiel ?

— Oui. Nous allons attendre l’arrêt des flammes avant de rejoindre le tunnel.

Refusant de m’en dire plus, il se tourna vers le drone en feu. Alors, je l’imitai tout en l’observant discrètement. Ses mâchoires ressortaient à peine, cachées sous une fine barbe. Ses sourcils, plutôt épais, soulignaient la puissance de son regard. Et la lumière du feu faisait apparaître les éclats dorés de ses yeux ambrés. Étrange. Les traits de son visage arrondi étaient à la fois différents et identiques. Toutefois, son charme impertinent n’avait pas changé. Les flammes baissèrent progressivement en intensité, même si je percevais encore la chaleur sur mon visage.

— Je peux vous reconduire. Nous irons plus vite par les airs, me proposa Delta 3.

— Heu, merci, c’est gentil mais je préfère utiliser le tunnel, répliquai-je en fixant la planche avec appréhension.

— Vous êtes sûre ?

— Certaine. Je préfère la terre ferme.

— Elle permet de supprimer la gravité.

Sans blague, je n’avais pas remarqué ! N’empêche, elle était quand même surprenante. Jérémy adorerait la voir.

— Comment ?

— Je ne le sais pas moi-même…

Il ne voulait surtout rien me dire !

— Mais je peux vous montrer, reprit-il.

Le mur sauta dessus puis s’assit à califourchon avant de me tendre une main.

— Venez, montez devant moi.

— Quoi ? Non, ce n’est pas une bonne idée.

Je n’étais vraiment pas partante pour un tour en planche volante.

— Faites-moi confiance, insista-t-il.

Malgré son sourire charmeur, je redoutais ce type d’expérience.

— Allez, vous ne risquez rien, je vous le promets. Nous allons juste survoler la prairie.

Il semblait sincère. Après tout, c’était l’unique fois où je volerais de cette façon. Et comme j’hallucinais sûrement, je me laissai convaincre. Je m’avançai vers lui et donnai ma main. Sa peau était si chaude ! Je m’assis devant lui avec appréhension avant de remarquer deux poignées noires à l’avant de l’appareil. Comme sur les motos, une petite bulle transparente de 30 centimètres de hauteur les protégeait du vent.

— Accrochez-vous fermement aux rebords de la planche.

Je m’exécutai immédiatement, pendant que ses mains se posaient sur ma taille. Une légère accélération survint et nous décollâmes. Tous mes muscles se crispèrent, la peur me gagna. Le sol s’éloignait et je renforçai mon étreinte, nullement rassurée. Nous étions maintenant à une dizaine de mètres de hauteur.

— On y va ? demanda mon étrange interlocuteur.

Je répondis par un signe de tête, tout en me demandant pourquoi j’avais accepté ! Alors, la planche accéléra de nouveau et par réflexe, je fermai les yeux. Ses bras m’enserraient avec force et son torse m’empêchait de partir en arrière. J’entendis le vent siffler autour de mes oreilles et finis par ouvrir les paupières. Incroyable, je volais ! Les collines s’étendaient à perte de vue dans un ciel parfaitement bleu. J’étais émerveillée par ce panorama. Je me sentais vivante, c’était si fantastique… que ça ne pouvait exister. OK, les sensations semblaient réelles (le vent tiède sur mon visage, l’accélération…) mais quand même ! Une planche volante !

— Alors ? demanda Delta 3.

— C’est incroyable.

— Oui, la plupart des nôtres ne font plus attention. Pourtant, je trouve cela extraordinaire.

Il avait raison, cette sensation de liberté était enivrante. Plutôt sympa comme hallucination.

Nous continuions à avancer, paisiblement. Et mon regard croisa les deux poignées présentes à l’avant.

— Comment faites-vous, la planche avance seule ?

— Je peux la piloter à distance grâce à ma montre, mais seulement en vitesse lente.

Hum, vitesse lente, question de point de vue ! Puis, le paysage commença à changer. Les collines devinrent de plus en plus rares, cédant la place à des bocages. Et des champs apparurent. Au loin, une lumière attira mon attention. Quelque chose brillait sous le soleil, mais impossible de distinguer ce que c’était. Delta 3 fit demi-tour et nous redescendîmes vers la prairie. Les flammes s’étaient éteintes, mais la carcasse de l’appareil fumait encore. Il s’arrêta à l’endroit où nous avions décollé et m’aida à descendre de son extraordinaire planche. Lorsque mes pieds touchèrent le sol, un puissant vertige me saisit. Ma tête tournait et j’avais envie de vomir. J’essayai de faire un pas, mais impossible. C’était comme si j’avais tourné sur moi-même vingt fois ! Delta 3 me retint in extremis par les épaules.

— Désolé, j’avais oublié de vous prévenir, annonça celui-ci. Il faut plusieurs minutes avant de retrouver l’équilibre. L’oreille interne ne sait plus trop où elle en est.

— Merci de m’en informer ! répliquai-je, agacée par mon mal-être.

— Excusez-moi. Avec l’habitude, nous ne faisons plus attention. Venez, mieux vaut vous asseoir quelques instants.

Je fus heureuse qu’il me le propose, mon trouble s’intensifiait et je n’avais pas envie de vomir sur ses bottes. Il m’aida à marcher jusqu’à l’arbre. Une fois assise, mon estomac s’apaisa un peu.

— Vous avez apprécié ? demanda-t-il en prenant place à côté de moi.

À ce moment, son arrogance avait disparu.

— Jusqu’à l’atterrissage !

— Cet effet secondaire disparaît rapidement.

Il avait raison, je commençais déjà à me sentir mieux.

— Alors Laura, que faites-vous dans la vie ?

Je le fixai, étonnée par cette question. D’ailleurs, cela me fit tiquer. Essayait-il de se renseigner ?

— Je suis étudiante, en école d’ingénieur, précisai-je.

— Ah oui ? Et dans quelle ville habitent vos grands-parents ?

Aucune réaction de sa part à l’évocation de l’école et j’hésitai à répondre. Cette histoire était vraiment délirante.

Par chance, une voix s’éleva à ce moment :

— Delta 3, ici Delta 1, où es-tu ?

Le son émanait de son casque.

— Secteur 46, répondit celui-ci en approchant l’objet près de sa bouche.

— Tu as réussi à détruire le drone ?

— Affirmatif, il n’a pas eu le temps d’aller bien loin.

— OK, tant mieux. Tu peux rentrer à la base, j’ai un code 7, ici. Terminé.

— OK. Terminé.

Il se tourna vers moi.

— Bon, je vous raccompagne jusqu’au souterrain ? demanda-t-il en se levant.

— Heu, d’accord.

Mon équilibre s’était rétabli assez vite. Mais par prudence, Delta 3 m’aida à me relever.

— Vous souhaitez reprendre le tunnel ou y aller par la voie des airs ?

— Heu, merci, mais je n’ai pas changé d’avis.

— Comme vous voulez.

Nous avancions en silence vers le souterrain. Cependant, je n’étais pas à l’aise. Et s’il voulait à tout prix m’accompagner ? Je serai bientôt fixée, nous arrivions près de l’entrée.

— Encore merci, déclarai-je.

— De rien.

Il avait une étrange lueur dans les yeux.

— Bon, au revoir alors.

Je pivotai rapidement vers l’entrée du tunnel, espérant que nous en resterions là. Pourtant, dès le premier pas j’eus ma réponse.

— Où mène ce tunnel ? demanda-t-il.

Le ton employé m’apparut suspicieux. Je me retournai lentement, sans savoir quoi lui dire.

— Tout cela est étrange. Qui êtes-vous exactement ? continua-t-il. Je fus désarçonnée par sa question.

— Heu, Laura, Laura Éléonore James, pourquoi ?

Il plaça son casque près de sa bouche.

— Chercher Laura Éléonore James dans la base.

Deux secondes après, une voix robotisée lui répondit. « Ce nom est inexistant. Voulez-vous réessayer ? »

Alors, il me fixa droit dans les yeux.

— Bon, je réitère ma question, dit-il d’un ton menaçant.

— Je suis Laura James, je vous le jure !

Je sentais la situation déraper.

— Pourtant, vous n’êtes pas fichée ! Ni votre nom ni votre visage.

— Mon-mon visage ?

— Ne faites pas comme si vous ne saviez pas !

— Écoutez, je ne comprends pas, je suis désolée, paniquai-je.

— Tout le monde est fiché sauf les membres de l’Organisation.

J’avais l’impression d’être en plein cauchemar. Me prenait-il pour une terroriste ?

— Je ne fais partie d’aucune organisation !

Delta 3 continuait de me fixer avec intensité. Son silence me gênait encore plus que ses questions. Je ne possédais aucun papier d’identité sur moi, rien me permettant de lui prouver ma bonne foi.

— Je vous crois, déclara-t-il finalement.

Je ne pus m’empêcher de lâcher un soupir, soulagée.

— Vous ne correspondez pas au profil de ces criminels.

— Je ne sais même pas de quelle organisation vous parlez.

Il parut surpris de ma réponse.

— Vous devriez rentrer maintenant, ajouta-t-il.

— Heu, oui.

Je me dirigeai à nouveau vers le tunnel, le regard de Delta 3 braqué sur moi. Toutefois, à quelques mètres de l’entrée, je perçus un courant d’air.

— Attendez ! dit-il.

Je me retournai pendant qu’il descendait de sa planche d’un geste souple. Puis, il détacha de sa ceinture un petit objet noir et me le présenta.

— Tenez.

Je m’avançai vers lui, hésitante.

— Qu’est-ce que c’est ? demandai-je avec méfiance.

— Un transpondeur. Appuyez sur le bouton au milieu et je serai informé de votre retour.

— Merci, répondis-je en prenant l’objet.

Nous nous fixâmes quelques secondes puis il remonta sur sa planche. Je regagnai ensuite l’entrée du tunnel et y pénétrai.

J’avançai lentement, à tâtons, soulagée que chacun de mes pas m’éloigne de cet endroit étrange. Puis, le froid ambiant commença à engourdir mon corps. Était-ce la fin cette fois ? Je continuai d’avancer, essayant de lutter. Je n’avais pas envie de mourir si jeune !

Soudain, une voix résonna à travers le tunnel.

— Allez, réveille-toi ! S’il te plaît !

Me réveiller ? Qui parlait ? Brusquement, une bouffée de chaleur me parcourut, suivie par une lumière intense. Un flou total apparut et mes yeux piquèrent comme jamais. Mais c’était quoi cette lumière ?

Je clignai plusieurs fois des paupières avant de distinguer une forme au-dessus de moi. Une puissante douleur se diffusa dans mon bras gauche.

Lorsque ma vision se rétablit enfin, je reconnus l’étudiant brun penché vers moi.

— Comment te sens-tu ?

Agenouillé à mes côtés, il m’observait avec inquiétude. Que faisait-il là ? Et pourquoi étais-je allongée par terre ?

— Ça va ?

Mon absence de réponse le préoccupait.

— Oui… je crois… bredouillai-je en voulant m’asseoir.

— Attention à ton bras. Ne te relève pas tout de suite.

— Que s’est-il passé ? demandai-je, anxieuse.

— Je ne sais pas. Je t’ai trouvé allongée par terre, inanimée.

Pour la première fois, je regardai autour de moi. Nous nous trouvions dans un vaste bâtiment. Des poutrelles métalliques soutenaient un haut plafond en verre. Sauf que je ne reconnaissais pas cet endroit et je n’avais aucun souvenir de la façon dont j’y étais arrivée. Je me rappelais seulement du tunnel et de la prairie.

Paniquée, mon rythme cardiaque s’affola et je le regardai, effrayée.

— Tout va bien, me rassura-t-il.

Ses prunelles vertes me scrutaient.

— Où sommes-nous ?

— Dans la halle technologique.

— Qu’est-ce que je fais là ?

— Tu avais cours ici. Tu as eu un accident en traversant le bâtiment, m’expliqua-t-il avec calme.

Il essayait de me rassurer, mais c’était peine perdue.

— Tu ne te rappelles pas ?

— Non, seulement du tunnel.

— Du tunnel ?

— Celui de la prairie.

Il me dévisagea, visiblement étonné.

— Il n’y a ni tunnel ni prairie ici.

Progressivement, de nouveaux souvenirs me revenaient… le cours du professeur Namara, la halle, la douleur foudroyante. J’avais dû m’évanouir lors de ma traversée du bâtiment. Que s’était-il passé ? Et pourquoi avais-je eu cette étrange hallucination ?

Round 5/30 écrit le mercredi 23 août 2023

228 mots | 1389 signes | 00:38:24

Autre

Dans un grincement métallique, le train s'arrêta en gare. Une fois la fumée dissipée, un groupe de deux hommes descendirent du wagon. Pistolets à la ceinture et insignes de shérif accrochés à leurs veste, ils escortaient un homme. Celui-ci descendit les deux marches tout en observant les environs. Il se trouvait dans une petite ville du far Ouest, à deux heures de XX. Une de ses bourgade plutôt tranquilles où la majeure partie des habitants sont des fermiers. D'ailleurs, une vingtaine d'entre eux lui jetaient des regards curieux et inquiets. Parmi eux se trouvait une joli jeune femme brune qui portait un panier en osier. Sa peau était pâle malgré le soleil de plomb qui régnait dans la région toute à l'année. Une goutte de sueur tomba de ses cheveux gras. Depuis combien de temps n'avait-il pas prit de bain ? Un des shérifs revérifia les menottes du prisonnier, avant de le conduire jusqu'à un grand homme au visage fermé. Cheveux blonds grisonnants et les traits marqués par l'âge, son regard étaient encore vif et perçant. Son étoile d'homme de loi brillait sur sa chemise noire. A cote de lui, un adolescent rouquin observait le prisonnier d'un air inquiet. Shérif adjoint à cet age ? s'étonna le prisonnier.

tenez, le voilà! déclara l'un des hommes. Le procès se déroulera dans un mois, nous comptons sur vous pour le surveiller.