J’aime m’amuser ; d’habitude, la nuit, je vais dans des bars, parfois aussi dans des cercles de jeux. Je dors ensuite un peu, quelques heures, et je me lève quand il commence à y avoir de la lumière, je travaille ensuite jusqu’à midi… je garde le reste de la journée pour moi, pour voir mes amis, pour boire, pour partager ma vie avec les autres.
On dit que ma peinture est cruelle. Mais c’est la vie qui est cruelle, beaucoup plus cruelle que mes tableaux. La vie passe tellement vite, elle est là, on la passe avec la mort par-dessus, par-dessous, car la mort nous accompagne toujours, on est toujours tout prêt de la mort. Quand on est très jeune, on n’y pense pas, enfin moi j’y pensais quand même, mais avec l’âge, forcément, c’est plus angoissant.
J’aime beaucoup rire, et voir les autres rire, sourire, joyeux, vivants, éphémères. J’ai d’ailleurs toujours voulu, sans jamais réussir, peindre le sourire. J’aime le luisant et la couleur qui viennent de la bouche, j’aurais voulu peindre la bouche comme Monet peignait un coucher de soleil. Mais finalement, c’est le cri qui est sorti.
Je fais essentiellement des portraits d’amis, de personnes que je connais et que j’aime bien. On me dit qu’ils sont souvent laids sur mes tableaux. J’aime voir les gens beaux, mais quand on travaille, la laideur marche mieux avec le sens de l’esthétisme. Et je pense aussi qu’il faut déformer la vie pour attraper la réalité, déformer la vie pour mieux la retrouver.
J’ai commencé à peindre assez tard, vers 30 ans ; avant, j’ai préféré m’amuser ; j’ai travaillé un peu, comme valet de chambre notamment, mais dès que j’avais de l’argent, je le dépensais avec mes amis.
Je n’ai jamais décidé de devenir peintre. Ce n’est pas une vocation. Mais en voyant un jour une exposition, je me suis dit « tiens, et si j’essayais d’aller vers la peinture ? »
Quand je suis né, la guerre était proche. Et puis il y eut une autre guerre, et d’autres violences encore. J’ai passé toute ma vie comme ces guerres. Cela rentre forcément dans la sensibilité, sûrement, même si ce n’est pas conscient, c’est là, tapi. On est entouré par toutes ces violences. Parce que la vie est violente.
Je ne suis pas un intellectuel, d’ailleurs, très souvent, je ne pense pas, ma tête est vide. Je fais des images. Je commence un tableau, et petit à petit, les images arrivent. Par accident. Voilà. Et quand le tableau est fini, je ne pense jamais plus à lui. La vie du tableau, une fois terminé, m’importe peu. Il faut de toute façon qu’il parte de chez moi, qu’il ait sa vie propre. Je n’aime pas l’idée des fondations qui regroupent les œuvres, je n’aime pas les mécènes qui créent une collection, un tableau doit avoir un destin imprévisible, fait d’accidents, comme la vie.
Je fais de la peinture pour moi-même. Si on me dit qu’elle aide l’autre à vivre, comment dire, je m’en fous un peu, je n’y ai pas pensé, et puis je ne suis pas médecin. Ceci étant, je ne me pense pas comme peintre non plus. J’ai toujours pensé que je serais forcé de faire un métier qui ne m’intéresserait pas. Je n’avais jamais pensé à gagner ma vie par la peinture. Et puis c’est arrivé. Maintenant, elle est là, elle s’est imposée.
J’ai détruit des tableaux, beaucoup, mais pas assez. La destruction aide à la création. Et la création est source de critique. Il faut être critique et exigeant envers soi-même, et ne surtout pas tomber dans le piège de l’auto-complaisance. C’est à ce prix-là seulement qu’on peut tendre vers quelque chose d’intéressant.
Sur le plan technique, je travaille souvent avec du pastel. Certaines couleurs sont impossibles à trouver dans la peinture à l’huile ou dans l’acrylique, alors j’utilise le pastel. Je travestis ainsi la réalité. C’est Van Gogh qui disait : « Pour le réalisme, il faut dire des mensonges ». Et bien, je suis un grand menteur. Un grand menteur persuadé que c’est par le biais des accidents de la vie, par le biais du hasard et de l’imprévisible, qu’on peut tendre au plus près à sa vérité et liberté profonde.
Dernièrement, un piteux journaliste d’une non moins piteuse revue d’art – je me demande d’ailleurs pourquoi j’ai accepté de le recevoir - m’a demandé d'un ton grave si je croyais à l'existence de Dieu. Mais pourquoi donc me poser une question aussi idiote ?... Déjà, si on peut croire en soi…