À l'atelier d'écriture - Histoire d'amour en amitié par Simone, 6M1 quoi !

Campagne commencée le jeudi 12 mars 2015 et terminée le vendredi 19 juin 2015

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Round 1/100 écrit le jeudi 12 mars 2015

1091 mots | 6310 signes

Je suis libraire. C'est moi que mon auteur à chargé de vous raconter cette histoire. Mais, je n'ai jamais écrit, moi.

Enfin...

Bien sur que si, j'ai déjà écrit.

Je ne suis pas analphabète, tout de même !, tout juste un peu prolixe, j'ai tendance à déborder, à me laisser entraîner, je bavarde, je bavarde. C'est d'ailleurs ce qu'aiment bien les clients chez moi. De la vivacité, un peu de chaleur humaine, un conseil personnalisé. Je connais tous les noms par cœur. Ils sont heureux que je les reconnais È, que je m'intéresse à eux. Ils aiment bien venir discuter. Ils viennent me demander des conseils de lecture, des conseils de cadeaux. Vous connaissez la profession de libraire ? Non ?

Je vais vous raconter.

J'ai fait comme beaucoup de mes confrères et de mes consœurs des études littéraires. J'adore la littérature. Mais, c'est dommage, je n'ai plus trop le temps d'en lire. J'essaie encore, mais je dois les voler sur mes heures de sommeil. Il faut assurer l'avenir de la petite entreprise. Ah ! Mais c'est que... Ça ne se gère pas comme une boucherie ou une mercerie ! Ça touche à l'intellect, à la sensibilité. Remarquez-bien, des merceries, il n'y en a plus beaucoup. Pourtant, les travaux manuels, ça redevient à la mode, mais il y a maintenant des grandes surfaces spécialisées pour ça. Enfin, pour ça aussi.

Travailler dans une librairie est devenu de plus en plus difficile. Je ne sais pas si c'est le temps qui passe ou quoi, mais je trouve le métier de plus en plus dur. J'aime toujours. J'aime tant le contact avec les clients. Avec les représentants, cela peut être parfois plus difficiles. Ils ne connaissent pas toujours très bien les spécificités d'une librairie de quartier dans une jolie banlieue parisienne. Nous ne sommes pas à Paris. Ce n'est pas la campagne non plus. Et ici, nous sommes plutôt privilégiés. Il y a de vrais grands lecteurs chez nous, qui lisent de tout, sont curieux des nouveautés comme des classiques. Ceux-là, ce sont les clients les plus intéressants. On se sent utiles avec eux. J'aime passer du temps à discuter avec eux.

Sauf à la rentrée des classes. Alors là, c'est panique à bord, la boutique est pleine à craquer et dans ces cas-là, je suis obligé de les secouer un peu, en m'excusant gentiment. Mais ils comprennent. Ils sourient, aussi. Quand un client demande une œuvre qu'il ne connaît pas. Il y a des fois où on est presque obligés de se pincer pour ne pas éclater de rire. Mais on n'est pas là pour se moquer des clients, pas vrai ?

Alors, oui, c'est vrai. Il y a des périodes pénibles. Le prie, c'est au retour des vacances entre la rentrée littéraire et la rentrée des classes. Là, on est tous un peu sous pression. C'est le moins qu'on puisse dire !

Il faut assurer à la rentrée des classes, mais il y a aussi les fêtes de fin d'année, la fête des pères, un peu moins, la fête des mères, la Saint-Valentin, même, quoique plus rarement, quand même. Les coups de feu sont fréquents, et là, ça barde, question intensité.

En plus, chez nous, nous organisons des rencontres avec des auteurs, des séances de présentation d'un auteur avec des dédicaces à la clé. Ça fait vivre la librairie, ça fait vivre le quartier. On est une petite librairie très active de la banlieue parisienne. Une banlieue un peu chic, mais pas trop, classée CSP +. On a beaucoup travaillé à la décoration, on soigne la vitrine, que l'on refait souvent, régulièrement, par thème, par couleurs. Comme nous sommes une librairie généraliste, nous nous devons d'avoir toutes sortes de livres, même de ceux que nous n'aimons pas trop. Mais nous essayons tous de lire autant que nous pouvons. Chacun de nous inscrit ses annotations personnelles sur les livres qui nous ont plu. Ça, vous connaissez ! Personne ne signe, mais quelques habitués ont déjà repéré qui a écrit quoi en déchiffrant nos écritures.

Le pire de ce métier, c'est la manutention. Les arrivées, les commandes, les retours, autant de cartons à porter, dans un sens, puis dans l'autre. Et c'est d'autant plus pénible que nous n'avons pas le choix de ce qui nous sera livré. Moi, je me prends à rêver qu'un jour, on ne nous prendra plus pour des marchands de yaourts. On n'est pas des supermarchés, quoi, c'est vrai !.Ce métier, on l'a choisi, par goût, on l'aime ! On est fiers d'êtres libraires. On aime les livres.

Mais depuis quelques années, cela devient difficile de faire vivre une petite librairie généraliste avec une certaine ambition littéraire, tout en sachant que les grands lecteurs se font de plis en plus rares, du moins par ici, ça baisse régulièrement. Les gens ont trop de travail. Et puis, il y a plein d'autres distractions. On vend de plus en plus de bios de gens connus et de moins en moins de romans, de poésie. Le théâtre, n'en parlons, il n'y a quasiment plus que les scolaires qui en achètent. Et puis, aussi, il y a internet qui se développe maintenant. La concurrence sur Internet est ravageuse. Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin. Heureusement que l'on conserve encore le prix unique chez nous, sinon, ce serait la fin de tout !

Ah ! Mais, je bavarde, je bavarde, et j'en ai oublié le principal. C'est que vous voyez, je suis tellement content de parler avec vous, vous m'écouter avec tant d'attention que je le laisse aller et j'en ai oublié ce que je devais vous raconter.

Vous devez bien vous demander par quel hasard c'est moi qui vais vous raconter cette histoire d'atelier d'écriture en province pendant les vacances d'été, en juillet dernier ?

Et bien, c'est très simple. Et c'est en même temps très compliqué. Si vous permettez, je vais faire une petite pause. Vous devez avoir soif. Moi, j'ai une de ces pépies. Faut dire que je parle. Une fois que je suis lancé, c'est dur de m'arrêter.

Alors, voyons voir ce que j'ai...

Bière, jus d'orange ou eau pétillante ? C'est ce qu'on sert pour les séances de dédicaces. .... OK. Une bière ! Ben, moi aussi, je vais prendre une bière !

C'est bien simple. C'est un concours de circonstances incroyable.

Installez-vous bien. Je vais vous raconter cela. Vous avez bien le temps ?

Round 2/100 écrit le vendredi 13 mars 2015

2717 mots | 15071 signes

Bon, faut qu'j'vous dise tout de suite, je suis un peu en délicatesse avec mon auteure. La Solange Klein-Lepetit, un nom pareil, ça ne s'invente pas !, elle est plutôt du genre frustrée, passive-agressive à la mode des emmerdeuses de Woody Allen. Elle est jamais contente de rien. Et puis, elle a un secret. Un terrible secret. Elle est douée, elle le sait, mais elle n'arrive pas à publier en son nom. Elle a toujours besoin qu'on l'aide. Le genre pas très autonome, tu vois ?

Oh ! Pardon, je vous ai tutoyé !

...

Bon, ben tant mieux. Ça, l'effet bière, hein. Dès Qu'tu prends une bière avec quelqu'un qu'tu trouves sympa, tu passes tout de suite au tutoiement. Ah ! C'est pas la Lepetit qui ferait ça, avec ses airs de grande dame. 'Tain des fois, on s'demande vraiment pour qui e' s'prend, celle-là !

Oh, c'est plutôt le genre brave fille, à la base, mais elle a un tel complexe d'infériorité qu'elle finit par se donner, Oh ! Sans le vouloir !, hein ?, des grands airs, des airs un peu supérieurs. Y'a pas d'quoi. On en parlera quand elle publiera enfin. Enfin. Si jamais elle arrive un jour à publier en son nom. Et là, c'est pas gagné... C'est quelle est têtue, la Solange ! Et qu'elle en fait toujours qu'à sa tête. Alors, c'est sûr, tout ce qu'elle fait, ça lui prend toujours vachement plus de temps que la moyenne. Moi, quand je veux faire un truc, dire un truc, j'y vais pas par quatre chemins. Si i' faut faire, je fais. Si i' faut dire, je dis. Mais gentiment, hein ?, toujours. On n'est pas là pour se faire du mal, hein ?

Mais ça, pour déléguer, elle s'y connaît, la vache. C'est comme ça qu'elle m'a collé la narration de son roman. Et hop ! J'm'en lave les mains ! Débrouille-toi tout seul, mon p'tit bonhomme !

Là, j'l'a connais, elle doit être en train de bouillir, mais elle se retient, parce qu'elle voit que je fais bien le job. C'est pour ça qu'elle m'a choisi. Elle savait que je saurais faire le job.

Ah ! Ça, pour sûr, c'est une vraie meneuse d'hommes, celle-là ! Elle s'y connaît pour rien foutre ! Elle organise, elle s'entoure des meilleurs (ça, c'est mon petit plaisir gourmand, ma p'tite revanche, mon p'tit sucre d'orge à moi !), elle donne les ordres, distribue le boulot, et après, hop !, elle se tourne les pouces et elle regarde tout son beau petit monde s'agiter, effectuer, réfléchir, mettre tout en place, exactement comme elle le voulait, mais sans jamais s'être donné la peine de mettre la main à la pâte, les mains dans l'cambouis.

Un jour, tout ça lui retombera p't-êt' su'l'dos, mais en attendant, moi, je l'aime bien. C'est un vrai chef d'orchestre, cette femme-là ! On voit bien qu'elle a pratiqué la musique pendant des années. De la musique d'ensemble, du chant en chorale et en petit chœur. C'est une pro de la collaboration. Et elle finit toujours par s'arranger pour que tout s'arrange bien, que chacun y mette du sien et que ça roule, que ça tourne et que tout le monde soit content.

Bon, sauf les irréductibles. Les incurables, les increvables empêcheurs de tourner en rond qui nous les brisent menu.

Oups ! Pardon, je me suis un peu laissé m'emporter...

Mais c'est ce que j'pense, hein ? T'as des gens, faut toujours qu'i' critiquent tout, i' font rien, mais c'que font les autres, c'est jamais assez bien. Ben, elle, du moment que ça avance, elle est toujours contente. C'est un plaisir de travailler avec cette fille-là ! Quelle femme !

Bon, faut qu'j'me calme, sinon ma femme va finir par être jalouse. Mais on peut pas être jalouse de cette nana-la ! Elle est tellement généreuse ! Et puis, elle a son homme. Les autres ne l'intéressent pas. C'que le veut, c'est rendre les gens heureux. Ah ! Elle a dû bien en chier pour rien lâcher comme sur ce terrain ! On sent la fille qu'a une tonne de revanches à prendre sur le passé et même sur hier, sur avant-hier. Elle a dû bien se faire écouiller par sa mère, celle-là, pour être comme ça. Mais elle a sûrement été aimée par son père, et même sa mère, pour arriver à toujours avoir le sourire et l'envie de s'amuser, de faire des choses avec les autres. C'est un drôle de mélange détonnant de manque de confiance et de grande confiance en soi. Elle m'impressionne. Ma femme aussi, d'ailleurs. Elle l'adore ! C'est bien simple, j'ai jamais vu quelqu'un de plus engagé envers les autres. Oh ! Je ne parle pas de son engagement politique. Il est toujours bien là, là aussi, mais c'est surtout son engagement affectif, intellectuel, pour une société plus paisible qui est sa marque de fabrique. Là-dessus, c'est une vraie incorruptible. Elle est capable de lâcher quelque chose qui marche si ça ne correspond pas à ce qu'elle ressent au plus profond d'elle-même.

Et puis, c'est une amie fidèle. Même quand elle ne donne pas de nouvelles. Elle pense toujours aux gens. Je crois qu'elle ne se rend même pas compte qu'elle est douce. Elle se prend pour une guerrière, même si elle n'y croit plus trop, ces derniers temps, ça doit l'âge.

Elle est toujours là pour désamorcer les conflits quand ils pointent leur nez, ceux-là ! Oh ! Pas grand chose ! Pas de grandes phrases, comme elle faisait autrefois. Non, juste une petite intervention, calme, au moment où il le faut, quand tout le monde croit avoir dit son dernier mot et que c'est sur le point de partir en sucette, que les esprits s'échauffent. Elle s'éclipse un moment, écoutant toujours, et puis, elle revient, dit quelques mots, reprend, fait remarquer qu'on est bien énervés. Alors bien sûr, ça nous énerve encore un peu plus, hein ?, et là, elle se met à parler, calmement, doucement, sans hausser le ton à la hauteur de nos éructations, il y en a toujours un pour lui dire, très énervé, Non ! Je ne suis pas énervé ! Elle regarde et lui dit, moi que je trouve que pour quelqu'un qui n'est pas énerve, c'est drôlement bien imité. L'autre bougonne. Un autre, se sentant protégé parce que ce n'est pas lui l'accusé se radoucit et de son côté, met de l'eau dans son vin. Et voilà que le premier et les autres, s'il y en a d'autres, baissent insensiblement le ton. Ils baissent le ton, cessent de s'échauffer, la dispute redescend comme elle était montée et finit même par se terminer par un accord, même si quelques bougonnements, nettement moins bruyants, continuent à se faire entendre. Ah ! Elle sait s'y entendre ! Pour nous faire entendre que quand on monte le ton, on ne va nulle part et que c'est mieux quand on se parle et qu'on s'écoute. Même si on a, quand même, nos avis différents. Cette fille-là, elle aurait dû être diplomate. Mais je crois bien que ça ne la tentait pas du tout. Elle n'aime pas être dans les allées du pouvoir. Ce qu'elle aime, c'est être, vraiment, au contact des gens. Pas comme ceux qui le disent mais ont peur des gens. Elle, elle n'a pas peur des gens. Elle les aime. Même avec leur défauts. Mais elle n'aime pas se faire emmerder pour rien. C'est les seules fois où je l'ai vue se mettre vraiment en colère.

Ah, mais ce n'est pas Mère Térésa non plus. Elle n'aime pas tout le monde. Et puis, elle a ses préférences, ses priorités. Et sa priorité des priorités, c'est d'être heureuse. C'est toujours ça qui l'a bloquée dans son ambition. Elle a toujours voulu rester une fille normale. Même si elle se rend bien compte qu'elle est pas taillée comme tout le monde. Mais elle est comme ça, avec ses contradictions et ses petites névroses, et comme elle dit, Mes névroses, elles me protègent de la schizophrénie et de la paranoïa, Il paraît qu'on peut pas tout avoir ensemble ! Et elle se marre. Elle montre toutes ses dents. Ses yeux se plissent de rire. Et elle renverse la tête en arrière. Elle a un charme fou. Même maintenant qu'elle n'est plus très fraîche ! Elle a une fraîcheur incroyable ! Il y des fois où j'me d'mande comment elle fait pour traverser la vie, les emmerdes, comme ça, sans avoir l'air de rien, comme si rien ne la touchait. Moi, des fois, y'a des trucs qu'elle vit, des trucs qu'elle a vécu, mais ça m'aurait carrément détruit. Ben, non. Elle, elle se relève. Et elle continue.

Bon, j'ai encore dévié. Tu m'excuses ?

I' fait soif, hein ?

...

Allez, j'vais aller nous r'chercher une p'tite bière !

[Fondu - Enchaîné]

Hé, mais c'est qu'il ne se débrouille pas si mal que ça, mon petit libraire ! Un bavard impénitent qui a besoin de se confier et qui ne rechigne pas de boire un bon coup avec des potes, il n'y a pas mieux pour ébruiter des confidences sans en avoir l'air. Mine de rien, il vient déjà de présenter deux de mes personnages principaux. Enfin, ceux du début. Bon, je l'excuse, il s'y prend comme un chef. Je savais que je pouvais lui faire confiance. Ce type, c'est une crème. Je l'adore. Et sa femme aussi. Ce sont des gens géniaux. Elle, elle est instit', professeur des écoles. Il ne l'a pas encore dit, parce qu'il est beaucoup trop bavard et se perd dans ses babillages, mais sa femme est une des premières qui est venue s'inscrire au stage "Écrire, c'est vivre !" C'est une habituée des ateliers d'écriture. Lui, il vend des livres, il regrette de n'avoir pas pu écrire. C'était son rêve. Et c'est sa femme qui s'y est mise. En amateur. Ça lui sert pour améliorer ses cours de français. Elle pratique les techniques d'atelier d'écriture dans ses classes depuis des années, ma Françoise. Une fille vraiment chouette ! Intelligente et tout et tout. C'est un beau couple. Ils s'aiment. Se soutiennent. Ne s'empêchent pas de vivre l'un l'autre. Et pourtant mon libraire, il en a des nœuds dans la tête. Il se croit pragmatique, mais il a dû apprendre sur le tas, à la dure, avec son métier de libraire. Il y a chez lui un fond de mélancolie qui ressort quand il se lâche et se met à trop boire. Là, pour l'instant, ça va. Il est encore sobre. Ce n'est pas avec deux petites bières qu'il va nous faire tout de suite la grande scène du Deux. Mais, si je vois qu'il déborde, je le rattraperai par la manche. C'est tout de même moi l'auteur.

Quand je pense qu'il s'est débrouillé pour parler de mon nom improbable. Il ne se rend pas compte que c'est lassant à la fin. Mais bon, je ne suis pas là pour le critiquer. J'ai ma devise :

"Ç'ui qui fait, il fait bien !"

Une manière de dire, pour de rire, que les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Tiens, il n'a pas dit que j'avais un problème avec l'argent. Que je m'en foutait complètement. Que rien ni personne ne pouvait m'acheter.

Ah ! Si ! Un petit peu. Quand il a dit que j'étais une incorruptible. On m'appelle Ness ! Eliott Ness ! Ça, il faudra que je le gomme, sinon, les jeunes lecteurs risquent de ne pas comprendre. Il faudrait que je regarde si la série n'a pas été tournée au cinéma récemment. Sinon, ce sera une référence perdue.

Pas perdue pour tout le monde. Un jour, on pourra dire : Solange Klein-Lepetit est un auteur vieillesse qui a écrit de nombreux albums, textes, chansons et romans pour les seniors. C'est la madone des club de loisirs et amitié. J'en connais une qui deviendrait verte. C'est la Simone Rinzler, l'universitaire avec ses grands airs. Ses R de rien du tout, oui. Juste pour ouvrir et fermer son nom. Alors elle, en voilà une qui ne finit jamais rien. Mais alors, jamais rien de rien. Moi, à côté, c'est de la bibine, de la petite bière. Elle, elle est champion du monde ! Dès que quelque chose ne l'amuse plus, que ça devient difficile, qu'il faut vraiment se mettre au boulot, refaire, tout reprendre pour que ce soit parfait, elle cale et elle se trouve des excuses pour tout justifier. Elle a toujours réponse à tout. Ce qu'elle peut être chiante, des fois.

Mais enfin, bon, on n'est pas là pour parler d'elle. J'ai un roman sur le gaz et je ne voudrais pas qu'il déborde.

Déjà qu'on est toujours pas encore dans l'atelier d'écriture. Il va falloir qu'il se décide, Pépère, sinon, moi, j'interviens. On en peut pas laisser le récit se traîner comme ça. Le lecteur, il veut des descriptions, des lieux, une présentation des personnages. Mais il ne veut pas que ça soit chiant. Il veut que ça bouge, que ça avance, qu'il y ait du corps, de l'épaisseur, quoi !

Bon, moi, je vais me coucher. On va bien voir comment il va s'en sortir. Ce type est incroyable ! Il zigzague, il part dans tous les sens, mais il retombe toujours sur ses pattes. Il n'y a qu'à voir comment il mène sa librairie de main de maître. Avec son air de ne pas y toucher, il n'y a pas à dire, il s'y entend. C'est un vrai chef d'entreprise. Ça m'arrache la bouche d'avoir à le dire, mais, tout de même, dans son genre et dans son métier, qui devient de plus en plus dur, il tient la barre. Sans faillir. Jamais.

Je me demande bien comment il fait. Il a l'air tellement fragile, prêt à tomber, pas très assuré. Mais, dans sa petite ville, c'est le roi du quartier. Je suis sûre que le primeur, le boucher et le fromager l'envient. Encore que non. La culture, c'est pas leur truc. Ils sont tous dans le mantra du "Respect du produit", tous le petit doigt sur la couture de la ligne économique libérale et de leçon récitée. On respecte le produit, les petits veaux, les potimarons, la boule d'Avesne et l'huile d'olive du petit producteur, mais respecter le client, s'y intéresser, aimer les humains, ça, ça ne leur viendrait jamais à l'esprit. Mon libraire, lui, il a autre chose. Quelque chose comme de la classe dans sa dégaine un peu fatiguée. Je ne le connais que depuis quelques années, mais je crois qu'il a dû être un assez beau, jeune, quand il était fringant, encore plein d'illusions. On sent le type qui a dû en rabattre sur ses prétentions, qui a morflé dans sa vie, le doux rêveur, le tendre qui a dû avoir bien du mal à trouver sa place dans le monde des adultes et des gens responsables. On sent que le jeune homme sensible est encore là, tout près, presque à la surface.

Il n'est pas que commerçant. On voit qu'il aime vraiment les gens. Qu'il a coeur a faire ce qu'il fait. Même si ses douleurs de dos et les ennuis d'un commerce lui frippe pas mal les yeux depuis deux ou trois ans. Il est un peu moins séduisant. Mais il est toujours aussi craquant. Il y a quelque chose d'attendrissant chez lui que je ne sais pas vraiment discerner, mais que je sens, confusément.

Je vous laisse je dois aller me coucher. Il faut être en forme pour rédiger.

[Elle ferme le fichier, éteint la lumière, s'allonge complètement dans le noir, un petit sourire de satisfaction aux lèvres. Le sommeil la prend. Elle s'endort, heureuse, paisible. Rideau.]

[Applaudissements de la salle. Le schéma narratif fonctionne. Ce sera une belle pièce de théâtre. Les répétitions avancent bien.]

© Simone Rinzler | 12-13 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 3/100 écrit le samedi 14 mars 2015

1437 mots | 8356 signes

0356 #MoocDQ3 Mais, qu’est-ce qu’elle fout, mon auteure, là…

Mais, qu’est-ce qu’elle fout, mon auteure, là, avec ses indications scéniques, là. C’est un roman qu’on écrit, là ! Pas une pièce de théâtre !

Tu m’excuses, là, mais il va falloir que j’aille voir ça ! Non, mais c’est quoi, ce bintz ?

Remarque, c’est son livre, après tout. Si elle veut transformer ça en monologue de théâtre, ça la regarde. Mais, ça, au théâtre, ça passera jamais ! Pas assez d’action ! Je vois déjà d’avance le truc bien chiant, bien intello, avec des acteurs cachés dans le noir, de la lumière qui s’allume sur les uns, les autres. Et puis, pourquoi pas un chœur antique, pendant qu’on y est !

Tiens, j'l'vois bien, l'truc, là.

[Poursuite jardin éteinte. Noir. Allumage poursuite Cour]

[Entrée du chœur antique. Deux femmes. En toge rouge. L'une après l'autre. La première, flamboyante, dans la force de l'âge. La deuxième, digne, belle, plus âgée.]

[Ensemble]

Tu avances, Tu recules,

Comment veux-tu, Comment veux-tu, Que je t’en

Tende, Une, Ou deux, De mes mains, De tes mains, Secourables, Misérable Nain ?

Comment veux-tu, Comment veux-tu, Que l'on te suive ?

[Première femme]

« L’homme qui parle avance plus vite que l’homme qui se tait. »

[Deuxième femme]

« L'homme qui se tait, se tait. »

[Première femme]

« L’homme qui se tait, fait. »

[Deuxième femme]

« L'homme qui parle, parle. »

[Premiere femme]

« Le dernier qui a parlé a toujours raison. »

[Deuxième femme]

« Tout juste, Auguste. »

[Ensemble, en même temps, leurs paroles se chevauchant]

On se casse. Cassons-nous. Ça pue ici. C'est quoi ç'souk ?

[Deuxième femme] « Arrière ! Arrière ! »

[Deuxième femme, à voix basse] Derrière, Fifine ! Derrière. On s’casse, j’t’ai dit ! »

[Le chœur disparaît, à petits pas précipités, parlant de plus en plus loin, de moins en moins audiblement pendant que la poursuite Cour s'éteint progressivement. Noir.]

Oh ! Oh ! C'truc. J'vois d’jà ça !

...

Non, non, j'ai rien contre les intellectuels ! Ah ! C'est parce que j'ai dit « intello » ! Ah, ça, c'est à cause de mon père. Il supportait pas que je sois sensible. Il ne me trouvait pas assez viril. Pour lui, un homme, ça lisait pas de littérature. Tout juste des revues techniques automobiles. Ah ! Il me l'a assez reproché d'être un petit intello. Sans coeur, il rajoutait tout le temps. Et ma mère, ma mère, elle faisait semblant de l'approuver, mais j'ai toujours senti qu'elle était fière.

Dis-donc, il commence à se faire tard T'as vu l'heure ? Il est déjà nuit. Tu préfères pas qu’on continue un autre jour ! Là, il y a Françoise qui m’attend et tu sais bien que je n'aime pas la faire attendre. Enfin, tu ne sais pas, mais maintenant tu sais. On ne va tout de même pas rester là à picoler dans la boutique jusqu’à minuit ?

OK. D’accord. Bon, alors, à lundi !

Au fait, je ne t’ai même pas demandé ton nom ? C’est pour l'ajouter dans mon carnet d'adresses. Mais... J'l'ai d'jà ton numéro ! C'est toi qui m'as appelé ! Je connais tant de monde. Je ne voudrais pas te perdre au fond de mon phone ! Tu t’vois, perdu au fin fond d’un phone. Prélude à l’après-midi d’un phone. Aphone. Hé, hé, Hé !

[Il reste seul dans la boutique, éteint les ordinateurs, vérifie que la caisse a bien été vidée par Sabine avant de partir, baisse le rideau métallique, prend son manteau et sort par la porte du fond.]

Chapitre 2

Tu hésites, Tu avances, Tu tempêtes,

Tu progresses, Tu engraisses, Tu dégraisses,

Tu t'empêtres, T'es pas prête, Tu perds la tête.

T'aurais dû, T'aurais pu, T'aurais su,

Aurais-tu venu ?

T'es perdu, Pas connu, Pas reconnu,

Serais-tu cocu ?

Tu t'en fous, T'en fous pas, Qu'est-ce tu fous ?

Là ?

Tu essaies, Tu reprends, Tu t'y tiens,

Quoi ?

Tu écris, Toi aussi, Aussi toi,

Et toi. Et toi. Et moi ?

Tout t'est émoi, C'est comme toi, C'est comme moi.

Et Moi, et moi, et moi ! Tu connais que ça ?

Tu t'en fiches, T'as la guigne, T'as la gaule.

Ça t'amuse de jouer avec ça ?

Tu crois pas, Tu sais pas, Tu sens pas,

Tu vois pas qu'on n'aime pas ça ? Tes gauloiseries, tes facéties.

Tu t'prends pour qui ? Pour le Roi, Pour la Reine ?

Tu crois pas qu'en fait trop comme ça !

Et comment, Et comment, Tu vois ça, toi ?

Tu crois quoi ?

Tu t'empêtres, Tu tempêtes Sous ton crâne.

Fini tes J'me la pète ! Là, maintenant, tu t'sens bête. Arrête ! Arrête.

Ouh là ! Ça va pas moi ! C'est pourtant pas deux petites bières qui m'ont foutu en l'air, tout de même. Ah oui, c'est type, le Benoît, avec son enquête, ses questions, sa préparation d'émission à la con. Il m'a réveillé des souvenirs, ça m'a remué tout ça. D'abord, ce qui s'est passé, là-bas. Et puis, surtout, j'ch'ais pas, c'est comme s'il avait réveillé un gros malaise, qu'il avait remué, fouillé, farfouillé, trifouillé dans la merde, dans la marde, dans la mardre.

Je m'sens tout chose.

Il a pourtant pas dit grand-chose. Ça me fait toujours ça, quand je me confie. Ah ! J'ai parlé que de moi, encore ! Si Françoise avait été là, elle m'aurait dit : "Au fait, François, au fait !".

Oui, j'm'appelle François et ma femme Françoise. Hmmm, hmm. Je sais ce que vous pensez. Il est un peu faible, avec ses jeux de mots-laids, et « Solange Klein-Lepetit » par-ci, et « Françoise et François » par-là. Mais, je ne vais tout de même pas inventer ça pour vous faire plaisir, ni même pour vous faire rire. Ce sont des choses qui arrivent. Voilà tout. Et même dans les fictions. De toute façon, j'ai carte blanche. La Solange, pour l'instant, elle n'a encore rien dit, c'est donc que ça lui va.

Allez, on continue !

C'est qu'il m'a tout de même dérangé, l'Benoît, là, avec ses questions sur l'atelier "Écrire, c'est vivre". Ça m'a fait comme si j'étais chez le psy. Enfin, c'est de ma faute, hein, j'aurais pas dû m’livrer comme ça. Et p’is, s’livrer, pour un libraire, ça fait pas sérieux. J’regrette toujours après. En général. Les gens ne m’en veulent pas. S'ils restent là, à écouter, c'est bien parce que ça leur plait, qu'ils ont leurs raisons, hein ? On va pas non plus s'interroger sans fin. Mais quand même.

Je vais voir ça avec Françoise. Je me demande si ce ne serait pas mieux que je mette tout ça par écrit. Mais, c'est que je ne suis pas écrivain, moi. J'ai bien écrit, comme tout les monde, quelques poèmes, et surtout des dissert' en prépa, mais depuis, à part les « relances fournisseurs » et les cartes postales de vacances - oui, moi j'en écris encore - et l'aide aux filles pour leurs devoirs de français quand Françoise n'a pas le temps ou n'est pas là, je ne peux pas dire que j'écrive beaucoup.

C'est vrai que ça m'aurait plu, quand j'étais jeune. Écrire, ça me paraissait super. Enfin, on devait pas dire « super », ça c'était du temps des filles.Quand je vois certains auteurs qui viennent pour des dédicaces, je me dis que, finalement, j'ai eu beaucoup de chance de rencontrer Françoise et d'avoir arrêté de rêver pour avoir un vrai métier, régulier, une vie de famille, des amis, des copains, des clients.

C'est vrai que je n'ai pas toujours beaucoup de temps, mais on pourra dire que j'ai eu une belle vie.

Moi, ça ne m'aurait pas réussi d'être écrivain. Ça m'aurait angoissé. Moi, ce dont j'ai besoin, c'est de calme. D'un cadre régulier. Françoise, c'est mon garde-fou. Si je la perdais, je ne sais pas ce que je ferais.

Voilà que je me mets à soupirer dans la rue, maintenant, et en marchant en même temps ! Et allez ! Allez, dépêche-toi, mon vieux François ! Rentre vite. Rentre vite chez toi. Tu te poses bien trop de questions.

[Il relève le col de sa veste et allonge le pas, sans ralentir, jusque chez lui].

Épisode 3 du 13 mars 2015 - Posté le 14

Round 4/100 écrit le lundi 16 mars 2015

303 mots | 1767 signes

0456 20150314

Tu es toute guillerette. Ça avance à toute vitesse. Tu n'as même pas besoin d'intervenir. Tes deux andouilles se débrouillent à merveille. Tu les as bien choisis, avec leurs défauts. Ils font le show à eux deux tous seuls, tes deux tarés.

Pour un peu, tu pourrais te mettre à la retraite si tu n'étais pas l'auteur réelle de ce roman impossible. Toi, tu voulais écrire un roman sérieux, un roman philosophique sur le concept d'amitié, te montrer sous ton meilleur jour, faire ta savante, ta Madame Moi-Je Sais-Tout, mais ce n'est pas nécessaire. Ils font le job comme de vrais petits sous-chefs. Ils sont tellement imbus d'eux-mêmes, ils ne le voient pas, c'en est affligeant, ils se regardent tellement le nombril mutuellement que tu vas pouvoir faire ta mauvaise. Ta sorcière. Tu vas renouer avec ton rôle préféré. Le rôle de la sorcière. Tu l'as déjà joué. À merveille.

Alors, même s'ils n'avancent pas assez vite à ton goût, ils avancent, et tu sais bien qu'un con qui marche ira toujours plus loin qu'un intellectuel assis.

C'est Audiard qui le dit.

Même si tu trouves qu'Audiard véhicule des relents d'un populisme que tu exècres, tu ne peux pas t'empêcher de rire. Tu es d'origine populaire.

Tu vas les laisser un peu mariner comme ça, histoire de voir comment ils vont s'en sortir.

Et comment ils vont se mettre, enfin, dans l'histoire. Ça devrait bien arriver un jour. Là, on se croirait plutôt dans un remake de "En attendant Godot" mâtiné de "Tristram Shandy".

Et, si ils patinent trop, tu pourras toujours reprendre les rênes. Après tout, c'est vraiment toi qui décides.

Et même, tu peux décider de les tuer, s'ils ne te servent plus à rien.

Round 5/100 écrit le mardi 17 mars 2015

2321 mots | 12005 signes

0556 20150317

Cette histoire devient terrible. Hier... J'ai failli me brouiller avec mon meilleur ami virtuel et réel. Regardez un peu ce que j'avais écrit.

Cette histoire devient terrible. Hier... J'ai failli me brouiller avec mon meilleur ami virtuel et réel. Regardez un peu ce que j'avais écrit.

Je me me suis perdue dans les méandres de mon propre labyrinthe et un peu plus, je faisais tout capoter.

Voilà l'accident industriel qui se préparait :

" -Fanfan ! Fanfan ? Faut qu'j'te raconte !...

-Ah ! Tiens ! C'est mon Fanou qui rentre ! Fanou ! Y'a Solange qu'est là ! Elle est passée, elle vient de commencer un roman !

-Ah ! T'es là Solange ? Salut ? Ça va ?

-Ah, bah, tu sais, c'est difficile, hein ? Ça y est !!!!!! Je viens de me lancer dans un roman, mon roman dont je rêve depuis des années. Je suis en train d'en discuter avec Françoise. Je croyais que les idées étaient assez mûres, que j'étais prête. J'en avais déjà rédigé un premier jet à Noël de l'année dernière, pas le Noël de cette année, non, celui d'avant ! Et au lieu de corriger le début, mais ça ne sert à rien de réécrire trop vite, je me retrouve avec un nombre de moutures tellement délirant que je ne sais plus laquelle choisir, j'hésite à chaque mot corrigé, j'ai un problème, je n'arrive pas à contourner une difficulté, je ne peux pas te dire, sinon, tu n'auras pas la surprise quand tu me reliras. Tiens ! J'ai pas oublié de te dire bonjour, là ? Excuse-moi, Fanou, Bonjour ! Tiens, voilà que je t'appelle Fanou aussi, comme Fanfan. Heureusement que tu me connais, hein ?     

-Salut Solange ! Ah, ben, J'vois qu't'es en forme, toi ! Moi, j'suis un peu tourneboulé. Faut qu'j'vous raconte !    

-- Allez, assieds-toi, on allait prendre l'apéro en t'attendant, avec Solange.    

-- Oh, je n'allais pas rester. Je vais vous laisser ensemble. J'ai Mon Prince qui a conseil de classe. Mais je ne vais pas vous déranger là. J'y vais !   

-Mais tu ne nous dérange pas ! C'est moi qui vient de te dire qu'on allait prendre l'apéritif avec Fanou ! Et puis, Alain va en avoir pour longtemps,surtout avec la nouvelle proviseure, ça dure des éternités, ces conseils de classe. Je le sais, j'étais déléguée de parents d'élèves l'année dernière. Quand elle est arrivée, parachutée en plein milieu d'année, tu aurais vu changer l'ambiance ! Elle est infernale. Elle n'arrête jamais. Et elle s'écoute parler, elle s'écoute parler... Ça n'en finit pas...    

-Tu veux dire comme moi ?    

-Ou comme moi ?    

-Non ! Pire. Pire que vous deux réunis !     

[Grands éclats de rire. François rit un peu trop fort à la blague de Solange. Solange rit beaucoup trop fort.]    

-Et, ben, avec ça, il est pas encore rentré, Ton Prince ! Qu'est-ce que je vous sers ? Moi j'ai d'jà bu deux bières à la librairie. Faut qu'j'vous raconte : tu sais ce type qui m'a appelé l'autre jour, et bien il est passé à la lib...   

-Sers l'apéritif d'abord ! Tu parleras après. C'est que je n'ai pas pris d'avance comme toi, moi !    

[Clin d'œil de Françoise, l'œil rieur]    

On venait à peine de finir le thé et le café avec Solange. Tiens, je vais débarrasser pendant que tu sers Solange et je vais nous préparer un petit apéro-dînatoire. Solange ! Ne fais pas comme d'habitude ! Tu dis toujours que tu pars, et finalement tu restes et on mange à des heures indues. Et moi, je meurs de faim ! Si ! Si ! C'est un ordre ! Reste assise ! On va te chouchouter pendant que Ton Prince est entre les griffes de sa proviseure...   

[Françoise s'éloigne vers la cuisine. De loin. Elle parle plus fort.]    

... et des parents délégués. Tu vas encore le ramasser à la petite cuillère ce soir !   

-- Alors, Solange ? Whisky, pastis, Porto ? Qu'est-ce que tu veux  ?   

-- Oh ! Moi, de l'eau, tu sais bien. De l'eau plate. Comme d'habitude. Juste de l'eau du robinet.    

[François et Françoise se retrouvent dans la cuisine. Solange, restée seule, crie du salon, tout en feuilletant un des livres posés sur la maie.]     

-Et sans glaçons s'il te plaît !    

[François et Françoise chuchotent dans la cuisine, porte ouverte.]     

-Tu fais chier, Fanfan ! Tu as encore invité quelqu'un sans me demander mon avis ! Je suis crevé, moi ! Et puis, j'avais un truc à t'raconter.    

-C'est toi qui fait chier ! Ce n'est pas parce que tu es déprimé que nous ne devons plus voir personne. Et puis, tu l'aimes bien, Solange, qu'est-ce que tu me racontes ? Ooooh !... Tu as ta tête des mauvais jours, toi ! Bon, allez, tais-toi ! Je te ferai un de mes gros câlins ce soir, un de ceux dont j'ai le secret.   

[Ils se font un clin d'œil mutuel. François retourne dans le salon avec Solange pendant que Françoise s'affaire à la cuisine.]   

-Alors, Solange, ce roman ! Raconte. C'est quoi, ton problème ?     

-Oh, eh bien, tu sais, c'est pas facile à raconter comme ça ! Pour écrire, ça, pas de problème, ça vient tout seul. Mais organiser une intrigue sur une longue fiction, c'est un petit peu plus difficile. Et puis, tu sais, c'est toujours difficile d'en parler.   

-Ce serait bien la première fois que je te verrais ne pas parler de quelque chose, toi !   

-Ah ! Bah ! Tu sais, le plus difficile, c'est de ne pas faire trop dans l’autobiographique. Et puis, j'ai une peur panique de me brouiller avec le gens que j'aime, alors j'essaie de faire au mieux, de biaiser, mais tu vois, je n'y arrive pas. A chaque fois, je pense à quelqu'un en particulier et j'ai beau essayer de masquer, de maquiller, de camoufler, je suis sûre que ça va se voir. Pourtant, j'essaie de tout faire : inverser les situations et en même temps, ne pas les inverser, décrire du réel en prenant des bouts de vie chipés aux uns et aux autres, de çà, de là, des anecdotes entendues, des conversations dans la rue, sur Internet, à la télévision, partout, quoi !, mélanger du vrai et du faux, inventer. Et le pire, c'est de ne pas s'emmêler les pinceaux après. Alors, j'essaie surtout de travailler le style de chaque personnage qui n'est pas qu'une utilité. Chaque façon de parler, chaque tic de langage doit être propre à chaque personnage. Mais, quand les gens se connaissent et s'aiment bien, ils finissent tous par avoir les mêmes tics, donc, je dois essayer de doser. Là, je suis en train de décrire un personnage principal, je ne l'ai pas encore décrit physiquement, mais je lui ai donné ta tête, ta profession, et quand il parlera, peut-être même qu'il aura ton petit zézaiement si charmant.   


-Ah ! Super ! Si j'comprends bien, t'essaies de t'fâcher avec moi. Alors déjà qu'j'allais pas super fort, aujourd’hui. C'est ça que je voulais raconter à Fanfan en rentrant. J'suis crevé, moi. J'ch'uis même pas sûr d'avoir la patience ce soir. Ce type qui est passé à la librairie m'a demandé de lui raconter...   

-C'est prêt ! Fanou, mets la table, s'il te plaît ! Je parie que tu es encore en train de bavarder et que tu ne m'as même pas encore servi mon madère !  


-Tout juste Auguste. Je le fais tout de suite ! Tiens, aide-moi, Solange, sinon j'vais pas y'arriver ! Hop ! Hop ! Hop, la, la !  

-Et hop, et hop et hopopopopopop !  


[François et Solange rient. Françoise apporte son Fouzitou Maison : une énorme salade mixte.]"  

Voilà. C'était la boulette de trop. Il faut absolument que je fasse marche arrière.

Je ne peux pas tout détruire ainsi.

Je suis trop pressée. Je ne réfléchis pas assez. Je me laisse porter, je me suis laissé emporter. Il faut que je reprenne mes esprits, sinon mon auteure à moi va me flinguer. Et ça, c'est absolument hors de question. Quand elle s'emporte, elle, ce n'est pas comme moi. Ce n'est pas souvent. Ça barde et c'est définitif. Moi, je suis quand même un peu plus souple qu'elle. Il faut dire que ce n'est pas difficile. Cette femme est vraiment inflexible. Quand elle a un but, elle est prête à écraser père et mère. Rien ne l'arrête. C'est vraiment une sacrée saloperie, celle-là. Une vraie pétasse ! Grandeur nature. Avec ses airs à la "Moi-Je-Sais-Tout" et son humour qui cache mal sa méchanceté profonde. Une vraie salope de chez salope ! Tiens, si je cherche un salaud, pour mon histoire, il faudra que je repense à elle. Ça me donnera des idées.

Ah oui, mais... Si je traite d'un salaud, ce sera différent de si je traite d'une salope. Moi, j'avais surtout envisagé une salope. Une vraie salope. Et ça.. Ça ne peut pas être elle. Elle va me rayer de ses cadres si je fais cette boulette.

Il va falloir que je la joue fine, parce qu'en plus, elle est vraiment très stratégique, cette femme. Elle dit qu'elle n'aime pas ça, mais elle s'y entend.

Comment pourrais-je dire pour que le lecteur comprenne, mais pas elle ?

Ah ! Ça y est ! J'ai trouvé ! Bon, je vais vous faire un peu languir, mais vous comprendrez bien tous seuls, un peu plus tard... Il faut bien que je vous fasse languir aussi un peu et que je ne pense pas qu'à moi, dans l’histoire.

Je vais l'en-tu-ber et elle ne se rendra compte de rien.

Il faut dire, quand même, ce n'est pas une mauvaise fille. Elle est un peu rêche, parfois, mais elle a bon cœur. C'est cela qui la sauve, à mes yeux. Elle est très curieuse. Elle a une curiosité incroyable. Et elle a aussi un bon fond, dans le fond. Il ne faut juste pas se mettre en travers de sa route. Il faut dire qu'il y en a plein qui ne se sont pas gênés pour l'ennuyer. Mais elle, elle continuait, toute pimpante, comme si de rien était, comme si rien ne la touchait. Elle a dû bien en baver. Moi, je la comprends un peu. J'essaie toujours de voir ce que je peux faire pour aider les gens. J'ai beau être égocentrique, je m'intéresse toujours aux autres.

Alors, oui, je la comprends. Je n'ai pas dit que l'excusais, que je lui trouvais des excuses. Après tout, qui suis-je pour juger les autres ? Tout ce que je veux dire, c'est que je la comprends.

Et comprendre les gens, quand on est curieux des gens, du monde et de la vie, ça aide bien à résister à la noirceur du monde.

Ce qui me ramène à mon propos, cette histoire d'amour en amitié lors d'un stage en écriture.

La première fois, il y a eu une fille incroyable qui avait des idées toujours complètement dingues. On l'aimait bien, Françoise et moi. Elle était écrivain, écrivait dans son coin et publiait des petits contes dans une toute petite maison d'édition en province. Quand elle arrivée au stage "Écrire, c'est vivre !", Andréa a attiré tous les projecteurs vers elle. Elle était jeune, belle, intelligente, vive, et gentille, tellement gentille ! Elle n'avait pas très confiance en elle, elle aidait tout le monde, et elle, elle n'osait jamais rien demander pour elle. Mais qu'est-ce qu'elle a apporté au groupe ! Cette fille, c'était un vrai rayon de soleil !

Tiens, voilà, j'ai trouvé comment j'allais enter dans ma narration. Je vais commencer par Andréa, directement. Je vais directement continuer là, au lieu de me prendre la tête avec ces débuts de stage que je n'arrive pas à commencer. Je vais commencer, même pas in medias res, en plein milieu de l'intrigue, mais en me souvenant d'elle. C'est elle, le fil rouge que je cherchais. Je la cherchais et je la connaissais. Elle était là, à ma portée, dans mes souvenirs de stage avec Françoise.

Parce que Françoise, Françoise ! Hein ? Et bien, Françoise, c'est mon amie. Mon amie de toujours. Celle des bons et des mauvais jours. Et son mari, François, c'est devenu aussi un ami. Je les adore tous les deux. S'ils n'existaient pas, il faudrait les inventer !

Round 6/100 écrit le mercredi 18 mars 2015

1158 mots | 6470 signes

0656 20150317 Victor. "Le" Victor. Notre Victor Amoroso, Victorioso à nous. Échauffement tactile. Échauffement digital.

Victor ! "Le" Victor. Notre Victor Amoroso, Victorioso à nous.

Oh oui ! Tu te souviens de la mise en forme le matin ? Il était incroyable, ce Victor. Victor Le Victorieux, tu te souviens de son vrai nom ? Victor Le Garamondier ! Je suis sûre que c'était un pseudo d'artiste. Garamondier. Garamond. La police. Pas mal trouvé pour un écrivain, pour un prof d'atelier d'écriture. Il a toujours juré que c'était un hasard, mais j'ai vérifié. Ce nom n’existe pas. Garamond existe, mais pas Garamondier. Garamond, c'est celui qui a inventé les caractères d'écriture qui ont été utilisés pendant un temps fou dans l'imprimerie, surtout pour les livres, je ne sais plus, moi, peut-être des siècles, ou pas loin... En même temps, je ne fais pas de généalogie non plus. j'ai juste vérifié vite fait sur Internet. C'est tout.

Suzanne était raide dingue de lui. Elle n'était pas la seule, remarque.

Joli bout de jeune homme mûr, le beau trentenaire approchant de la quarantaine, juste assez mûr, juste assez jeune pour les faire craquer toutes et tous. Elles étaient toutes raides dingues de lui. Et pas que "elles". C'est qu'il en avait du succès ! Et qu'il jouait bien de l’ambiguïté. Il n'y a pas à dire, il savait s'y prendre en termes de gestion de groupes. Il avait l'art et la manière. Le grand art. La fraîcheur. Un vrai séducteur. Il le savait, il en jouait, je crois même qu'il en a pas mal profité, mais il savait où ça le menait. Exactement où il voulait. Il obtenait tout ce qu'il voulait. Si je ne l'avais pas rencontré, je ne serais jamais arrivée là où j'en suis arrivée. Il faut dire aussi que je lui ai résisté. Qu'il en a été soufflé. puis qu'il a capitulé.Ah ! Quelle équipe, on a fait, ensemble... C'est pratiquement lui qui m'a tout appris. Même si je sais bien que je n'arrivais pas en sortant du désert, à partir d'une "tabula rasa", d'une table rase.

Le Garamondier, c'était un peu Gare-à-mon-pied, genre "Tu vas t'le prendre si tu nous empêche de l'prendre ! Il en faisait des tonnes, il faisait rire même les plus coincés. Je crois que le pire, c'était Raphaël, mais si, tu sais, le vieux puceau avec le pull bleu en V et le col boutonné jusqu'en haut. Il respirait pas le pied, celui-là ! Le vieux puceau.

Tu te souviens que je l'avais appelé "Garamonpied". Pas le puceau ! Le dirlo, le chef, le Maître, le FeuPro, L'Hermaphrodito, le Victorio Furioso, l'Immoderato Cantabile Sé Déversa A- Yah Yah Anda !

Tu te souviens ? Comment commençaient les séances, déjà ?

"Échauffement tactile. Échauffement digital.
Allez, allez ! En petites foulées ! En petites digitées !"

Ah oui ! Ça me revient ! Et puis il y avait aussi :

"On échauffe ses petits doigts, l'un après l'autre,
On échauffe ses poignets, l'un après l'autre."

Tu te rappelles, euh, tu te souviens ? :

"Défragmentation du disque dur !"

Et puis, le réveil du coucou suisse avec Francisco :

"Le-vez ! Bais-sez !
Maintenant, on passe à l'autre paupière !"

Le Victorioso, Le Maestro Mafioso, il avait transformé ça en :

"Levez la paupière d'un œil, baissez levez la paupière de l'autre œil,
Maintenant, on passe à l'autre paupière.
Dé-é-é-fragmentation du disque du-u-ur !"

C'était là, la défragmentation. Qu'est-ce qu'on a pu rire. J'en ris encore en le disant, enfin, en l'écrivant.

C'est d'un stupide. On régresse quand on est en groupe. On s'amuse. On reprend la joie des jeux d'enfants, sans les chicaneries :

"-Tu connais la différence entre un chef et un préservatif ?
-Non.
-C'est meilleur sans, mais c'est plus sûr avec !"

On rit, on plaisante, la vie sérieuse s'évanouit. On entre dans le profond de l'humain. Mieux que dans un disque dur. On défragmente les vies, on décloisonne les classes, les genres, les professions, on se trouve des choses en commun, plein. On redevient humain. On fait connaissance, on s'étonne. On se découvre, proches et lointains, identiques et si différents. Quelque chose nous relie. on est bien. On forme un groupe. On s'aime bien. On s'apprécie de jour en jour.

"Échauffement tactile. Échauffement digital.
Allez, allez ! En petites foulées ! En petites digitées !
On échauffe ses petits doigts, l'un après l'autre,
On échauffe ses poignets, l'un après l'autre.
Le-vez, bais-sez,
Dou-ouce-ment,
On se réchauffe tout dou-ce-ment.

Et on va ré-chauf-fer-tou-out-son-co-o-orps.

On commence par les doigts de pieds.

Pied gauche.

On pianote du bout de ses doigts de pied.

Gauche. Pied gauche.

[Tout bas] : Fais attention, Suzanne, écoute bien les consignes. Ce sera pareil pour l'écriture !

Pied gauche,
On pianote, on pianote, on pianote !

Et mainte-na-ant, pie-ed droi-oit...
On pianote des doigts de pied, du pied droit, oui, c'est ça.

On pianote on pianote, on pianote.

Allez, maintenant, regardez avant de faire.

On s'allonge sur le dos et pour avoir le dos bien plat, pour ne pas avoir mal au dos, on relève ses jambes.
Regarde, Francisco au lieu de plaisanter, après tu te plaindra que tu as mal au dos ! On relève ses jambes en posant ses pieds bien à plat sur le tapis, oui, comme pour les abdos, Catherine, jambes relevées, le dos bien plat, les jambes repliées presque sur le fesses, voilà, comme ça.
Regardez bien, j'ai le dos bien plat. Je détends mon dos. Je n'exerce pas de pression sur mon dos.

Bon, maintenant, vous allez pouvoir faire l'exercice.

CHUUU-UUUT !!!! Andréa ! Francisco !

Oui, suivez bien ce que je dis. N'allez pas trop vite, suivez mon rythme.

Mettez-vous en position, allongez-vous, ramenez les jambes vers vous, vers les fesses, les pieds bien à plat, bien posés, ne cambre pas ton dos, Macha, essaie de basculer ton bassin. Redresse ta jambe, là. Oui, c'est ça. Parfait, Andréa. Raphaël, ne t'inquiète pas, voilà, comme ça. Oui. C'est bien, Voilà. comme ça... On va maintenant..."

[La voix se perd dans les brumes matinales. Solange a repris ses esprits. Elle se met en scène et parle d'elle à la troisième personne. Elle poursuit son récit]

Round 7/100 écrit le mercredi 18 mars 2015

354 mots | 1921 signes

Journal de 6M1 (l'auteur empirique)

Tu n'y arrivera jamais.

Tu as perdu ton objectif.

Tu t'es laissée dévier de ta trajectoire.

Tu te reprends, reprends tes esprits, et avances, tu t'achemines vers la fin.

Ce n'est qu'un début, tu continues le combat, tu ne combats plus contre toi-même.

Tu as accordé crédit aux avis des uns et des autres,

Tu as renié tes expériences et tes apprentissages.

Tu ne travailles pas assez, pas assez seule, dans le confinement du recueillement, de l'attention, pas assez en continu, sans autre distraction, tu te laisses disperser. Tu as voulu tester. Tu as testé. Tu tires les conséquences du test. Test réussi. Tu as pu repartir sur un autre sujet. Tu n'es plus dans l'autofiction, tu as fait le grand saut dans ta métafiction de rêve, tu es au cœur de ta métafiction rêvée, tu y es entrée, pas tout à fait comme dans du beurre, tu te souviens avoir hésité, tergiversé. Tu en as fini des tergiversations. tu avances, à ton rythme, selon tes idées de départ, tu reviens à ton vrai projet. Le tien. Celui qui t'est propre. Sans plus te mettre sous la coupe de celui-ci ou de celle-là. C'est cela qui provoquait ton malaise presque depuis le début. Tu sens bien qu'il s'est modifié, ton récit.

Tu as avancé vite. Très vite. Trop vite. Tu as débloqué quelque chose et tu as enfin pu passer du "Roman de 'Tu'" à ton roman voulu. Tu constates qu'il ne ressemble en rien à ton roman rêvé. Tu le savais. Ce que tu écris s'éloigne de ce qu'étaient tes projets, en apparence, mais ton inconscient travaille pour toi. Pas contre toi. Sauf quand tu résistes.

Et là, rien ne te résiste.

Tu ne résistes pas. Tu ne résistes plus.

Tu ne résistes plus. Tu prouves que tu existes.

'In-'sIste !
Tâ-do Dân'g, Tâ-do Dan'g Prouve que tu exi-i-istes !


Round 8/100 écrit le jeudi 19 mars 2015

2231 mots | 12632 signes

0856 20150319 C'est sûr que je pourrais commencer directement avec une description...

C'est sûr que je pourrais commencer directement avec une description du lieu du stage, des participants, de Pierre et Catherine, de Lauriane, Raphaël, Andréa ou Francisco. Ou même d'un autre. D'une autre. Introduire petit à petit des personnages. Faire ma mortelle en improvisant une description, pas trop mortelle, plutôt utile, au développement, la narration, tout ça.

Je saurais faire, bien sûr. J'ai déjà fait. C'est vraiment parfait. Aussi parfait que les livres que je n'ai pas spontanément envie de lire, parce qu'ils ne me traînent pas directement vers quelque délire, quelque rêverie, quelque histoire abracadabrante, passionnante ou tout simplement plaisante, dans laquelle j'aurai délice à me perdre, indépendamment du genre, de si c'est un genre que j'aime ou que j'apprécie moins. Le miracle d'une bonne lecture, c'est une sacrée alchimie entre ce que tu veux lire et ce que tu ne veux pas lire et que tu finis par lire quand même et que tu finis même par adorer, tellement ça t'a entraîné que tu veux que ça se reproduise sans fin, ce plaisir, cette découverte, et que tu te mets à dévorer ce genre. Pour moi, ça a été la biographie de philosophes, d'historiens, de théoriciens de la littérature, enfin non, ce n'étaient ni des biographies, ni des hagiographies, mais des autobiographies de fin de vie pour trois d'entre eux : Edward Said, Eric Hobsbawm et Terry Eagleton. Eagleton n'était pas en fin de vie. C'était le cas pour le théoricien de la littérature postcoloniale Said, qui est décédé depuis et pour l'historien marxiste Hobsbawm. Ces deux-là ont été traduits en français. Pour le premier, sous le titre "À contre-voie - Mémoires" ("Out of Place - A Memoir) et "Franc-Tireur" ("Interesting Times") pour l'historien qui voulait écrire un pendant à son dernier grand volume d'histoire sur ce qu'il a appelé "le très court XXe siècle", "L'Âge des totalitarismes". Il avait rédigé une somme historique depuis les débuts de la Révolution industrielle en passant par "L'Âge des Empires" (The Age of Empires).

Voilà que tu fais ta savante. On dirait ton auteure, insatiable, incontinente, incapable de te contenir, te retenir, de retenir où tu veux aller, sans passer par des voies détournées. Tu fais ta Simone, ma Solange ! Toi, c'est Solange, c'est so lang, so langsman, mon petit Klein, ma petite Mme Lepetit ! Il ne faut pas confondre. Toi, tu ne te perds pas dans les détails. Tu maîtrises, tu assures tes avants, tes arrières, Père, gardez-vous à droite !, Père, gardez-vous à gauche !, tu prévois plusieurs coups à l'avance, ce n'est pas à toi que l'on fera la coup du berger toute sa vie. Tu apprends d'une fois sur l'autre. Tu engranges, tu accumules et tu organises. Tu sais où tu vas. Tu as pris du bon temps, du repos, tout ce qu'il te faut, et te voilà repartie, Comme en Quatorze !, tu avances, tu es là et bien là, bien ancrée dans l'erreur du présent, tu ne te perds pas dans la remémoration vaine. Tu crées ton petit univers, ton petit monde, tu vis avec, en harmonie, en symbiose, en sympathie, en empathie, à petites doses d'homéopathie.

Homéopathie ? Voilà qui te fait penser à cette pauvre Juliette. Mais c'est encore trop tôt.

Et là, toi, tu te perds, dans les détails, dans les Chausses de Sept lieues et les milliers de trappes, de farces et attrapes que je te laisse traîner là, et tu demandes qui parle, qui écrit ? L'auteure, l'auteur empirique ? Est-ce cohérent ?

Quand c'est'i' qu'on va où ?, Où c'est'i qu'on y va quand ?, Comment c'est'i qu'on n'y est encore pas ?, "Papa ! Papa ? C'est encore loin l'Amérique ? - Tais-toi et nage."

Ah ! On voit bien que ce n'est pas toi l'auteur empirique qui se charge de tout le boulot à la place des autres, qui s'engage à les faire rêver, penser, passer un bon moment, un sale quart d'heure, des nuits durant, à frissonner, s'exciter, se la tripoter même, la zézette, C'est bien, ça, la zézette !, ça marche pour les filles comme pour les garçons, c'est enfantin, ça évoque de vieux souvenirs, ça fait s'arrêter, rêvasser, repenser, à ce que ta mère, ton père, ta grand-mère te disaient, ça te fait oublier si c'est cohérent ou non, si ça tient ou pas, ça te fait poser le bouquin. Ça te fait retrouver l'enfant qui est encore là et ne t'as jamais quitté, même si tu es sobre et austère.

Tiens. Essaie un peu. Je parie que chez toi aussi, il y avait un terme, pas très joli, pour parler de ton sexe, pour ne pas que tu le touches, ou alors, pas là, pas devant Madame Bertrand, ni devant le père Daniel, ou à table, ou avec ton cousin, ta voisine. Un terme que tu as fini par trouver sale. Parce qu'on t'a laissé penser que c'était sale. Ou alors on t'a gavé, de Mais, c'est pas sale !, on t'en a tellement gavé, bourré, de ces injonctions à jouir, alors que tu étais bien trop petit, mon ami, bien trop petiote, ma cocotte, que tu as développé une pente pour le romantisme, et l'abstinence, qui va avec, que tu attends, le Prince Charmant, la gentille fille simple qui voudra bien encore de toi, avec tes cheveux qui commencent à s'éclaircir, ton début de tonsure, ton petit ventrounet de petit buveur de bière. Peut-être même qu'il y en a qui croient, et même qui z'y croivent, que t'es un mec coincé, un vieux petit puceau, un Raphaël, alors que tu es juste pudique, maladroit, peut-être un peu autiste, mais que tu es toi et que tu sais bien ce que tu aimes, et que tu aimes bien rire aussi, même de toi, mais pas en public, pas sous les quolibets, que tu es pudique, que tu as de l'autodérision, et que même si Maman t'a trop couvé parce que Papa était parti, que tu n'as rien de Stromae, Papaoutai, outai, outai, que tu n'es pas beau, que tu es dégarni, que tu moques de ton apparence et de suivre la mode comme de ta première chemise à carreaux boutonnées jusqu'en haut, eh bien, tu n'es pas demeuré, tu pratiques même l'autodérision, oh !, pas depuis bien longtemps, ça t'a pris du temps, des années, pour te libérer, tu n'as pas eu l'urgence de te libérer comme tes copains homos du boulot, tu n'étais qu'un pauvre hétéro moche et coincé, pas très beau, mais terriblement coincé, incroyablement verrouillé, mais tu étais un humain, comme les autres, tu savais ce que tu aimais, et tu ne supportais pas qu'on massacre la langue française, la poésie, ta bien-aimée, ta seule, ta douce, ta petite douce, celle qui te console de tout, et parfois, t'enfonce au fond du trou. Tu as eu bien de la chance de croiser Sermisy, c'est lui qui t'a indiqué ce stage. Non ! Pas le stage d'écriture. Ça c'était avant. Tu me connais ? Je suis la pub ambulante de "Mais ça, c'était avant !", la pub pour les lunettes. Non, ce stage de thérapie de groupe, organisé par Selim Avrom, une pointure cet homme-là. C'est grâce à lui que tu as peu à peu pu te relever de la mort de Sophie, ton premier grand amour, de la mort de Maman, et puis de la mort de ton chat, Guillevic, et du départ de tout le monde vers la ville, la grande ville. Et tu es parti. Toi aussi. Tu as eu une promotion. Oui. Même toi. Tu n'y croyais pas, toi, le timide, le mal dans sa peau, on t'a confié des responsabilités, parce que tu ne t'éparpillais pas, restais sérieux, en toutes circonstances, faisais ton travail à la perfection, et que tu as fini par bouger, évoluer, quitter la maison, et même faire attention à ton apparence, depuis que tu as rencontré Laurence. Ta chère Laurence. Vous n'êtes pas bien beaux, pas bien riches, pas bien brillants, mais vous êtes bien, bien ensemble, bien à deux, tous les deux.

À deux, on est mieux.

On se tient la main, on se serre les coudes, tiens !, Francisco aurait dit "On se serre les couilles". On rit, on s'aime, on se soutient. On est une famille. Même si on sait bien qu'on n'aura jamais d'enfants. On ne pourra jamais en avoir. Alors, on est à chacun l'enfant de l'autre, et son parent, et son meilleur ami, et son amant, son amante. Notre petit délice, à nous, tous les deux, bien au chaud. Ah ! Les stages ! Sans Sermisy, l'ami d'un collègue de travail qui m'a donné le nom d'Avrom pour consulter, sans Avrom, jamais je n'aurais connu Grandes Oreilles, ma Laurence, elle avait une patience, une douceur avec les autres. Ce n'était pas une beauté, mais tout le monde allait se confier auprès d'elle, dans ce stage de thérapie de groupe dirigé par Avrom, notre parrain, notre témoin.

C'est comme Geneviève, à l'atelier d'écriture. Elle ne payait pas de mine. Mais c'était, c'était vraiment...

Oui ! Oui ! Laurence, j'arrive ! Tu sais bien qu'on ne m'arrête plus, maintenant, quand je commence à parler, ou à écrire ! Enfin, autre chose que de la poésie, maintenant que je suis heureux ! J'arrive, j'arrive !

Ah oui ! Aussi ! Je suis nettement moins sérieux, bien moins pointilleux. Pas guéri encore, mais en bonne voie !

Ça y est, je suis prêt, ma Z'oreilles, ma merveille !

Bon, tu en veux quand même une description ? Tu crois que je ne sais pas en faire, c'est ça ?

Tu vas voir ce que tu vas voir :

"C'est un trou de verdure où coule une rombière. Ici, tout n'est que fluxion de poitrine, drame et velouté."

Je te fais marcher, et tu cours, tu gambades. Tu as quatre ans. Je te mène où je veux. Je te promène, je te balade, je te fais sourire, tu admires, tu t'énerves, tu continues à lire, je te fais lire, je me fais écrire, tu me fais écrire. Ensemble, nous vivons des instants étonnants, n'est-il pas ?

C'est un plateau venteux entre plaine et collines, une moisissure, la moisissure du temps, l'usure de la patine des temps anciens. La dame de ces lieux avait tout maintenu en l'état. Le temps ne bougeait pas, n'avançait pas, seule l'horloge bougeait un peu, seconde après seconde. Une table en bois blond, cirée, ou vernissée depuis des années, recouverte d'une nappe en toile cirée jaune délavé un peu abîmée. Quelques chaises, disparates, anciennes, vieilles, rafistolées, bricolées, glanées auprès des amis, des enfants, des parents et voisins. Des strates de modes, de rustique, de très ancien et de démodé, des meubles de briques et de brocantes, dégottés dans des vide-greniers de la région, construits à la vite pour servir un besoin urgent de repose-plat, de table d'appoint de fortune, de bibliothèque improvisée. Un vieux poêle, un buffet à la porte démolie, des rideaux de cretonne pour cacher sous l'évier les produits à laver la vaisselle, le sol, la serpillère. Un balai, une pelle, une balayette, une tapette à tapis derrière la porte d'entrée, prêts à l'emploi, à côté du chausse-pied, des sabots de jardin en plastique vert foncé, et des grands parapluies de grand-père, un noir et un vert, sans âge. Une cuisine toute simple, à l'ancienne, sans chichis, mais une hygiène parfaite, malgré l'humidité omniprésente et cette odeur de moisi qui n'a jamais voulu quitter cette entrée du logis de la propriétaire, même après la peinture des murs et les tentatives d'assécher le sol non protégé par un vide sanitaire.

Le sol est froid.

Posées à même la terre, les vieilles tommettes n'ont même pas de charme, tant elles sont abimés, ébréchées, peintes et repeintes, année après année.

L'humidité imprègne tout. Le froid gagne à la fin de l'automne. L'humidité. Constante. Présente. L'humidité qui transperce les os, les doigts et les pieds, au milieu de ces champs de gâtine, de ces mares, de ces jardins bourbeux et caillouteux.

L'humidité.

L'humilité aussi, de la demeure, de ses habitants, de ses pensionnaires, de ces stagiaires de musique, de poterie ou d'écriture.

L'humilité est la qualité première de la propriétaire et de son compagnon, Jacques.

Jacques ou Pierre ? Alors, décide-toi. Va pour Jacques, alors. Mais que feras-tu de Pierre, alors ? Tu étais poussière, moisissure et te voilà de pierre en Pierre, en Paul, en Jacques. Tu fais le Jacques ? Tu ne reste pas de pierre. De Pierre, il ne resterait que poussière ?

Attends un peu avant de tout fermer, de tout clôturer, de tout baliser.

Il est temps de faire une pause, de se lever, se faire un thé, un café, se verser un verre d'eau. Ou une bière ?

Toi, tu fais, comme tu veux. Moi, je reste à l'eau. Plate. Sans glaçons.

Round 9/100 écrit le samedi 21 mars 2015

1285 mots | 7012 signes

0956 20150320 C'est quoi, le programme aujourd'hui ?

C'est quoi, le programme aujourd'hui ?

(C'est dans ton cul, espèce de fayote !).

(Tu l'as dit ! Celle-là, je sais pas pour qui elle se prend, mais elle en fait des caisses. Ouais. Des tonnes de consonnes, la conne qui raisonne avant même que tu la sonnes...).

(Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !).

[Gros rire gras et rauque, bien vulgaire, bien méchant, bien méprisant].

Alors, encore en train de parler de moi ? Tu sais, ce qu'elle disait ma prof de chant quand quelqu'un arrivait ? Elle disait très fort de sa voix de chanteuse travaillée, haut perchée, bien modulée : "Taisez-vous !... Elle arrive !"

Ils rient, tous. Petits clins d'œil entendus.

L'atmosphère s'est détendue. Même les deux mères maquerelles sourient, la troisième aussi. Elles se dérident. Tout le monde y va de son petit commentaire. La sauce prend. L'humour a détendu l'atmosphère. Il n'y a pas de doute, elle sait y faire.

-Ça ! Y'a pas de doute, tu sais y faire !"

-C'est vrai qu'on parlait de toi...

[Air un peu gêné de la Nénesse, la commère, la vipère. Celle-là, il va falloir la surveiller. Il va être temps de jouer au charmeur de serpent. Sur le moment, tu ne sais pas que c'est ta spécialité, charmeuse de serpent, mon petit Saut de l'Ange, mais tu sautes, tu y vas, tu prends ton envol et tu y vas, brave petit soldat. Tu ne supportes pas que qu'un vienne gâcher le bonheur des autres. Alors, tu vas la voir, tu lui parles. Tu plaisantes, d'abord, et puis tu entres dans le dur, dans ce qui résiste, dans ce qui fait mal. Tu te fais l'avocat du diable, tu penches pour l'un, pour l'autre, mais toujours en a parte, juste elle et toi, San personne d'autre pour vous entendre, c'est le seul moyen de la détendre et de ne pas t'énerver, de ton côté, car tu sais que tu pourrais monter très vite et très haut en puissance, dans l'agacement, et là, le stage vient a peine de commencer, juste quelques jours, tu ne veux pas le gâcher, tu ne veux pas non plus qu'elle te pompe l'air. Sans le savoir, tu vas te la mettre dans la poche. Ce n'est que maintenant, au moment d'écrire, que tu te rends compte que tu as toujours fait cela, comme ça, spontanément, sans calcul préalable. C'est comme une seconde nature. Tu vas toujours vers celui qui grogne le plus, le peine-à-jouir, celui ou celle qui se plaint tout le temps, qui te gâche ton plaisir... Et surtout qui te rappelle que toi aussi, tu es comme ça, que tu as déjà été comme ça, mais que ça, maintenant, c'est fini, enfin, c'est moins grave, c'est moins souvent. Ça t'arrive quand même de faire toi aussi ta vipère, ta sale commère, ton acariâtre, quand tu es mal, malheureuse, frustrée, frustrée de la vie, frustrée du cul, frustrée de partout et que tu ne comprends pas tout ce qui t'arriver. Et comme tu ne veux pas finir toute seule, comme une vieille acariâtre que tu pourrais être, tu dé-, Attends !, c'est pas tu dégoupilles..., c'est le contraire..., tu dé-, tu dé, tu dééé..., tu désamorces, c'est ça ! C'est l'autre qui dégoupille sa grenade, et c'est toi qui va au feu et qui désamorce le truc, au risque de te prendre le truc dans la gueule. Mais tu ne te prends jamais le truc dans la gueule. Ça marche toujours. Un être humain, quand tu lui parles, à lui, tout seul, pas en groupe, pour éviter justement l'effet de groupe, si tu lui parles d'homme à homme, enfin façon de parler, ça peut être des femmes aussi, si tu lui parle d'homme à homme, à égalité, il te respecte, tu peux même lui dire ce qui te choque, pas tout de suite, bien sûr, il faut attendre de faire ami-ami, et ça ne devient pas toujours le Grand Amour, mais ça permet d'instaurer un modus vivendi, d'empêcher les empêcheurs de tourner en rond et de stopper les critiques incessantes. Les humains, on ne leur parle jamais assez d'homme à homme. C'est comme cela qu'ils se ferment, se barricadent, deviennent hargneux, deviennent haineux.

Où j'en étais, moi ?

Il va falloir que je me relise.

Bon, avant, une petite pause. Tu te souviens de ce que te disait ton kiné. Se lever au moins toutes les heures. Bouger. Remuer. Détendre les muscles. Tu n'as pas regardé depuis combien de temps tu es assise, là, à écrire sur ta tablette, surtout que d'abord, tu as joué sur Facebook avec tes copains de l'atelier d'écriture virtuel. Alors, là, au lieu de continuer, tu enregistres, Cocotte. Hue ! Hue, Cocotte !

"Chochotte !, Chochotte !, Chochotte, allons-y !"

Ah ! Le vieil air qui te revient ! Tu entends encore la voix d'Evelyne le chantant. Et les jeux de scènes, les grimaces, les facéties. Quelle joie c'était, cette classe de chant. Tu regrettes encore. Tu y penses encore.

Te lairas-tu, te lairas-tu, te lairas-tu-u-u mou-ou-ri.

Sans avoir si, sans avoir no,

Sans avoir re-e-chan-an-té ?

Compère Guilleri, Commère Guillerette ?...

Tiens, Guillemette, comme prénom, c'est bien ça. Ça te rappelle quelqu'un. Tu n'auras même pas besoin d'inventer le personnage. Elle te reviendra du plus profond de ta mémoire, sans te forcer. Ça, c'était un autre stage. On dirait bien que tu es une abonnée aux stages, dis-donc. Entre le stages professionnels et les stages de loisirs, on peut dire que tu en auras suivis. Et animés aussi, d'ailleurs. Ça te revient en pleine face. Ce stage-là, tu l'avais complètement oublié. Et ton stage de début pro aussi ! Tu avais complètement oublié que ça s'appelait déjà un stage. Aussi. Parce que ce n'était pas du loisir, mais ta formation initiale.

Bon, allez, repos !


02JS 20150320 Journal de 6M1 02/n : Tu as tellement peur d'être déçue que tu ne concours jamais à fond...

Tu as tellement peur d'être déçue que tu ne concours jamais à fond.

Tu t'interdis d'être première, de réussir, d'aller jusqu'à bout.

Tu as toujours été deuxième. Tu le dis. Ce n'est pas vrai. C'est une idee que tu t'es collée.

Tu as souvent été première. De quoi, tu ne te souviens pas. Certainement pas de quelque chose qui dépend d'un classement officiel.

Mais tu es toujours

Première à rire. Première à comprendre. Première à déplorer. Première à désespérer. Première à désamorcer. Première à agir. Première à prendre l'initiative. Première à aider.

Tous, sauf toi.

Tu concours pour être première. Arrête de te voiler la face. Tu veux gagner. Tu ne concours jamais que si tu es sûre de gagner.

Cette fois, tu ne veux pas juste une deuxième place. Tu veux gagner la première.

Ta première fois.

Ton premier Premier Prix.

Ton Grand Prix de Retour à la Vie.

Le Premier Prix du concours d'écriture.

[i] Mais que voilà un bon début, ça, Madame ! [\i]

© Simone Rinzler | 20 mars 2015 - Tous droits réservés.

Round 10/100 écrit le dimanche 22 mars 2015

1021 mots | 5228 signes

1056 20150321 - Fanfan, j'ai vraiment quelque chose à te dire...

Fanfan, j'ai vraiment quelque chose à te dire !

François a son air contrit. Il a besoin de se confier. Il prend son courage à deux mains, comme si Fanfan était sa pire ennemie. Il sait bien, pourtant qu'elle est sa meilleure amie, sa meilleure amante, sa meilleure copine, sa meilleure épouse. Sa Fanfan, quoi.

Il sait qu'il vont passer toute la soirée, un bonne partie de la nuit, à parler, à discuter. Il sait qu'il va devoir affronter ses démons, ceux qui le rongent. Mais il sait aussi qu'il faut y aller. Que ce n'est qu'un très mauvais moment à passer. Très mauvais. Au début, il doute toujours. Il à du mal à se jeter à l'eau. Ça lui coûte. Mais il sait aussi que ça ira beaucoup mieux après. Qu'il se sera lavé. Qu'elle l'aura rassuré. Et surtout, rassuré de son amour. Il a toujours besoin d'être rassuré.


-Oh toi, tu as quelque chose qui ne va pas... Quand tu débandes comme ça, d'un coup, c'est que tu as quelque chose qui te tracasse. Tu pensais à quoi, là ?

  • Oui. C'est ça... Je repensais à ce type qui est venu dans ma libraire samedi dernier. Tu sais, Benoît, là. Je t'en ai parlé l'autre jour. Depuis que j'ai repensé à tout ça, ça a réveillé les mauvais souvenirs.

Et puis, tu sais, je me suis demandé si finalement je ne serais pas le mieux placé pour raconter vraiment moi-même ce stage.

-C'est bien ce qu'il t'a demandé, non ?, de le lui raconter.

-Oui, c'est ça. Mais, enfin voilà, en fait, je me demandais si ce ne serait pas mieux que ce soit moi qui l'écrive. Je connais tous les détails, après tout. Son récit ne serait que de seconde main.

-Mais, qu'est-ce que tu racontes ? Tu délires complètement, là. Et si tu te mets à écrire, qui va s'occuper de la librairie ? Tes vendeurs ? Tes vendeuses ? Ils sont bien dévoués, ce sont de très bons employés, Martha est très bien formée. C'est vrai qu'elle saurait te remplacer. Mais ne laisse pas ta place. Tu ne pourras jamais plus la reprendre. Tu as déjà oublié la grogne de Noël dernier, peut-être ? Ils font bien marcher la librairie parce que tu es là, que tu remets chacun au travail et à sa place quand est nécessaire. Si tu ne le fais plus, ta librairie va t'échapper, et elle va péricliter.

Et en ce moment, ce n'est pas très difficile de faire mourir une librairie.

Tu le sais bien.

C'est toi-même qui me l'a déjà dit et répété.

Et puis, je pense que ce ne serait pas très heureux pour toi. Tu as besoin de t'occuper de choses terre à terre, de t’ôter tout projet trop grandiose de la tête. Sinon, tu sais bien que cela ne te réussit guère. Tu ne vas tout de même pas nous refaire ton épisode de la dernière fois. Laisse tomber, va !

Il faut faire confiance aux gens. Tu te souviens de ce qu'il te disait, ton copain, Frédéric ? Et bien, Frédéric, il a raison. Il n'y a pas que moi qui te le dis. Je le dis pour ton bien. Si ce ne sont pas les gens que tu aimes bien qui te le disent, qui, à ton avis, te le dira ? Tes employés. Tes collègues libraires avec lesquels tu t'es associé ? Compte sur le local, pas sur le global. En amitié, c'est le local qui est éco, qui est logique, qui est bon pour ton écologie personnelle... Je t'ai déjà nui, moi ? Frédéric, non plus. Écoute-nous au lieu de n'en faire qu'à ta tête. Mène une vie saine avec ceux qui t'aiment et ceux que tu aimes.

Cette histoire, ce n'est pas la tienne, tu n'en es pas le responsable. Tout juste le dépositaire, et encore, et tu n'es pas le seul. Il peut aller en voir d'autres. Je te rappelle que ça ne t'a pas franchement arrangé, tout ça. Ce n'est pas ton histoire. Laisse donc tomber ça et viens donc passer du bon temps avec moi.

Je suis fatiguée du boulot.

Qu'as-tu comme bon livre à me proposer ?

Ou un petit film plutôt ?

J'ai besoin de me délasser. Et toi aussi...

La semaine a été rude, Fanou. Profitons de notre bon temps pendant qu'il est encore temps.

Et laisse donc tomber ce projet d'écriture.

Tu vas t'y tuer, si tu te remets là-dedans. Je ne crois pas que tu souhaites rééditer le merdier de tes premiers essais. Surtout là. C'est une histoire trop compliquée. Tu es trop impliqué. Ça va te bousiller encore un peu plus. Laisse donc tomber, va.

Tiens, on va se faire un bon chocolat chaud et se regarder un bon film, tous les deux. Tu verras, ça va passer. Ça passe toujours.

-C'est vrai que tu as raison. Tu me connais bien, ma Fanfan. Mais tout de même, ça m'ennuie toujours de dépendre de toi, de tes conseils. Et tu sais aussi que ça m'énerve un petit peu que tu aies toujours raison. Mais, je te fais confiance. Il n'y a que toi pour se préoccuper comme cela de moi, de mon bien-être.

  • Et oui ! T'en as de la chance d'être avec une fille comme moi !

-Pas du tout ! C'est toi qui en as de la chance d'être avec un type comme moi ! Avec un autre, tu t'ennuierais !

Il se jette sur elle, en riant. Elle rit aux éclats. Laissons-donc ces deux-là...

Round 11/100 écrit le mardi 24 mars 2015

1990 mots | 11294 signes

MoocDQ3 1156 20150322 Écrira ? Écrira pas ? Que faire de mon narrateur maintenant ?

Il me reste deux options maintenant. Soit François décide de suivre les conseils de sa femme et il n'écrit pas. Soit il continue à s'interroger. C'est une âme tourmentée que l'arrivée de Benoît dans sa vie vient de perturber en lui rappelant un épisode de sa vie qu'il aurait préféré oublier. C'est l'objet de ce récit d'ailleurs, mais ne brûlons pas les étapes. J'en étais aux deux options : "Écrira ou écrira pas ?".

Mais il y a plus de deux options en réalité. Il y a tout lieu de parier que François, qui est un homme raisonnable, quoique sensible, car l'un n'empêche pas l'autre, est sincère quand il accepte les conseils de Françoise. Il a toujours su garder les pieds sur terre, même quand il ressent un tourment qui le saisit. Son enfance explique en bonne part l'attelage curieux de sa sensibilité exacerbée et de son bon sens pragmatique. Il n'a jamais franchement eu le choix de s'apitoyer sur lui-même. Les circonstances ne lui en ont jamais donné le temps. Avec le décès prématuré de son père, il a dû faire face à la longue dépression de sa mère, tout en l'aidant à prendre en charge sa petite sœur. C'est d'ailleurs pour que sa petite sœur puisse étudier qu'il a dû abandonner ses vieux rêves de khâgneux futé et ne pas persister dans le rêve de l'écriture. Il fallait gagner de l'argent, assez vite, et permettre à Laurence de pouvoir étudier elle aussi. Privé d'une adolescence semblable à celle de ses camarades de classe, il s'est privé de rêver et de persister dans ses rêves.

Sa fragilité est apparue plus tard, à la naissance de sa première fille, Camille. Homme doux et gentil, il ne s'est pas senti la force d'élever la petite et s'est beaucoup reposé sur la force et la tranquillité de sa femme. Quelque chose d'une ancienne blessure, une blessure d'amour-propre, est revenu le hanter.

Cette fois-là, ce fut à Françoise de faire face. Son gentil compagnon était bien plus fragile qu'il n'en avait l'air et sa force intérieure, à elle, a été mise à rude épreuve. Sa chance à elle fut d'avoir toujours été aimée par ses deux parents, sans aucune ombre, ce qui ne revient tout de même pas à dire sans aucune dispute. La jeune Françoise, si sage maintenant, si forte et si douce, a eu sa période rebelle. Elle en a bien profité. Elle a tenté des trucs qu'elle ne raconte jamais à ses collègues, mais François est au courant de tout, et il admire sa petite rebelle devenue une femme adulte, sage et responsable, fiable, solide et amoureuse. Leur deuxième fille va leur donner du fil à retordre pendant quelques années. La petite Lætitia cherche à s'imposer face à une mère aussi parfaite, sans reproche, si sérieuse, si ennuyeuse, pense-t-elle. François admire en secret le ressort de sa petite pré-ado, si jeune et déjà si vaillante, vibrionnante. Une petite Françoise en miniature. Une petit François aussi, avec ses hauts et ses bas, ses hésitations et ses doutes.

Je me suis encore égarée dans ma narration, même si vous voyez bien que je tente de maîtriser mon enthousiasme et de guider ce récit vers son déroulement normal. Enfin, normal, vous voyez bien ce que je veux dire, et vous vous attendiez bien à ce que ça recommence à déborder.

C'est ce qui me gêne, d'ailleurs, avec mon narrateur. Il me ressemble trop. On s'aime beaucoup. Mais parfois, j'ai un peu de mal avec ceux qui me ressemblent trop. Il y a comme un phénomène de miroir, et je me mets à les rejeter. Je ne supporte pas de voir mes défauts chez eux. Je devrais les chérir, m'attendrir sur leur sort. Cela m'arrive parfois. Mais le plus souvent, ce miroir déformant m'agace et je sors mon vieux schlass, mon coutelas de Rasselas, je fais ma pétasse, il faut que ça clashe, j'ai envie de tous les claquer, de leur exploser au nez. Le plus souvent, j'attends que ça passe. Et ça passe. J'ai dû apprendre à faire silence, à ruminer seule dans mon coin, à m'éviter d'aller trop loin. Je dois être bien plus raisonnable que je ne le pense.

Mais ce n'est pas moi qui importe ici, mais la façon dont mon narrateur va se décider à continuer l'histoire. S'il la continue. Et, dans cette éventualité, comment il va continuer à procéder maintenant que l'affaire est si mal embringuée.

Il pourrait, bien sûr, abandonner. Écouter Françoise et laisser le soin à d'autres de raconter l'affaire. Mais là, moi, ça m'ennuie, parce que là, il faudrait que je trouve un autre narrateur ou une autre narratrice et l'auteur-en-chef pourrait bien me faire la tête et me dégager directement de l'histoire, sans autre forme de procès. Remarque, ce ne serait peut-être pas plus mal. En toute franchise, cela commence même à me gêner, cette histoire d'amour en amitié qui peine à démarrer et se transforme en histoire d'amour sans histoires d'un petit couple gentillet (que j'aime beaucoup, d'ailleurs, car les pervers et les salauds, j'en ai soupé avec mon salopard de beau-frère, mais ça, c'est une autre histoire...).

Alors, bien sûr, François pourrait aussi s'effacer et me laisser la narration, mais alors là, c'est vous qui seriez déçus, car je vous aurais baladé depuis le début avec un narrateur qui ne narre pas et qui devient de surcroît, un personnage de cette histoire ancienne de stage d'écriture "Écrire, c'est vivre !"

Il pourrait aussi tout simplement rester narrateur et raconter l'histoire, bière après bière avec Benoît, dont il finirait sûrement par devenir ami. Comment pourrait-il en être autrement ? Fanfan et lui l'inviteraient et tous les deux lui raconteraient le déroulement de ce stage bien singulier, encore présent dans toutes nos mémoires et, il faut bien le dire, d'une certaine manière, fondateur de ce que sont devenues nos vies.

Mais, dans cette éventualité, il vous manquerait encore des détails importants. Comment Benoît a entendu parler de ce stage ? Pourquoi s'y est-il intéressé ? Quelle est sa profession ? Est-ce une curiosité personnelle ou professionnelle ? Ou une recherche, une quête personnelle, de quelque chose, de quelqu'un ?

De tout cela, vous n'avez encore aucune idée, et je suis certaine que ce n'est pas encore très clair dans la tête de La Reine-Mère, Notre Grande Créatrice À Nous Tous. C'est pour cela qu'elle s'est défilée et me laisse patouiller, alors que c'est une histoire qui lui tient à cœur, à elle, bien plus qu'à moi, qui ne suis qu'une exécutante des basses œuvres, bien trop basses pour son arrogant orgueil et ses envies de Grand Œuvre. Au fait, vous aviez su qu'elle s'était autrefois passionnée pour les Compagnons du Devoir, à partir de son plaisir d'écouter chanter le groupe "Malicorne" qui avait enregistré un 33 tours autour d'une histoire de Compagnons. Elle était déjà dans son grand rêve, à la recherche de familles de substitution. Elle a eu bien de la chance de ne pas tomber dans une secte. Aucune. Jamais. Elle refuse trop l'exclusion. Les sectes la fascinent, mais elle ne sait pas, ne peut pas être sectaire. C'est au-delà de ses forces.

Moi non plus, je n'aurais pas pu. Question de morale minimale. Je ne sais pas si cela a un rapport quelconque avec le "Minima Moralia" d'Adorno que je n'ai jamais lu, mais c'est sûr que ce titre que lisait et que nous a offert notre ami Tobias a dû me hanter sans que je m'en aperçoive.

Moi, ici, je ne suis que son ghost-writer, son double, sa doublure. Elle a bien trop la trouille de s'exposer toute seule. Alors elle me paie pour faire le boulot. Et moi, eh bien !, j'ai besoin de vivre. J'ai eu l'occasion de faire valoir mon talent et d'être payée pour cela. Une offre comme ça, ça ne se refuse pas. Ça permet à Alain de faire moins d'heures supplémentaires et à moi, de me valoriser à peu de frais tout en m'amusant en plus de mon travail, pourtant déjà assez prenant. Je ne vous l'ai pas dit, mais je suis traductrice, et j'en ai assez de traduire les autres. Avec ce projet-là, je gagne en liberté, en attendant de pouvoir, je l'espère, pouvoir écrire un jour en mon nom. Je gagne de l'argent en m'amusant et en me formant. De toutes façons, quoiqu'il arrive, je serai gagnante. Avec Alain, nous avons acheté une petite maison. Il faut bien payer les traites. On est encore endettés pour quelques années. Mon métier de traductrice est parfois lassant et ne paie pas très bien son homme, enfin, ici, sa femme, en l'occurrence. Alors, je fais où on me dit de faire, et ça m'arrange bien.

Et La Reine Mère aussi, par la même occasion. Je lui permets de se protéger de sa trouille de publier en son nom (mais qu'est-ce qui a bien pu lui arriver pour qu'elle soit bousillée à ce point ?, elle qui semblait avoir tout pour être heureuse...), tout en lui permettant de faire ses armes en se sentant moins seule. Elle a toujours eu une telle trouille du ridicule et une telle hantise de la bêtise qu'elle en oublie de voir ses réelles qualités. C'est elle qui a été élevée à coups de proverbes, sentences et maximes, mais c'est moi qu'elle a chargée d'être sa mouche du coche. Je suis certaine qu'elle risque un jour de me jalouser et de vouloir me reprocher de lui avoir volé la vedette.

Encore que, finalement, ce ne soit pas le cas. Elle se prétend "grande gueule", mais elle a manqué bien trop d'occasions de l'ouvrir quand on la prenait pour une idiote qu'elle n'était pas. Mais voilà, tout cela ne résout pas mon problème du moment.

Une bonne nuit de sommeil par là-dessus devrait aider à mûrir tout cela.

De toutes façons, j'ai encore un petit tour dans mon sac. Des textes déjà écrits, pendant l'atelier. Il ne me reste plus qu'à trouver comment les insérer.

Après tout, je pourrais juste les placer, là, après le journal de 6M1, directement. Pourquoi dois-tu toujours vouloir que les coutures, les cicatrices, ne se voient pas ? Un patchwork n'est-il pas moins une couverture qu'une autre ? C'est trop grossier pour toi, c'est ça ? Tu veux du raffiné, hein ?

Ah ! C'est sûr que si tu veux du raffiné, ça va te demande davantage de travail. Pour ce qui n'est qu'un gagne-pain secondaire, en plus de ton travail. Il ne faut pas exagérer non plus, quand même.

Mais de là à bâcler, tout de même pas. Je ne peux pas ne pas me passionner pour ce que je fais. C'est plus fort que moi. Je finis par travailler tant que je suis moins payée à l'heure que la femme de ménage de La Reine Mère. Je n'ai pas encore la mienne, mais j'en rêve. Ne plus jamais passer l'aspirateur, chacun notre tour, quand cela arrivera, cela voudra dire qu'on aura enfin fini de payer notre petit Home, Sweetie Eenie Meenie Tiny Home !

Là, maintenant, c'est "Action !". Je vais enregistrer mon fichier et aller me coucher. La nuit porte jarretelles et Alain m'attend déjà. Je ne voudrais pas le faire languir, ni prendre le risque qu'il soit déjà endormi, ou vaguement fâché.

Bonne nuit, les petits !

© Simone Rinzler | 22-23 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 12/100 écrit le mardi 24 mars 2015

644 mots | 3560 signes

03JS 20150323 Tu t'es mise en retrait, invisible, peu visible,ou presque...

Tu t'es mise en retrait, invisible, peu visible, ou presque.
Tu écris dans l'ombre, à l'ombre de la lumière,
Tu as figé les volets, armé les toboggans,
Tu as pris ton envol, tu es en plein vol.

Te voici tranquille, seule et concentrée, à ton établi, à l'atelier de la pensée, tu écris ton roman, tu cogites, tu écris, tu regrettes, tu hiérarchises, tu dynamises, tu tyrannises, tes personnages, tu martyrises, ton histoire, tu ne "sadises" plus, ni toi, ni ton conjoint, ni tes amis. Tu n'es plus acariâtre. Tu as filtré tes émotions négatives, tu t'es remise au travail, le travail d'écriture.

Tu as changé de genre, tu n'écris plus de philosophie du langage, de philosophie politique, ni d'histoire des idées, d'analyse stylistique, de commentaire grammatical sur les écrits manifestaires du monde anglophone.

Tu as quitté le monde de la parole manifestaire, tu es redevenue constructive, tu sais où tu vas, ce que tu fais, pourquoi tu le fais. Tu sais aussi qu'il existe une parole manifestaire sous-jacente dans ce que tu écris, mais ce n'est plus ton sujet principal, tu es passée à un autre sujet, tu peux alors dire : "Et maintenant pour quelque chose chose complètement différent !". Toujours philosophique, toujours psychologique, ton sujet n'est pas unique, tu le doubles. Tu t'es fait doubler par ton psychisme.

Tu voulais écrire une histoire d'"Amour en Amitié", tu n'y parvenais pas, tu es passée, sans le savoir, sans le vouloir, par une histoire détournée, une histoire d'amour tout court, une histoire d'amitié toute bête, une histoire d'humains simples et faciles, imbriquée dans des labyrinthes qui s'agrègent et se désagrègent au fil ta plume électronique.

Tu t'es désagrégée de ton histoire d'amour en amitié qui t'a rongée, mortifiée, tu es passée à autre chose, "And Now, for Something Completely Different", tu ne narres plus sans but. Tu te sens mieux. Tu as retrouvé une vie plus équilibrée. Tu sors, peu à peu, de ton trop long marasme que tu savais temporaire, tu te réveilles à la vie, pour de bon. Tu as trouvé un rythme, ton rythme pour ta nouvelle activité d'inactive, d'inactive retraitée. Tu passes chaque jour de nouveaux obstacles. Tu ne crains plus les clichés. Plus jamais tu ne renâcles, farouche, rétive, devant ces obstacles.

Tu tâtonnes, évidemment, mais tu ne te sens plus sous le même mode. Tu ne manques plus d'assurance. Tu t'es souvenue à force de faire, de refaire, de t'y mettre et de t'y remettre, que les tâtonnements font partie de l'apprentissage, que "C'est le métier qui rentre !", ainsi.

Tu avances en écriture, en maturité, en narrativité, en nativité de ton petit nouveau-né qui s'annonce, le tien, rien que le tien, à toi, toute seule, à partager, avec tes lecteurs, que tu espères nombreux, dans le futur. Tu as fini de te rêver écrivain. Tu es écrivain. C’est un fait.

Tu as bien fait de faire comme tu as fait. Tu trouves que tu as toujours bien fait de faire comme tu avais fait. Bien fait. Bien fait pour toi. Par toi. Il te fallait bien commencer. Laisser braire les "Bien fait pour toi ! ", envoyer paître les retenues de vivre en bon, pour de bon, bon, bon.

Bien fait pour toi.
Très bien fait.
Comme pour toi.

Bienfait

Pour

Toi.

Pour toi,

Aussi.

Qui lis.

Bien, bien.

Bon, bon.

Round 13/100 écrit le mercredi 25 mars 2015

1986 mots | 11307 signes

1156 20150322 Écrira ? Écrira pas ? Que faire de mon narrateur maintenant ?

Il me reste deux options maintenant. Soit François décide de suivre les conseils de sa femme et il n'écrit pas. Soit il continue à s'interroger. C'est une âme tourmentée que l'arrivée de Benoît dans sa vie vient de perturber en lui rappelant un épisode de sa vie qu'il aurait préféré oublier. C'est l'objet de ce récit d'ailleurs, mais ne brûlons pas les étapes. J'en étais aux deux options : "Écrira ou écrira pas ?".

Mais il y a plus de deux options en réalité. Il y a tout lieu de parier que François, qui est un homme raisonnable, quoique sensible, car l'un n'empêche pas l'autre, est sincère quand il accepte les conseils de Françoise. Il a toujours su garder les pieds sur terre, même quand il ressent un tourment qui le saisit. Son enfance explique en bonne part l'attelage curieux de sa sensibilité exacerbée et de son bon sens pragmatique. Il n'a jamais franchement eu le choix de s'apitoyer sur lui-même. Les circonstances ne lui en ont jamais donné le temps. Avec le décès prématuré de son père, il a dû faire face à la longue dépression de sa mère, tout en l'aidant à prendre en charge sa petite sœur. C'est d'ailleurs pour que sa petite sœur puisse étudier qu'il a dû abandonner ses vieux rêves de khâgneux futé et ne pas persister dans le rêve de l'écriture. Il fallait gagner de l'argent, assez vite, et permettre à Laurence de pouvoir étudier elle aussi. Privé d'une adolescence semblable à celle de ses camarades de classe, il s'est privé de rêver et de persister dans ses rêves.

Sa fragilité est apparue plus tard, à la naissance de sa première fille, Camille. Homme doux et gentil, il ne s'est pas senti la force d'élever la petite et s'est beaucoup reposé sur la force et la tranquillité de sa femme. Quelque chose d'une ancienne blessure, une blessure d'amour-propre, est revenu le hanter.

Cette fois-là, ce fut à Françoise de faire face. Son gentil compagnon était bien plus fragile qu'il n'en avait l'air et sa force intérieure, à elle, a été mise à rude épreuve. Sa chance à elle fut d'avoir toujours été aimée par ses deux parents, sans aucune ombre, ce qui ne revient tout de même pas à dire sans aucune dispute. La jeune Françoise, si sage maintenant, si forte et si douce, a eu sa période rebelle. Elle en a bien profité. Elle a tenté des trucs qu'elle ne raconte jamais à ses collègues, mais François est au courant de tout, et il admire sa petite rebelle devenue une femme adulte, sage et responsable, fiable, solide et amoureuse. Leur deuxième fille va leur donner du fil à retordre pendant quelques années. La petite Lætitia cherche à s'imposer face à une mère aussi parfaite, sans reproche, si sérieuse, si ennuyeuse, pense-t-elle. François admire en secret le ressort de sa petite pré-ado, si jeune et déjà si vaillante, vibrionnante. Une petite Françoise en miniature. Une petit François aussi, avec ses hauts et ses bas, ses hésitations et ses doutes.

Je me suis encore égarée dans ma narration, même si vous voyez bien que je tente de maîtriser mon enthousiasme et de guider ce récit vers son déroulement normal. Enfin, normal, vous voyez bien ce que je veux dire, et vous vous attendiez bien à ce que ça recommence à déborder.

C'est ce qui me gêne, d'ailleurs, avec mon narrateur. Il me ressemble trop. On s'aime beaucoup. Mais parfois, j'ai un peu de mal avec ceux qui me ressemblent trop. Il y a comme un phénomène de miroir, et je me mets à les rejeter. Je ne supporte pas de voir mes défauts chez eux. Je devrais les chérir, m'attendrir sur leur sort. Cela m'arrive parfois. Mais le plus souvent, ce miroir déformant m'agace et je sors mon vieux schlass, mon coutelas de Rasselas, je fais ma pétasse, il faut que ça clashe, j'ai envie de tous les claquer, de leur exploser au nez. Le plus souvent, j'attends que ça passe. Et ça passe. J'ai dû apprendre à faire silence, à ruminer seule dans mon coin, à m'éviter d'aller trop loin. Je dois être bien plus raisonnable que je ne le pense.

Mais ce n'est pas moi qui importe ici, mais la façon dont mon narrateur va se décider à continuer l'histoire. S'il la continue. Et, dans cette éventualité, comment il va continuer à procéder maintenant que l'affaire est si mal embringuée.

Il pourrait, bien sûr, abandonner. Écouter Françoise et laisser le soin à d'autres de raconter l'affaire. Mais là, moi, ça m'ennuie, parce que là, il faudrait que je trouve un autre narrateur ou une autre narratrice et l'auteur-en-chef pourrait bien me faire la tête et me dégager directement de l'histoire, sans autre forme de procès. Remarque, ce ne serait peut-être pas plus mal. En toute franchise, cela commence même à me gêner, cette histoire d'amour en amitié qui peine à démarrer et se transforme en histoire d'amour sans histoires d'un petit couple gentillet (que j'aime beaucoup, d'ailleurs, car les pervers et les salauds, j'en ai soupé avec mon salopard de beau-frère, mais ça, c'est une autre histoire...).

Alors, bien sûr, François pourrait aussi s'effacer et me laisser la narration, mais alors là, c'est vous qui seriez déçus, car je vous aurais baladé depuis le début avec un narrateur qui ne narre pas et qui devient de surcroît, un personnage de cette histoire ancienne de stage d'écriture "Écrire, c'est vivre !"

Il pourrait aussi tout simplement rester narrateur et raconter l'histoire, bière après bière avec Benoît, dont il finirait sûrement par devenir ami. Comment pourrait-il en être autrement ? Fanfan et lui l'inviteraient et tous les deux lui raconteraient le déroulement de ce stage bien singulier, encore présent dans toutes nos mémoires et, il faut bien le dire, d'une certaine manière, fondateur de ce que sont devenues nos vies.

Mais, dans cette éventualité, il vous manquerait encore des détails importants. Comment Benoît a entendu parler de ce stage ? Pourquoi s'y est-il intéressé ? Quelle est sa profession ? Est-ce une curiosité personnelle ou professionnelle ? Ou une recherche, une quête personnelle, de quelque chose, de quelqu'un ?

De tout cela, vous n'avez encore aucune idée, et je suis certaine que ce n'est pas encore très clair dans la tête de La Reine-Mère, Notre Grande Créatrice À Nous Tous. C'est pour cela qu'elle s'est défilée et me laisse patouiller, alors que c'est une histoire qui lui tient à cœur, à elle, bien plus qu'à moi, qui ne suis qu'une exécutante des basses œuvres, bien trop basses pour son arrogant orgueil et ses envies de Grand Œuvre. Au fait, vous aviez su qu'elle s'était autrefois passionnée pour les Compagnons du Devoir, à partir de son plaisir d'écouter chanter le groupe "Malicorne" qui avait enregistré un 33 tours autour d'une histoire de Compagnons. Elle était déjà dans son grand rêve, à la recherche de familles de substitution. Elle a eu bien de la chance de ne pas tomber dans une secte. Aucune. Jamais. Elle refuse trop l'exclusion. Les sectes la fascinent, mais elle ne sait pas, ne peut pas être sectaire. C'est au-delà de ses forces.

Moi non plus, je n'aurais pas pu. Question de morale minimale. Je ne sais pas si cela a un rapport quelconque avec le Minima Moralia d'Adorno que je n'ai jamais lu, mais c'est sûr que ce titre que lisait et que nous a offert notre ami Tobias a dû me hanter sans que je m'en aperçoive.

Moi, ici, je ne suis que son ghost-writer, son double, sa doublure. Elle a bien trop la trouille de s'exposer toute seule. Alors elle me paie pour faire le boulot. Et moi, eh bien !, j'ai besoin de vivre. J'ai eu l'occasion de faire valoir mon talent et d'être payée pour cela. Une offre comme ça, ça ne se refuse pas. Ça permet à Alain de faire moins d'heures supplémentaires et à moi, de me valoriser à peu de frais tout en m'amusant en plus de mon travail, pourtant déjà assez prenant. Je ne vous l'ai pas dit, mais je suis traductrice, et j'en ai assez de traduire les autres. Avec ce projet-là, je gagne en liberté, en attendant de pouvoir, je l'espère, pouvoir écrire un jour en mon nom. Je gagne de l'argent en m'amusant et en me formant. De toutes façons, quoiqu'il arrive, je serai gagnante. Avec Alain, nous avons acheté une petite maison. Il faut bien payer les traites. On est encore endettés pour quelques années. Mon métier de traductrice est parfois lassant et ne paie pas très bien son homme, enfin, ici, sa femme, en l'occurrence. Alors, je fais où on me dit de faire, et ça m'arrange bien.

Et La Reine Mère aussi, par la même occasion. Je lui permets de se protéger de sa trouille de publier en son nom (mais qu'est-ce qui a bien pu lui arriver pour qu'elle soit bousillée à ce point ?, elle qui semblait avoir tout pour être heureuse...), tout en lui permettant de faire ses armes en se sentant moins seule. Elle a toujours eu une telle trouille du ridicule et une telle hantise de la bêtise qu'elle en oublie de voir ses réelles qualités. C'est elle qui a été élevée à coups de proverbes, sentences et maximes, mais c'est moi qu'elle a chargée d'être sa mouche du coche. Je suis certaine qu'elle risque un jour de me jalouser et de vouloir me reprocher de lui avoir volé la vedette.

Encore que, finalement, ce ne soit pas le cas. Elle se prétend "grande gueule", mais elle a manqué bien trop d'occasions de l'ouvrir quand on la prenait pour une idiote qu'elle n'était pas. Mais voilà, tout cela ne résout pas mon problème du moment.

Une bonne nuit de sommeil par là-dessus devrait aider à mûrir tout cela.

De toutes façons, j'ai encore un petit tour dans mon sac. Des textes déjà écrits, pendant l'atelier. Il ne me reste plus qu'à trouver comment les insérer.

Après tout, je pourrais juste les placer, là, après le journal de 6M1, directement. Pourquoi dois-tu toujours vouloir que les coutures, les cicatrices, ne se voient pas ? Un patchwork n'est-il pas moins une couverture qu'une autre ? C'est trop grossier pour toi, c'est ça ? Tu veux du raffiné, hein ?

Ah ! C'est sûr que si tu veux du raffiné, ça va te demande davantage de travail. Pour ce qui n'est qu'un gagne-pain secondaire, en plus de ton travail. Il ne faut pas exagérer non plus, quand même.

Mais de là à bâcler, tout de même pas. Je ne peux pas ne pas me passionner pour ce que je fais. C'est plus fort que moi. Je finis par travailler tant que je suis moins payée à l'heure que la femme de ménage de La Reine Mère. Je n'ai pas encore la mienne, mais j'en rêve. Ne plus jamais passer l'aspirateur, chacun notre tour, quand cela arrivera, cela voudra dire qu'on aura enfin fini de payer notre petit Home, Sweetie Eenie Meenie Tiny Home !

Là, maintenant, c'est "Action !". Je vais enregistrer mon fichier et aller me coucher. La nuit porte jarretelles et Alain m'attend déjà. Je ne voudrais pas le faire languir, ni prendre le risque qu'il soit déjà endormi, ou vaguement fâché.

Bonne nuit, les petits !

© Simone Rinzler | 22-23 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 14/100 écrit le mercredi 25 mars 2015

1378 mots | 7741 signes

04JS 20150325 Tu t'es laissée emporter dans une expérience qui ne te convient pas. Tu continues. Pour combien de temps encore.

Tu t'es laissée emporter dans une expérience qui ne te convient pas. Tu continues. Pour combien de temps encore ?

Tu t'es couchée. Tu as déposé les armes. Tu es donc prête pour une nouvelle bataille. Tu es amusée. Tu t'amuses de la fantaisie qui se débride et te bride.

Tu n'écris pas le roman que tu voulais écrire.

Tu écris autre chose.

C'est insipide.

Tu y perds en profondeur, tu perds ta profondeur, ta poésie.

Cet amusement, c'est toi aussi. Il t'est vital.

Mais le projet sous-jacent lasse par sa lourdeur didactique.

Tu ferais mieux de repasser à une écriture plus théorique.

Tu n'abandonnes pas, cependant. Tu essaies encore. Tu ne sais que trop combien il faut parfois continuer à s'entêter, à continuer, même si tu ne sais pas où tu vas. Tu expérimentes, tu tentes, tu vas, tu vaques, tu vis comme tu l'entends. Tu acceptes des contraintes factices qui te font rugir. Qui brisent ton bel élan et te forcent malgré tout à ne pas rester sur place. Tu te promènes dans des artères qui ne sont pas les tiennes, que tu as négligées, et qui pourtant sont aussi à toi, pour toi. Tu persistes et tu signes de ton nom l'empreinte que tu laisses, la trace que tu traces sans plus passer par la plume, le crayon ou le stylo.

Tu as perdu ton rythme. Il revient en dépit de tout.

Cette histoire te déprime, cette histoire te lasse, mais tu ne veux pas abandonner en cours d'expérience. Tu veux aller jusqu'au bout, tu veux voir où tu te laisseras mener par ta propre encre électronique, poussée par des conseils externes généraux inadaptés, penses-tu, à ce que tu projetais.

Tu savais pourtant que ce projet n'était pas prêt, qu'il faudrait le reprendre, qu'il te faudrait une demie-décennie pour en faire le tour.

Tu es sortie de la seule déploration, de l'introspection, avant même d'avoir tenu ce que tu t'étais promis : faire un fichier unique de ce "Roman de 'Tu'" que, du coup, tu continues ici et là, faute de d'y avoir mis un point final définitif et de l'avoir envoyé à quelque éditeur.

Tu gagnes en légèreté ce que tu perds en profondeur. Peut-être es-tu plus douée pour la légèreté que pour la profondeur ? À moins que ne t'enlises ou que tu sois faite pour instiller de la profondeur dans la légèreté. Tes interrogations ne sont pas nouvelles. Tu t'es toujours sentie écartelée entre bonne humeur, vie heureuse et cogitation, méditation.

La philosophie, la littérature, le labeur délétère s'éloignent parfois de toi.

Tu vis.

Tu revis.

Tu te moques de tout, m^me de toi-même, sans jamais te moquer, ni nier ce que tu es.

Tu es double. L'as toujours été. Tu n'es pas l'un sans l'autre, pas l'une sans l'autre. Sans un des deux, tu es incomplète. Tu es le paquet complet : une "chose" et une autre, qui n'est pas son contraire, mais son complémentaire. Tu ne peux pas être ce que tu voudrais être. Tu es ce que tu es. Tu es. C'est déjà bien.

Tu l'écris. Sans passer de permis. C'est encore mieux.

Tu acceptes et tu consens à ne pas être dans la norme, pas plus que dans l'énorme. Te serais-tu interdit la mesure, par quelque conditionnement social, familial dont tu ne pourrais, à jamais, te défaire ? Tu as déjà, plus d'une fois, fait le tour de la question. Tu sais que tu n'en auras jamais fini. Tu as besoin des deux bords pour trouver le juste milieu, là où tu es "juste bien", le juste milieu.

Peut-être as-tu réussi à te débarrasser définitivement, temporairement de ta quête de normalité impossible. "Les Maladies de l'homme normal" de Guillaume le Blanc a inscrit son empreinte dans ta réflexion, tes actes de parole. Dans tes actes aussi. Tu as fui les ravages de la "normopathie". Tu as consenti, tu consentis à te sentir différente, à le dire, à l'écrire, le transmettre. Et tu sais, et tu sens que plus tu consens à quitter l'impératif révolutionnaire, artistique, l'impératif externe, plus tu gagnes en profondeur, en singularité, et plus tu deviens universelle, plus cela t'engage à et vers l’extérieur. Ton retrait comporte encore une forme d'engagement que tu ne peux taire plus longtemps.

Tu arpentes ton psychisme, par écrit, seule, écrivant devant des lecteurs en ligne qui te lisent, mais dont peu te répondent. Tu ne peux écrire complètement seule. Tu n'as jamais pu.

Là est ta faille.

Là est ta force.

Ta force d'écriture.

Pour cela, tu n'as pas besoin de conseils. Juste d'un cadre. D'une contrainte. Contrainte molle, contrainte acceptée, d'une promesse à toi seule faite, mais dans le cadre d'un engagement public, en participant à un gigantesque atelier d'écriture sur Internet prenant la forme d'un MOOC que tu avais répudié l'an passé, le trouvant - stupide et encore brisée que tu étais ! - pas assez bien pour toi.

En te contraignant à en rabattre, à rabaisser tes exigences, tu avances, allez !, vite !, un cliché, à grands pas de géante. Que cela te plaise ou non, ce qui sort de tes entrailles psychiques, cela sort malgré toi et de bon gré, ce qui sort te fait du bien, un bien fou qui t'éloignes de ce que tu as cru être ta folie et qui n'était que ta dépression.

Dépression. Longue. Tourmentée. Majeure. Que tu as appelé ta crise de sénescence", la peur de ton vide à l'approche de la retraite. Son arrivée. Le sentiment d'inutilité dévolu aux inactifs, aux vieillards, aux enfants, aux chômeurs, aux sans-papiers.

Tu n'as pas eu le courage de penser la question de l'utilité et de l'inutilité sociales, tu ne t'es pas encore jetée dans la lecture de Bentham pour y travailler précisément ce sujet-là. À quoi donc cela t'aurait-il été utile, alors que plus rien de ce que tu savais faire si bien ne t'était plus utile ? Tu avais perdu le vrai goût de presque tout.

Le goût d'écrire est là. Les cloisonnements génériques entre genre noble et genre populaire ne sont pas pour toi. Tu n’écris jamais que ce que tu penses qu'il faut avoir le courage de penser, pour ne pas s'illusionner plus longtemps que nécessaire, pour faire front, pour faire face. pour avancer.

Jour après jour, tu mets en place davantage de choses, tu deviens de plus en plus fière de toi, tu reprends conscience, tu reprends confiance. En toi. La confiance que tu avais perdue dans une lutte perdue d'avance dans laquelle tu ne t'es que trop acharnée.

L'envie de vie a repris le dessus. Tu as lâché du lest, lâché du mou, lâché de ta dureté, tu t'es adoucie, délestée, amusée. Tu as pris soin de ton corps pour tenir la distance. Tu ne sais ce qui te pousse, sinon l'envie de la vie qui a repris vie. Ton corps empâté retrouve sa silhouette. Le régime, efficace, est venu de lui-même, avec la marche, les vacances, l'activité régulière, et l'amour, bien sûr, l'amour, même si ce matin, tu abordes ta troisième journée sans activité physique - autre que ton sport préféré avec ton aimé.

Aller, aller vite, se lever, se doucher. Commencer par prendre un café. Se lire. Se relire. S'aimer. S'activer. Cultiver ses affects joyeux, comme le brave Spinoza.

Attendre sans attendre que commence la journée. Penser. Écrire. Vivre. Rêver.

Le moustique de mars t'a enfin délaissée. Il ne devait pas aimer ta littérature.

Tant pis pour lui. Tant mieux pour toi.

Café.

© Simone Rinzler | 25 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 15/100 écrit le mercredi 25 mars 2015

2671 mots | 15028 signes

### Exo 3 1556 20150324-5 Les étapes d'un récit classique

** Les étapes d'un récit classique**

[Intérieur nuit. Dans la librairie.]

-Bon, alors, je suis prêt. vous pouvez commencer à poser vos questions.

-Très bien. Alors, voici ma première question : Si tu essaies de visualiser la scène, à ton avis, quelle serait la première image du récit ?

-Un libraire, moi, bien trop bavard, est installé pour raconter une histoire qu'il peine à raconter. On ne sait s'il parle ou s'il écrit. Il se déclare être chargé d'être le narrateur du récit. Parle-t-il ou écrit-il ? Il semble parler. On imagine qu'il est debout, peut-être, au début de l'histoire, dans sa librairie, quand vous venez me poser des questions sur cet extravagant atelier d'écriture auquel j'ai fini par participer, quoique n'y étant pas prévu au départ.

-Très bien. Eh bien, tu vois que tu peux y arriver ! Alors je passe à ma deuxième question : Quelle est le thème du récit? Montrez-le nous avec une scène ! Ah bah ! Oui, quand je l'ai écrit, je ne savais pas encore que l'on se tutoierait. Alors, raconte-moi en une scène le thème du récit :

-Bon, je n'ai vraiment jamais fait cela, mais que voulez-vous savoir ? Je préfère te vouvoyer, là, pour l'instant, ça m'aide à me concentrer davantage et à moins déborder. Tu me connais maintenant. Sinon, je vais finir par rigoler, on va picoler, on va se marrer tous les deux, je vais t'inviter à la maison et on n'y arrivera jamais. Ça, ce sera pour plus tard. Quand on aura assez travaillé ensemble.

Je vous raconterais bien directement ce qui a clashé, mais il y a eu tant de péripéties que je ne sais par laquelle commencer ? L'attente de l'animatrice de l'atelier d'écriture "Écrire, C'est vivre !" qui ne s'est pas présentée le jour du début du stage ? La tenue de l'atelier par les stagiaires en attendant la venue d'un replaçant brillant dont l'arrivée sera trop tardive ? Les petites luttes de pouvoir et les grandes chamailleries dans un atelier sans responsable pédagogique dans un environnement chaleureux, bien choisi pour la qualité des hôtes des stagiaires ? Ma place dans ce récit ? Celle de ma femme ? Les amis que nous nous y sommes faits ?

La description des lieux, des stagiaires, leurs productions littéraires ? Il me faudrait des notes pour cela. Mais mon auteur les a peut-être gardées. Elle devrait pouvoir les retrouver et les insérer quelque part, dans des endroits bien choisis.

Mais alors là, ce ne serait plus moi le narrateur. Il y en aurait deux.

Et d'ailleurs, si on ajoutait les écrits des stagiaires, on passerait complètement à un roman polyphonique.

Remarquez, cela plairait bien à l'auteur empirique de ce roman, elle qui rêvait d'écrire sur ses stages de musique, elle pourrait s'en donner à cœur joie, à chœur joie, même !

De toute façon, le thème resterait le sujet philosophique de l'amitié et de la manière dont des groupes, informels constitués d'inconnus au départ, se façonnent et évoluent vers des amitiés solides et durables, mais si fragiles, et se comportent comme des amoureux dans une histoire d'amour. On serait alors en plein dans une histoire d'"Amour en Amitié". Banale, géniale ou tragique. Qu'importe.

Tout dépend du point de vue duquel on se place. Comme toujours, tout n'est question que de contexte et d'appréciation de la situation par les uns et les autres. Et les êtres humains sont si différents, leurs réactions si diverses et leurs caractères si variés qu'il semble difficile de faire émerger ce qui serait une, que dis-je "une" ?, "LA" vérité de l'histoire.

C'est donc la question du point de vue qui se pose, bien avant celle de la vérité. Ce qui compte n'est pas d'être vrai, mais d'être juste, à partir d'un point de vue, d'un contexte. Or le contexte ne peut être le même pour chacun des participants, puisque tous sont différents. On voit donc que l'enjeu est de taille et l'on comprend que j'y aille un peu à reculons, en prenant le sujet avec des pincettes. Surtout que ce qui s'est passé m'a grandement affecté. Pour le moins. Mais je ne veux pas, je ne peux pas commencer par là. Cela me serait trop douloureux.

Mais voilà, avec cela, cela vous donne une idée du thème du récit. Le thème de l'amitié, de la montée en puissance d'amitiés en groupe, voire de la descente et les points de vue de l'histoire sont inévitablement liés. Et comme il s'agit d'un atelier d'écriture, il faut que le style soit en adéquation et qu'il n'y ait donc pas une unité de style, mais bien une variété.

-Peux-tu me préciser quel était le monde normal du héros, avant ce grand chambardement ?

-Tout dépend de qui on considère comme le héros dans ce roman. Répondre à cette question n'est pas le plus facile. Si on pense au personnage le plus présent jusqu'à maintenant, il ne fait aucun doute qu'il s'agit de moi, et de ma difficulté à m'assumer comme narrateur d'un roman alors que je n'ai jamais vraiment écrit, ou si peu. Je suis libraire. Je travaille dans le monde du livre, je suis dans les livres toute la journée, tous les étés aussi, mais en réalité, je ne suis ni conteur, ni romancier. Donc, s'il s'agit de moi, je dirais que son monde est un monde normal, banal, le monde d'un petit commerçant dans une banlieue privilégiée et qu'il a le privilège de ne pas être que dans le commerce, puisque son commerce est engagé dans une volonté de diffusion de la culture et du savoir. C'est un homme modérément engagé, mais fidèle à ses engagements. Un homme banal, qui ne casse pas des briques, mais qui fait ce qu'il a à faire le mieux possible, à la mesure de ses moyens, qu'il sait limité. C'est là sa sagesse.

Maintenant, si vous parlez de mon auteure, notre amie, Solange Klein-Lepetit, elle se repose sur moi. Et elle est d'ailleurs, elle-même, le porte-plume d'une universitaire devenue incapable d'écrire et qui n'a jamais réussi à publier son Grand Œuvre philosophique.

Maintenant, parler de normal pour cette femme-là, c'est peut-être aller un peu vite en besogne. Solange, oui, elle est normale. Mais l'autre, ça me paraît moins sûr. Enfin, bon, moi ça ne me regarde pas, surtout que la question de la normalité, avec ma sœur, ce n'est pas non plus une question facile, mais ça vous comprendrez pourquoi un peu plus tard si j'arrive à tenir le fil sans dévier.

-Pourrais-tu essayer quand même de me dire quel est l'incident qui va déséquilibrer le monde normal du héros ?

-C'est précisément l'absence de l'animatrice de l'atelier qui va déséquilibrer tout le monde dans cet atelier d'écriture qui avait été très bien organisé en amont, notamment du point de vue de l'accueil. C'est quelque chose en lien avec ma sœur. Mais, cela m'est difficile d'en parler. Je ne voudrais en aucun cas lui nuire davantage. Nous avons été très éprouvés par ce qui s'est passé, ou plutôt, par ce qui n'a pas pu se passer. Mais, vous comprenez, je ne voudrais pas trop en dire. D'ailleurs, j'en ai déjà trop dit. Par recoupement, vous allez finir par trouver. Et si Laurence...

-Alors, justement, j'ai une autre question, là. En fait, c'était : Montrez-nous le héros qui tergiverse, qui hésite à se lancer dans l'aventure !

[Il part d'un gros rire franc]

-Ça, ce n'est peut-être pas le plus utile, effectivement. La plupart de ce qui a déjà été dit, par moi, donc, ou écrit par d'autres, Solange ou 6M1, n'est que tergiversation pour tenter d'aller droit au but, sans y parvenir réellement !

-Alors, comment répondrais-tu à la sixième question qu'on pourrait formuler ainsi : Le héros se lance et c'est l'acte 2 ?

-Facile ! C'est ce que je suis en train de faire, là, avec toi. Je te raconte mon histoire ! Ça ne te suffit pas comme ça ? Tu voudrais vraiment que je me mette à écrire à ta place ? Non, non, non... Pas d'ça Lisette ! J'ai mon métier, moi, c'est déjà assez prenant comme ça ! Et puis Fanfan ne serait pas très contente que j'aie changé d'avis. Ni moi non plus d'ailleurs... Elle sait ce qui est bien pour moi, tu sais. C'est mon Ange Gardien. Elle n'aime pas que je l'appelle comme ça, c'est le seul truc qui peut la rendre hystérique si je blague trop fort devant ses copines féministes de l'école. Oups ! Là, je crois bien que j'en ai déjà trop dit. Je vais encore passer pour un gros beauf et ça va m'empêcher de dormir, tout ça, encore... Tu n'écris pas ça, hein ? Je peux te faire confiance, j'espère ?

Et, puis, je ne parle pas de Laurence... Il ne manquerait plus que ça. Déjà que ça a été malentendus sur malentendus alors que j'essayais de la protéger, contre son gré, mais pour son bien.

Tout ça, c'est Off the record, hein ? Je ne tiens pas à avoir d'ennuis, moi. C'est déjà assez compliqué comme ça !

-Si tu ne veux pas que je sache quelque chose, tu n'as qu'à pas me le dire, hein ? C'est le deal, hein ? Personne ne t'oblige. J'essaierai de faire au mieux, mais ça m'a l'air super compliqué ton histoire, et pour tout dire, je n'y comprends encore strictement rien, sauf que personne n'a vraiment envie d'en parler, ce qui est quand même bizarre, tu en conviendras. Et donc, du coup, j'ai envie d'en savoir plus et si ce n'est pas toi qui me le dis, je l'apprendrai par quelqu'un d'autre, qui sera peut-être nettement moins bien intentionné que toi envers ta sœur, et alors, ben, moi, je ne sais, pour ta sœur, ça a l'air d’être important pour toi que l'histoire soit racontée sans être trop déformée, non ? Bon, alors, revenons à nos moutons. D'après toi, quelle serait l'intrigue secondaire, dans cette histoire ? C'est la question 7.

-Ah ! Eh bien là ! Ça me semble tout à fait évident ! L’histoire finira-t-elle par être racontée, oui ou non, ou bien n'est-ce qu'un prétexte avec un retournement probable ou possible, enfin, du moins, envisageable ? Et, si oui, par qui ?, et surtout comment ? Comment ?

Easy Peasy!

Ça, moi ce type de situation dans un roman, ça m'éclate carrément. Je ne le dirais pas comme ça à la plupart de mes clients, ils ne me suivraient plus trop dans mes choix et j'ai quand même une boutique à faire tourner. Mais moi, personnellement (et en ce qui me concerne..., Tu l'as vu, tu l'as vu, mon clin d'yeux !), j’aime assez ce genre de littérature expérimentale, un peu biscornue et tarabiscotée. Et puis, ça laisserait ma frangine de côté, et là, je serais plutôt partant...

-Bon, je crois qu'on s'achemine tranquillement vers la fin. La question 8, c'était "Tout se passe d'abord bien pour le héros: montrez-le nous !"

-Là, je crois que c'est très facile aussi. L'entretien se passe bien. On s'entend bien. Tu me comprends. Ça roule, ma Boule ! A l'aise, t'en déplaise ! Dans moins de dix minutes, on en sera à la petite bière !

-Alors, maintenant, question 9 : L'enjeu devient plus crucial : montrez-le nous !

-Que veux-tu que je te dise de plus, là, maintenant ? Rien ne peut être plus crucial que ce que je t'ai déjà dit. Et, puis, il faut aussi savoir rester discret.

-Hmmm Hmmm. Tu sais quelle est la question 10 ? Les adversaires du héros deviennent très menaçants. Ça ne te dit rien ?

-Ben, non, je ne vois pas.

-Vraiment pas ? Hein ! Hein ! D'où tu me connais, hein ? Tu me connais d'où, hein ?

-Ben, du primeur, le gros Ben. Benjamin Renaudeau ! Il m'a dit que tu faisais une enquête sur les gens qui écrivent et il pensait que j'étais le mieux placé pour répondre. Pourquoi ?

Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? Hé ? Ho ? Benoît. Il t'arrive quoi, là ? Tu veux me faire flipper ou quoi ?

-Alors... Question 11. Tu vas voir, tu vas aimer la question 11. Là, tu vas arrêter tes blagounettes genre "Onze ? Fait chier !". Quessss-tion On-on-on-ze : "Le HÉROS pense que tout est perdu-u-u-u-"...

-Beuh.., beu-euh..., euh..., c'est quoi, ton plan-là ?

Ho !!!

Benoît !!!

Déconne pas, quoi ?

Benoît ?

-C'est vrai que tu es impressionnable, mon petit gars ! Un vrai petit héros ! Elle a vraiment pas de bol, ta frangine, avec un soutien de famille pareil... Laurence Lefèbvre, c'est ça ?... Bon, alors, on en finit, j'ai pas que ça à faire... Alo-o-ors 12. "Au pire moment, les intrigues principales et secondaires se rejoignent et l'intrigue secondaire aide à résoudre l'intrigue principale (et c'est la fin de l'acte 2).

[Sueur. À grosses goutes. Respiration courte.]

-Et ben, on peut pas voir ça demain, là ? Y'a Fanfan qui m'attend pour aller au ciné avec ses copines et je ne me sens pas très bien, là. Tu veux pas plutôt qu'on reprenne demain, à la pause de midi ? Disons vers midi et quart. Le représentant de DiffuLibriX sera parti et j'aurai un peu plus de temps. Agathe pourra s'occuper de la boutique pendant ce temps-là.

Sinon, pour finir rapidement, il n'y a pas vraiment d'intrigue, tu sais, c'est juste la vie comme elle va, avec ses hauts et ses bas. Donc, ces histoires d’intrigues principales et secondaires, ça ne devrait pas entrer en ligne de compte pour ce que tu veux faire. Si tu veux bien faire ce que tu m'as dis que tu faisais....

Mais d'ça, j'en suis p'us très sûr. Tu m'as foutu les je'tons, t'sais ! Moi, je n'ai jamais été un dur, hein ? Juste un mec qui bosse et qui tente de mener sa barque comme il peut, avec une sœur qui a des problèmes. Alors, si tu pouvais essayer d'pas m'en rajouter, ça m'arrangerait, là, tu vois ?

-Ne t'inquiète pas. Je sais bien que cela ne te rassure pas, qu'il fait noir et que je t'ai fichu la trouille pour te faire marcher et voir comment tu réagissais et si je pouvais te faire confiance, mais là, évidemment, tu n'es pas obligé de me croire. J'ai été maladroit par bêtise, c'est tout. Je ne pensais pas que tu étais froussard comme ça. Tu m'excuses ? Hein ? Tu m'excuses ? Allez, on termine. Sans rancune ? Allez, la dernière, avant de trinquer ensemble avant que tu rentres. Question 13. Te portera-t-elle bonheur ou malheur ? Tu veux pas dire, hein ?, tu veux pas être superstitieux parce que ça porte malheur, hein, c'est ça ? Voilà. Treize : Quelle est l'image finale de votre fiction? En quoi rappelle-t-elle l'image initiale ?

-C'est simple. je suis à la librairie, prêt à bientôt fermer ma boutique et un gars que je ne connais pas et qui ne m'a contacté que le jour-même au téléphone vient de rentrer. J'allais juste me servir une petite bière avant de renter à la maison. Il s'approche de la caisse. Tu connais la suite...

[Grands éclats de rire]

© Simone Rinzler | 24-25 mars - Tous droits réservés

Round 16/100 écrit le jeudi 26 mars 2015

1773 mots | 10368 signes

1656 20150326 Voilà. C'est terminé. J'ai bien fini mes devoirs, Maîcresse !

Voilà. C'est terminé. J'ai bien fini mes devoirs, Maîcresse !

Mais quand est-ce qu'elle va arriver, l'autre, là, l'invisible, pour nous délivrer de cette ogresse ?

Je ne sais pas pourquoi, mais cette Andréa a le don de m'énerver. En même temps, elle est géniale. Ce qu'elle nous fait faire à tous, c'est vraiment incroyable.

C'est tellement réussi que c'est à se demander si ce n'est pas fait exprès, comme moyen de nous libérer, de nous aider à nous connaître avant de démarrer vraiment. Il ne faut pas paranoter, tout de même. C'est commencé, et bien commencé. Ça a vraiment démarré, et le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est parti sur des chapeaux de roues.

Là, mine de rien, je suis déjà repartie à réécrire mon roman, intégralement. Pourvu qu'elle ne revienne pas l'autre. Je suis tellement bien partie que ça pourrait me déconcentrer. Là, j'ai repris confiance. J'ai une faim de loup, des idées à revendre, et surtout, je suis repartie sur mon histoire et je sens que là, je suis vraiment partie.

C'est fatigant, un stage d'écriture. Peut-être même beaucoup plus fatigant qu'un stage de chant, mais c'est vivant. J'aurais cru que les gens se prendraient davantage la tête. Ça doit être le résultat de mon ancienne expérience "Chant/Théâtre/Cirque" pour un des premiers festivals "Maraude(s)" à Bolesnes. Je n'ai pas aimé travailler avec ceux que j'ai appelé les théâtreux. Ce sont des gens qui se prenaient trop au sérieux, qui ne s'amusaient jamais vraiment assez. Ils étaient tous très prise de tête et pas franchement à l'aise dans leur corps. Il faut dire aussi que le directeur était un vrai tortionnaire. C'était comme s'il voulait faire craquer tout le monde. Y compris sa copine. Une jolie petite blonde, danseuse, qui nous faisait un échauffement corporel fantastique avec ses conseils de danseuse, de regard porté au loin que j'ai retrouvé dans un autre stage d'ailleurs. Je ne me souviens plus de si cette jolie blondinette était une bonne danseuse ou pas, ni même de son prénom, ni même si elle a dansé sur scène avec nous. C'était il y a si longtemps et je ne l'ai jamais revue. Je venais de perdre ma grand-mère, je commençais à être malade, j'ai beaucoup oublié, mais cela me revient. Ses traits sont devenus vagues. Pas ce qu'elle était. Son enseignement, de quelques heures seulement, sur plusieurs semaines, m'a beaucoup marquée et beaucoup aidée pour mon atelier, puis mon enseignement de lecture à voix haute à l'université. Je me souviens juste de son chagrin quand l'autre la martyrisait et l'humiliait devant tout le monde. J'espère qu'elle s'est échappée de cet enfer qui se préparait pour elle. Il était imbu de lui-même. Très bon acteur, Excellent, même. Je l'avais vu, seul sur scène. Un acteur fantastique. Une présence et une intensité incroyables. Mais comme prof de théâtre, il était non seulement imbuvable, mais..., il était surtout très nul. Il n'avait aucune écoute des autres, aucun regard, pas même d'égards. Seul son projet comptait. Son CV. Sa notoriété. Lui. Lui. Lui. Moi. Moi. Moi.

Elle a été bonne en son temps, sa notoriété. Il a même joué à Avignon, est passé à la télé, même si ce n'est pas cela qui fait les bons, il a quand même retenu l'attention. Il avait une incroyable présence. Trop. Je ne crois pas qu'il ait perduré. Ça n'a dû être qu'un feu de paille. Les autres ne comptaient pas pour lui. Ils n'étaient que ses outils, ses pantins, l'assouvissement de ses faims.

Il m'a fait fuir du théâtre et de mon envie de théâtre pendant des années. Pas seulement lui, d'ailleurs. Je n'ai vraiment sympathisé qu'avec une seule des stagiaires, celle avec laquelle je travaillais en binôme, elle au théâtre, moi au chant, pour le même rôle féminin principal, une vieille fermière amoureuse de son jeune valet de ferme qui fait tout pour le mettre dans son lit. Du théâtre populaire du XVIIe ou XVIIIe siècle. J'aurais dû aller voir ailleurs, parce que ça me titillait vraiment, ça, le théâtre. J'avais organisé des improvisations théâtrales au lycée quand j'étais en première, à l'heure du déjeuner, avant ou après la cantine. Je ne sais vraiment pas pourquoi j'ai laissé ça tomber. Si, je sais. j'ai poursuivi mes études, ai eu mon concours, des enfants, j'ai divorcé. Tout s'est enchaîné et de fil en aiguille, le théâtre a disparu de ma vie. Je n'ai jamais eu l'habitude d'aller régulièrement au théâtre. Rien de plus qu'une habitude non prise, que des petits passages en tant que spectatrice non poursuivis, des aléas de la vie, pas une véritable envie.

Ce n'est pas le théâtre qui m'a fait fuir des stages. Ce sont les hommes qui se transforment eu à peu en dictateurs quand ils commencent à avoir peur de perdre quelque chose qu'ils commencent à effleurer du bout des doigts. Envolés, les bons sentiments, les tâtonnements collectifs, l'ambiance de troupe s'étiole, peu à peu, les gens partent, les uns après les autres. Malheur à ceux qui restent trop longtemps par amitié, fidélité, qui ne partent pas assez à temps.

Et les stagiaires aussi. Trop dans la pensée qui tourne en boucle, pas assez dans la vie. Des gens perdus. Bien plus perdus que je ne le suis ou ne l'aie été la majeure partie de ma vie. Des amoureux des "affects tristes". Je ne connaissais pas ce concept-là, ni Spinoza, ni Deleuze, alors, mais je le ressentais profondément. Il fallait cultiver en son jardin ses "affects joyeux" et fuir, fuir, les malheureux au malheur contagieux. Ou les dérider. Sans s'y prendre les pieds.

Elle est tout de même incroyable, cette Andréa. Cette force, cette énergie. J'espère que cette petite brunette ira loin et ne perdra pas sa capacité à prendre tout du bon côté et à enchanter la vie de ceux qui l'entourent. Je n'utilise jamais cet adjectif "solaire", je crois bien que je n'ai jamais vraiment bien compris ce que voulaient dire ceux qui l'employaient. J'y ai toujours vu quelque chose de négatif quand ils l'employaient. Solaire, pour moi, ça veut dire que celui qui l'emploie est sous le charme, se reconnaît dans celui qui fait mieux que lui, c'est un adjectif de passifs qui admirent et envient ceux qui réussissent mieux qu'eux. Je n'aime pas dire solaire. Je préfère ne rien dire. Ou qualifier autrement. Elle, elle rayonne. Elle brille. Elle éclaire. Elle est claire. Sensible. Dynamique. Joyeuse.

Je me demande bien si j'aurais eu la moelle d'animer comme ça des ateliers d'écriture avec des gens si différents en dehors d'un cadre scolaire ou universitaire. Cette fille a du génie, et c'est rare que je dise cela. Je ne crois qu'au travail régulier, et comme je ne parvenais plus à travailler... Sa générosité est telle, son enthousiasme et sa fraîcheur si communicatifs...

C'est vraiment une magicienne, une bonne fée. Elle a réussi à faire ressortir ma douceur. Elle était si enfouie que je l'avais oubliée. Je suis vraiment bien là. Je suis en train de me faire des amis. Il y a une douceur et une sensibilité ici qui nous extirpe de nos soucis. Elle me rappelle une prof de chant qui m'a beaucoup fait progresser et avec qui j'ai continué à travailler après le stage. C'est cette même chaleur que je ressens ici.

C'est vraiment cela, se mettre en vacances. De ses emmerdements. Se détendre. S'amuser. S'apprécier. S'apprivoiser.

On est pas bien là, toutes les deux, détendus du Grand ?

Voilà que je souris toute seule. Je vais passer pour une idiote. Mais je ne suis pas idiote. C'est la joie d'avoir pu proposer mon texte réécrit !

Une victoire de plus.

Maintenant, attendre les critiques. Ouh, là ! Dur, de prendre les critiques, de les digérer, de les accepter, de les refuser, les réfuter, y repenser, les prendre en compte, malgré tout, après coup, après avoir dit, "Oui, bien sûr. Tu as raison! Je n'ai avais pas pensé." Surtout quand tu n'y avais pas pensé, que tu n'y avais pas pensé et que ton petit cuir fragilisé est bien trop amolli par la dure lutte du darwinisme mâtiné de capitalisme triomphant, rampant même dans les lieux de diffusion du savoir et de la culture. Bref, quand tu es encore un peu sur la défensive.

Profite, profite de ta joie.

Vite. Vite.

Ils vont te dire ce qu'ils en pensent. Prépare-toi. Prépare-toi.

Mais..., ça fait longtemps que tu es dans tes pensées. Depuis combien de temps as-tu fini de lire ton début de roman ?

Le temps s'est-il étiré, comme lors d'un événement marquant que tu attendais, pendant un oral de concours, une soutenance de thèse, par exemple. Tu repenses à ton oral d'agrégation, oui, celui-là même, et à ta soutenance d'HDR. Là, je me sens moins prête. Plus fragile. Je n'entends rien. Ça m'inquiète. Un peu.

Sont-ils scotchés ? Émerveillés ? Impressionnes ? Atterrés ?

C'est atroce. Mais dites, dites quelque chose, bon sang. Faites quelque chose, bon dieu. Je ne vais tout de même pas commencer à implorer Dieu ?

Inspire. Non, n'inspire pas. Expire. Lentement.

Savoure ton moment. C'est là. C'est maintenant. Tu viens de te lancer. Une longue inspiration profonde surgit. Tu es calme. Tu es bien. "Aaahh ! Pfou-ou-ou-ou-ou... Comment tu retranscrirais cette onomatopée du souffle maîtrisé, du souffle revenu. De l'animus accordé à l'anima, du souffle et de l'âme réunis, tu ne sais plus lequel est lequel, de la plénitude corps-esprit, comme au stage de musique médiévale ? Tu parlerais peut-être de bien être, en deux mots. Pas en préconstruit, prémâché, prêt-à-consommer. Une pensée de l'être, de l'être bien", de l"'être juste".

Décidément, Boucles d'Or t'a marquée, même si tes boucles ne sont pas encore d'argent, ma chère Boucles Vermeilles des Merveilles.

Tu as bien fait de venir.

Comme tu es bien.

Comme tu es.

Tu es.

Soit.

Sois.

"N'y pense plus. Tout est bien."

[Harmonica.]

© Simone Rinzler | 26 mars 2015 - Tous droits réservés.

Round 17/100 écrit le vendredi 27 mars 2015

723 mots | 4131 signes

1756 20150326 Quelques réflexions, en passant, un peu en surplomb...

Quelques réflexions, en passant, un peu en surplomb...

C'est un jeu dangereux de se mettre en scène comme ça. Il faut pouvoir tenir la distance sur le long terme. Tenir la distance aussi par rapport à soi-même.

C'est assez prétentieux, parce que c'est très ambitieux, et que c'est se condamner à la réussite. C'est surtout courageux de s'y lancer en ayant conscience de toutes ces difficultés, ce qui signifie que c'est un projet vraiment fou.

C'est ce qui rend le projet passionnant, c'est que le lecteur se demande comment l'auteur s'en sortira. Et comme il y a plusieurs auteurs, plusieurs narrateurs, que l'auteur est son double et que son double a un double, le risque est de se tromper, de se rater, de se laisser entraîner, emporter vers un genre plutôt qu'un autre tout en laissant tomber le cœur de son projet. Cela demande une lucidité et une capacité de réflexion et d'auto-réflexivité hors normes. C'est ce qui fait précisément toute la grandeur du projet. C'est ce qui en fait tout le danger. Toute la dimension folle.

Le risque, après, n'est peut-être pas aussi grand qu'on l'imagine. Pas tant pour l'auteur et son rapport à lui-même que pour ce que l'auteur craignait de son virage vers la littérature.

La littérature est incapable de masquer, de travestir le réel. Elle s'ancre dans le réel. Y compris à l'insu de l'auteur.

"La littérature pense", certes.

Elle pense où elle veut. Où elle peut.
Elle fait ce qu'elle veut.
Elle ne fait pas ce que son auteur veut.

Le texte prend son autonomie.

Il pense seul.

Il abandonne l'auteur.

Le laisse seul, face à son texte, face à ses intentions, ses représentations de lecteur idéal et ses représentations de lecteur bien peu idéal. Face à son retour vers le réel de la la littérature, de l'écriture.

Chaque lecteur interprète à sa manière. En fonction de sa vie, de ses expériences, du contexte de lecture.

En fonction aussi de la représentation qu'il se fait de l'auteur. Représentation qui peut être tout aussi erronée et fantasmée que les représentations de lecteur que l'auteur empirique se fait de ses lecteurs dans le contexte d'écriture, puis de réécriture et de publication de son texte. Sans compter les représentations de texte et de lecteurs que s'en fait l'éditeur qui accepte d'éditer le texte. Sans oublier les modifications de représentations de lecteurs que l'auteur est amené à envisager au moment des négociations, mot à mot, paragraphe par paragraphe avec celui qui s'est engagé à publier le texte. Texte qui se modifie. Malléable, taillable, dépeçable à merci. Jusqu'à la réécriture à quatre mains, en âpres négociations entre auteur et éditeur.

Que penser d'un éditeur ou d'une éditrice qui ne voudrait rien changer ?

Qu'il est paresseux. Pressé. Enthousiasmé. Bluffé. Insuffisamment exigeant.

Se garder de l'enthousiasme béat. Ne pas céder à la facilité de l'admiration de quelqu'un qui n'a jamais écrit. Prendre le compliment. S'en gorger. S'en gaver. Pour le moral, ça ne fait pas de mal.

Se garder de la correction effectuée avec une minutie excessive. Tenir bon sur ce qui compte. Évaluer, peser, soupeser ce qui compte. Après la quête, littéraire, existentielle, la lutte. Sur le terrain.

Lutter. Pied à pied.

Se laisser faire. Résister. Céder. Tenir bon. Faire des choix. L'un après l'autre. Chaque chose en son temps. Rester posé. Déterminé. Continuer. Poursuivre jusqu'à la fin. Sans se renier, ni se rogner.

Tenir le point.

Poing levé.

Désarmer.

Publier.

© Simone Rinzler | 26-27 mars 2015 - Tous droits réservés

[Sources : LECERCLE Jean-Jacques, "Interpretation as Pragmatics" et LECERCLE in Lecercle & Shusterman "L'Emprise des signes - Débat sur l'expérience littéraire", Seuil + mes propres travaux sur le sujet, modèle ALTER, ASTER, etc.]

Round 18/100 écrit le vendredi 27 mars 2015

928 mots | 4932 signes

1856 20150327 C'est très courageux de s'exposer la première aux critiques des autres...

-C'est très courageux de s'exposer la première aux critiques des autres.

Mais là, on peut dire que tu nous a mis la barre un peu trop haut !

Comment allons-nous faire, nous, maintenant ?

-Eh bien, vous ferez comme moi, pas à pas, un pas après l'autre, comme pour la marche en montagne, comme pour l'apprentissage de la cuisine, du tricot, de la mécanique ou de l'informatique. Comme pour l'apprentissage de la conduite.

A ton avis, tu crois que je suis née comme ça ?

Tu ne te demandes pas pourquoi j'ai tellement besoin d'être toujours rassurée ? pourquoi je me jette comme ça, tête baissée, tête la première ?

Mais pour ne pas me faire écraser !

Parce que je suis comme toi. Je n'ai pas confiance en moi ! Qu'est-ce que tu crois ? Que je suis de bois ? Pourquoi donc, à ton avis suis-je là, sinon parce que je sais que sans les autres, je ne suis rien ?

Tu crois que je me la pète ?

Mais, c'est de trouille, que je pète ! depuis toujours ! Et ai beau le savoir, affronter mes trouilles une à une, je pète toujours autant de trouille ! Alors, c'est vrai, oui, j'ai réussi à faire reculer beaucoup de peurs, même mon extrême phobie des serpents. Pschuit ! Envolée ! Terminée ! Tellement terminée que je n'ai même plus besoin de prouver aux autres ou à moi-même que je ne l'ai plus. Elle est partie. Mais... Pas toute seule... Pas sans mal !... J'y ai travaillé ! Je me suis accrochée. Je me suis forcée. Année après année. J'ai même re-testé, pour voir, à intervalles plus ou moins réguliers, mais je sais que c'est vraiment terminé !

Tu sais, ce n'est pas parce que je suis une timide qui se soigne que je n'ai pas besoin d'aide.

Le manque de coopération, de nos jours, on en crève ! Au boulot, surtout !

-Ah bah, ça dis donc ! On dirait pas.

-Oui, moi aussi, je trouve que tu exagères quand même un petit peu !

-Mais arrêtez ! Vous ne voyez pas que vous allez la faire pleurer !

-Oui, et en plus, j'ai horreur de pleurer en public. Je n'aime pas montrer mes faiblesses. Ça a toujours été mon plus gros défaut. Me croire plus forte que je ne suis. mais je ne suis qu'un tout petit être, mais qu'elle est une femme, et qu'elle est rigolote !

Vous savez, il faut se méfier des jugements tous faits. Les gens qui plaisantent sans arrêt ou qui rient trop fort ont de terribles blessures à cacher. Là, on ne peut pas dire que vous m'aidez trop. Enfin, je préfère faire l'effort de vous le dire. Hop ! Hop ! Hop ! Et n'allez pas me consoler, non plus ! J'ai horreur de la pitié !... Mais alors, horreur ! Ça, ça me fait fuir !

Mais qu'est-ce que j'ai fait pour être si fière et si dure avec moi-même?

-Ben, toi, rien, sûrement. Tu as dû réagir à des situations certainement terribles.

-Hmm... Bien vu ! C'est un peu ça... Et... Oui, je consulte. Déjà. Je ne peux pas faire sans. Ça m'a sauvée d'ailleurs !, sans quoi, je serais devenue vraiment folle. C'était ma terreur, ça, de devenir folle. Il faut dire que des fous en tous genres, j'en ai plus que frôlé une sacrée tripotée. C'est pour cela que je me suis enfin lancée dans une écriture sur la folie. Carrément. Directement. Pour, une nouvelle fois, terrasser la bête qui m'empoisonne la vie. Ça m'a toujours réussi, de fuir la fuite ! C'est difficile, on s'interroge sans arrêt, mais, au bout du compte, on apprivoise ce qui fait peur et on n'a plus peur. Voilà, c'est tout.

Moi, ce qui m'intéresse avant tout, c'est que vous me disiez ce qui va et aussi ce qui ne va pas dans ce que j'ai écrit. Je suis un peu fatiguée d'avancer toujours en aveugle, à tâtons. Je vous demande juste de ne pas y aller trop fort. je me sens encore très fragile, fragilisée. Le boulot m'a tuée...

Je ne demande pas grand chose. Juste un peu d'attention. Et des réflexions. Justes. Même si elles font mal. On digère. Je finis toujours par tout digérer si je sens que l'intention n'est pas mauvaise. Et là, je vous fais confiance. je me sens en confiance. Je prends confiance. Je reprends confiance. Alors, là, je vais me taire et je vais vous écouter.

Et...

Je vais prendre des notes, bien sûr ! Oui ! Je vais encore faire ma bonne élève ! Ça ne me réussit pas trop quand je me relâche trop. Un peu, c'est bien, ça détend, mais il ne faut tout de même pas aller jusqu'à l'avachissement total. Je ne suis pas venue dans un club de vacances, mais dans un atelier d'écriture, pour travailler mon manuscrit. On n'est pas là non plus que pour raconter sa vie, mais bien pour améliorer son écriture.

Voilà. je me rassieds, parmi vous. Je me sentirai moins au tribunal.

© Simone Rinzler | 27 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 19/100 écrit le samedi 28 mars 2015

1263 mots | 6515 signes

1956 20150328 Moi, je trouve que ce serait plus efficace si on allait un tout petit peu plus vite...

-Moi, je trouve que ce serait plus efficace si on allait un tout petit peu plus vite. Parce que sinon, ce soir, on n'aura pas tous fini de lire. Et le but, c'est quand même que tout le monde puisse passer. Et puis, tu vois, Simone, tu parles trop longtemps, tu passes ton temps à te justifier, et du coup, personne ne peut te dire ce qu'il y a vraiment à dire de ton travail.

Donc, ce que je propose, c'est qu'on puisse passer tous, avant ce soir. Et pour cela, il faudra que chacun écoute ce que l'on a à lui dire de son texte sans que la personne ne réponde. Et je trouve que c'est une bonne idée que chacun prenne des notes de ce qu'on lui dira pour pouvoir y retravailler ce soir. On pourra se faire une séance d'écriture, réécriture, correction ce soir à partir des indications de chacun. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, mais si ça vous va, je crois que ce serait pas mal qu'on commence comme ça !

  • Ah ! Oui ! Oui, Très bien !

-Oui !

-Très bien.

-Parfait.

-Moi, ça me va comme ça !

-Oui.

-Ouais !

-Hmm, hmm !

[Hochements de tête. Approbation générale]

-Bon, vous êtes tous d'accord ? Pas besoin de faire un vote ?

[Brouhaha d'assentiment, indistinct.]

-Non, Non, OK, Ça va. Parfait, On y va, Allez !, on perd notre temps !

-T'as qu'à continuer comme ça, Andréa ! Nous, ça nous va.

Oui. Oui. OK. Parfait. Oui. OK. Allez ! On avance ! Yeah ! Yeah. Oï, Oï ! Ah ! Ah ! Ah !

-Bon, OK. Puisque vous êtes tous d'accord, je prends en charge. Mais avec vous, hein ? Pas toute seule...

-Andréa ! Andréa ! Andréa !

-Chu-UT' ! C'est moi qui commande ici, maintenant, bordel !

[Rires de tous]

-Vas-y, Andréa, t'as l'âme d'un chef !

  • Moi ? Ça risque pas ! Allez, allez, on se remet au travail... Non ?! Mais tout de même ?!!!...

On finit les réactions au texte de Simone et après on passera à...
Qui est volontaire ? Françoise, tu veux bien y aller ?
Solange ? OK.
Préparez-vous.
Les autres aussi.

Décidez vite de votre ordre de passage. Plus vous êtes timides, plus il faut passer vite, comme Simone.

OK. Je prends en note : Toi, toi, toi.

Toi ? Tu peux me rappeler ton prénom, déjà, on ne se connaît pas encore vraiment tous, hein, alors excuse-moi ?

Bon, vous avez tous déjà compris, moi c'est Andréa. C'est facile. C'est comme dans la chanson de Bobby Lapointe :

-Annn'dréa, c'est toâ ? [Chanté - en voix de ténor]

-Entre et assieds-toi, c'est ça !... [Parlé - en voix d'abruti]

Georges. OK, Michel, Raphaël, Geneviève. Bon, on avance. Les autres, vous prévoirez votre ordre de passage après. On se fera une petite pause tout à l'heure. Je crois que c'est prévu dans le programme du gîte. Alors, on y va !

Oui vous aussi, vous pourrez changer, mais maintenant, on avance !

-Bon, je me lance. Moi, je voudrais dire que je trouve ça beaucoup trop long. C'est vrai que c'est drôle, cette espèce de jeu entre narrateurs concurrents, entre névrose et schizophrénie, mais ça gagnerait à être resserré. C'est beaucoup trop long pour un début. Ça accroche le lecteur, ça a un côté rigolo, mais ce n'est pas assez entraînant pour retenir un lecteur qui n'aime pas ce genre d'écriture. On dirais que tu hésites entre le comique et le sérieux et que tu n'as pas encore fait ton choix. Et, franchement, je crois qu'avec la facilité d'écriture que tu as, tu peux faire beaucoup mieux. A condition d'accepter de te plier à quelques règles. Moi qui te connais un peu, je crois que tu n'es jamais meilleure que quand tu te contrains à la brièveté. Maintenant, ce que j'en dis, c'est ce que je ressens, c'est tout. C'est peut-être aussi parce que je te connais un peu et que j'ai lu tes écrits sérieux et vu leur évolution. Et puis, ça dépend surtout de ce que tu veux faire.

-Ben, justement, je ne sais pas encore très bien ce que je veux faire.

-Moi, je crois que tu devrais essayer de reprendre dès le début en commençant in medias res, en plein milieu d'une scène d'atelier. Un truc d'entrée qui soit vraiment scotchant, tu vois ? Un truc qui montre sans démontrer, directement dans le gras du texte, dans le gras de l'action. On sent trop tes tergiversations, ton hésitation à y aller franco. Tu sais que tu peux te permettre d'y aller franco de port, alors, arrête d'hésiter et fonce. Paf ! Mets-leur en plein la vue, d'un coup, avec un incipit qui déménage !

-Le problème est bien là. Je voudrais bien, mais je ne trouve pas d'idée d'incipit qui tape.

-Moi, j'ai trouvé ça très bien, c'est vivant, c'est amusant, c'est tonique ! On ne s'ennuie pas.

-Je ne suis pas si sûre que cela que ce compliment me plaise, tu vois-là ! Tu avais raison, toi, c'est Armelle, c'est ça ?. J'hésite entre le comique et le sérieux et quand on me trouve comique, eh bah, là, ça me vexe, comme si on me trouvait idiote.

-Je t'ai dit t'arrêter de justifier tout. Écoute et prends note, c'est tout !

-Ah ! Oui, oui ! Pardon...

[Grimace de bouche fermée à l'extrême, tête penchée et gestes de clown penaud, elle se dandine.]

-Non, c'est bien d'être drôle ! D'autant plus que là, ça ne manque pas de finesse. Mais je suis d'accord. C'est beaucoup trop long. Il va falloir retravailler.

[Énorme grimace d'ennui exagéré, coins des lèvres tordus vers le bas. Gros yeux ronds de clown tournant en orbites gros ouverts.]

-Bon, je crois que si on veut tenir le temps, on va s'arrêter là. A qui le tour, maintenant ? Moi ? Bon. OK. Comme ça, ce sera fait. Bon, mais là, j'ai un peu la trouille, là, mais j'y vais !

Et puis, non, finalement. Je viens de changer d'avis. Excusez-moi. Il faut que ce soit quelqu'un d'autre. Il ne peut pas y avoir deux personnes qui prennent le dessus sur tout le groupe. Je ne suis pas l'organisatrice du truc, moi. Je rends service, en attendant. C'est tout. Je préfère arbitrer le temps de tout le monde. C'est donc moi qui passerai en dernier.

Alors, qui, maintenant ?

OK. A toi.

Viens lire devant nous. Installe-toi, tranquillement, on t'écoute.

©Simone Rinzler | 28 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 20/100 écrit le dimanche 29 mars 2015

1568 mots | 8163 signes

2056 20150328 Bonjour à tous... Re-Bonjour. Je vais me présenter d'abord. Je m'appelle Françoise, je suis instit' et je crois bien que j'écris depuis toujours...

Bonjour à tous... Re-Bonjour. Je vais me présenter d'abord. Je m'appelle Françoise, je suis instit' et je crois bien que j'écris depuis toujours.

Voilà mon texte. C'est une très courte nouvelle qui fait partie d'une série de petits contes horribles que j'envisage d'écrire ici. Comme je suis plutôt quelqu'un de doux, je me lâche quand j'écris.

Voilà :

Il est là, Papa ?... [Des Nouvelles de Thierry ?]

Nouvelle

Thierry rentre de l'école. Maman est déjà là. Elle ne travaille plus le lundi, ni le mardi non plus d'ailleurs. La maison est dans un désordre indescriptible. Maman n'a plus le moral. Elle cherche un nouveau travail. Elle ne fait plus le ménage. Papa ne l'aide plus non plus.

"Il est là, Papa ?", demande Thierry.

"T'as qu'à aller voir !", répond Maman.

"Il est là, Papa ?"

"Va voir, que j'te dis !"

Mais Thierry n'ira pas voir. Il a trop peur. Peur de son Papa. Peur de son petit oiseau. Peur pour son petit oiseau à lui.

"Mais, qu'est-ce tu fous, Thierry ? Va voir, que j'te dis !"

Thierry demande : "Y'a du goûter ?"

Il prend bien soin de ne pas répondre. Il pète de trouille. C'est tous les jours pareil. Il ne sait jamais si son Papa est là, et sa mère, elle s'en fout. Elle comprend pas. Elle pense qu'à elle.

-Y'a du goûter ? Maman ! Y'a quelque chose pour le goûter ?

-T'as pas fini d'me faire chier, avec ton goûter ? Mais tu penses qu'à bouffer, ma parole ! Putain d'gosse. Ah ! C'est bien l'fils à son père, çui-là !

-"Maman, tu m'as entendu ?", répète Thierry, "Y'a du goûter ?"

Il a bien entendu que sa mère n'est pas dans ses bons jours. Elle a encore dû picoler. Mais, c'est la seule qui peut encore le protéger un peu de son père. Alors, il s'approche d'elle. Il se dit que s'il est gentil avec elle, il ne viendra pas l'ennuyer cette nuit.

Il vient lui faire un câlin.

"Qu'est-ce tu m'emmerdes avec tes cajoleries, l'moutard. Ah ! T'es bien comme ton père, toi ! Toujours dans mes pattes, toujours à v'nir t'coller. J'chais pas c'qu'i'z'ont dans c'te famille !"

Thierry renifle. Il a la goutte au nez.

Bruit brusque dans la serrure.
C'est la porte d'entrée.

L'horreur va commencer.
Thierry se réfugie dans sa chambre, sans goûter.
Il essaie d'écouter ce que se disent ces deux-là. Pas difficile. Ils gueulent à qui mieux mieux. C'est à celui qui qui gueulera le plus fort. Si ça se trouve, ils vont encore se battre.
Thierry n'aime pas quand ils se battent. Maman met Papa à la porte de leur chambre et Papa vient pleurer dans sa chambre.

« Mais pourquoi qu'elle est partie Françoise ? Depuis qu'elle s'est mariée, tout le monde m’embête à la maison ».

Papa va encore rentrer dans sa chambre quand Maman l'aura foutu dehors. Il va encore venir pleurer. Et peut-être que ce soir encore, il sortira son petit oiseau, en pleurant, et qu'il fera encore peur à Thierry avec son petit oiseau qui devient gros.

Thierry n'arrive pas à faire ses devoirs. Il a envie de pleurer. Mais il sait que s'il pleure, il va s'prendre une branlée.

Il se mouche doucement, dans sa manche. Il renifle. Il essaie de faire son exercice de grammaire. « Le petit oiseau gazouille dans l’arbre. Mets la phrase au pluriel ». Il écrit : « Les gros oiseaux garfouillent ». Il ne comprend rien. Il est pété de trouille. Il a peur. Peur des oiseaux.

Qu'est-ce qui lui arrive ?

Il vient de faire pipi sur le plancher de sa chambre, sur la chaise de son petit bureau. Son pantalon est tout mouillé.

Vite, vite !

Tout cacher et se changer.

Il se met en pyjama et roule son pantalon et sa culotte en boule. Vite ! Sous l'oreiller.

Non ! Ça va sentir mauvais.

Où alors ?

Il hésite. Glisse le tout sous le lit.

Son père ouvre la porte.

  • « Ça va, mon petit Thierry ? »

  • « Oui. Oui. Ça va, Papa. Et toi ? »

Il se mouche dans sa manche. Sourit faiblement.

Thierry est bien trop impressionnable.

Il se raconte des tas d'histoires depuis que sa sœur est morte dans un accident de moto.

C'est Papa qui conduisait.

Thierry se noie.

© Françoise Taillefer | 16 décembre 2014 - Tous droits réservés

-Eh bien, dis donc ! Heureusement que tu nous as dit que tu étais douce...

-Wouah ! Alors ça, ça pique les yeux !

-Ça pique les yeux ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

-Ben, ça tape, quoi !

-Ah ! Oui, ça, pour taper, ça tape ! Je vous avais prévenus... C'est un petit conte horrible, je vous l'avais bien dit. Les enfants adorent ça ! Ils adorent en écrire...

-Attends, laisse les autres commenter.

-Ah, oui ! Pardon. C'est dur de ne pas répondre. On peut quand même répondre un petit peu, quand même ? Je n'aimerais pas que cet atelier se transforme en bagne. Cela fait des années que je fais des stages d’écriture, et c'est important que chacun puisse s'exprimer, sinon, on va être frustrés.

-Oui, du moment que c'est juste un peu !

-Où est-ce que tu vas chercher tout ça ?

-Je ne sais pas. Ça fait tellement longtemps que j'écris. L'écriture, c'est mon défouloir... Je ne sais pas d'où ça sort... Un jour, c'est sorti comme ça. Je me suis mise à écrire des histoires horribles. Il faut dire qu'avec mon métier, j'en ai vu des pauvres gamins perturbés. Ca me touche. Ca doit être ça qui ressort quand j'écris.

-Alors, vos commentaires ?

-Ah, bah, c'est drôlement bien, hein !

-Oh, non ! C'est trop noir ! Moi, je n'aime pas du tout. J'ai horreur des histoires glauques. C'est déjà assez difficile comme ça, la vie, il n'y a pas besoin d'en rajouter.

-Maxwell, Qualité Filtre ! Ce n'est pAAAs la pEI-EIne d'en rAjOU-outEr !

-C'est quoi, ça, ton truc, là, Maxwell ?

-Une vieille pub télé pour du café, comme Nescafé spécial Filtre, tu vois ! T'es trop jeune, t'as pas dû connaître. C'était avant Whaddelse ?

-C'était moins drôle...

-Ah, si ! Moi, je la connais.

-Ouais, moi aussi !

-En tous cas, les élèves d'Alain, au lycée, eux, ch'uis sûre qu'ils diraient "Comment qu'ça nique sa race !"

-Les enfants, les enfants ! On reprend, là. Ce n'est pas encore l'heure de la récré !

-Oh, oui. C'est vrai !

-On est déjà infernales !

-Heureusement que Raphaël est sage.

-Oh. Fiche-lui la paix, toi !

-Et puis Georges !

-Et Michel aussi...

-Et moi aussi, dit la Petite Poule Rousse !

-Et moi ? Et moihaha...

-Wop' ! Pardon !

[En chœur.]

-Par-don, Maî-treeeesse !

-Tu pourrais pas la relire, là. J’ai l'impression qu'il y a quelque chose qui ne se goupille pas bien. On ne comprend pas bien qui dit quoi, si le père est déjà rentré dans la chambre ou s'il y rentre tous les jours. J'ai l'impression que c'est un peu flou.

Ah ! Non ! Ce n'est pas flou du tout. C'est au contraire très bien fait pour faire monter un moment de flottement. Sur moi, ça a bien marché, ça m'a déstabilisée.

-Tu n'aurais pas dû nous prévenir que c'était une histoire horrible. Du coup, nous, on a moins eu la surprise. On s'attendait à une horreur. C'est pour ça que tu chipotes, toi.

-Non, je ne chipote pas. J'ai vraiment l'impression qu'il y a quelques petites modifications à faire pour que ce soit vraiment percutant.

-Bon, eh bien Françoise reverra ça pendant la séance de ce soir.

A qui, maintenant ? Toi ? OK.

Allez, allez, on s'active !

-Ah ! Au fait ! Une dernière question : Pourquoi la soeur s'appelle Françoise ?

-Elle s'appelle Françoise ?!? Oh, non !... C'est, c'est..., ben mince, c'est mon stylo qu' fourché !

© Simone Rinzler | 28 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 21/100 écrit le dimanche 29 mars 2015

158 mots | 304 signes

2156 20150329 Untitled

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                                                                                                                                                      .

Round 22/100 écrit le dimanche 29 mars 2015

122 mots | 309 signes

2256 20150329 Silence is language too.

Silence is language too.

                                                       (**da capo, Tutti**)

© Simone Rinzler | 29 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 23/100 écrit le dimanche 29 mars 2015

790 mots | 4571 signes

2356 20150329 Quelle est la cohérence, la logique d'un récit volontairement construit sans cohérence ni logique apparente ? - Intermède

Quelle est la cohérence, la logique d'un récit volontairement construit sans cohérence ni logique apparente ?

Intermède

Une logique de double-fond, de chausse-trappes, d'illusions. Une logique qui défie la logique des sens en éveil. Une logique tordue, biaisée, cachée dont il faut chercher la cohérence.

Le texte a sa propre cohérence interne. Celle-ci reste invisible au lecteur. L'auteur suit une logique qui n'est pas la logique habituelle d'un récit. La chronologie est malmenée, les objectifs annoncés sans cesse floués, floutés, flouted même en anglais. Une certaine histoire de la littérature, épurée, expurgée, excommunie les expériences les plus farfelues. Elles sont pourtant à l'origine du renouveau du récit, du roman, de la littérature générale. L'oubli, l'abandon de ces textes pionniers, récurrents dans l'histoire de la littérature est volontaire, ordinaire, banal. L'esprit ne retient que ce qui semble clair au premier abord. L'esprit est paresseux. Il se contente du plus simple, ne cherche pas la difficulté, la prouesse, ni l'expérimentation. Il se prélasse, oublieux que tout ce qu'il adore, ce dont il fait son miel, dérive de ces écarts volontaires, solitaires, par salves d'écoles plus ou moins formelles. L'histoire de l'art nous a habitués à ces effractions dans la routine d'un domaine où la routine signe l'émoussement, l'érosion et la mort d'un style, d'un genre, populaire à une époque, puis abandonné à la suite de nouvelles percées dans des chemins encore non découverts, des travées non empruntées, des traversées toujours pas effectuées et des façades encore non vaincues.

En toute logique, ce récit devrait présenter le texte de Solange. A défaut, celui de Georges, Michel ou même de Raphaël ou de quelque autre déjà nommée ou à peine esquissée, Geneviève, par exemple.

Voire, pourquoi pas ?, clore par une ellipse temporelle avec le texte d'Andréa ou la soirée de réécriture personnelle.

La logique de ce récit l'interdit. La linéarité de l'histoire commence à s'installer, le lecteur s'y est glissé, non sans effort, et l'auteur, enfin mis en jambes et désormais dérouillé, déverrouillé, décomplexé, jouit du confort agréable d'une histoire qui roule toute seule, sans encombres, qui se déroule sans anicroches.

Céder à la facilité serait renoncer au projet déterminé. Tout le début serait perdu, la construction échafaudée, quoique non terminée, tomberait d'elle-même, et avec elle, l'ambition affichée. Seule la fantaisie serait de mise. Ce serait déjà bien. Ce serait insuffisant. Le jeu, l'enjeu est de se perdre, de se tromper, de rebrousser chemin, de revenir à nouveau sur ses pas, sur les lieux de son crime de lèse-routine, de tourner en rond jusqu'à la solution idéale, jusqu'à une fin acceptable, déraisonnable, de montrer sans démontrer l'énormité du projet, sa folie, sa grandiose apothéose.

Déjouer la facilité, à mi-parcours d'un premier jet d'écriture est probablement le choix le plus difficile à effectuer.

Accepter. Consentir. Se priver de repères, garder les pistes semées, sciemment et au hasard, se jouer de son jeu et remettre tout en jeu à chaque session d'écriture, de jour en jour.

Écrire comme un joueur. Écrire comme un fou. Écrire comme quand on s'en fout.
Se mettre des bâtons dans les roues, se semer, se perdre et s'enfoncer dans la complexité.
Refuser la facilité, réfuter la fluidité, inventer, inventer, se rater, prendre le risque de s'échouer.
S'exposer. Jouer.
Avec ses nerfs, avec ses peurs. Avec ses terreurs. Avec ses ardeurs.
Risquer de tout perdre par arrogance et entêtement.
S'arrêter en si beau chemin serait pure folie.
Affronter la folie.
Persister.
Créer.

En son labyrinthe creuser.
Encore.
Avant d'être mort.
Encore.
S'échapper au dehors par l'intérieur.

Sortir.
Dehors.
Libre.
Enchaîné à de nouvelles chaînes.
Les ignorer, ne pas les voir, trop tard.
Goûter de la perte des anciennes.
Savourer l'apparition des nouvelles.

Chaîne du savoir, de l'intérêt, de l'amitié, de l'espérance, de l'expérience.

© Simone Rinzler | 29 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 24/100 écrit le dimanche 29 mars 2015

299 mots | 1573 signes

2456 20150329 En toute logique, ça devrait être à moi. Je passe mon tour....

En toute logique, ça devrait être à moi. Je passe mon tour. Cela me devient trop difficile de tenir ce rythme infernal. On est dimanche, je ne suis toujours pas allée voter, je n'ai pas encore mangé, l'après-midi est déjà bien commencé, j'ai besoin de me reposer de cette histoire.

Je passerais bien la main à mon libraire fou, mais cela me demanderait trop de travail. Il faudrait que je réfléchisse à la couture, à la soudure, au moyen de raccrocher ce retour au narrateur d'origine.

Bien sûr, écrire cela pourrait suffire, mais la ficelle serait beaucoup trop grosse. Il ne faut pas que le lecteur voie les ficelles. Surtout si ce sont des cordes de paquebot.

C'est sûr que je pourrais déjeuner, ou aller d'abord voter, mais j'aimerais bien reprendre la narration moi-même et ne pas laisser la main à la Simone. J'ai un travail. Je dois m'y tenir.

Bon, aller voter ? Déjeuner ?

Pas encore prête...

Rester là, à réfléchir, ne rien faire, s'obstiner est peut-être la seule chose que je puisse faire. Alain est parti en randonnée. Je dois profiter de ce temps libre pour avancer mon texte et être disponible quand il reviendra.

Réflexion hébétée. Trop fatiguée. Je ne produis plus rien de bien. je tourne en boucle.

Fermer l'ordinateur un peu et se délasser s'impose.

Hypoglycémie, je suppose.
Manger.

© Simone Rinzler | 29 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 25/100 écrit le dimanche 29 mars 2015

589 mots | 3589 signes

MoocDQ3 2556 20150329 Car elle n'aurait fait rien de tout cela...

Car elle n'aurait fait rien de tout cela... Elle aurait poursuivi. Elle n'aurait pas été affamée, ni n'aurait eu besoin d'aller voter. Elle aurait continué son récit, repensé à un film, à un livre, à un auteur, à un style. elle aurait eu envie de tester de tester ce style, de se mesurer à la mémoire défaillante de l'incipit de ce roman et de comment il révolutionna la narration en commençant pas "For", "For she..." pour être plus précis, elle aurait soigneusement évité de se souvenir du verbe, de ce qui viendrait derrière. Elle aurait pris son clavier, commencé un fichier, se serait laissée envoûter dans son propre "Stream of consciousness", aurait goûté le délice du discours rapporté distancié, se serait demandé si le procédé se serait vu rapidement, plus ou moins selon les participants, leur connaissance de l'anglais, de la littérature anglophone, pionnière de la littérature mondiale et se serait demandée jusqu'où remonter pour caractériser la période moderne et aurait finalement abandonné, repensé au film The Hours", au temps qu'elle avait perdu à suivre les autres au lieu de suivre son instinct, elle aurait imaginé, Virginia Woolf écrivant, montant au phare, commençant son essai comme une objection "Mais", "But will you say", "But" elle en était certaine, elle préférait l'esprit à la lettre, cela suffirait, elle retournerait au début de *Mrs Dalloway", sans pour autant monter vérifier dans la bibliothèque des classiques anglophones, les grands, là-haut.

Elle aurait tenté de chasser les pensées de femme qui marche, cailloux dans les poches, sur les rives, loin de la berge, elle aurait eu un flash du nez de la femme de Tom Cruise, qu'elle aurait pour une fois enfin trouvée belle, avec un nez normal, pas un nez en trompette, quoiqu'un nez fabriqué, trafiqué, pour imiter le réel. Elle aurait revu la sage robe à fleurettes, les poches, se serait intriguée pour cet intérêt soudain de cette auteure qu'elle avait toujours tenue à distance respectable plutôt que respectueuse, il y avait quelque chose qu'elle n'avait jamais aimé chez Virginia, ni chez celles qui s'en réclamaient, celle qui l'appelaient par son prénom, elle, elle l'avait toujours appelée par son nom puis son prénom. Elle était au cœur des cristallisations les plus folles. Elle sentait que VW ne la concernait que de loin. Elle était allée y voir de plus près, par curiosité, bien après la découverte programmée lors de ses études, avait lu, découvert, redécouvert, et toujours cette même distance. Incompréhensible et acceptée, consentie, rassurante, même.

Elle aurait joué au pastiche de mémoire, sa mémoire l'aurait bernée. Elle aurait progressé, dans son récit, dans son intrigue, dans son style.

Elle aurait souri pensant qu'elle aurait pensé "Elle aurait eu une belle vie" et qui aurait été "Elle", elle aurait noté l’ambigüité, l'aurait dégustée, l'aurait laissée de côté, serait passée à autre chose aussi naturellement que si elle avait lavé des assiettes dans un évier.

Elle aurait tout brouillé effacé les marques de ponctuation elle aurait tout délité serait sortie du cadre limité elle aur

Vingt ans qu'elle n'aurait pas voté, serait restée le dos penché sur le manuscrit elle n'aurait pas été retrouvée av

Elle aurait disp

Elle

© Simone Rinzler | 29 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 26/100 écrit le dimanche 29 mars 2015

401 mots | 2016 signes

MoocDQ3 2556 20150328 La vie en groupe, la vie des groupes me fatigue...

La vie en groupe, la vie des groupes me fatigue. Ils sont là, nous sommes là à nous amuser. Moi aussi, je ris,. C'est si drôle. Il y a tant de vie. On rit. On rit. Mais c'est fatigant. Je me sens toujours mieux un peu en retrait. Je ne sais si c'est l'âge. Ma petite belle-fille me dit souvent "Vous dites ça, Geneviève, parce que vous avez oublié comment vous étiez ! Vous ne vous êtes jamais amusée en groupe quand vous étiez jeune ? A l'école ? A Branly ? En allant ou en rentrant de l'église, du caté ? Vous n'avez tout de même pas pris votre petite sœur en charge depuis toujours. Vous étiez déjà grande déjà, quand votre mère est décédée !". C'est vrai qu'elle a souvent raison, ma p'tite Solange. Elle est agaçante, elle cherche toujours la petite bête, elle aime me contredire, mais elle n'a pas tort. Ah ! Ça, pour ça, elle est forte, elle. Elle n'est pas comme moi. Moi, je n'ai pas sa force. Ça m'aurait tuée s'il m'était arrivé ce qui lui est arrivé.

Tiens, je préfère allez me coucher. Demain, il fera jour.

Elle m'a quand même entraînée dans un drôle de truc. Je me demande bien ce que je fais là. Enfin, j'ai promis à c' vieil Alain de sortir quand on me propose des sorties, mais ça me coûte, ça me coûte. Je me pousse. Faut se secouer ! Faut se secouer !

Ah !

Enfin...

Elle se déshabille, passe au cabinet de toilette, renifle, s'affaire, va se coucher et éteint.

Ah ! Comme tu me manques, mon vieux Gérard ! On aurait été si bien, tous deux, dans le Berry. Et puis ma pauvre sœur, qui vient de me quitter aussi. On ne se voyait plus beaucoup. Mais c'était ma sœur, ma petite sœur. Ah ! Là ! Là ! Mon vieux Gérard. si tu savais ce que j'aimerais te retrouver, là bas, au fond du trou. Tu me manques. Tu me manques. Tu me manques...

© Simone Rinzler | 29 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 27/100 écrit le lundi 30 mars 2015

109 mots | 682 signes

2756 20150330 Tu te morigènes...

Tu te morigènes. Tu n'aimes pas être à la traîne, Tu te sens à la remorque.

Tu aimes faire à ta manière. Tu te laisses entraîner. Tu perds ton originalité.

Passe la main, Continue en sous-main, Mets-y du tien.

Tu te morigènes, Tu ne prends plus de plaisir. Reprends tes affaires,

Et toc ! Chie pas dans ton froc, Détache la remorque.

Va où te chante, Ris ou plaisante, Suis ton chemin,

C'est le tien.

Viens, tiens !

Elle prit son vélo et pédala,
Elle s'échappa,
En réchappa,

Avec son Tralala

Simone Rinzler | 30 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 28/100 écrit le lundi 30 mars 2015

262 mots | 1350 signes

2856 20150330 Tu sais, je crois que je vais changer d'avis, Françoise. Je ne peux pas laisser ce type raconter n'importe quoi...

-Tu sais, je crois que je vais changer d'avis, Françoise. Je ne peux pas laisser ce type raconter n'importe quoi.

-Ça ne m'étonne pas. Je me demandais aussi combien de temps tu tiendrais dans cette situation intenable.Bien sûr que tu ne peux pas le laisser faire. D'ailleurs, si tu ne t'étais pas décidé, je l'aurais fait, moi. Après tout, j'y étais inscrite, moi, à ce stage d'écriture.

-C'est vrai ? Ça ne t'ennuie pas ? Ah ! Ma Fanfan, je suis tellement content ! Et tu sais que je voulais te demander ton aide ! J'allais le faire à l'instant.

-Banco ! Tu sais ce qu'on dit ? "On ne change pas une équipe qui gagne !" Et c'est parti !

-Vas-y, Zappy !

-Happy Zappy !

-Génial !

-T'en as d'la chance de m'avoir !

-Non, mais ? Ça va pas ? C'est toi qui a d'la*chance de m'avoir !

-Banzaï ! On commence ce soir. Rassemble tout ce qu'il nous faut. Il faut que l'on s'organise. Tu vas voir, ça va dépoter. Pendant ce temps-là, je m'occupe du dîner.

On est parti pour une équipe d'enfer ! Attends, je vais t'aider à la cuisine, on ira encore plus vite !

© Simone Rinzler | 30 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 29/100 écrit le mardi 31 mars 2015

941 mots | 5879 signes

2956 20150331 L'Atelier devait commencer le vendredi matin...

L'Atelier devait commencer le vendredi matin. Les premiers participants étaient arrivés tôt la veille. Ils avaient déjà déballé leurs affaires, choisi leur chambre et s'étaient présentés les uns autres au fur et à mesure des rencontres. La directrice du stage [µPréÉnomyePréÉnoma*ARECHERCHERARCHIVES] avait tenu à prendre contact avec chacun d'eux individuellement, dès leur arrivée, comme toujours, mais cette année, elle les avait invités à un petit entretien personnel avec elle une fois qu'ils seraient complètement et confortablement installés. Elle n'avait jamais procédé comme cela. Le courant était moyennement passé. Ce n'était pas une méthode habituelle pour elle, ni pour les quelques stagiaires qui, arrivés tôt, étaient des habitués de stages d'été. Il lui faudrait redresser la barre après ce début moyennement engageant. Elle avait cependant l'habitude des flottements avec les stagiaires. Il est vrai, rarement aussi tôt, aussi peu de temps après l'accueil dans la cour. Elle rectifierait.

Elle était en pleine phase d'expérimentation, un peu perdue dans sa vie privée, elle avait du mal à se décider. Elle errait, tâtonnait, tentait de donner le change. Elle savait que son expérience compenserait très largement son manque de dynamisme actuel. Elle était surtout préoccupée par sa vie personnelle qui devenait de plus en plus compliquée. Elle avait même pensé un moment annuler le stage. Elle avait besoin d'air. Elle avait surtout besoin de respirer, de réfléchir, de faire le point et de choisir, vraiment choisir ce qu'elle allait faire de sa vie en mille morceaux partie dans tous les sens. Deux histoires d'amour en même temps, c'était un peu trop pour une seule femme. Surtout des histoires d'amour compliquées, dont une avec quelqu'un de compliqué, de très compliqué. Son nouvel amour. Son grand amour. Elle ne voulait pas le rater. Elle ne voulait pas non plus quitter, abandonner son premier grand amour, qui resterait toujours son premier grand amour. En attendant, elle bricolait sa vie, comme elle avait toujours bricolé ses ateliers d'écriture. Un peu à l'instinct, beaucoup à l'expérience. Elle n'était plus une oie blanche. Elle avait fini par acquérir de l'expérience, aussi bien en amour qu'en atelier d'écriture.

Abandonner le stage, tout annuler n'était plus possible. Il y avait trop de frais engagés, trop de gens engagés. Elle ne pouvait faire péricliter la seule activité qui lui permettait de se raccrocher à ce qui lui tenait à cœur, vraiment à cœur, sans jamais aucune hésitation aucune.Elle ne pouvait pas faire cela aux propriétaires du gîte. Ils étaient amis depuis près de vingt-cinq ans. Elle ne pouvait pas mettre leur communauté dans la mouise financière. Ils galéraient tous déjà assez comme ça. Ils avaient fait le choix d'une vie différente et menaient leur barque avec une constance et une chaleur inégalable. Elle ne pouvait pas les planter là. Comme ça. Elle ferait son stage, indépendamment de son manque d'allant. Il le fallait. Elle ne voulait jamais regretter. Elle n'avait jamais voulu accepter que sa vie sentimentale, et pas que, interfère sur sa vie tout court. Elle en faisait partie. C'était sa vie. C'était elle. Ce qu'elle était. qui elle était. Elle ne pouvait rien laisser de côté. Quand elle s'engageait, elle s'engageait à fond, pour de bon, quelles que soient les difficultés qui se présentaient à elle. Elle avait un bon fond, elle était bien élevée, elle avait poussé dans une famille aimante, peut-être un peu trop, elle connaissait ses qualités. Elle s'appuyait sur elles. Dans ce domaine, elle n'avait jamais aucune hésitation. Tellement peu d'hésitations, d'ailleurs, qu'elle ne s'était même jamais posé la question à son compte. Elle avait bien trop à faire avec sa vie amoureuse. C'était là surtout que le bât avait blessé.

Sa situation actuelle ne devait en rien influer sur le déroulement du stage. C'était sans compter sans ce que lui imposerait son nouvel amour, son dernier grand amour, car elle savait que ce serait le dernier. Elle avait enfin trouvé. Elle avait pris son temps, s'était laissé aller, s'était baladée, d'aventures plus ou moins longues en relations stables. Elle était dans un entre-deux pénible en ce moment. Il allait falloir patienter, laisser les choses décanter. Il fallait tenir bon pendant toute la durée du stage le plus long qu'elle ait jamais organisé pendant des vacances d'été. C'était un véritable défi pour elle, pour les stagiaires, pour "les tauliers", comme elle les appelait, "[s]es Thénardier d'amour", ses potes, ses poteaux, ses seuls vrais amis tous terrain, toute histoire, ses piliers, ses tuteurs de résilience, sa famille adoptive, sa famille choisie, qui ne la jugeait pas, jamais, et qui l'aimait, depuis toujours, ou presque. Depuis LA rencontre. Une rencontre qui fut LA rencontre.

-Tu sais quoi ? Françoise ? Tu fais ça tellement bien, tellement mieux que moi que je crois bien que je vais m'esquiver. Je te laisse avancer. Tu feras nettement plus clair que moi, droit au but, et comme cela, je pourrai continuer à tenir à bout de bras la librairie. Je vais aller voir comment avancent les devoirs. Continue à écrire. Je m'en occupe. Et puis j'irai leur dire d'aller se coucher quand il sera l'heure. Je te laisse raconter.

[François sort de la salle à manger-salon où Françoise s'était installée pour commencer. Il s'affaire à la cuisine et monte à l'étage. Il prend tout le quotidien en charge. Il est libéré. Il s'active. Il est heureux, tout sourire. Ses yeux se plissent de plaisir.]

© Simone Rinzler | 30-31 mars 2015 - Tous droits réservés

Round 30/100 écrit le vendredi 3 avril 2015

449 mots | 2723 signes

3056 20150402 Françoise rédigeait. Elle n'avait pas encore raconté les débuts du stage et ses premières péripéties...

Françoise rédigeait. Personne n'avait encore raconté les débuts du stage et les toutes premières péripéties.

Il faut dire que le créateur de Françoise ne savait pas encore où il allait. Il lui était donc impossible d'ordonner le récit de Françoise à ce stade de la rédaction du premier jet de son roman. Il n'avait jamais réussi à ordonner ses pensées. Il croyait à la force créatrice de la pensée en arborescence. Il connaissait aussi parfaitement tous les défauts qu'elle engendrait et toutes les difficultés qu'il fallait surmonter pour mettre de l'ordre dans une pensée qui surgit par salves continues et ne peut se discipliner.

Il faisait confiance à son savoir-faire. Il n'avait jamais rencontré de situations inextricables dont il n'avait pu se sortir honorablement, sans tricher, grâce à sa patience et sa ténacité.

Mais il savait qu'il fallait ménager le lecteur.

Tout en le sortant régulièrement de sa "zone de confort", comme l'avait développé Jonathan Franzen dans "The Discomfort Zone".

Il ne s'adressait pas à un lecteur paresseux ou à un lecteur qui cherchait l’évasion. Il ne cherchait pas la facilité. Il aimait la difficulté. Il aimait s'imposer une difficulté et la surmonter. Il aimait les livres qui faisaient appel à la curiosité intellectuelle du lecteur. Il aimait susciter cette curiosité. Il aimait la vie complexe et la littérature. Il ne se satisfaisait pas d'une bluette. Il aimait les bluettes. Il aimait les récits complexes. Il avait un grand appétit de la vie qu'il aimait à partager. Il aimait partager ce qui l'intriguait, ce qui l'intéressait ; libre à chacun ensuite d'aimer ou de ne pas aimer. Il aimait tenter. Il aimait éveiller la curiosité. Il aimait réveiller la curiosité naturelle, quitte à faire taire les critiques sévères de ceux qui se refusaient, à tout crin, à tout effort de quelque sorte. Il cherchait à s'amender. Il aimait à se faire comprendre, sans forcer, tout en forçant un peu. Il aimait se discipliner pour partager sa propre curiosité.Il était prêt à tout faire pour ce travail d'éveil continu. Il faut toujours être éveillé par quelqu'un, répétait-il, citant le philosophe Gilles Deleuze et son "Abécédaire" à la lettre "E comme Enfance". Il aimait cette curiosité du philosophe et son éclectisme. Il s'y trouvait à l'aise. Il s'y reconnaissait. Il s'y trouvait chez lui, à la maison, dans la maison de la pensée en mouvement.

© Simone Rinzler | 2-3 avril 2015- Tous droits réservés

Round 31/100 écrit le mardi 7 avril 2015

4129 mots | 25732 signes

3156 20150407 Tout a commencé avec les premiers doutes. Elle avait pris quelques jours de vacances bien mérités, sans écrire, après une semaine de vie personnelle particulièrement échevelée dont elle ne souhaitait rien révéler…

Tout a commencé avec les premiers doutes. Elle avait pris quelques jours de vacances bien mérités, sans écrire, après une semaine de vie personnelle particulièrement échevelée dont elle ne souhaitait rien révéler. La métafiction ne pouvait rejoindre l’autofiction jusqu’au bout. Elle écrivait de la fiction. Elle se nourrissait du réel, du vécu, mais ne réglait pas de compte avec son présent. Elle le vivait. Elle en acceptait les hauts et les bas. Elle connaissait bien ses défauts et ce qui la tourmentait. À l’issue de ces quelques jours de grand week-end prolongé à la campagne, elle était contente d’avoir mis au propre son manuscrit. Elle y avait travaillé deux jours durant. Non qu’il eut fallu tant de travail, mais elle avait profité de son repos, du calme de la campagne, de ceux qui avaient partagé ces quelques jours de bonheur calme avec elle. Au moment de reprendre son manuscrit, elle se sentait perdue dans une intrigue qui ne lui plaisait plus, ne lui correspondait plus. Avant d’écrire et de reprendre ses anciennes habitudes depuis le début de l’écriture de cette histoire d’amour en amitié, elle avait eu tout le temps de penser, de repenser à ce que ce travail représentait pour elle. Elle avait pu se le formuler mentalement. Il allait être temps de le formuler par écrit, de mettre des mots précis sur le phénomène, sur ce qui lui était arrivé.

Elle avait le sentiment d’être parvenue à son terme. Elle n’avait plus rien à dire ou à faire pour terminer son roman. Elle savait à nouveau où elle allait, et elle se rendit compte qu’elle était allée exactement là où elle souhaitait aller. Elle l’avait enfin son roman inséré dans un roman. Elle avait tenté une expérience hors de son chemin tout tracé, elle avait fait une jolie sortie de route qui l’avait détournée de ce qui était en train de se terminer et qu’elle n’avait pu terminer car elle était passée trop vite à autre chose. Mais ce qui la tenait était resté. Et était là, et bien là.

Elle savait qu’elle avait trouvé son style. Elle se savait écrivain. Elle était rassurée. Elle s’était aussi reposée. Et remise de ses terribles et énormes émotions de la semaine passée. Elle avait craint pour la vie de celui qui lui avait toujours été si cher. Avait-elle été une dure mère, bien trop dure ? Elle ne se le demandait plus. Elle avait vécu, subi, navigué au milieu d’une mer déchaînée, avait dû, une nouvelle fois, faire face à une mère déchaînée, résisté à la tempête. La dure-mère avait été touchée. Elle avait dû faire face à des trombes de sentiments contradictoires. Elle avait fait ce qu’elle avait à faire, comme elle l’entendait et avait continué, tant bien que mal. Plutôt mal, pas très bien, dans l’attente d’une mort annoncée par un ouragan en furie. La mort n’était pas au rendez-vous. Elle se moquait de l’annonce par des furies et des trombes. Elle avait besoin de garder la tête froide et d’agir en conséquence, malgré sa souffrance et le réveil de sa terreur, de la terreur absolue, la mort d’un enfant, de son enfant adulte, responsable de ses actes et irresponsable, comme nous tous, de l’heure de sa mort, non programmée. Elle avait été une bien douce mère. La tempête s’était calmée. Elle avait eu la chance de pouvoir prendre du repos, du calme, de la distance, de se reposer autant qu’il le lui avait fallu, jusqu’à ce que, l’ennui enfin venu, elle put se promener et arpenter les chemins pentus de sa campagne, se rasséréner à coups de pédale par les monts et les vaux du pays vallonné. Elle savait prendre le repos dont elle avait besoin, sans se forcer, résister aux appels à se forcer qui la tuaient physiquement pour mieux y répondre quand elle était enfin prête. Elle savait enfin dire ce qu’elle souhaitait, vraiment. Du modéré. Du pas trop. Du juste ce qu’il faut. Elle avait fait ou non fait, juste ce qu’il lui fallait. Elle avait refusé d’ajouter à la plénitude. Cela lui était toujours rude à expliquer, ou plutôt à faire comprendre. Elle n’avait pas besoin de trop-plein, juste de trop bien. Elle n’était pas une goulue. Elle avait trouvé sa mesure. Elle allait en mesure, selon son propre tempo. Tantôt allegro, tantôt moderato, ce matin vivace, hier soir lento, diminuendo. Elle ne craignait plus les métaphores. Elles les choisissaient. Ses deux dernières lui rappelaient ses premiers émois musicaux Une Nuit sur le Mont Chauve et Le Hollandais volant, son premier amour de musique classique, furioso et adagio, jusqu’à la résolution, l’apaisement, lento, diminuendo. Elle était revenue à ses amours d’enfant, ses amours d’adolescente plutôt, ce qu’elle avait tant aimé, avant d’être brisée, avant la rencontre avec celui qui allait la fracasser, durablement, et à répétition, bien après l’éloignement. Après la fureur, la tempête, l’accalmie était venue. Elle avait tant attendu ce moment. Elle ne croyait pas qu’elle retrouverait sa fraîcheur et son bonheur innocent. D’avant sa propre catastrophe naturelle.

Ce matin, elle avait résolu le mystère de son roman. Elle y pensait déjà depuis quelques temps, ayant oublié sa propre explication de ce mystère qu’elle ré-oubliait au fur et mesure qu’elle écrivait, elle s’était prise au jeu, s’était laissée faire, avait consenti à enfin se laisser faire, à participer, à ne pas se croire supérieure, à se confronter à sa difficulté, avec humilité, le nez sur l’humus du terreau travaillé, mal préparé, bêché et labouré, jour après jour, heure après heure. L’humilité, c’était le nez sur l’humus, le contraire de l’hubris, de la toute-puissance, des grandes envolées quand tout paraît simple, que l’on fuit les passages obligés et que l’on suit sa seule volonté, sans se confronter, ni aux autres, ni à la difficulté.

Quelques jours à peine auparavant, elle avait failli publier un segment critique, mais ne l’avait pas fait. Elle sentait que ce segment avait une raison d’être, mais qu’il n’était pas encore temps de le faire apparaître à ce point du récit. Elle l’avait gardé. Pour plus tard, « Por on sait jamais » disait son vieux grand-père polonais qui avait survécu à la Shoah, ou un de ses ouvriers tailleurs immigrés, l’italien, un des italiens, l’espagnol, y en avait-il un ?, le yougoslave, elle ne savait pas de qui était ce mantra gentiment moqueur apparu dans les années d’abondance relative de ces travailleurs exilés.
Voilà où elle en était quand elle avait failli, une première fois, abandonner, détruire tout l’édifice patiemment et ardemment construit. Elle avait même ajouté une précaution oratoire :

MoocDQ3 3156 20150331 0402 Elle se mit à penser : "Si c'est gratuit, vous êtes le produit". Mais qui pourrait bien prendre en charge ce bout de récit qui n'est même pas du récit et le ralentit ?...

Mais qui pourrait bien prendre en charge ce bout de récit qui n'est même pas du récit et le ralentit ?... Et où le placer ?
Elle se mit à penser : "Si c'est gratuit, vous êtes le produit".
Elle commençait à comprendre où se situait le problème. Le virtuel accompagne la massification. Et qui dit "massification", dit "suivi moindre" de l'évolution individuelle. Il y avait une forme de collectivisme qu'imposait le capitalisme triomphant aux corps et aux cœurs souffrants, "brutalisés*". Quelque chose lui manquait depuis le début. Elle avait tenté, par tous les moyens de contourner la difficulté. La difficulté était là, et bien là. Et c'est précisément là que ça bloquait.

L'atelier était virtuel. Elle ne dépendait que du bon vouloir, ou du temps, ou de l'envie des autres stagiaires, virtuels, éloignés, sans réel contact personnel, sans corps à corps vivants "in vivo", "in praesentia", non séparés par l'impersonnalisation de l'écran, dépersonnalisant, partiellement seulement.

Elle avait projeté de raconter l'histoire d'un atelier sans animateur, d'un stage dont le groupe, laissé à lui-même faute d'encadrement, en raison d'un incident, d'un accident sans intérêt aucun, d'un groupe qui allait s’organiser en micro-société autour d'une activité aimée et choisie. Un groupe de gens ayant un intérêt commun pour la lecture, l'écriture, voire l'art en général et la sensibilité en particulier et dont les différences et les sensibilités proches parviendraient à s'apprivoiser, à fraterniser, à sororiser, à s'aimer, se défier, s'unir, parce qu'ils allaient, sans l'avoir voulu, se retrouver à occuper seuls leur temps de loisir autrement que prévu. Un Anti Loft®, une Anti Star Ac'®, un Anti Koh-Lanta® avant l'heure par choix de vacances en groupe sans concurrence aucune. Un voyage statique dans un lieu de stage magnifique, pendant quelques semaines d'été. L’histoire germait dans sa tête depuis des années. Une histoire de voyage initiatique dans le monde des humains.

Elle n'avait commencé à y travailler sur fichier que depuis plus d'un an.

Elle s'y était mise plus sérieusement, profitant de rattraper le wagon d'un train qui n'allait pas vers sa destination. Elle était en partance. Elle était partie, mais elle comprenait qu'elle n'arriverait pas en même temps, ni à la même gare. Elle essayait, une fois encore d'entre dans un vêtement "taille unique". "Taille unique, taille, merdique", répétait-elle toujours mi-plaisante, mi-acide, à la vendeuse de confection à bas prix qui tentait de lui faire croire que la robe lui allait parfaitement et qu'accessoirisée, avec une ceinture, un foulard ou quelque étole ou écharpe négligemment jetée, elle en jetterait avec cette robe qui n'était pas à sa mesure, à des soirées où elle ne se rendait jamais . Elle n'allait pas à des soirées. Elle n'allait jamais à des soirées. Elle ne "s'habillait pas". Elle était toujours habillée quand elle travaillait et depuis qu'elle ne travaillait plus, elle avait fini par ne plus jamais, ou presque " être habillée ", pas même maquillée. Elle se promenait maintenant le plus souvent "sine ceram", sans cire, sans fard, sans rien pour arranger sa présentation, sans préparation préalable d'un ethos de présentation communicationnelle. Elle n'allait pas jusqu'à le revendiquer ouvertement, elle ne militait guère pour elle-même que sur le mode de "Regardez-moi, j'ai besoin d'être aimée pour ce que je suis, pas pour ce que vous voulez que je sois". Mais elle ne cédait pas aux injonctions de la communication dont les femmes, plus que les hommes, avaient fait les frais à l'ère moderne.

Il lui avait fallu être moderne. Résolument moderne. Elle s'était retrouvée dans cette publicité pour une huile tous usages où de jeunes femmes, fort appétissantes modèles de Rubens à la mode publicitaire du XXe (siècle, pas arrondissement !), décharnées, gaies et enjouées, déclaraient, en chantant tout en faisant la sauce de la salade fraîche et croquante qu'elles voulaient tout :

Le tra-vail, les en-fants,
la jouis-sance, la puis-sance,
et la cui-sine fine,
"ON vEUt tOU-OUt !...

Elle avait, comme les autres, critiqué le modèle, tenté de s'en dégager. Rien à faire. Sa condition féminine, sa féminité lui collait à la peau. Elle n'en voulait pas, de cette condition-là. Elle en jouait sans en jouer, se croyait exceptionnelle, originale, faisait donc... comme toutes les autres. Une vraie petite femme française. Cela l'avait toujours marquée quand elle voyageait ou rencontrait des femmes d'autres pays, même, apparemment, de pays voisins ou du même pays. Elle butait toujours sur ce qui faisait ce que l'on avait appelé l'« exception française ». Et si l'on pensait à cette expression en termes de genre, il n'y avait pas exception. Elle le constatait dans les voyages organisés qui rassemblaient, à l'étranger, des français en voyage, en groupe. Il y avait une forme de communauté qu'elle avait toujours niée, mais qui existait et résistait à ses tentatives de résistance : "Et femme ; Et française". Le package. « Deux-en-Un ».

Sans cire, « sine ceram », sincère. C'était l'origine du mot. Sans apprêt. Sans préparation. Comme dans cette publicité de l'an dernier, elle venait "comme elle était". Pas de conseiller en communication, pas de cahier des charges pour bien passer face aux autres. Elle était ce qu'elle était. Elle n'allait pas rejouer la comédie du jeu social qui l'avait étouffée toute sa vie. Elle était née sans maquillage, nue comme un ver. Elle tendait à retourner, sans cire, sans apprêt, sans apparat, presque nue comme un ver.

Elle avait beaucoup pensé à la mort. Sa peur de la retraite cachait mal sa peur du vide, du grand néant, de l'anéantissement général qui attendait tous les vieillissants, les sénescents.

Elle n'avait pas encore terminé sa quête existentielle. Celle-là commençait à peine. Elle avait fait vœu d'écriture. Elle écrirait jusqu'à sa mort. La mort la prendrait en pleine rédaction de quelque nouveau texte. Pas nécessairement face à son clavier, dans l'acte même d'écriture, mais pendant un de ces temps longs de l'écriture où l'on peut dire : "Je suis en train d'écrire un livre", alors même que, sur le moment même, on n'est pas à proprement parler en train d'écrire mais bien plutôt de parler, d'en parler, de parler de l'écriture d’un livre. Je suis en train d'écrire un livre." "I am writing a book, even if at the moment, I am talking to you, explaining that the BE- V-ING aspect does not necessariliy mean 'right now', 'at the moment' when I am telling this". Ce qu'elle avait enseigné presque toute sa vie à l'université de la forme en -ING, pas toujours "en ce moment", pas toujours "progressive*" (mais là, oui, il s'agissait bien d'une activité en cours de progression, mais attention, sur un temps long : l’écriture d'un livre n'a pas la même durée, le même aspect de temporalité que la chute subite d'un trottoir, tout dépend de l'aspect lexical du verbe. Instaure-t-il une idée de durée, et si oui, de durée brève ou de durée longue ?).

Serait-ce un roman, une nouvelle, un essai ou la réécriture de son Grand Œuvre passé, elle ne pouvait le savoir ? Personne ne connaissait à l'avance l'heure de sa mort, et elle espérait que cela soit le plus tard possible. Elle commençait tout juste à s'amuser, à bien vivre, à retrouver son ancienne joie de vivre, à n'en faire qu'à sa tête, sans oublier de se choyer, de s'aimer, de s'admirer, de continuer à se remonter le moral, des fois qu'il aurait envie de se refaire la malle, une fois encore.

Elle ne parvenait pas à trouver ses marques. Peu de retours des stagiaires. Infiniment trop peu. Bien assez pour son argent. Elle n'avait rien payé. Elle n'était pas volée. Cela confirmait aussi ce qu'elle pensait de l'enseignement virtuel, des MOOC, Massive Online Open Course(s) que l'université tentait d'imposer pour des raisons économiques. Enseigner correctement, transmettre, à de petits groupes en gardant toute l'attention nécessaire, tout le suivi personnel de chacun demandait du temps, de l’argent, une disponibilité que le travail en très grande collectivité rendait infructueux.

Par ailleurs, elle n'était pas le cœur de cible. Elle le savait. Elle avait déjà écrit. Beaucoup. Énormément. Pendant plus de vingt ans. Rien dans le domaine de la fiction, certes, mais avant d'être écrivain, elle avait revendiqué, clairement revendiqué une chose : celle du statut d'écrivant. Elle n'était pas bloquée dans sa capacité à écrire. Mais elle ne parvenait pas à publier et malgré ses interrogations à ce sujet sur des années, n'avait toujours pas trouvé pourquoi quelque chose en elle se refusait, irrémédiablement, à se faire publier, à se rendre publique, autrement que dans des ouvrages collectifs. Peut-être n'avait-elle jamais écrit ce qu'elle voulait vraiment. Peut-être attendait-elle que quelque chose de son propre choix, sans contrainte extérieure, s'impose, avec évidence. Elle craignait le succès. La première place, la dernière marche. Sa terreur de la mort, des premiers qui seront les derniers. Elle avait été beaucoup plus abîmée par la religion qu'elle ne le prétendait. Par ses origines, modestes, cachées, par les vieux proverbes "Pour vivre heureux, vivons cachés". Elle savait bien qu'elle ne pouvait pas rester cachée. Elle en crevait d'être cachée. Elle faisait tout pour être sur le devant de la scène. Peut-être mourrait-elle sans savoir de quoi il retournait, vraiment. Mais elle aurait passé bien du bon temps.

© Simone Rinzler | 31 mars - 4 avril 2015 - Tous droits réservés

Elle voulait reprendre la direction de son récit. Elle avait besoin de se sentir plus libre. Libre, pourtant, elle l’était. Mais elle s’imaginait toujours attachée à quelque fil invisible qui la retenait. Rien en fait ne la retenait. Quand elle avait une idée, elle s’y tenait. Sans s’entêter. Mais en tenant le point de ce qui lui tenait à cœur. Tenir le point. Son impératif catégorique. Son histoire était une histoire sans histoire, une métafiction à substrat philosophique. Elle en connaissait les embûches. Il ne lui fallait pas paraître trop didactique. Il fallait mettre du miel dans son amertume, façon de dire mettre de l’eau dans son vin. Elle préférait passer pour amère plutôt que pour alcoolo. Elle avait ses raisons. Elle n’avait que trop connu les ravages de l’alcoolisme. C’était une de ses craintes les plus ancrées. Elle se tenait à son projet. Son projet initial.

Mais depuis quelques jours, elle voyait trop ce que ce projet recouvrait, ce qu’il cachait. Il n’en devenait que plus nécessaire, pour passer à autre chose, se débarrasser de ce qui bloque et gêne, pour se glisser en douceur, vers une nouvelle activité, une autre manière d’apprécier la vie.

Elle ne se souvenait plus comment ce projet de roman d’atelier d’écriture situé dans un stage était né, ni comment par la suite, il s’était transformé en histoire d’amour en amitié.

Elle se souvenait bien que vers la fin de son activité de choriste puis de chanteuse d’ensemble vocal, avant d’abandonner alors qu’elle commençait à ne plus y être aussi à son aise car elle ne pourrait jamais évoluer vers la direction de chœur, faute de formation initiale (et en raison d’un métier très prenant, de plus en plus passionnant), elle avait déjà pensé à écrire un roman traçant les liens extraordinaires qui se nouent quand des êtres humains pratiquent une activité aimée en commun. La musique était son domaine, mais elle se sentait plus forte avec les mots qu’avec les notes. Elle y avait été formée depuis bien plus longtemps, elle savait que dans ce domaine, elle pourrait profiter d’une autonomie suffisante pour ne jamais se sentir dans le rôle de l’imposteur de service, ne jamais se sentir insuffisante, non légitime, ne jamais se sentir à la traîne, à la remorque de quelqu’un ou de quelqu’une. Il lui aurait fallu presque toute une vie pour se mettre à ce qui était « elle » ce qui était en elle, ce pourquoi elle n’avait jamais besoin de demander l’avis de quelqu’un parce qu’elle savait où elle allait, ce qu’elle faisait et que si elle ne le savait pas, elle acceptait d’errer, car elle était chez elle et savait qu’elle ne s’y perdrait pas, ne dépendrait pas de l’un ou de l’autre. Elle avait enfin trouvé son réel bonheur, en dehors du travail. Elle avait enfin apprivoisé sa crise de sénescence. Sa dépression de retraite, elle l’avait affrontée. De front. De face. Frontalement. Elle avait accepté l’ennui, le vide, la peur du vide, elle avait tentée de se vider de son vide, qui n’était qu’un trop plein de ce qui n’était pas elle, ce qu’elle aimait et ce qui lui tenait à cœur. Elle s’était délestée, poids après poids, de tout ce qui l’empêchait de prendre de l’altitude, de prendre son envol, le sien, pas selon le conseil de l’autre, le conseil des autres. Selon son cœur, selon son instinct. Sa conscience. Et son intelligence. Selon sa morale. Selon sa morale politique. Aussi. Surtout.

Elle ne se posait plus de questions, n’avait plus peut de s’ennuyer, n’avait plus peur de son vide.

Elle avait fait le tour du faux-vide, s’était vidée du trop-plein, elle se sentait pleine d’entrain. Pas d’entrain forcé. Elle était plutôt pleine d’allant. Elle allait de l’avant. Il était peut-être temps de clore ce roman et de le retravailler. Mais elle continuerait de jouer le jeu. Ce qu’elle devait n’était plus tant ajouter que retrancher. Elle y était prête. Réécrire le début, trouver un début, modifier quelque peu les scènes trop longues, trouver un moyen d’entre en matière avant de tout poster.

Elle se rendit compte cependant qu’elle s’était un peu perdue en chemin. Elle avait omis d’expliquer ce qui l’avait frappée dans le sujet de ce roman. Elle avait voulu écrire une histoire d’amour en amitié parce qu’elle avait un très gros chagrin d’amour en amitié. Elle venait de vivre une terrible rupture. Elle s’était détournée de ce qui l’avait fait souffrir. Elle avait tant aimé l’université où elle avait passé ses vingt dernières années de travail, la moitié de sa carrière d’enseignante d’anglais. Elle y avait tous ses amis depuis des années. La rupture l’avait privée de tous ses amis. Elle s’était retrouvée seule, seule avec son mari, sa famille, les amis, la famille de son mari, plus rien ou presque de son côté. Elle s’était sentie amputée. Elle savait qu’il fallait couper. Elle avait dû couper, rompre. S’arracher à la démence programmée dans un système qui n’était plus qu’un système sans âme et avait cessé d’être un groupe d’humains chaleureux animés des mêmes intentions, malgré leurs différences et leurs spécialités si diverses. Elle avait rompu. Coupé le cordon. D’un coup brusque. Sans espoir de retour. Elle faisait le deuil de sa vie à l’université. Elle avait même retardé le moment de recontacter ceux de ses amis qu’elle avait conservés. Malgré les promesses à eux faites. Elle ne se comprenait pas sur le moment. Elle sait maintenant qu’elle en avait besoin, qu’elle devait prendre le temps que la douleur s’estompe, ne pas rallumer sa chaudière trop tôt, avancer davantage sur son roman, les recontacter quand elle serait enfin remise d’aplomb. Elle se sentait d’équerre. Elle se tenait droite. Elle avait fait tout son chemin de croix et en avait terminé au lendemain du Lundi de Pâques de cette année. Elle avait retrouvé son autonomie. Elle était prête à publier. En son nom. Enfin.
La crise était terminée.
Elle était soignée.
D’elle, elle avait pris soin.

« Tsoin. Tsoin. », résonne au loin. Elle s’y laisse à peine aller, à regret, malicieuse.

Elle n’alla pas se goinfrer de Tagada, ni de tsoin tsoin. Elle n’en avait plus besoin.

L’air était redevenu serein.

On était bien.

Elle entendit au loin, au fin fond de sa tête une vieille chanson de son enfance, quand sa mère donnait le bain à son petit frère, avant la, avant les, catastrophes, en tous genres : "Ah ! C’qu’on est bien quand on est dans son bain ! On fait de grosses bulles, on joue au sous-marin ! Ah ! C’qu’on est bien quand on est dans son bain ! Ta-dan, Da-dan Dan-dan, dlan-dlan-dlan-Dlang !"

La musique était à nouveau entrée dans sa tête. Elle s’était surprise la veille à chanter d’une belle voix redevenue plus claire, un air de son répertoire de chant, un air de joie, un air de rien, elle ne sait plus lequel, un air de Je suis bien, un air de Je chante, la voix claire.

Le voile de la voix s’est levé. Le voile de la dépression s’est envolé.

J’écris comme je chante.

J’écris comme j’ai chanté. La première personne est revenue.

Le besoin de mise à distance a disparu. Je vais pouvoir reprendre la fin, puis le début, de mon manuscrit, de mon gros chagrin d’amour en amitié de l’université et de celui du chant, déjà épongé, déjà pansé, désormais abandonnés, au profit de ma petite musique personnelle, de jour comme de nuit.

Elle écrit comme elle chante.

Elle écrit comme elle a chanté.

Le besoin de mise à distance a disparu. Elle va pouvoir reprendre la fin, puis le début, de son manuscrit, de son gros chagrin d’amour en amitié de l’université et de celui du chant, déjà épongé, déjà pansé, désormais abandonnés, au profit de sa petite musique personnelle, de jour comme de nuit.

Ce sera tout pour aujourd’hui. Tu as bien rattrapé tes quelques jours sans écriture, sans plus aucune avance. Ça avance. Tu fais avancer. J’avance. Elle avance. Nous avançons ensemble. Tu me suis encore ?

© Simone Rinzler | 7 avril 2015 – Tous droits réservés

Round 32/100 écrit le jeudi 9 avril 2015

589 mots | 3590 signes

###3256 20150408 Ce n'est qu'une toute petite histoire, une histoire de rien du tout...

Ce n'est qu'une toute petite histoire, une histoire de rien du tout. Une histoire qui va, qui vient, qui s'arrête, qui repart, une histoire qui suit son petit bonhomme de chemin. Une histoire sans histoires, une histoire dans l'histoire, une histoire de s'amuser.

Elle se ment, elle se cache, se dévoile et se rengorge, elle s'affole, cabriole, elle se perd dans son histoire. Elle se joue de son histoire et se moque de ceux qui craignent pour elle.

C'est l'histoire d'une toute petite histoire qui n'a peur de rien, ni de personne, qui se tient droite et se croit gauche, une histoire de s'occuper en attendant la mort.

C'est l'histoire d'une histoire qui n'en finit pas de commencer, qui n'en finir pas de finir. C'est une histoire de vie qui se déroule dans le présent de l'écriture, dans le présent de la lecture, dans l'entre-temps de la réécriture, dans l’entre-deux de la saurisserie, dans l’antre-deux de la schizophrénie, une histoire d’entremets de la bonne, attablée en cuisine, une histoire de mi-temps entre deux temps, le temps d’avant et le temps d’après. Une histoire qui n’en fait qu’à sa tête, qui n’a ni queue ni tête, qui s’entête et se prend la tête, et s’emmêle les pinceaux, les arpions, qui perd ses billes et se recroqueville, qui se force à la joie et s’efforce de tirer parti de la morosité et de la porosité, de l’ambiance du temps. Une histoire d’ambiance, une histoire d’en France, une histoire pas rance, tout en transparence et en cachoteries, savamment exposée, indétectable au grand jour. Une histoire de genre pas très déterminé, une histoire d’un genre pas franchement renouvelé, une histoire pompée sur les épaules de Lawrence, pas si stern, pas si austère, que cela, pas plus de hauteur que d’Auster, pas plus d’auteur que de Max Headroom, pas plus fantasque que Les Enfants de minuit, bien moins polémique que A Cock and Bull Story, bien moins gothique qu’Ann Radcliife et Matthew Gregory Lewis, sans vilains, ni gothic villains, tout aussi méandreuse qu’une promenade auprès du Castle of Otranto, bien aussi sérieuse que la Galatea 2.0 de Richard Powers, dingue comme une bluette sexuelle de Roth, Philip de son petit nom ou des contes cruels de Pasolini et de Sade, sombre comme une toile de Rothko, glauque comme un Coetzee et un Shriver réunis, claire comme une comptine, une histoire sans queue, ni tête de l’art, un amuse-gueule du côté du Pendule, de Foucault, ou de l’autre d’Umberto Eco, un amuse-tue mouches, dans la loge de Lodge, un caillou dans un chaussure et une fantaisie de repos pre mortem.

C’est l’histoire d’une histoire toute petite, toute timide, qui hésite à prendre son envol, se croit folle, atteinte d’Alzheimer, l’histoire d’une mémoire qui n’a pas de mémoire, l’histoire d’un roman qui se feuillette, qui s’effeuille, se feuilletonne, une histoire qui détonne, en fait des tonnes et ne demande pas son reste.

Une histoire de toi, de moi, de lui, d’elle et de nous, de vous, d’eux et d’elles, une histoire impersonnelle, une histoire de ne pas faire d’histoires, une histoire pas franchement consensuelle, ni con, ni sensuelle, pas plus consanguine qu’une con de frangine.

Une histoire sans histoire, c’est ça son histoire.

Une histoire d'atelier à L'Atelier de L'Espère-Luette

© Simone Rinzler | 8-9 avril 2015 - Tous droits réservés

Round 33/100 écrit le samedi 11 avril 2015

368 mots | 2016 signes

3356 20150409 Pendant ce temps, Françoise continuait à rédiger le roman du stage, tranquillement, en prenant son temps, en bonne fille sage qu’elle était : -François, je vais écrire. Tu peux aider Aurore/Aurélie à faire son exercice sur les fractales ? Et surveiller aussi la cuisson du chou. Je ne voudrais pas que le gratin attache.

-François, je vais écrire. Tu peux aider Aurore à faire son exercice sur les fractales ? Et surveiller aussi la cuisson du chou romanesco. Je ne voudrais pas que le gratin attache.
-Okey dokey, j’y vais. Aurore !/Aurélie ! Montre-moi ton exercice et dis-moi ce qui te bloque. Je vais regarder ça tout en surveillant le gratin de chou romanseco qu’a préparé ta mère.
-Du chou romanesco ? Encore ? Non, mais, elle l’a fait exprès à cause des fractales, je suis sûre !
-Ne critique pas ta mère. C’est ta mère et tu n’en as qu’une. Faut faire avec. Même si ça ne te plaît pas. Tu verras quand tu seras mère, toi aussi. Et puis, elle n’est pas responsable du programme de maths. Donne-moi ton cours, au moins, que je vois ce que tu as fait et que je voie si je comprends.

- Quoi ? Tu ne prends pas ton cours en note ? Et tu voudrais qu’on t’aide ? Non, mais tu as complètement perdu la tête, ma pauvre fille. Pas question que je me dépatouille, ni ta mère non plus, d’ailleurs, si tu ne prends même pas les cours en note ! Si tu ne suis pas en classe, c’est normal que tu ne puisses pas faire tes exercices. Débrouille-toi pour trouver et pour lire le cours dans ton livre de maths. Oui, ou de physique. Je m’en fiche ! C’est à toi de te débrouiller, maintenant. Tu sais ce qu’on t’a dit. Un accord est un accord. On ne revient pas dessus. Allez, file. Et au boulot. Tout de suite !

[Il s’affaire dans la cuisine. Françoise est penchée sur son manuscrit, qu’elle a imprimé pour pouvoir le relire et y retravailler sans perdre de temps en navigant d’écran en écran.]

Round 34/100 écrit le samedi 11 avril 2015

3596 mots | 21903 signes

3456 2015041 Un ajout du narrateur omniscient : Elle allait s’épancher sur sa difficulté à réécrire tout en écrivant. Elle rencontrait des difficultés qui lui paraissaient insurmontables.

Elle allait s’épancher sur sa difficulté à réécrire tout en écrivant. Elle rencontrait des difficultés qui lui paraissaient insurmontables. Pourtant, elle avait continué à écrire ce matin, avant le déjeuner. Mais elle continuer à s’interroger, à se demander, non plus Pourquoi ?, mais Comment ? Quand tout à coup, elle se rendit compte que là, elle perdait vraiment son temps. Quand le temps des « Pourquoi ? » est passé, il faut aborder le temps des « Comment ? », mais pas des « Comment ? » avec point d’interrogation, ni même celui des « Comment… », sanspoint d’interrogation, sous forme de réponse. Le « Comment du Comment », c’est le recommencement, la reprise de l’écriture, c’est l’action en elle-même, c’est le « Comment en action », c’est l’acte d’écrire lui-même.

Alors, elle s’y était remise. Mais avant, elle devait mettre un terme à ce qu’elle avait quand même écrit le matin même, sans trop se poser de question. Elle n’avait plus qu’une phrase à ajouter pour passer à autre chose, pour reprendre le récit où elle avait recommencé à le replacer. Elle était en train de hiérarchiser son histoire, de rénover sa chronologie, tout en essayant de ne plus perdre ses lecteurs ; certains s’étaient plaints de hauts et de bas dans la narration, elle ne pouvait pas en faire abstraction. Elle voulait présenter un récit qui se tienne, qui tienne le lecteur et ne le perde pas. Après quelques corrections sur son long fichier informatique, la veille et l’avant-veille, pour améliorer le confort de lecture du lecteur, en ajoutant des titres plus ou moins calqués sur les romans anglais du XVIIIe siècle afin que ce « cher lecteur » comprenne plus vite qui écrit quoi, elle s’était remise à une introspection dans le cadre du Journal de 6M1, son alter ego littéraire.

Voilà ce qu’elle avait écrit :

05JS Journal de 6M1 : Voilà un temps fou que tu n’as pas écrit. Tu as bien vécu, tu as ri, fait des préparatifs joyeux, t’es amusée, es sortie, a glandé, bien rigolé, tu as ri, tu t’es détendue, tu as laissé l’histoire mûrir en toi.

Voilà un temps fou que tu n’as pas écrit. Tu as bien vécu, tu as ri, fait des préparatifs joyeux, t’es amusée, es sortie, a glandé, bien rigolé, tu as ri, tu t’es détendue, tu as laissé l’histoire mûrir en toi.

Tu as tenté d’en faire un résumé à Ton Prince, etc. Tu hésites encore à lui faire lire ton travail. Tu le lui as dit. Tu ne veux pas que sa critique t’empêche d’avancer. Tu sais que ce que tu écris n’est pas sa tasse de thé littéraire. Tu vas lui faire lire les livres de ceux de l’atelier qui ont déjà publié. Tu es certaine qu’il aimera beaucoup. Tu sais en même temps que tu aurais besoin de son avis. Mais tu es bien trop fière, bien trop orgueilleuse, bien trop perfectionniste pour présenter ton travail en cours d’élaboration à un critique si sévère, si acéré, et surtout, toujours si juste.

Tu constates, avec lui, que tu as gagné ton objectif premier : sortir de ta dépression, trouver un rythme de croisière pour ta jeune retraite, apprendre à vivre sans travailler. Vous en convenez. Cela ne pouvait pas mieux être. Un premier but est atteint. C’était le but visé, même si ce n’était pas le seul. Tu t’étais fixé au moins un triple but dont tu savais qu’ainsi, tu ressortirais finalement gagnante, car tu sais aussi qu’une dépression bien prise en charge ne peut s’éterniser si longtemps, à moins d’avoir plaisir à s’enterrer, à s’enferrer. Tu as tenu bon. Tu as travaillé à sortir de ta dépression en répétant : « Je suis déprimée… », « Je suis déprimée ! », parfois même en rigolant, car on peut bien être sévèrement déprimé et continuer à rire, mais pas d’un grand rire franc. Tu te souviens du jour où sur un quai de RER, tu avais déclaré, calmement, sans te rouler par terre, que tu étais désespérée. Tu l’étais. Tu ne le montrais pas. Mais ce jour-là, c’était sorti, tu l’avais dit, comme avec détachement. Tu avais déjà pris le long chemin de la pente descendante. Tu t’étais détachée de toi-même. Tu descendais, continûment, avec constance et une forme d’inconscience en dépit de ta froide lucidité.

Tu as retrouvé le chemin de tes sentiments, de tes sensations, de ta jouissance physique et intellectuelle, tu as renoué avec le jeu, la vie, les plaisanteries, la vivacité, ton corps même s’est affiné. Tu te refais belle. Tu es toujours aussi belle, aussi souriante, tu as presque cessé de faire la grimace, encore quelques semaines et va savoir, peut-être même que tu l’auras oubliée, celle-là, ta moue dubitative de fille enfermée dans son esprit torturé, bousillé, écrabouillé. Tu as pris conscience il y a quelques semaines que ce que tu avais commencé à écrire était un journal de sortie de dépression.

Tu as trouvé le truc, le « Tu » du « Roman de ‘Tu’ », une manière de te mettre à distance tout en t’interrogeant, une forme d’introspection salutaire que tu maintiens avec constance, depuis novembre ou décembre dernier, soit environ quatre ou cinq mois. Tu te souviens que tu avais commencé à écrire un récit bien avant de cesser le travail, il y a plus de deux ans, en janvier, un travail d’acceptation autobiographique qui t’avait permis de retrouver une mémoire enfouie de ton enfance. Tu as même retrouvé ta première amie d’enfance. Tu as joui de ce grand bonheur. Tu as réparé une grossière erreur, tu as refait le lien avec ta vie passée. Tu es capable désormais de la regarder paisiblement. Tu as pu t’investir dans la grande plongée dans un roman, une histoire de rien, pour une fille qui croyait ne pas savoir tisser d’histoire, mais qui savait et sentait qu’elle avait une fibre d’écrivain depuis bien longtemps. Tu as publié quelques petits textes dans une revue internationale, en français et en anglais au mois de janvier dernier, dont un extrait du « Roman de ‘Tu’ » et un vieux texte en anglais dont tu es très fière. Tu ne te sentais pas prête. Tu l’as fait quand même, dans l’urgence, la panique et dans un moment de drame national qui t’a perturbée et a bien failli te faire renoncer à la sollicitation du directeur de la Revue. C’était Le Zaporgue le numéro XVI, concocté par Sébastien Doubinsky qui t’avais sollicitée pour que tu proposes ce que tu voulais, un écrit, des poèmes, un essai, ce que tu voulais. Il te faisait confiance. Il t’a aidée à reprendre confiance. Prendre, reprendre confiance en toi, à nouveau, ailleurs, dans un autre domaine. Tu l’avais perdue, cette confiance-là, cette innocence-là que tu avais toujours eue avant d’être démolie par la dureté de la compétition dans une université mise au pas et encadrée par une ennemie de longue date à laquelle tu n’avais fait rien d’autre que d’exister et la menacer par ta propre existence dans ses pattes. Cette fille-là avait toujours tué celles et ceux dont elle pensait qu’ils pourraient l’empêcher de régner sans partage sur sa bande de copines. Tu les as quittées, sans aucun regret. Sauf peut-être celui de ne pas être partie avant, ailleurs, n’importe où, voire plus tôt en arrêt maladie. Elles t’ont bien rendue malade. Les réformes aussi. Tu n’en pouvais plus. Tu as terminé, épuisée, comme tu avais vu terminer épuisés tant de collègues depuis que tu enseignais, du collège à l’université. Tu es enfin heureuse, vraiment heureuse de ne plus avoir à aller travailler. Le métier de la transmission est un métier qui t’a toujours passionnée. Mais tu l’as toujours su : tu n’es pas masochiste. Tu n’aimes pas te laisser imposer l’inacceptable. Tu as juste continué jusqu’à ce que tes dernières forces te lâchent. Tu n’en conçois plus aucune amertume. Tu as retrouvé le rythme de croisière d’une vie si ancienne que tu en avais oublié jusqu’à l’existence. Et tout te reviens. Ta joie de jeune femme, de jeune fille. Tu rajeunis à vue d’œil, sinon physiquement, du moins moralement. Tu ne sens plus le poids des ans. Ils se sont évanouis. Partis. Enfuis. Tu profites maintenant de ta jeune vieillesse en bonne santé. Tu attends que ton compagnon puisse lui aussi en profiter, encore trois petites années et bientôt, à nous les voyages, les sorties, les balades, les loisirs sans travail, ni copies, ni élèves. Du temps pour nous, enfin, et les petits-enfants, et les futurs à venir, encore, et nous, éternels grands-enfants, amoureux mieux qu’au premier jour, beaux, intelligents et heureux.

Tu te rends compte que tu es en train de faire un bilan. C’est le point de départ visible d’un voyage vers l’à venir, déjà bien entamé. Tu le sais pour avoir travaillé sur le sujet. Pour avancer vers le futur, il ne faut se concentrer ni sur le présent seul, ni sur le passé seul. Cela est le propre des grincheux et des insatisfaits, des pamphlétaires et des chantres du « C’était mieux avant ! ». Non, ce n’était pas « mieux » avant ! c’était différent. Maintenant, c’est autrement. Et c’est rudement mieux ! C’est de mieux en mieux. On se connaît. On s’aime. On sait qu’on s’aime. Tu sais qu’il sait et que tu le sais. Il sait que tu le sais et que tu sais qu’il sait.

Seul le va-et-vient entre passé, présent et avenir est une démarche équilibrée, une démarche de qui est en marche, en état de marche.

L’introspection que tu as acceptée, après avoir fait tes gammes stylistiques sur ton blog ouvert depuis un an et déjà deux mois (tu n’es pas du genre à fêter les anniversaires) est une introspection issue d’une recherche de style. Le style a précédé le sujet. La recherche du style dans lequel tu te sentais bien pour écrire a été ton premier travail. Du style approprié, naît l’histoire qui l’accompagne. Pour toi, le langage, la grande passion de ta vie avec le chant, la musique, la vie dans des groupes électifs d’affinité collective, et ce que tu passes sous silence ici, mais tu sais bien, tu vois bien ce que tu veux dire…,
…pour toi le langage est prégnant, le langage est présent.

Même dans le silence.

Tu as cultivé le silence du langage et l’isolement en tête à tête avec toi-même, tu as retrouvé la parole, une parole, une voix, ta nouvelle voie.

Tu écris.
Tu es bien.
Tu continues.

Ton impression de ne pas travailler n’était, comme d’habitude, qu’une impression. Tu sais que tu dois t’accorder du repos, du répit, même dans ce que tu aimes bien. Tu rejettes le trop-plein. Tu choisis le juste bien.

Boucles d’Or est devenue une bien belle Boucles d’Argent alors même qu'elle n’a pas encore commencé à grisonner.

Tu rayonnes.

Tu profites de ta vie.

Tu te demandes pourquoi et comment tu avais fini par oublier que tu savais le faire, naturellement, sans te forcer, en ne faisant que ce qui te plaît et sans te forcer à ce qui te répugnes. Tu reconnais que tu as eu des torts et que tu t’es bien trop forcée dans un domaine qui t’avait été si étranger quand tu y étais arrivée, que tu avais eu l’impression d’être un Claude Lévi-Strauss de l’Academia, tentant de comprendre comment opérait et fonctionnait cette tribu-là, tu te souviens l’avoir dit à tes amis Professeurs d’université quand ils t’ont accueillie en divers endroits, à diverses reprises. Tu avais fini par oublier que tu étais étrangère à un certain type d’académie, l’Académie des sans-vie, des sans-joie, des sans-cœur, et que tu avais dû faire des efforts inconsidérés pour te conformer, te faire accepter, et tu avais peu à peu, renié, abandonné, ta fraîcheur, ta gaieté, ta spontanéité, ta vie qui déborde. Tu y as gagné en profondeur, mais quelle perte personnelle. Tu as gardé assez de raison pour ne pas te laisser t’aveugler et délaisser celui qui t’accompagnait, comme tant de femmes sur ce chemin de la gloire et de la reconnaissance de l’université. Toi, tu n’as jamais eu de mépris pour lui. Tu as toujours été avec lui. Tu ne pouvais pas le renier. Tu as délaissé un poste facile à obtenir au fin fond du bout des terres, au loin. Tu l’as parfois regretté, tu en as souffert. Mais rien ne comptait plus que ta présence auprès de lui. Tu étais devenue si austère, si perdue dans ton désert que tu as bien failli le perdre, il t’avait en quelque sorte abandonnée tout en restant à tes côtés, toujours, bienveillant, te houspillant, te soutenant, t’aimant, te baisant. Tu as tenu bon. Tu as cru en lui, comme toujours. Tu as bien fait. Ton Prince, etc. est ta perle. La perle que personne n’avait su découvrir quand tu l’as découvert. La perle était bien cachée. Tu l’as fait briller, ta perle. Il luit désormais. Vous vous êtes tant donné l’un à l’autre. Vous vous aimez. Tu n’es plus dans ton histoire d’amour en amitié, tu viens de dévier vers ton histoire d’amour. Tu as retrouvé Ton Prince, etc., Ton Prince Qui N’aime Pas Que Tu L’Appelles Ton Prince, Parce Qu’Alors Il Se Transforme En Carabosse, en Dragon Et Détourne Les Talons, tu es bien, Cendrillonnette, avec Ton Prince Qui N’a Rien D’Un Falot Jeune Héritier Disneyien. Il t’a réveillée d’un long baiser prolongé, pas du tout ou vous croyez…

L’amour, ce n’est pas l’amour sans le sexe.

Ça, ça ne s’est jamais arrêté.

Le désir s’est pourtant dérobé, bien souvent pour toi, la pratique, jamais. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas faim qu’il ne faut pas manger. On a juste moins d’appétit. Mais on goûte quand même et on finit par apprécier, et aussi, plus souvent qu’à son tour, par en redemander…

Tu t’aperçois que ce « Roman de ’Tu’ » est partie intégrante de ton projet de roman. Tu voulais expérimenter que le bonheur pouvait s’écrire au présent, tordre le cou à cette citation d’un philosophe dont tu as oublié le nom, un mélancolique certainement, c’est pour cela qu’il n’a pas franchement retenu complètement ton attention, ce philosophe, bien peu spinozien, bien peu deleuzien, qui prétendait que le bonheur ne pouvait s’écrire au présent. C’est pourtant en te penchant sur le deuil de ton histoire d’amour en amitié avec l’université que tu as revivifié tes souvenirs de bonheurs passés dans des stages de chant en écrivant, au présent de l’écriture, au bonheur du présent de l’écriture, l’histoire d’une histoire d’amour en amitié dans un atelier d’écriture, toi qui n’avais jusque-là jamais suivi de stage ni d’atelier d’écriture. Te voilà un nouvel objectif atteint. Tu tiens le bon bout. Continue. Tu es sur la bonne voie. Mais n’oublie pas de te lever un peu. Tes fesses et ton dos te conjurent de de détendre le corps et de prendre de l’exercice, en attendant ton sport préféré, tout à l’heure, ce soir, avec le baiser bien placé, bien appliqué, de Ton Prince, etc.


Au moment d’ajouter la fin de cet extrait du Journal de 6M1, elle se rendit compte qu’elle avait perdu son idée. Mais pas l’envie de continuer. Elle était dans le « Comment », pleinement dans le « Comment en actes », le « Comment en action » et non dans le « Comment en acte de langage ». Elle abandonnait graduellement sa fonction de commentatrice, d’universitaire, elle devenait de plus en plus romancière. Elle faisait tout ce qu’il fallait pour ce faire. Elle était au travail. Les choses semblaient avancer toutes seules. Il n’avait suffi que d’un petit rien, un tout petit rien ; cesser de s’interroger et s’y remettre, non sans un appel au secours auquel fort heureusement personne ne réponda, euh…, ne répondit. Elle n’avait pas pu s’empêcher de la faire, celle-là, elle était incorrigible, et c’était tant mieux. La joie s’était durablement réinstallée. Elle avait fait le deuil de son ancienne activité. Se faisait belle, se maquillait et se douchait. Enfin, pas dans cet ordre. D’ailleurs, la douche était revenue depuis bien longtemps. La vie était revenue dans sa chaumière, qui n’avait rien d’une masure en chaos. Elle gérait le chaos de sa tête et le mettait en ordre parfait. Elle était fière de ce qu’elle faisait, sans maître, ni disciple, elle avait enfin trouvé sa propre discipline, celle qu’elle s’était interdite autrefois. Écrire pour ne rien dire, ne servir à rien. Être. Tout simplement. Écrire. Être bien.

Elle pouvait reprendre le récit de Françoise, ou de n’importe qui, avec n’importe quel narrateur, n’importe quel personnage, c’était elle qui décidait tout, elle s’amusait comme un petit fou, comme une petite folle. Elle n’avait plus peur d’être folle. Elle acceptait ce qu’elle était. À nouveau. Elle ré-acceptait de vivre la belle vie. Elle s’était détachée, sans le voir, sans le sentir, sans le savoir, de ce qui avait fini par l’emprisonner. Elle pouvait maintenant achever son roman d’histoire d’amour en amitié. Ce roman, elle en rêvait tant, depuis si longtemps, qu’il était bien temps de se mettre à l’avancer, pour le finir, le soumettre, le publier. Elle ne doutait plus. Elle était. Elle avançait.

Et pendant ce temps, Françoise, rédigeait le roman que François n’avait pas le temps, ni le loisir, ni vraiment le goût d’écrire. Il devait s’occuper de sa sœur, de ses filles, de sa librairie. C’était bien assez pour un homme qui ne se prétendait pas être un héros, mais qui était un héros de l’existence commune des êtres humains communs, de ceux qui ne se prennent pas pour mieux que ce qu’ils sont, de ceux qui vivent une vie équilibrée tout en s’interrogeant, parfois, sur le dur métier d’être humain et de le rester. Ce pourquoi il était devenu libraire. Un engagement. Humain. Envers l’humanité. Modeste. Utile. Futile. Nécessaire. Pour le Commun. Pour le bien du Commun. Solange et Simone lui avaient parlé de Rancière qu’il n’avait pas eu le temps de lire, ni vraiment l’envie non plus, mais il s’était fait raconter cette question du Commun qui titillait les deux philosophes Rancière et Badiou, à la suite des interrogations de Deleuze et Guattari. Tout cela le fascinait. Il n’aurait jamais pu passer autant de temps que Simone sur de tels sujets, à s’en perdre, presque à en perdre la raison. Simone était sa cliente depuis des années. Elle avait fait la connaissance de Françoise à l’atelier d’écriture de cette année-là. C’est lui qui lui avait conseillé d’aller à cet atelier d’écriture. Sa femme et Solange suivaient un atelier d’écriture parisien depuis quelques années, elles en connaissaient et en appréciaient l’organisatrice, celle qui n’avait fait qu’une très brève apparition avant le tout début du stage, et elles étaient devenues très amies toutes les trois, et avec lui aussi.

François s’énerva. Il alla voir Françoise qui était en train de se remettre à écrire. Elle n’était pas encore en train de rédiger. Cela tombait bien.

  • Aurore/Aurélia recommence ses conneries. Ça m’agace ! Ça m’agace ! Je viens de la renvoyer travailler dans sa chambre. Elle t’en veut encore, mais je tiens bon. il est hors de question qu’elle te manque de respect. Tu sais ce que c’est sa nouvelle lubie : elle ne prend plus les cours par écrit. J’en marre… Elle m’énerve… Tiens, je vais retourner voir le gratin, moi ! Ah, avant ! J’ai oublié de te dire, j’y pense depuis ce matin, Fanfan. Tu devrais raconter ce qui s’est passé la veille du stage. Ce serait plus clair que de commencer par la première journée avec les stagiaires livrés à eux-mêmes.

« Putain, le connard, il va falloir que je me creuse les méninges pour me sortir de là », pensa le narrateur censément omniscient.

Il avait beau être omniscient, il ne savait toujours pas se dépêtrer de ce truc de début de stage. Il fallait qu’il travaille vraiment sur le personnage de l’animatrice. Il ne s’était encore même pas fixé sur le prénom à choisir, tout cela parce qu’il hésitait entre deux personnages différents pour prendre en charge, d’une part la question de la folie, du déséquilibre mental, durable ou passager, et d’autre part la question de l’homosexualité et plus particulièrement ici, de l’homosexualité féminine. Il ne savait comment distribuer ces deux sujets entre l’animatrice du stage et la sœur du libraire. Et il hésitait encore à faire un lien entre les deux. Il avait peur que ce soit too much et que les lecteurs ne suivent pas.

Sur ce, il décida qu’il était temps d’aller visionner la vidéo de l’atelier d’écriture en ligne. Il paraissait qu’il s’agissait de la question du narrateur. Le narrateur omniscient avait sciemment fait fi des conseils du stage en ligne pour se mettre au défi de se sortir seul de sa mauvaise passe en ce probable milieu de roman. Non sans avoir déjà crié « Au loup ! » et « Au secours ! », dans un moment d’égarement. Même lui n’était pas exempt de quelque attaque de panique, de temps à autre…

© Simone Rinzler | 11 avril 2015 - Tous droits réservés

Round 35/100 écrit le mardi 14 avril 2015

815 mots | 4826 signes

3557 20150414 Que faire en attendant des bébés qui ne sont pas à soi. Tromper l’attente. Faire le conte, du présent, du passé, préparer l’avenir, mettre son compte, à zéro, pour pouvoir redémarrer.

Que faire en attendant des bébés qui ne sont pas à soi. Tromper l’attente. Faire le conte, du présent, du passé, préparer l’avenir, mettre son compte, à zéro, pour pouvoir redémarrer. Ça touche à sa fin, cette histoire de Tu, cette histoire d’Elles, cette histoire d’Eux. Ces vieilles histoires, se sont enfuies, se sont enfouies, désenfouies, analysées, pensées, ruminées. Elles s’effacent, laissent la place à cette Histoire de Nous, à tire d’Elles. Ces Elles qui me tirent, vers le Haut, vers le Sublime. Ces histoires d’Amour en Famille, Unie, Agrandie.

Tu as beaucoup tu les détails, crapoteux, vénéneux, pas pour Eux, pas pour Vous, pas pour Toi, Lectrice, Lecteur, ces histoires rien que pour Toi, auteure, pour Toi et Ton Prince, etc., tes histoires intimes, Vos histoires qui ne Vous regardent pas, Vous, Lecteurs, Lectrices. Tu as fait le tri. Tu as tenté le coup de l’autographie sans le dégueulis de l’intime de l’autofiction, ni la tentation de l'autobiographie. Ego Scriptor. Toi. Écrivain. Écriture de Soi, détournée, contournée, exposée. Tu as joué avec les limites, avec tes limites, avec celles de Ton prince, etc., pour ne pas le fâcher, pour ne pas le perdre, pour ne pas trahir votre histoire qui ne regarde que vous, mais que tu ne peux t’empêcher d’accommoder à ta sauce pour ton plaisir d’écrire, et pour Toi, pour ton plaisir de lire.

Tu n’as pas réussi, ton histoire d’Amour en Amitié. Tes histoires d’Amour en Amitié, tu le sais bien, se sont toujours soldées, par la fin des fins, la fin des histoires, la fin des amitiés, avec de chaleureux souvenirs, de discrets coucous aux amis fidèles, que tu revois, que tu recroises, que tu n’oublies pas et qui ne t’oublient pas, qui disparaissent puis réapparaissent au gré de la vie, de leur rythme, au gré de leurs peines et de leurs joies. Ceux-là, celles-là sont très vrais amis. Ceux que tu gardes, ceux qui te gardent, ceux qui reprennent où tu avais quitté, comme tu le fais, comme tu reprends où ils t’avaient quitté, comme si le temps ne vous avait, ne nous avait jamais séparé. Tu sais aussi, qui sont aussi, tes vrais amis, ceux que tu as, hier…, et celui qui t’a… Et ceux que tu vas, aujourd’hui… et qui vont…

Tu sais, tu sais, qui sont vraiment tes vrais amis, ton premier cercle. Tu as su faire, su faire le tri, du premier cercle.

Viendra ensuite le deuxième cercle. Un peu plus tard. Oui mais tu vas, maintenant, … et puis et puis… et puis…

Puis le troisième, le quatrième, mais pas tout de suite. Tu ne peux pas attendre. Tu dois y aller, elles t’appellent, pas pour longtemps, juste un petit peu.

Tu seras distraite par des arrivées inopinées, des amis d’amis et des amis du premier cercle, tu ne peux pas, tous en même temps, ça se bouscule, ça part dans tous les sens, c’est tellement joyeux, ces amitiés. Ça fuse, ça part dans tous les sens. Tu en es étourdie de bonheur.

Et pendant ce temps, tous ces intervalles, tu travailles, tu finis ton roman, ton « Roman de ‘Tu’ », ton Histoire d’Amour en Amitié, à l’atelier, À l’atelier d’écriture, à ton établi, à l’atelier de la pensée, en ton joyeux Atelier de L’Espère-Luette, celle qui espère n’avoir jamais la luette sèche, qui fait entrer la luette, la lumière du bonheur, par la lunette du bonheur sous le regard de ton vieux Spinoza et de son passeur que tu vas appeler.

Ton projet te semble assez bien ficelé. Tu sais pourquoi ton histoire ne tenait pas la route. Tu étais en route, sur deux chemins. Tu t’en doutais. Tu le savais. Jamais, jamais, tu n’as abandonné ton propre chemin. Tu es encore dessus ? Celui-là, c’est le tien. Mais tu chemines, mais tu butines, dans le bonheur du ton chemin, celui que tu as tracé, avec ton deuxième Prince, le vrai, le Bon, Ton Prince, etc. Vous êtes grands- parents, un nouvelle fois. Vous avez vécu les mêmes instants, différemment, non sans heurts, disputes ou incompréhension, mais vous en avez fait un bien bon bout de chemin. Et maintenant, à vous, à Toi, de tracer ton chemin, la joie au cœur, de cultiver en ton jardin les passions gaies, les affects joyeux, comme le brave, brave Spinoza, qui jamais, jamais ne se résigna et polit, polit, polissi, poli, polissa, polit ses lentilles, imperturbable, sans dévier, jamais, ce qu’il croyait, de ce qu’il savait bien.

© Simone Rinzler 14 avril 2015 - Tous droits réservés

Round 36/100 écrit le jeudi 16 avril 2015

673 mots | 4145 signes

3656 20150415 Françoise pensa que ce n’était pas juste pour Solange qui avait commencé à prendre en charge le récit de l’atelier…

Françoise pensa que ce n’était pas juste pour Solange qui avait commencé à prendre en charge le récit de l’atelier. Elles l’écriraient ensemble, à quatre mains. Ce serait malaisé, il faudrait beaucoup de relectures et de corrections, mais Françoise avait un métier, des enfants, un mari, et elle ne pouvait pas priver son amie du plaisir d’écrire.

En même temps, elle avait fait la promesse à François de ne pas nuire à sa sœur Laurence et d’écrire avec lui, sous son contrôle, en quelque sorte.

Elle leur parlerait à tous les deux. Ensemble, ils trouveraient une solution qui satisfasse tout le monde. Soulagée de ce poids qui commençait à lui peser, elle se fit un thé et réfléchit à la manière dont ils pourraient envisager ce travail commun.

Elles avaient appris à faire cela lors de l’atelier. Elle savait que ce n’était pas la tasse de thé de Solange, qui n’en buvait jamais, du thé, ça l’énervait trop.

Elle proposerait que Solange écrive la première, elle réécrirait ensuite, ôtant tout débordement, allant à l’essentiel, cadrant, guidant et aidant son amie qui se savait elle-même peu autonome, puis elles soumettraient les différentes versions, chapitre par chapitre, morceau par morceau à François.

Il ne leur resterait plus, d’ici là, qu’à enquêter sur ce fameux Benoît et à lui faire clarifier ses intentions, si c’était possible. Il avait fait peur à François, mais François, avec son flair habituel, avait su le mettre en respect. Ce type n’était sûrement pas un mauvais bougre. Peut-être était-il juste maladroit.

François avait une capacité à bien s’entendre avec tout le monde et à se faire respecter, malgré ses allures d’homme fragile qu’elle savait débusquer et remonter. C’était un homme fort qui savait ne jamais s’encombrer de ce qui pourrait l’empêcher de profiter du meilleur de la vie. Il en avait toujours fait la preuve. Ce serait vraiment étonnant que cela ne soit pas encore le cas.

Il allait falloir élucider le cas Benoît. Qui était ce type, que voulait-il faire exactement, et pourquoi ? Il avait l’air sympa, ouvert, de bonne foi. Mais il avait quand même menacé François, même s’il s’était rétracté bien vite.

Il y avait un petit quelque chose qui ne collait pas.

Comment s’était-il exactement présenté à François ? S’était-il recommandé de quelqu’un ? Avait-il fait valoir son métier ? Françoise n’était plus très certaine de savoir s’il était vraiment journaliste ou pas, et dans quelle type de presse ? Presse papier, télévisée, presse de qualité ou de caniveau ? Était-il intelligent, de bonne foi, bienveillant ? Que voulait-il au juste ? Qu’est-ce qui l’intéressait ?

De toute façon, quelles que soient les réponses à ces questions, il était trop tard. Ils avaient tous déjà bien trop travaillé sur ce récit pour abandonner. Ils s’étaient pris au jeu. Il leur fallait continuer. Avec ou sans impératif de protéger Laurence, d’elle-même ou de se fréquentations, et d’ailleurs, peut-on protéger quelqu’un qui se met tout le temps en danger ?

Françoise et François savaient bien que non. Ils tentaient de vivre au mieux, en fonction de… Ils savaient ce qu’ils pouvaient faire et ne pas faire, ce qu’il était inutile de tenter pour ne pas s’y user. Ils avaient fini par s’y habituer. Ils profitaient de ses hauts et se protégeaient - et la protégeait - de ses bas, au mieux de ce qu’ils pouvaient. Mais ils savaient que leur marge de manœuvre était étroite, même si l’expression de « manœuvre » était on ne peut plus maladroite et inadaptée. Ils avaient eu la présence d’esprit de ne jamais se laisser impressionner, malgré les circonstances et les remous que cela avait causé dans leurs vies, à tous les deux.

© Simone Rinzler | 15 avril 2015 – Tous droits réservés

Round 37/100 écrit le vendredi 17 avril 2015

580 mots | 3747 signes

3756 20150416-17 Prologue : Il aurait pu être une fois, dans une campagne verdoyante, un atelier d’écriture, une histoire d’amour, une histoire d’amitié, une histoire d’amour en amitié…

Prologue :

Il aurait pu être une fois, dans une campagne verdoyante, un atelier d’écriture, une histoire d’amour, une histoire d’amitié, une histoire d’amour en amitié. Tout aurait pu commencer ainsi, à la va-vite, sans trop de chichis, de fioritures, sans jamais trop tergiverser. Cela aurait été mal connaître l’écriture, ses secrets, ses mystères, les singularités de l’auteur, des auteurs, les troubles et les peurs, l’expérience et l’inexpérience, les fautes à pas de chance, les reculades, les roucoulades, les rodomontades et les rigolades.

Tout aurait bien pu commencer. Cela aurait été sans compter les retards, les empêchements, les atermoiements, les contournements et même les détournements. Cela aurait pu commencer tout simplement, sans les aléas de la vie, les aléas de l’écriture, les aléas du réel, les aléas d’une fiction.

Mais ce ne fut vraiment pas comme cela que tout commença.

Tout aurait pu être simple. Tout parut compliqué. L’histoire traîna, de mal en pis, les narrateurs s’épuisèrent l’un après l’autre, les personnages s’embrouillèrent, on ne sut bientôt plus qui disait ci, qui disait ça. Il avait alors fallu remettre de l’ordre dans tout cela. Ce ne fut pas une mince affaire. D’autant qu’il n’y avait pas que des personnages, mais aussi de vrais êtres vivants à qui il fallait éviter de perdre la face publiquement et que, par ailleurs, les apprentis écrivains avaient une vie à côté de l’écriture.

Il leur avait fallu jongler, se mettre en déséquilibre. Ils bégayèrent, tripatouillèrent, tentèrent de s’entraîner à des exercices de style, du plus neutre au plus singulier, du plus clair, du plus limpide au plus obscur, au plus délire, et jusqu’au bout, jusqu’au plus ébouriffé, au plus affolé et au plus affolant. Comment donner une unité à un tel panier, trop bien garni, à un tel fouillis, un tel fouilli-fouilla, un tel fatras, un tel salmigondis, fut un travail de longue haleine, une œuvre d’orfèvre, en la matière, la matière bien peu littéraire d’un groupe de gens, se connaissant à peine, se rencontrant dans un lieu de vacances culturel, n’ayant qu’assez peu en commun, sinon cette inscription à un long atelier d’écriture pendant l’été, cet été-là, d’il y a bien longtemps. Lorsque les premiers arrivèrent, en avance, la veille, ils furent accueillis bizarrement. Ils ne s’en formalisèrent pas. Mais ils conçurent quelques doutes. Une forme de méfiance avait commencé à s’installer, qu’il leur fallut rapidement désamorcer. Rapidement, les choses allaient s’accélérer, les nouveaux arrivants arriver, et il faudrait bien faire quelque chose, et vite, et bien.

Bref, tout commença sous un petit air de catastrophe pas du tout annoncée. Mais quand l’ouragan se présenta, il fallut bien se serrer les coudes et faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ça démarrait mal, et tout allait bien aller, malgré le drame. Sans se le dire, ils s’en firent le serment. Secret. Sans un mot. Dans un serrement, dans un élan, de cœur. Tout cela resta leur secret. Pendant, longtemps. Le secret de leur aventure, de leur amitié, de leur amours, de leurs espoirs, de leur vie, désormais commune, avec en commun, cette extraordinaire expérience.

Voilà en fait, comment tout cela s’est passé.

© Simone Rinzler - Tous droits réservés

A toute vibure à L'Atelier de L'Espère-Luette

Round 38/100 écrit le lundi 27 avril 2015

789 mots | 4682 signes

4356 20150423 Elle se souvint qu’elle avait enterré un manuscrit commencé il y a plus d’un an et demie…

Elle se souvint qu’elle avait enterré un manuscrit commencé il y a plus d’un an et demie. Il lui prit une violente envie de le reprendre et de le remanier. Elle trahirait la semi-promesse à elle faite de ne pas retoucher ce morceau, cet incipit de bien plus de trente pages. Mais rien n’y faisait, ce début la hantait et ce qu’elle écrivait était tout entier teinté de ce fantôme qui la gênait. À cette époque, elle n’avait encore que deux narrateurs. Le premier narrateur, déjà assez typé, ressemblait furieusement à notre François. Mais un François qui écrirait, déjà, depuis longtemps, et qui y prendrait plaisir. Et surtout un narrateur indéterminé, sans prénom et sans sexe déterminé. Elle s’était amusée à jouer sur l’ambiguïté pour surprendre ses lecteurs. C’était donc un François qui n’était pas François et qui n’était peut-être même pas un homme, car celui qui écrit « Je suis libraire » dit tout de sa profession, mais rien de son genre. C’est au lecteur de définir, par défaut en somme, s’il pense qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme, comme dans l’histoire des deux allemands dans un wagon.

Vous ne connaissez pas cette histoire ? C’est un professeur de linguistique qui l lui avait racontée et depuis, elle proposait cette devinette à ses étudiants pour leur demander comment traduire cette blague en anglais en transposant tout ce qu’il fallait pour que la confusion puisse s’installer et que surprise soit identique pour le lecteur de la traduction.

Voilà ce qu’était cette histoire :

Deux Allemands sont dans un wagon.
L’un est le père du fils de l’autre.
Quels sont leurs liens familiaux ?

Pour vous laisser chercher un peu, elle pense qu’elle demandera à son éditeur de laisser quelques pages passer avant de vous donner la réponse. Puis elle se dit que c’était inutile.

Elle pouvait user du stratagème toute seule, comme une grande. Jusqu’à ce que vous-même ayez même perdu toute attente. À moins même qu’elle ne vous donne pas la réponse.

Elle n’en faisait qu’à sa tête.

Vous le savez fort bien, d’ailleurs, et ce, depuis bien longtemps, puisque vous êtes parvenus jusque-là en vous laissant guider par ce récit baroque et foutraque d’un roman qui ne veut pas s’écrire tout seul.

Salaud d’roman !

C’est bien la peine d’avoir tant de narrateurs si c’est pour avoir si peu d’histoire.

Pour commencer, il y avait un seul titre, dont vous êtes déjà un certain nombre à savoir que ce n’est déjà plus le titre du roman en train de s’écrire sous mes petits doigts agiles sur mon clavier de portable, pendant quelques jours de vacances à la campagne. Mais il y avait deux sous-titres, en concurrence. Elle n’avait pas encore pu se résoudre à choisir l’un d’entre eux.

Entre-temps, le titre du roman était devenu le nom de son blog littéraire sur lequel elle avait commencé à faire ses gammes stylistiques et narratives depuis un peu plus d’un an.

Le titre initial du roman était : À L'Atelier de l'Espère-Luette. C’était désormais la marque de fabrique de son blog dont elle était assez contente, mais qu’elle avait laissé plus ou moins en déshérence depuis qu’elle s’était remise à son roman, en recommençant depuis le début, à la faveur d’un atelier d’écriture virtuel réparti sur huit semaines d’écriture continue, en probablement 56 épisodes, si l’on suivait, théoriquement, les huit fois sept jours d’écriture par semaine.

Pour le sous-titre, elle avait hésité entre Roman - De l'autographie fictionnelle et Roman d'une autographie intellectuelle.

Elle avait conservé, pour elle ne savait quel effet, ni quelle utilité, une marque temporelle fixe de début, elle qui se moquait des dates comme de sa première liquette. La date était précise. Il s’agissait du 7 septembre 2013. Elle n’était tout de même pas allée jusqu’à préciser le jour de la semaine. Elle n’était pas si obsessionnelle qu’elle le croyait parfois. Et elle se fichait pas mal de tous les ancrages temporels, bien peu utiles quand on s’intéresse à ce qui, chez l’être humain, peut avoir d’universel.

Voici ce que fut ce début de manuscrit, qu’elle modifia quelque peu pour le rendre public et le mettre en accord avec ce dont elle vous a déjà entretenus.

(C) Simone Rinzler - Tous droits réservés

Round 39/100 écrit le mardi 28 avril 2015

555 mots | 2939 signes

3956 20150428 Prologue du récit déterré

Je me mens.

Je me mens souvent.

Oh ! Je ne le fais pas exprès. Je me mens pour garder la tête haute. Par orgueil personnel, pour pouvoir continuer à me respecter.

Si je ne me mentais pas, peut-être bien que je finirais par me mépriser. Comme me méprisent ceux qui se mentent et prétendent :

      - que je suis dingue,  
      - que je fais preuve d’incompétence,  
      - que je suis sans qualité.  

Je ne suis rien de tout cela. Et quand je dis cela, je sais que je ne me mens pas.

J'écoute ce que je sens. Je sens ce que je sais. Je sais depuis toujours, que je tente, au mieux de mes possibilités humaines, d'être quelqu'un de bien. Je ne sais pas très bien ce que recouvre ce terme de "quelqu'un de bien" sous ma plume à ce jour. Mais est-il nécessaire de tout justifier ? Inutile de se poser la question plus longtemps. Je sais bien qu'il ne sert à rien de toujours tout justifier. On ne prépare pas une dissertation d’Agrégation toute sa vie. On n'est pas un petit enfant toute sa vie. Le temps du doute est terminé. Il est temps de passer à l'action. Et le cas échéant, car le choix z’ici échoit, il est temps, largement temps, de passer à l'écriture. De quitter ce qui m'a fait tant souffrir ces dernières années et de faire ce que j'ai envie de faire dès à présent, sans plus attendre, illico presto, preste, alerte et la joie au cœur, pour tout dire : « juste bien ». Temps de quitter les passions tristes, les pervers narcissiques et leurs acolytes et d'éprouver la clameur de l'être, la clameur de naître, la clameur de renaître, la clameur, la douceur d'être, la joie de faire avec joie ce que j'aime et ce dont j'ai, moi, envie, plus que tout.

Alors, oui, Écrire.

Écrire et ne plus se détruire. Écrire et cesser de se mentir. Écrire sans demander la permission à personne.

Et Tant pis pour les gens énervés, Tant pis pour les gens égarés, et surtout, surtout, Tant pis pour les envieux, les craigneux, les taiseux, les ceusses qui ont le petit doigt sur la couture, toujours prêts à rentrer dans le droit chemin et autres normopathes de tout poil. Tant pis pour eux. Tant mieux pour moi.

C'est le printemps des affects joyeux. C'est le bel automne des passions renouvelées. C'est aussi l'heure de la récré, l'heure de la sortie, le temps, enfin de sortir, de quitter un très long moment transitoire de sa vie pour entrer dans le suivant. Et y entrer avec passion, avec ferveur, avec bonheur. J'aime écrire. Pour ça, oui, ma brave dame. Oui da, triple oui da. A-t-on jamais vu quelqu'un qui aimait tant écrire et qui se privait tant de le faire ? Pour sûr, non, mon compère. Pour sûr, non.

Alors, Écrire, sans plus tarder. Écrire, écrire, écrire. Et jouir.

© Simone Rinzler - Tous droits réservés.

Round 40/100 écrit le lundi 4 mai 2015

2287 mots | 13068 signes

4056 20150504 Prologue de l'auteur-narrateur

Non, je ne peux pas. Je ne peux pas écrire en mon nom. Je ne peux pas écrire sous mon nom. Ce n'est pas possible. Cela mettrait en péril... Quoi ? Je ne sais pas. L'ordonnancement du monde désordonné, la stabilité de mon instable famille, l'inharmonieuse harmonie de mon lieu de travail ? Quoi ? Pire encore ? Tu veux dire que ça bousillerait ma santé mentale ? Tu veux dire ma santé mentale actuelle ? Ah, alors. Tu veux dire que ça la remettrait à l'endroit ? Que je ne me sentirais plus au bord de la folie ?

Ah ! Je vois. Tu fais partie de ceux qui croient qu'écrire, c'est se guérir de la vie. Que c'est une thérapie. J'ai connu un chercheur en sciences humaines qui avait développé cette idée. Ça ne lui a guère réussi au bout du compte. Il est des milieux où toute part de vérité n'est pas bonne à dire, et encore moins à écrire. Et quand je dis, quand j'écris, « Il est des milieux », c'est parce que je ne connais que le monde dans lequel je gravite, le monde littéraire.

Je suis libraire. Je lis. Je lis tout l'été. Je vends des livres. Je rêve de clients passionnés. Par la lecture , par l’écriture. Mais je n'en rencontre que bien trop peu. Je vends beaucoup de livres scolaires, de livres au programme que leurs lecteurs n'auront pas envie de lire, précisément parce qu'ils sont au programme. Mon monde, le monde que j'aime est en train de s'engloutir et moi avec, moi en premier, moi en prime. Je vends des livres-cadeaux qui ne seront jamais lus, car celui qui les achète suit son goût, ou ce qu'il croit être le goût de celui pour qui il fait ce cadeau. Offrir un livre quand on n'est pas lecteur, non, mais quel tracas. Alors, on se repose sur les conseils du libraire. Qui vous questionne. Mais jamais rien ne va. Je ne parle pas de ceux qui font ça à la va-vite, comme un pensum. Non. De ceux qui veulent faire plaisir. Souvent un cadeau pour les tantes, les mères, les vieilles dames respectées, mais craintes, quoiqu’aimées. C'est bien connu, on dit que ce sont les femmes qui lisent. Parfois, un cadeau pour le père, le grand-père.

Mais, ceux qui lisent, on ne les connaît jamais vraiment très bien, pas vrai ? Leurs livres sont plus importants que vos vies, pas ? Ont-ils jamais parlé de leur joie de lire, de leur jouissance à s'extraire du monde, à s'isoler partout. Dans le silence, au milieu du bruit, dans leur bureau.

Je suis libraire. Je n'ai pas le temps de lire. Je n'ai plus le temps de lire. Je vends des livres scolaires, des livres-cadeaux, des bouses et des moins bouses, à la mode ou pas, des classiques qui resteront, non lus, sur quelque table de salon, jusqu'au prochain grand rangement, quand le soi-disant lecteur se rendra compte que sa décision de se mettre à lire ne tient pas la route, qu'il n'en a pas le temps. Pas le temps. Pas l'envie.

Alors, je porte des cartons. À la pelle, à la palette, par dizaine, par douzaine, par grosses, aurait-on dit autrefois, dès fin août-début septembre.

Mon dos est en compote, mon âme, plus jamais ne dépote.

La déception me gagne. On ne lit plus que des produits, des objets de consommation courante, du rêve de marketing dont l'obsolescence est aussi programmée que celle d'une cafetière, des livres à lire qui ne seront pas lus, par manque de temps, par manque d'envie. Non, qui ne seront pas lus par manque de talent des auteurs en nombre grandissant, par manque de travail d'éditeurs avides de rentabiliser leur affaire, il faut bien vivre, par manque d'imagination des maquettistes qui copient la frénésie des couvertures choc et multiples du monde anglo-saxon. Le livre est un yaourt. C'est l'habillage qui compte, qui retient le futur would-be lecteur. Le lecteur qui voudrait bien être lecteur, se rêve lecteur, achète en lecteur qui se rêve lecteur, lecteur en herbe, mais ne lit pas.

La profession est désabusée, usée, à la peine et en peine. Face à la panne de désir d'une société que la modernité, la postmodernité, le capitalisme financier ont brisé l’élan des amoureux de la lecture, des aristocrates du lire plutôt que rire.

Je me rêvais élève de l'École Normale Supérieure, faisant partie de la cohorte de l'élite de la Nation. Enfant de pauvre, je n'avais pas les clés. Pas d'École Normale Supérieure pour moi. J'ai maintes fois préparé l'Agrégation de Lettres Modernes. N'ai jamais réussi à aller jusqu'au bout. De petits boulots de scribe en petits boulots de bureau, en Bartleby inassouvi, je montrais au monde mon peu d'ambition. Quelque chose en moi se dérobait au succès.

Au hasard des entretiens d'embauche, j'ai débuté dans une petite librairie. Le patron, un type sympa, a tout de suite aimé ma disponibilité, ma gentillesse, mes qualités humaines et littéraires. Sous son aile, mi-paternaliste, mi-idéaliste, j'ai grandi, prospéré. C'était sans compter l'écroulement prochain, probable du marché du livre. Sans en être propriétaire, je suis l'âme de cette librairie. Sans capital, je suis comme la coiffeuse d'à côté, super douée, qui rêve un jour d'avoir son propre salon. Mais elle n'a pas le Brevet, que son C.A.P. Elle sait que son rêve est impossible.

Moi, je me rêve libraire. Libraire dans ma librairie. Libraire dans un beau quartier. Enfin. Un beau quartier, c'est un bon quartier, pour un libraire. Un quartier CSP+. Un quartier où existe la culture du livre. Ou une bonne banlieue. Une banlieue CSP+ aussi. Quand le chaland ne chalande pas, et que je ne prépare pas Noël ou la Fête des Mères, je rêve ma vie. Et je me rêve, je me rêve... Pour un peu, si je me laissais aller, ou si quelque cliente indécise ne venait pas commander un livre qui n'existe pas, je me rêverais même écrivain. Et je pratiquerais cette idée saugrenue de scriptothérapie. Et je me guérirais de mes rêves en écrivant. Et je me...

Hélas, je ne suis que le narrateur de ce récit. Ce récit qui n'est même pas un vrai roman, ni même une autobiographie, mais l'histoire d'un atelier d'écriture rêvé par l'auteur de ce nouveau pavé destiné encore à encombrer les tables de salon, inlu, destiné à me démolir un peu plus le dos, deux fois : une fois à la rentrée littéraire et une autre fois au moment du retour des invendus. Car ce livre, destiné à faire un vrai tabac, ne marchera pas. Pour cause de catastrophe. Nationale. Ou internationale.

Je ne vous en dis pas encore plus. Mais, vous avez peut-être entendu parler du Syndrome Dany ? Vous souvenez-vous de la chanteuse Dany ? Elle devait participer au Concours Eurovision de la Chanson, ça devait être dans les années 70, je crois. Pompidou était alors Président de la République et le grand public ne savait pas malade. L'ère n'était pas à l'information en continu et le journalisme n'était pas encore devenu ou redevenu ce qu'il est, monde de muck-rakers, fouilleur de secrets crapoteux sans grand intérêt autre que purement anecdotiques et périphériques. Pompidou décéda brutalement. À cette époque, j’étais encore au lycée, les distractions n'étaient encore que télévisuelles avec une seule chaîne ou juste deux ou trois chaînes publiques. La première mesure de deuil national fut de supprimer ce qui était une véritable récréation nationale collective, à savoir la diffusion du Concours de l'Eurovision et la participation de la France à ce concours. La chanteuse Dany, toute jeune femme fraîche et pétillante, était alors très célèbre et très populaire. Tout le monde pensait qu'elle avait de très grandes chances de gagner. Ce concours, c'était une récréation innocente, sympathique, populaire dans un pays qui était fier de sa joie de vivre et fier de participer à la reconstruction d'une Europe moderne, sans guerre, où l'Allemagne, la France et l'Italie ne se livraient plus qu’à des batailles de chansons de variétés. On découvrait des pays inconnus. N'oubliez pas que le tourisme de masse à l'étranger n'était pas encore un produit de grande consommation. On venait à peine de découvrir New York grâce aux duplex avec Jacques Sallebert. France-Soir n'était pas le vilain torchon qu'il est devenu bien avant de couler - ou peut-être l’était-il, et je n’en avais pas conscience. Cinq Colonnes À La Une, premier grand magazine d'information télévisuel, avait pour générique « La Danse des Flammes », extraite de la musique du ballet « Le rendez-vous manqué », de Michel Magne et le Concours de l'Eurovisio, prouesse technique et humaine s'ouvrait sur le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier.

Mort de Pompidou. Exit Dany. Exit la joie de vivre. Place au deuil. National. Dany disparaît du paysage audiovisuel. Peut-être déprime-t-elle face à sa catastrophe personnelle. Personne n'a jamais parlé de Dany à ce moment-là. On ne le sut pas, mais peut-être que ce fut le début d'un basculement personnel et collectif hors de ces années d'espoir et d'insouciance. Dany, chanteuse et (bonne) comédienne, tomba du jour au lendemain dans l'anonymat le plus total. On apprendra, des années plus tard, qu'elle avait sombré dans la drogue. Quand ? Comment ? Pourquoi ? À cause de la mort de Pompidou ?

Sorry, je suis libraire, mes « fiches » people ne sont pas toujours très à jour. Elle n'a pas dû écrire ses mémoires depuis mon entrée dans le librariat. J'ai dû avoir l'info en essayant de tromper une insomnie devant la télé ou dans la salle d'attente du kiné. Oui, mon dos me fait toujours atrocement souffrir.

J'en ai vraiment plein le dos.

Je bavarde, je bavarde et j'ai un peu perdu le fil. Ça m'arrive de plus en plus souvent, ces derniers temps. La lassitude, sans doute. Quand je perds confiance, que je perds espoir, ce qui n'est qu'assez rare, fort heureusement, mais franchement impressionnant, je me laisse aller et je pars à la dérive. Une dérive du langage, une affection empoisonnée de la parole. Je ne contrôle plus mon image sociale de personne bien comme il faut. C'est pour cela que les clients, mes fameux would-be lecteurs m'aiment bien. Ils me trouvent simple et sympa, sans chichi. Ça leur rend le lieu moins impressionnant. Si je n'avais pas ce maudit bavassage, je n'aurais sûrement pas fait long feu dans le métier. Mais on aime bien les gens qui ont le contact facile. Alors, même si cela me désole (je suis bien loin de mon idéal d'élitisme républicain un peu bébête, un peu grandiloquent), cela me fait une belle vie, de belles rencontres. Ah ! Si seulement il n'y avait pas ce dos en miettes ! Je serais probablement plus alerte, moins prolixe, dans l'action, loin, encore très loin du ressassement qui me gagne et grignote mon énergie. Un Bartleby inassouvi, je l'ai déjà dit, c'est ce que je suis en train de devenir.

C'est quoi, un Bartleby inassouvi ? Oh, peu à voir avec l'original - encore que, sait-on ce qu'est Bartleby, ce que serait l'idéal- type de Bartleby., pour s'exprimer comme Max Weber. Ce n'est pas parce que je n'ai pas eu le courage, le culot, l'entregent nécessaire pour passer l'Agrégation que je suis sans qualité. Il faudrait voir à ne pas juger trop vite. La culture, je ne la vends pas seulement. Je ne suis pas marchand de yaourt. Je la transmets. Je la hume, je la respire, je m'en repais. Elle me plaît. Je lui plais aussi, car elle me le rend bien. La culture et moi, on s'aime (oui, même quand j'ai mal au dos et même maintenant, tiens, rien que d'en parler, elle et moi, j'en ai déjà moins plein le dos. La passion revient, elle n'était pas partie bien loin. Juste un petit coup de mou, comme ça, en passant, un léger vague à l'âme, toujours un peu mélancolique dans un océan de cruelle lucidité, de lucidité terrible qui me fait parfois rire de la naïveté de mes enthousiasmes récurrents, de mes passions torrentielles. La passion me tient. Je tiens à ma passion. La culture me fait vivre. Et non, pas seulement au sens économique du terme. Alors, je suis marchand de passion. C'est tout de même mieux que marchand de sable. - Encore que mon auteure, qui écrit la nuit, sûr qu'elle aimerait bien aussi que le marchand de sable passe plus souvent.

Que je suis bête, je bavarde, je bavarde, je bavarde. Une vraie petite commère de Windsor et j'oublie que si ça se trouve, vous me lisez là, et c'est la nuit, et vous auriez bien besoin, vous aussi du marchand de sable. On fait la pause ?

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Et si vous ne trouvez toujours pas le sommeil, ben... Vous n'avez plus qu'à reprendre dans dix-quinze minutes. Sinon, vous pourrez reprendre demain. Je sens que mon auteure commence à avoir un peu de sable dans yeux.

Allez, on essaie ?...

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© Simone Rinzler | 4 mai 2015 - Tous droits réservés

Round 41/100 écrit le mardi 5 mai 2015

2739 mots | 15990 signes

4156 20150504 Bon, on reprend maintenant ? (c'est un peu long comme prologue. On dirait Tristram Shandy)...

Bon, on reprend maintenant ? (c'est un peu long comme prologue. On dirait Tristram Shandy).

Bon, on reprend maintenant ? (c'est un peu long comme prologue. On dirait Tristram Shandy). Allez, je me concentre. Je ne voudrais pas faire mon narrateur à la Rushdie. On se croirait dans Les Enfants de minuit.

Je reviens à l'écriture. La prétendue scriptothérapie de la chercheuse d'hier soir.

Mais, mon pauvre ami, écrire est une pathologie. Une pathologie grave, même. C'est une addiction terrible. Une fois que tu y as pris goût, tu ne peux plus t'en passer. Tu préfères écrire que vivre. Tu ne vis plus que pour cela. Plus rien d'autre ne t'intéresse. Le reste peut bien crever la gueule ouverte, tu t'en fous, toi, du moment que rien ne t'empêche d'écrire. Ou de réfléchir à ce que tu vas écrire. Ou de relire ce que tu as écrit, jusqu'à ce que ça te plaise et que tu sois prêt à le faire lire. Tu as l'écriture dans la peau. Une fois que tu as commencé, tu ne peux plus t'arrêter. C'est comme faire l'amour. Une fois que tu as commencé, tu ne peux plus t'arrêter. Tu veux recommencer, encore et encore. Sans arrêt. Enfin, là, j'exagère un peu. Il faut bien s'arrêter un peu, aller travailler, faire ses courses, ses papiers, ses démarches, son sport, voir du monde, des amis. Tu ne peux pas faire l'amour tout le temps. Ça t'épuiserait un tel marathon sexuel. Faudrait tout de même voir à ne pas se vanter, à ne pas exagérer. Mais tout de même, une fois que t'as commencé à faire l'amour, tu n'envisages plus jamais d'arrêter. C'est trop bon. Ben, écrire, c'est pareil. Une fois que tu sais comme c'est bon, tu te demandes comment tu as pu vivre sans, avant. Bah, t'as bien eu des petites expériences infantiles ou adolescentes, mais on t'a vite fait comprendre qu'écrire n'est pas un métier respectable. Un peu comme pute ou maquereau. Alors tu as fait des études pour avoir un métier respectable. Un métier bien pour une femme / un métier bien pour un homme (biffer la mention inutile). Un métier sûr. Un vrai métier. Avec un vrai savoir-faire, une vraie utilité. Un truc utile à la société, quoi. Un métier stable, fiable. Un métier respectable. Un métier honnête. Un métier de fils ou de fille de braves gens qui se sont toujours démerdés tous seuls, sans chouiner, sans jamais se plaindre, trimant dur pour ramener le pain, le bifteck et la salade à la maison. Pas un métier de va-nu-pieds. Pas un métier de con. Ni un métier à la con. Un métier dont les parents pourront être tous fiers en disant Mon fils est ................ (remplir les pointillés, SVP), Ma fille est ............. (remplir les pointillés, SVP). Un vrai métier, quoi. Pas saltimbanque, clown, danseur de claquettes, entarteur patenté ou écrivain.

Bon, alors, il va falloir que je choisisse mon nom. Mon nom de plume, comme on dit en anglais dans le texte. Il va donc me falloir procéder à la première étape. Trouver le nom sous lequel je vais publier. Allez ! Foin de tergiversations !

Action !

Le choix du nom d'auteur

Le choix d'un nom d'auteur est une aventure toute particulière. Pour s'éloigner au maximum de l'autobiographie et s'approcher au plus près de la fiction (si tant est que la fiction soit si loin du réel qu'elle ne puisse présenter la vérité du réel), on peut choisir de taper très loin de son nom. Mais on sait que l'inconscient joue des tours à l'écrivain et que plus on cherchera à s'éloigner de son nom, plus on sera le jouet de forces inconnues de soi. Le nom ainsi choisi risque de devenir bien trop facilement déchiffrable par ceux dont l'auteur voulait éviter d'être reconnu. Accessoirement, ce pseudonyme, aussi savamment inventé qu'il se doit, ou plutôt se devrait, sera décrypté avec une aisance confondante par quelque autre importun - auquel l'auteur n'avait même pas pensé - entraînant, par une succession de réactions en chaînes inédites, d'autres mésaventures imprévues, plus graves que celles craintes par l'auteur dans la quête d'une couverture patronymique. Fort logiquement, un nom d'auteur ne saurait être trop proche de l'état civil exact de l'auteur si ce dernier répugne à publier sous son nom, pour quelque évidente ou obscure raison que ce soit. La question du patronyme n'est d'ailleurs pas la plus cruciale. Le choix du hasard pour la première lettre, puis du hasard du nom de famille dans un vieil annuaire papier reste encore le moyen le plus sûr de s'éviter le tracas d'un choix qui retarderait la mise en œuvre du grand œuvre rêvé. Il ne faut trouver qu’un vieil annuaire papier ou se rendre sur des réseaux sociaux.

Le patronyme est arbitraire. Un être tout neuf naît dans une famille - ou non-famille - donnée, par le hasard d'une rencontre de gonades, au gré d'une vélocité spermatozoïdienne fortuite. Le nom du Père ou de la Mère ne fait (encore) rien à l'affaire. Du moins, tant que cet être tout neuf n'est pas encore né, et surtout pas encore fantasmé dans l'esprit de sa mère, de son père, ni celui de ses grands-parents ma-ou-paternels et encore moins de la femme du boucher de Jean-Jacques.

Le choix du prénom est autrement plus significatif. À moins de choisir un prénom à l'ambiguïté genrée (Dominique est l'idéal, clairement plus ambisexe que Camille, plus rarement masculin, et Claude, nettement moins féminin), se pose déjà vraiment la question de l'identité de l'auteur dans ce qu'il y a de plus discriminant, bien au-delà de l'origine des patronymes. Prénom féminin ou masculin ? Tout se joue déjà là. Le lecteur, tout comme la lectrice, se fera une représentation différente de l'auteur et y encodera dès à présent, et totalement à son insu, tous les clichés et poncifs les plus stupides et éculés, même, je dis bien même, s'il ou elle est un intellectuel critique affûté.

Le livre est-il écrit par un homme ou une femme ? Dès que tout doute est levé, le lecteur, qui est aussi la lectrice, dépose les armes, repose ses méninges et se repose sur son système limbique. La lecture est déjà biaisée. Ne sera un tour de force littéraire que l'écriture de la vie psychique d'une femme de la part d'un homme. Le contraire ne sera pas perçu comme la copie de la littérature classique écrite par de vieux mâles blancs occidentaux, Old White Males, comme on le dit en anglais dans le cadre des études postcoloniales. D'où l'intérêt, pour nos futurs écrivains, écrivains amateurs et écrivains en formation de bien choisir un nom de plume s'ils ne peuvent se résoudre à prétendre un jour publier sous leur nom.

Le choix du sexe du narrateur

Le narrateur n'est pas nécessairement genré. En français de tous les jours, cela signifie qu'il n'est pas indispensable que le narrateur soit clairement identifié ou identifiable comme un homme ou une femme. Le choix du sexe du narrateur n'est en rien une obligation. Je puis ainsi continuer à jouer, sinon sur l'ambiguïté, du moins sur l'indétermination. Mais cette absence de choix peut modifier du tout au tout la lecture du roman. Pour un roman qui se présente comme une autobiographie fictive sous le sous-titre d'autographie intellectuelle à la première personne, le choix

Non, mais c'est pas fini, là ?

Non, mais c'est pas fini, là ?
- Mais putain d'merde, chier ! T'en n'as pas marre d'nous faire chier comme ça, à pérorer, et gna-gna-gna, et gnan-gnan-gnan. Ça va pas finir, ces conneries, oui ? Non, mais, tu t'es vue ? Tu t'es vue, là ! T'essaie d'nous faire ton cirque, genre ch'uis cultivée, ch'uis une fille bien. Tu vois pas qu'tu nous gonf', là ? Tu vois pas, ça ? Ça passe pas dans ta petite tête d'universitaire de mon cul ! Mais, on s'en fout d'tes précautions oratoires, de tout ton savoir, de ta trouille de publier en ton nom, de ta trouille d'écrire en ton nom. De tes p'tites névroses de pauvre petite fille vieille et de toutes tes jérémiades que tu n'oses pas écrire de peur pour ta réputation, pour ta famille, tes amis. Tu vois pas qu'tu nous emmerdes. Y va pas enfin commencer, ton roman, ton écrit, ton putain d'récit machin-truc, là ? Tu vas nous faire perdre not'temps encore longtemps ? Tu vois pas qu't'arrives pas à décoller ?

Elle pensait que si. Elle le savait bien. Elle le voyait bien. Elle le sentait bien. Lucide. Cruellement lucide. Elle voyait tout ce qui bloquait. Elle savait ce qui bloquait. Elle n'avait vraiment jamais osé.

Comment ça, je n'ai jamais osé ! Mais je n'ai fait que cela ! Toute ma vie ! Oser. Oser. Oser.

Oser pour ne pas crever. Dire pour ne pas se taire. Dire pour exister. Écrire pour exister. Chanter pour exister. Oser pour exister. Oser exister. Passer des concours, des diplômes, écrire une thèse, puis un livre pour l'Habilitation à Diriger des Recherches, publier des articles de linguistique anglaise, de stylistique anglaise, de philosophie du langage. Écrire et lire à en perdre le sommeil, le boire et le manger, à en perdre même le rire et le baiser. Devenir la cheville ouvrière d'une société savante. S'y investir à fond pendant des années. Lire, corriger, évaluer, publier les autres, les mettre en valeur. Enseigner avec l'idée républicaine que l'enseignant doit garder toute la modestie nécessaire devant la réussite de ses élèves, de ses étudiants. Enseigner, ne penser qu'à cela. Penser à ses cours. Chercher sans arrêt, dimanches inclus, year in, year out, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les textes pertinents pour le programme, les textes et les idées intéressants pour les étudiants, pour que, même si le cours au programme n'est pas leur tasse de thé, tu saches qu'ils n'ont pas perdu leur temps, que tu leur auras été utile, et que même s'ils t'oublient un jour - car ils t'oublieront, sur la quantité, forcément, ils t'auront presque tous oubliée - tu sauras que tu auras fait partie de l'agencement collectif d'énonciation à la source de leur émancipation, de leur grandissement vers l'âge d'adulte et vers leur futur de citoyens responsables et de gens bien. Mais tu te caches. Derrière ta modestie, ta fausse modestie d'ambitieuse féroce. Tu ne veux pas être rien. Tu crèves de l'humiliation d'être prise pour une moins que rien. Tu renies en partie tes origines, les deux, la « bonne » et la « mauvaise ». Elles sont interchangeables dans cette qualification méliorative ou péjorative selon le lieu où tu te trouves, le milieu que tu fréquentes et aucune n'est en réalité ni la bonne, ni la mauvaise. Tu es juste prise entre deux feux, deux cultures, deux religions et surtout, surtout, deux milieux sociaux et tu bricoles ton identité de fille d'un mariage mixte forcé par la grossesse imprévue de ta mère, fille de Commandant décoré de la Légion d'Honneur, de la Croix de Guerre et de la Croix d'Afrique, qui a « fauté », par amour, avec un petit Juif obèse, fils de tailleur, enfant de parents émigrés d'Europe Centrale, Hongrois, Roumains, Polonais… Les frontières ont tant changé qu'on n’a jamais su le dire vraiment, on taisait tout. La famille de ton père, incroyable, n'est-ce pas ?, semblait être la seule à n'avoir perdu ni famille ni ami pendant la guerre, alors que ta mère, enfant, avait atrocement souffert de l'Exode. Va comprendre, quand on ne te dit pas tout, qu'on ne te dit jamais trop rien, qu'on élude tes questions, ou quand on t'abreuve de souvenirs que l'on te somme de te souvenir au point où tu as deux mémoires, la tienne, et celle que l'on n'a cessé de t'imposer...

Tu te fabriques une persona respectable. Tu en crèves de ne pas avoir eu la reconnaissance que tu méritais. Tu paies ta timidité, ta pétoche, ta peur de ne pas savoir t'imposer, tes manières de trop t'imposer, surjouant la fille à l'aise, bien partout, la fille tout terrain, alors que plus tu avances, de mois en mois d'abord, puis d'années en années, plus tu as le sentiment que tu régresses, que tu es de moins en moins à l'aise, que tu es corsetée, engoncée, révoltée. Rejette ta fidélité à un système que tu as aimé, aimé d'amour, d'amour passionné, d'amour fou. Divorce. Divorce de la faculté, comme tu as divorcé du mari qui te trompait, te bafouait, te bouffait ton énergie, te minorait, te minait et ne te méritait pas.

Divorce. Casse-toi.

Accepte que l'histoire d'amour est terminée et que depuis plus de trois ans, tu faisais semblant. Tu n'y croyais plus. Tu n'avais plus envie. Accepte que depuis un an, tu t'es enfin mise à écrire, que c'est cela que tu veux faire maintenant. Ne t'enfonce pas dans la dépression, enfin pas davantage, à essayer de croire encore aux fables que toi seule te racontes à propos de ton boulot. Tu en as marre. Tu n'en peux plus. Tu as craqué. N'as pas fini la fin de l'année universitaire. Cinq semaines de congés en mai-juin. N'as pas pu partir en vacances cet été-là tellement tu étais mal. N'as pas repris pour la rentrée, même pour quelques examens qui normalement, auraient dû, auraient pu être envoyés, expédiés rapidement, tu n'avais exceptionnellement presque rien cette année en septembre. Tu as demandé un Congé de Longue Maladie (CLM). Et tu es tellement mal, tellement névrosée, nécrosée par ton éducation de petite fille bien sage, que tu préfères crever à petit feu, enfin, ici, plutôt à gros bouillons, te jouer la fille cool qui profite de la vie alors que tu en crèves de ne plus avoir de statut. De statut enviable, I mean. Tu es passée de l'autre côté. Du côté de la précarité. De la précarité en matière de santé. Du côté de la vulnérabilité. Tu vas vivre les 9 mois qui viennent à attendre une retraite que tu as crainte toute ta vie, que tu as voulu mater en voulant devenir Professeur des Universités pour pouvoir continuer à exister socialement, à travailler, à t'occuper, à lutter contre ta peur du vide, ta peur de la mort. Tu as été conditionnée à travailler. Femme de devoir d'une longue lignée de femmes de devoir, tu es le contraire de ce que tu crois. Tu te vois courageuse, sérieuse, fidèle, aimable, mais tu te leurres. Tu es lâche. Tu es paresseuse. Tu es minable. Tu n'oses pas faire ce que tu veux par peur d'offenser, de ne pas plaire aux autres, de ne pas assez prendre en compte la sensibilité des autres. Ton empathie pour l'autre te ligote. Tu as toujours refusé l'égoïsme chez les autres. Pourtant. Tu te sais narcissique. Tu sais qu'on le dit de toi. Alors ? Tu as peur de quoi ? De vivre ? Encore une fois. Allez, ma fille, prend ton courage à deux mains, et, une fois encore, accepté de divorcer.

Divorce de l'université. Divorce de l'Éducation Nationale. Sors de l'école. Il est temps. Tu as tout juste 59 ans.

Il est temps de quitter l'école. De faire ta vie ailleurs, comme tout le monde. Et peut-être, comme toujours, tu souris déjà rien que d'y penser, pas vraiment tout à fait comme tout le monde, pas tout à fait comme les autres. Tu n'es pas seule. Ton Milou, tes filles te soutiennent, t'aiment et tu les aimes. Ton fils aussi, sûrement, t'aime, mais tu sais que tu ne peux rien faire pour sa douleur. Tu es une écorchée de la vie, mais tu as toujours fait plus que survivre. Ce n'est qu'une dépression de plus. Là, il est temps d'agir. Écris. Écris ce texte, ce grand cri. Vis.

Action !

Le plus simple est d'y aller carrément, franchement, sans détour.

Ah ! C'est mal parti là... Trois qualificatifs pour dire qu'on y va, c'est largement trop.

Abrège.

Au fait !

C’est bon. J’y vais.

© Simone Rinzler | Dernier trimestre 2013 - 4 mai 2015 - Tous droits réservés

Round 42/100 écrit le vendredi 19 juin 2015

18 mots | 123 signes | 00:01:16

This is the end

Manuscrit complet envoyé cette nuit ! Assez différent de ce qui apparaît ici...

Merci à tous !