A l'affût d'une idée par PatrickPlume

Campagne commencée le vendredi 6 mars 2015 et terminée le samedi 25 avril 2015

Rounds Mots Signes Temps
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Round 1/46 écrit le vendredi 6 mars 2015

195 mots | 1181 signes

Je suis planté là, le cul sur mon banc, inondé par le soleil qui me chauffe le crâne, protégé du vent salvateur par cet arbre planté là aussi par le génie précurseur d'une âme bien attentionnée.

Ma cervelle virevolte, en apesanteur dans cet enchevêtrement de gens toujours curieux, à la recherche d'on ne sait quoi. Pftt, quelque chose m'a traversé ce crâne encore douloureux, je n'ai pas pu saisir quoi que ce soit. Je suis absent à la raison, je lévite, je médite. Non, je ne dis plus de mal de moi, ni des autres, je reste là, insensible, acceptant ce qui veut bien venir me frôler, m'envahir. J'accepte tout, je ne préjuge plus de rien.

Mais comment ai-je pu me torturer si longtemps à vouloir être utile à tout prix !

Une soixantaine d'années passées pour parvenir enfin à ne plus rien vouloir, à ne plus rien quémander, un peu d'attention, un peu d'amour, être reconnu voire admiré.

Pftt, c'est reparti de l'autre coté. Plus rien n'est stable, ces fulgurances se baladent, Elles filent où bon leur semble, elles font l'école buissonnière. Pas d'autorisation à solliciter. Juste un peu de liberté à assumer. C'est gai, ça change.

Round 2/46 écrit le samedi 7 mars 2015

250 mots | 1411 signes

La grisaille dégouline des murs. Je suis écrasé par ce climat qui m'abat surement, au fil du temps qui s'écoule lentement entre ces murs chatoyants. Je ne sais plus ce que je fais là. J'y ai été jeté, largué, pêle mêle au milieu des épaves qui chavirent chaque jour, du matin jusqu'au soir.
Ils m'ont déposé ne sachant plus que faire de mon corps alourdi, de mon visage enlaidi, de mon esprit qui s'évade.

Pstt, un éclair m'a traversé, j'ai encore l'impression de l'avoir raté. Ma fierté se dissipe comme les brumes du petit matin qui découvrent les merveilles du marais littoral. Les mouettes criaillent dans les cieux, au dessus de cette maison de tristesse, de désespoir renouvelé à chaque heure qui passe dans l'attente de ce repas en commun qui nous forcera enfin à nous voir, l'un en face de l'autre, on ne peut y échapper.
Mais que dire ! Les mots n'ont rien à se mettre sous la dent. Ils rabâchent toujours le beau temps et les douleurs qui n'ont pourtant rien à faire ensemble.

Un sourire enchanteur m'arrache à ma torpeur. Ma petite fille est là. - Comme tu es belle ma chérie ! J'ai tant de bonheur à te voir toute gaie.
- Tu sais, j'ai réussi à commencer mon histoire. Tu en a eu d'une chouette d'idée.

Nana est là. Elle me souffle sa tendresse et sa joie de vivre.
Pstt, je sens cet éclair qui me réchauffe, je chantonne mon plaisir.

Round 3/46 écrit le dimanche 8 mars 2015

272 mots | 1675 signes

Des mots, encore des mots, ils se déroulent à tort et à travers, ils défoncent le terreau fragile des naïvetés spontanées, ils s'étalent pour se montrer, une foutue couche de confiture bien collante qui s'agglutine sur la fraîcheur de l'enfant intérieur.
J'essaie de les ordonner, qu'ils puissent s'enchaîner et s'agglomérer dans un sens compréhensible, un sens pour de vrai, celui qui parle de soi, de soi pour de vrai, pas de cette affiche jaunie que le quidam s'échine à déployer sans y croire. Il tente toujours de lever sa pancarte bien pour ne pas avoir à se dévoiler.
Pourtant, je suis bien content de cette provocation. Nana m'a gentiment bousculé.
- et pourquoi tu n'écrirais pas ton rêve, Alphonse. !
Collée contre moi, m'enserrant de ses bras pressants, elle me sussurait à mi-voix ces paroles envoûtantes. Je sentais son souffle chaud dans mon cou, je me disais que voilà j'avais déjà une admiratrice, que je pourrais bien franchir le pas, me dévoiler vraiment. Enfin j'oserai me montrer tel que j'étais, tel que la passion m'avait animé depuis tant de temps.

Mes notes se griffonnent sur mon book. Elles noircissent ces pages numériques. Elles s'entassent et attendent que j'y retourne. Elles aspirent à une harmonie qui sortirait de la gangue première quelques belles épopées conquérantes, quelques démarches convaincantes pour servir d'exemple.
Ah non, pas un modèle, La prétention c'est trop. Non, juste une histoire anodine qui remplit le coeur d'un homme, une histoire de tous les jours avec ses merveilles et son temps simple qui se déroule comme un fil directeur sur le chemin de la délivrance.

Round 4/46 écrit le lundi 9 mars 2015

342 mots | 1944 signes

Pftt, me voilà plongé à nouveau dans ce magma informe dans lequel je me noie. Un combat, une traversée du désert aride et qui brûle jusqu'au cœur de mes artères. Il fait chaud, je transpire, je doute encore et toujours.
Me voilà avec mes camarades. C'est l'été. Notre animateur sportif nous entraîne cette fois au practice. Nous apprenons à pousser la balle. Quel drôle d'instrument que ce club trop long. Impossible à manier avec sa grosse tête métallique si lourde emboîtée au bout d'un manche interminable. Il nous met ça dans les mains, chacun le sien. Et puis il y a cette balle, bien petite et si lourde, elle est là jetée à terre, reposant comme elle peut là où elle se trouve.
- N'y pensez pas.

Quoi donc? Il nous demande de ne pas y penser, à la balle c'est bien ça, mais je ne pense qu'à ça puisqu'il faut parvenir à la faire avancer. Il est bizarre ce mec là, encore un adulte qui se prend pour un maître.
Ils sont tarés ces adultes. Je n'y comprends rien à ce qu'ils veulent. Toujours à nous tarabuster. Fait pas ci, fait pas ça. La ritournelle perpétuelle qui me massacre la cervelle. Mais quand cela va-t-il finir ? On ne va jamais s'en sortir !

  • Vous tenez le manche comme ci. Penchez vous un peu en avant. Et vous tournez comme ça. Doucement, prenez votre temps. Allez, oui, c'est ça.
  • Une fois votre club monté, bien armé, pensez bien à marquer le changement, reprenez appui à l'avant, et c'est parti, laissez votre club redescendre tout seul, laissez le passer, laisser le faire tout seul.

C'était bien incompréhensible pour moi, il me parlait déjà de lâcher-prise, mais je voulais y arriver moi. Je voulais y arriver quoi ! Je voulais, je voulais, pas question d'abandonner et de laisser faire.
Dans la vie faut en vouloir pour réussir. C'est mon père, ma mère qui me l'avaient dit. Faut du courage, faut des efforts, faut en baver pour réussir.

Round 5/46 écrit le mardi 10 mars 2015

365 mots | 2154 signes

C'était un peu comme dans un livre ou tout est écrit, vous avez découvert la sagesse et vous n'avez plus qu'à la mettre en oeuvre. Un livre de vérité, au moins celle de l'auteur, voire celle du milieu qu'il fréquente. Sa vérité quoi !
Je me sens mal, mon ventre se serre, mon crâne m'enserre, j'ai comme un vertige, ma tête dodeline, ma vue s'emplit de brouillard.
- Non, ah ça non ! Moi, j'ai envie de courir, de gambader à travers la prairie humide au risque de salir mes souliers d'enfant enjoué. Je m'élance, je cours, je vire au bout du champ le long du fossé. Je glisse, me rattrape, rétablit mon équilibre. Allez, je fonce, c'est insensé peut-être, ça n'a pas de sens pour un adulte englué dans sa raison. Mais je titube, mais je me redresse et repars à toutes enjambées pour attraper cette mouette rieuse comme moi des futilités de l'existence.

Je veux quoi sinon vivre et prouver que moi, je suis quelqu'un, quelqu'un de bien.
J'ai rejoint mon pote, mon copain, on se bouscule, va savoir qui sera le premier. On s'émule comme des têtes de mules, ces ânes trop souvent bâtés qui ruent à la moindre occase dans l'espoir perdu de se détacher, de se sauver, de filer loin des entraves. On rivalise, on se chamaille, on pousse des cris dans nos élans qui nous coupent le souffle. Plus rien à dire, nos respirations haletantes cherchent l'oxygène, cherchent le repos, espèrent la sérénité.

Alors, lâcher-prise, c'est du charabia, c'est un concept qui ne se pose pas, ne s'expose pas, ça ne frôle même pas notre entendement.
Pourtant le prof insiste.
- Tenez bien votre posture, pensez juste à enchaîner les deux phases de votre swing, montez tranquillement et changez d'appui pour lancer votre descente, c'est tout, dans le calme, sans vouloir de résultat, c'est votre club tout seul qui va produire l'accident, la rencontre avec la balle.
Votre balle va être éjectée, la compression de la tête de club contre la terre va lui impulser une force fantastique, elle va devenir un projectile qui va évoluer avec énergie dans l'atmosphère subtile qui flotte sur le parcours.

Round 6/46 écrit le mercredi 11 mars 2015

372 mots | 2406 signes

L'équipe progressait sur le parcours. Trois joueurs morts de faim pour se disputer l'atteinte du Graal, le foutu score qui marquerait la victoire. Chacun avec sa musique intérieure pour se préserver des agressions, de la pression qui montait toute seule au fil de la partie acharnée.
Pourtant la musique s'amplifiait. Au détour du parcours, une ouverture défrichée sur le bistrot estival, la boite à moustiques, le ruban gluant pour attraper les mouches avides de sympathie. Les jeunes s'étaient enfuis, ils se retrouvaient et s'époumonaient pour se faire remarquer. Bizarres ces envolées si pleines de la lourdeur humaine. Des réflexions à deux balles, des rires criards, tout n'était que disgrâce. De la laideur stérile établie par la société bienséante.

Nous avancions, nous, sur la belle voie de la consécration sportive. Fallait quand même reconnaître nos talents, nos capacités à surmonter les pires obstacles, nos facultés à nous maîtriser. Pourtant nos corps se tendaient et se détendaient à leur gré. Les tensions se glissaient subrepticement sans prévenir et nous tombait dessus ce mauvais coup qui nous faisait rugir, cette imperfection impardonnable qui méritait que l'on expie. Le vacarme intérieur nous assourdissait. La musique criarde n'était plus qu'une triste berceuse qui s'écrasait mollement sur les murs de nos défenses relevées.

Je me replongeais dans ma bulle. Enfin, au moins j'essayais, mais le rêve ne s'accomplissait pas à chaque coup. Plus que la musique extérieure qui n'avait plus de sens, mes nerfs me chatouillaient au moindre comportement indélicat d'un partenaire, d'un officiel, au moindre mot malvenu qui traînait dans l'air. A fleur de peau, mes nerfs étaient à vif, tout le contraire du but recherché. Ma sensibilité explosait. Malgré tout, pas le choix, la bonne fin de la partie aurait voulu que je monte en hélicoptère, que je toise mes excitations pour les ramener à ras de terre, juste là ou mon corps réclamait la sérénité.
Une bonne respiration, un dernier regard sur la cible, et le coup partait. Les yeux rivés sur la trajectoire jugeaient irrémédiablement de la qualité du jeu produit. C'était pire que le rendu de l'instituteur acariâtre. Rien à pardonner. Le bistouri entrait profondément dans les chairs tendres. Une véritable mutilation. Comment donc vais-je m'en sortir ?

Round 7/46 écrit le jeudi 12 mars 2015

305 mots | 1921 signes

Le petit garçon revenait de l'école, la tête penchée sur l'asphalte, il décortiquait tous les défauts du revêtement, examinait avec précision chaque particularité. Tiens, une dépression noyée par les pluies de la veille qui s'étaient abattues sur le village. Plof, un pied dedans et l'eau qui éclabousse le bas de pantalon de son copain Pierrick.
- Attention, je vais encore me faire ramoner les bronches.
- T'es usant, amuse toi, le ciel ne va pas t’aplatir au sol, toi, le costaud.
Ils se mirent à courir; va savoir qui attrapera l'autre. Bientôt le muret du petit pont les retenait de la glissage dans l'eau mousseuse. Les algues s'étalaient, recouvrait la vase du ruisselet, un vestige dans la sphère bâtie. C'était le lieu de leurs délires, de leurs échappées dans l'aventure. Ils y rêvaient joyeusement d'un avenir empli de surprises. Leur projet se construisait au fil des idées surnageant de bouillons effervescents dans leurs esprits inventifs.
- Allez, je vais affronter ce qui risque fort de m'advenir. Pierrick s'essuyait les pieds sur le tapis de l'entrée. Vite, ses chaussures défaites, il allait se glisser les pantalons détrempés sous la table de la cuisine ou sa mère rodait. Un bol de chocolat chaud, deux tartines de beurre salé, un moment de récupération qui faisait chaud au cœur comme aux entrailles. - Dis donc ! C'est quoi ces marques de pieds humides. Tu as encore succombé aux prouesses d'Alphonse, il est infernal celui-là. Tu pourrais quand même lui expliquer, non. Tu veux que je le fasse moi ? Pierrick baissait la tête, il tentait la tactique de l'autruche, il faisait le mort, savant stratagème pour laisser passer la tempête que tentait d'élever sa mère.
Mais bien vite son amour submergeait ses volontés d'une vaine éducation d'une sacro-sainte propreté qu'il aurait fallu préserver pour afficher son savoir-vivre.

Round 8/46 écrit le vendredi 13 mars 2015

326 mots | 2034 signes

Elisabeth s'affairait. Les épluchures tombaient sur le papier essuie-tout bien étalé sur la table pour la protéger des poussières et de l'humidité fraîche des légumes bio achetés le matin même. Dénudée, chaque pièce plongeait dans la cuvette, comme nous le faisions dans la mer estivale pour se délasser et communiquer avec la nature.
Vivement elle les rattrapait pour les découper précisément en lamelles, en rondelles, en carrés juste dimensionnés pour une cuisson équilibrée. Elle savait faire.
- dis maman, je pourrais jouer dans le jardin avant de me mettre à l'étude.
- mon chéri, oui, tu pourra t'ébrouer tout ton saoul. Tu as le temps. Nous dînerons ce soir à vingt heures.
J'étais aux anges avec elle. Bien sûr elle se devait de m'éduquer. Bien sûr elle devait jouer l'adulte. Toutefois elle avait gardé sa naïveté et ses élans d'innocence. J'avais cette chance. Je ressentais son amour transpirer dans mes émois protégés.
Les deux pieds sur le banc, je me hissais pour arracher quelques cerises rougies du soleil abondant du printemps. Elles étaient gonflées de pur sucre goûteux. Je me faisais de ces délices, un nectar de jouvence me descendait le gosier.
Quelle bonne idée d'avoir planté là ces arbres fruitiers qui nous faisait aussi de l'ombre au plus chaud de l'été. Ils croissaient, s'étalaient, accomplissaient le vœu de mon père courageux.
Un soir d'hiver, maman l'attendait.
Elle m'envoya me coucher. Je devais me reposer.
Au petit matin, je la retrouvais pour le petit déjeuner, les yeux rougis, la tignasse sans forme, le menton rentré.
Elle m'avait pris dans les bras et avait pleuré avec moi. C'était le délire. Je sanglotais à tout va. Mon corps débordait de secousses incontrôlables.
Le temps était passé. La matinée était déjà avancée. Elle m'accompagna jusqu'à l'école. Nous avons rencontré le directeur. Il m'a ramené dans ma classe et glissé un mot à mon institutrice. L'apprentissage continuait.

Round 9/46 écrit le dimanche 15 mars 2015

255 mots | 1673 signes

Le port grouillait de monde. Des touristes, des autochtones, tous s'étaient agglutinés instinctivement autour du bassin. Le soleil perçait les quelques nuages bleutés. La brise fraîchissait les ardeurs du soleil.
Nana se glissait entre les trajectoires disparates. Elle se déhanchait pour se marier aux courbes des cheminements, aux surprises des volte-faces, aux particularités des détours et des sursauts. Elle progressait de son allure féline. Elle se sentait légère. Elle avait rendez-vous du côté de la ville en bois. Quinze heures. Voilà son point de repère, son objectif.
Elle atteignit la passerelle et s'y engouffra. Les épaules se désarmaient, les pas s'effaçaient, tous lui laissaient un peu de place. Elle était gaie, Le monde lui appartenait. Tout lui souriait.

Elle s'avança subrepticement derrière Tony. Plus que quelques pas. Il regardait le large, la baie qui s'étalait au delà des gardiennes des quais, ces deux élancées majestueuses d'où tout pouvait être distingué. La ville rebelle se mêlait aux destinées fougueuses de la jeunesse. Elle se serra près de lui. Il la salua gentiment. Son parfum l'avait précédé.
Elle propulsait toujours son entourage dans une présence au temps qui se suspend lorsqu'elle le rejoignait. Les minutes n'existaient plus, les secondes s'éternisaient. Elle transpirait la simplicité et personne n'était plus maître de rien. Les humeurs tristes étaient pourfendues par les rayons rieurs de ses yeux pers.
Nana, ma petite fille. Le grand-père affichait sa fierté. Quelle aubaine de la vie qui se prolonge, de l'existence qui se perpétue, de la vie qui s'accomplit !

Round 10/46 écrit le dimanche 15 mars 2015

279 mots | 1697 signes

Ils s'installèrent sur le bord du quai. Leurs pieds pendaient vers l'eau qui venait tout juste lécher le pied du quai. Il faudrait veiller à déguerpir à temps. Ils regardaient la mer. Le havre étroit défilait vers le large. Leurs yeux n'y voyaient plus.
Déjà ils s'étaient absentés de ce temps. Le vague à l'âme les laissait explorer la légèreté des ondes. Chacun divaguait. L'un à coté de l'autre, sans plus de besoin de quoi que ce soit, ils s'épaulaient.
Assurés par la stabilité de leur assise, confiants dans leurs influences mutuelles, ils restaient là, l'esprit ailleurs.
Tony réalisait son projet de voyage à l'assaut du nouveau continent. C'était tout neuf aussi pour lui. Il se voyait arrivant à l'université, suivant parfois les grands maîtres de l'hypnose, s'affrontant parfois aux champions athlétiques et sûrs d'eux. Son inscription sur le portail numérique s'était déroulée aisément. Nana l'avait conseillé sur les matières à solliciter. Une quinzaine plus tard il avait sauté sur le message de réponse. Il était accepté.
Nana se sentait fière d'elle. Elle avait encore accompagné son ami, lui avait permis de franchir le pas.
- Je rêve de ces si beaux jours qui se préparent.
- Moi j'y suis déjà, précisait Tony. Je vais leur montrer que la sensibilité des Français nous donne des ailes.
- Tu va apprendre tant de subtilités, tu va découvrir de belles méthodes, tu va t'approprier leur efficacité redoutable.
- Oui, je pourrai apprendre toutes leurs ficelles, ça me démange d'y être déjà. Tu viendra, dis Nana ? - Sûr que je me ferai inviter. Tu crois pas que je ne vais pas en profiter non !

Round 11/46 écrit le lundi 16 mars 2015

383 mots | 2376 signes

Pourtant j'appréhendais ce départ. Cette aventure se présentait aussi comme une déchirure. La tempête se levait à l'intérieur. J'avais beau me raisonner, ça continuait inlassablement à tournicoter.
-Au revoir mon papa, je te raconterais, t'inquiète pas. Pierrick imaginait les mots, il faisait aussi ses réponses.
-Va mon fils, c'est tout ce que j'espérais pour toi.
Rassurant non ! Mais l'affection était si forte. Il lui avait tout appris. Il avait toujours été là à tout moment, dans les espoirs comme dans les déceptions, dans la joie comme dans la tristesse. Son père était son véritable point d'appui.
-Tu sais, la vie c'est d'oser, de bouger. Tu fais très bien. Fait ton bout de chemin, c'est ce dont tu a envie.

Son père lui avait parlé souvent, bien sûr. Son départ, il lui avait préparé, il lui avait expliqué que c'était son droit, mais bien plus que cela, que son parcours de découverte en serait parsemé. Le changement, voilà toujours l'opportunité de courir au gré de ses désirs, au gré de ses intuitions.
Son père lui avait expliqué qu'il avait à construire selon ses expériences, qu'il devait prospecter, observer, choisir. Oui, choisir des aventures pour ne pas se morfondre dans une antre obscure.

Pierrick le savait bien. Il ressentait sa propension à faire sa vie. Il ressentait les émotions vivaces de son père à franchir les étapes, à grimper quelque part là-haut, à errer quelque part dans les déserts pour y découvrir quelque joyau intérieur. Toujours une longue marche permet de rencontrer des partenaires joyeux, des relations véridiques où l'humanité supplante le repli.
-Sois confiant, Pierrick. Cette fois, Anna se logeait tout contre lui. Les inquiétudes déteignaient toujours sur elle. Elle venait partager, sans gros mots agressifs, les élans, les émotions, tout ce qui ne s'exprimait pas dans des formules réductrices.
-Je sais bien. J'ai encore à apprendre, à libérer mes ressentis, à faire confiance à tout ce qui vient.
-Sache le bien, fais-en une habitude, tu a en toi vraiment toutes les capacités à d'adapter en permanence à ce qui change. Les réflexions, c'est super pour parvenir à tes fins, elles vont t'aider à accomplir tes projets. Mais, laisse-toi porter, suis tes élans du cœur, tu mérites ta liberté buissonnière.

Round 12/46 écrit le mardi 17 mars 2015

337 mots | 2155 signes

Un pas l'un devant l'autre, il avançait comme perdu, devant faire l'effort de porter le pied en avant, l'un d'abord, l'autre ensuite, et l'éternel recommencement pour parvenir à tracer son chemin.
Le visage pendouillait vers le sol. Le regard était fixe, ne voyait plus rien, il était en mode vision automatique.
Seule la présence de Nana à ses cotés lui maintenait une maigre énergie rassemblée sans savoir comment mais qui préservait sa verticalité. Sinon il sentait bien qu'il aurait pu tout autant s'affaler. A ras de terre, plus de hauteur, plus de besoin de voir devant, juste à abandonner toute velléité traîtresse qui perfore le cœur et les poumons, ces deux centres vitaux qu'il ne percevait plus.
Son corps n'était plus, rien qu'inexistant, le cerveau dans sa ronde infernale avait tout mobilisé, il s'était mis à tourner encore plus vite, un sprint sur l'anneau de vitesse pour aller où donc, nulle part.
Comme un accélérateur de particules, il se projetait contre les murs qui se refusaient systématiquement à lui. Faire du chemin sans plus rien ressentir, tourner en rond sans plus rien comprendre.
Nana lui avait pris le bras. Elle stabilisait la démarche goguenarde d'une détresse en péril.
Elle patientait. Elle se repliait pour laisser passer l'orage. Aucun besoin de dispenser quelque conseil malvenu. Non, elle était là, elle-même comme à son habitude, toujours en connexion avec les situations. Elle surnageait sans se montrer. Son grand-père lui avait fait comprendre la vanité du prétendu sauveur à inventer une solution factice pour un être en souffrance. Alors, elle accompagnait, tout simplement. Sa présence lui paraissait suffisante. Elle n'aurait su le prétendre, mais c'est cela qu'elle ressentait. Ni démonstration, ni ambition, rien qu'un peu de présence.
Pierrick était arrivé. Il apprécia les lèvres douces de Nana gentiment déposées sur sa joue.
- Bonsoir, un mot pour dérider ses yeux crispés, comme encerclés de cernes tendues. Il quittait un instant son vaisseau fantôme pour consacrer son amie d'enfance devenue tellement douce et mature.

Round 13/46 écrit le mercredi 18 mars 2015

345 mots | 2091 signes

Nana enfile son pantalon kaki. Elle se déhanche pour parvenir à charger son sac à l'arrière de la mini. Un quart d'heure d'une route vicinale pour être à l'heure. Son esprit lui souffle une petite musique de bonheur.
C'est vraiment trop facile pour elle, la vie. Une cantate douce et gaie. Un fil rouge pour guider ses aspirations vers l'autre, le partenaire du moment qui vient croiser sa démarche souple et dynamique.
Alphonse est déjà là.
- J'arrive ... coucou
- Hello, nana. Tu as l'air en pleine forme.
- Eh oui, c'est cool !
L'entraînement du jour se centre sur l'atteinte de la cible.
- C'est quoi votre but, leur redemande encore le pro. Vous voulez aller où ? - Heu, je crois que je vais viser le mât, là bas, vers les 120m, précisa Alphonse. - Oui, mais le mât d'accord, en haut ou en bas, par la droite pour plutôt la gauche ? Les questions complémentaires venaient souvent. Allez savoir ce qui poussait le pro à faire préciser le moindre détail. Devant nos regards interrogateurs qui essayaient de s'y retrouver, il apportait toujours une vue supplémentaire. - D'accord. Vous avez intérêt à vous définir les détails qui confortent votre cible, la rendent tellement claire qu'aucun doute ne puisse plus s'insérer entre les qualificatifs accolés. - Bon, je vise le bas du mât, en plein centre, je cherche à le toucher, pas à le contourner. Mon but c'est celui là. - Je suis d'accord. Nana approuvait pour cette même cible abondant pour créer les conditions d'une émulation constructive. Quelques swings d'essai, puis c'était parti. A tour de rôle chacun, chacune se plaçait derrière la balle, définissait son alignement, venait prendre son stance. Le coup d’œil utile vers la cible, la tête centrée sur l'objectif, le swing lancé avec conviction conduisait le club jusqu'à la traversée dans la balle et venait se terminer en s'enroulant autour du corps désormais tendu vers l'objectif, lui faisant face pour examiner la trajectoire du projectile et le degré d'atteinte du but initialement fixé.

Round 14/46 écrit le jeudi 19 mars 2015

368 mots | 2252 signes

La séquence terminée le pro revenait vers eux.
- Alors, êtes vous satisfaits, qu'avez-vous ressenti ?
Alphonse et Nana se regardaient une fois de plus, ils sentaient bien leurs surprises renouvelées, ils résonnaient de même. Bizarres quand même ces questions, rien à voir avec le résultat escompté. Il aurait pu nous demander nos stats, combien de balles avaient atteintes leur but à 1 m près, mais non, ce qui l'intéressait c'était notre ressenti.
Alphonse tentait le coup
- j'ai réussi à faire tomber 6 balles sur 10 à moins de 5m dont 2 à moins d'1m. Il me reste 4 balles en vrac. - Ah bien, 60% de réussite, c'est bon ça. Et tu en es content. - Ah oui, c'est un taux satisfaisant. - Et alors, tu ressens quoi au delà des chiffres. - Heu, je ressens rien d'autre, de la satisfaction quoi. - Moi, je n'ai que 5 balles de réussies, intervint Nana pour y mettre son grain de sel, mais j'ai senti pour celles là un swing délié, qui passait en douceur. J'ai réussi à rester centrée sur la balle naturellement, c'était comme dans du beurre. Par contre, pour les cinq autres, je ne sais pas, quelque chose était déréglé, je n'étais pas en harmonie avec le geste. - Oui, c'est ça, ajouta Alphonse, j'ai ressenti aussi une certaine délicatesse dans le mouvement, une assurance que tout se passait pour le mieux. Le professeur souriait. Il expliquait que oui, le plus important était bien de ressentir ce qui se produit, d'être présent à ses sensations, ses émotions. Intégrer en pleine conscience les réactions du corps, son équilibre. Mémoriser un bien-être de nature à capitaliser de la confiance, à garder en réserve du positif mobilisable à chaque coup sur le parcours.

On apprenait à jouer au golf et l'on devait forcément se rendre compte que la qualité du jeu dépendait d'abord de l'état d'esprit dans lequel on l'abordait. Comme dans la vie ordinaire, nous pouvions user de nos talents en préservant notre équilibre, nous pouvions jouir des moments passés en restant conscients de nos sensations, de nos réactions lors des épreuves nombreuses qui nous proposaient d'être traversées, sinon nous risquions fort de sombrer dans nos craintes et nos imperfections.

Round 15/46 écrit le vendredi 20 mars 2015

308 mots | 2058 signes

Pierrick avait fermé la porte de sa chambre, mis à l'aise et s'était vite fait installé à sa table de travail. Reprendre le cours, parvenir à y comprendre quelque chose, en dégager l'essentiel et rassembler les lignes directrices pour s'attaquer aux exercices.

La maisonnée continuait pourtant à vivre. La musique s'imposait entre les murs de résonance. De la gaieté, des relances, des intonations, tout d'une présence harmonieuse pour emporter les auditeurs dans une ambiance conviviale.
Maman qui devait encore préparer son pâté maison et s'employait ardemment sur son broyeur de cuisine pour décomposer les chairs de lapin en menus morceaux.

Pierrick s'efforçait de fermer les oreilles, se forçait à suivre son bouquin. Plus il avançait, moins il comprenait. L'étude avait cédé la place à la volonté de ne plus entendre. Il était centré sur cet effort qui le distrayait définitivement de sa tâche. Toute son attention s'était reportée sur cette impossibilité, son cerveau, son corps se laissaient envahir par cette vie extérieure qui lui bouffait son besoin.

Comment mettre en application les enseignements des cours de yoga . Les bruits peuvent vous aider à vous concentrer. Quelle ineptie ! Bon, allez, je respire tranquillement, profondément. Je tente d'accepter toutes les manifestations de la vie alentour. Je reprends conscience de ce que j'ai à faire maintenant. Alors, j'ouvre à nouveau mon bouquin, je porte mon attention sur les lignes, ou plutôt sur ce qu'elles manifestent, un message, une logique, le sens d'une méthode de travail.

Bizarre, mais les musiques se sont apaisées, je suis de nouveau dans mon moment personnel d'apprentissage. Les enchaînements ont repris. J'ai réussi à grossir le point de vue sur ce qui m'est utile présentement, ce qui répond à mon engagement déterminé librement.

Abandonner les réalités extérieures pourtant bien vivantes, oui c'est possible, c'est juste une orientation d'esprit à décider et mettre en oeuvre dans ma propre réalité.

Round 16/46 écrit le samedi 21 mars 2015

384 mots | 2512 signes

Alphonse s'acheminait vers le club. Il allait signer sa présence à cette première compétition fédérale de la saison. Un peu fébrile quand même. Dès les formalités accomplies le voilà en possession de sa carte de score et des règles locales pour le tournoi. Il verrait cela tout à l'heure.
Pour l'instant c'était le practice qu'il avait à rejoindre. Ses pas l'y conduisait. Toutefois, il réalisait combien sa respiration s'était accélérée. Il soufflait. Puisant dans ses enseignements psycho, il choisit, volontairement, de ralentir son pas et son souffle. Dès maintenant il lui fallait agir pour calmer la machine. Il aurait bien d'autres occasions dans la journée pour laisser monter l'adrénaline.

Son but, il l'avait défini. Il visait un parcours accompli avec application, avec implication, cette force, cette présence qui lui permettrait de prendre conscience de tous les paramètres de son environnement et surtout de toutes les facettes de son comportement à lui. Lui, voilà le joueur, celui qui exécutera tous les gestes, celui qui aura la lucidité de retenir de bonnes options, de bonnes décisions pour lui offrir le maximum de chances de réussite.

Il se voyait déambulant avec un brin de nonchalance cachant son engagement précis dans ce tournois. Bizarre, toujours bizarres ces comportements de la caboche humaine pour atteindre la performance. Un côté pile, un côté face, rien de si spécial, la dualité se trimbale dans tous les esprits. Là, il suffisait d'harmoniser l'eau et le feu, la sagesse et l'envie, l'explosif avec la stabilité. Oui, il le pouvait, il avait aussi le droit, il avait aussi sa chance pour se hisser parmi les meilleurs. Il suffisait de marier tous ces éléments subtils qu'il connaissait par cœur, mais qu'il peinait encore à ressentir dans leurs plénitudes.

Il grimperait parmi les étoiles et serait fier de partager son savoir-être, cette sagesse des attitudes qui rendent tout possible.

Pour l'heure il travaillait son swing, cet enchaînement musculaire délicat ou il convenait de savoir prendre le temps, savoir s'arrêter l'espace d'un instant dans la reprise de mouvement. Oui, il savait qu'il devait absolument faire durer cet instant fugace, la clé de l'abandon des bras et du club à la gravité pour que les moteurs combinés du ventre et des épaules les entraînent vers l'aventure, vers ce cinglement qui libère les énergies.

La maîtrise de l'abandon, voilà, c'était là son accomplissement.

Round 17/46 écrit le dimanche 22 mars 2015

380 mots | 2618 signes

Jouer, il progressait sur le terrain d'une démarche déterminée. Ses partenaires s'avéraient sympathiques. Ils s'affrontaient dans la bonne humeur. Chacun déployait ses armes, mais la lutte restait loyale. Le silence s'installait à chaque coup pendant les quelques dizaines de seconde nécessaires à l’exécution du coup. A chaque départ le ballet se répétait. Les partenaires se plantaient là, en face du joueur, ralentissaient leur respiration, suivaient avec attention les trajectoires.

  • Bien joué. Le compliment se déployait comme de rigueur. Chacun respectait l'autre pour se trouver à son tour respecté par ses concurrents. Une bonne attention réciproque. Lorsque la balle s'échappait, se prenait à visiter un bosquet, un rough épais, ni une ni deux, tous s'appliquaient à la recherche de la balle. Pas de cesse que de l'avoir trouvée. Ils avaient tous l’œil perçant, la cervelle entraînée, les repères de distance et la visualisation des rebonds parfois chaotiques sur un terrain réservant souvent quelque surprise.

Sa démarche légère le propulsait rapidement sur l'emplacement de sa balle. Son regard cherchait à caractériser précisément les conditions de jeu. Déjà prêt dans sa tête en atteignant l'endroit où elle reposait. Il connaissait le parcours. Déjà trois jours à crapahuter sur ce terrain accidenté. Les cheminements et l'environnement des greens, il connaissait par cœur, comme il s'était imprégné des mouvements des greens, de leurs caractéristique de roulement. Chaque coup était tranquillement préparé. Chaque coup était souplement exécuté.

La tête froide, les yeux enjoués, le regard serein, tout le rendait léger comme l'air. Pas d'effort à monopoliser pour vaincre les ardeurs du jeu. Il ne faisait qu'un avec. Il prenait du plaisir à jouer, alors tout réussissait. La chance l'habitait en ce tournoi radieux. Le score, il le calculait à chaque trou. Il savait qu'il était en bonne position. Mais ce n'était qu'un score, qu'un prémisse d'un résultat qui s’annonçait potentiellement vainqueur. Il ne se laissait pas emporter dans l'avenir, il ne subissait aucunement le risque d'une défaite, il était juste concentré sur ce qu'il avait à faire à chaque fois. Juste à exécuter ce qu'il avait à faire. Il avait suffisamment appris, il avait suffisamment répété, il avais suffisamment expérimenté. Surtout les enseignements du pro, il les avait intégrés. Au plan psychologique il y a bien longtemps qu'il avait relativisé l'importance du résultat.

Alors, dans la légèreté, il allait gagner.

Round 18/46 écrit le lundi 23 mars 2015

405 mots | 2562 signes

Fier, oui, il se sentait profondément satisfait, un genre de bien-être qui ne demande rien à personne. Tout entier pour lui. Une confiance, une assurance se dégageaient de lui mais avant tout lui faisaient du bien à lui.

Simultanément, on ne peut pas y croire, il restait modeste. Emprunt d'une discrétion respectueuse des sensibilités des uns et des autres, de ses adversaires, ce groupe de compétiteurs dont il faisait partie. De ses amis, ces personnages qui lui témoignaient depuis si longtemps leur soutien dans les étapes qu'il avait du franchir.

Hier, il était encore fébrile d'avoir raté le cut, d'avoir joué comme un sagouin. Trop pressé, il avait voulu forcer le destin au lieu de s'en accommoder. Il devait y arriver, alors, avec volonté il s'était accroché tant et plus, mais la corde avait lâché. Parvenir au coup parfait, sous le stress, oui cela avait constitué un but inatteignable. Il avait insisté encore et encore. Il n'avait pu se résigner à la réalité. Il avait encore et encore tenté le coup impossible. Abattu, meurtri, inconscient, ses amis l'avaient entouré.
- Alphonse, patiente un peu, tu es sur le chemin, sur la voie de la victoire.
- T'inquiètes, on est là.
- Bravo, tu as le courage d'affronter les épreuves. Nana trouvait les mots pour relativiser et le féliciter, quel que soit le résultat, surtout lorsque c'était difficile pour lui.

Elle, décidément, apportait son lot de consolation, son lot d'optimisme, son lot d'espoir. Elle devait tenir ça de son père, inébranlable dans l'adversité. Elle se souvenait, dans la panade, dans la faillite, il se démenait toute la journée avec le sourire. Incertain, pour ne pas dire inquiet, mais souriant. La courbe des lèvres reflétait un état intérieur contagieux. Elle avait compris très tôt que l'essentiel c'était là, en ce moment, à l'instant même ou elle avait l'occasion de faire qu'il convenait justement d'essayer, de se lancer en avant. Pas besoin de garde-fou d'une prétendue sécurité, pas besoin d'assurer des arrières sur lesquels on ne reviendrait jamais, juste à expérimenter quitte à corriger le tir, quitte à s'adapter à l'évolution de la situation. On ne pouvait jamais compter sur des certitudes, mais par contre on pouvait, on devait s'appuyer sur ses propres capacités, les affûter, les développer et entrer dans le jeu, le jeu d'une vie riche en rebondissements. Le changement c'était permanent, alors inutile de le refuser. Marcher dans l'inconnu, oui, voilà le lot de chacun.

Round 19/46 écrit le mardi 24 mars 2015

448 mots | 2788 signes

Il arrive. Le voilà, c'est le championnat régional qui s'annonce. Un enjeu, oui, pour lui cela représentait la possibilité d'accéder au groupe élite. Il voulait y parvenir. Du coup, ce matin, dans la fraîcheur des premières heures du jour, le froid l'envahissait.

Si, il était bien couvert, son petit déjeuner copieux le préservait des fringales, tout avait été minutieusement préparé comme il convient, comme il l'avait répété tant de fois.
Mais il ressentait comme des frissons. Il remplit un seau de balles. Quelques pas pour se placer sur un tapis du practice. Une petite séance d'échauffement. Tout s'enchaînait, rien ne manquait.
Pourtant les premières balles lui laissèrent un goût salé. Le contact ne lui semblait pas franc. Ses perceptions s'avéraient bizarres, différentes de ce qu'il connaissait. Comme une épaisseur de ouate qui l'empêchait de résonner à la souplesse de ses mouvements.
Ah, c'est quoi ce jeu ? Les questions s'empilaient dans sa tête. Qu'ai-je donc oublié ? Pourquoi ces sensations molles et flasques ?
Allez, ne pas s'apitoyer, poursuivre sa séquence bien rodée. Des approches roulées. Fer 8, sandwedge. Choisir sa cible, viser, lancer le swing. Un automate. Il agissait méthodiquement, savamment, son corps exécutait les coups, mais il ne ressentait rien. La crainte s'insinuait tout doucement, subrepticement.

C'est son tour. Il a salué ses partenaires, reçu sa carte de score du starter, échangé avec ses co-compétiteurs. Deux swings d'essai en dehors du départ. Le tee est planté, la balle est en jeu. Il regarde encore partout, tout autour pour vérifier que tout va bien.
Un regard vers son point de chute bien défini, les yeux sur la balle, il arme son swing et c'est parti.
Ouf, c'est traversé, il relève la tête, suit la trajectoire des yeux. Son coup n'est pas fantastique, mais la balle devrait atteindre le fairway. Oui, c'est bon. Un peu court, un peu à droite, l'ouverture vers le green n'est pas terrible.

Ils avancent. Chacun rejoint son emplacement. Il commence à imaginer l'attaque de green. Difficile. Son esprit reçoit cette indication comme un obstacle. Il faudrait qu'il prenne du recul. Mais il est dedans, pris par le but à atteindre. Alors, il répète sa routine. Mais il ne sait pas où il est. Allez, armement, le coup est lancé. Aie, le fade est plus accentué que ce qu'il voulait. Aie, non, elle ne va pas finir dans le bunker quand même.
Et si ! Ce n'est que le début des ennuis. Cette journée n'est décidément pas vernie. Le doute s'installe. Bientôt la peur de frapper la balle produira mille effets indésirables et le score s'accumulera sur sa carte. L'enjeu était trop fort. Il ne risque pas d'intégrer le groupe espéré.

Round 20/46 écrit le mercredi 25 mars 2015

384 mots | 2182 signes

Mon crâne me brûle. J'ai les tempes en feu, la migraine cherche sa place, elle tournicote. Ma main la suit, elle l'accompagne, voudrait l'envelopper, la calmer.
Les yeux rivés au sol, je me force à avancer. Cela va passer.
Pourtant j'ai bien du mal. Tant d'attention et d'effort pour stabiliser ces idées noires qui m'envahissent. J'ai encore foiré mon coup.
Où va t-elle se retrouver cette foutue balle ? Derrière un arbre, pluggé dans le bunker. Je n'imagine rien d'autre que le pire.
Et mon partenaire, lui tout va bien. Il a tapé un coup super qui a roulé tranquillement en plein milieu du fairway. Il m'agace avec ses allures d'amateur. Il a une veine de cocu, tout lui réussit.
Et moi, je suis maudit. Je m'applique, mes attitudes sont bonnes, mais il y a toujours quelque chose pour me perturber. Un vague bruit, encore une fois, de la voiturette d'un arbitre qui ne peut même pas me respecter. Une balle qui décidément me cherche des noises. Et pourquoi donc persiste-t-elle à se bloquer au fond d'un divot non replacé, à se coller contre une brindille qui n'a rien à faire ici.
Non, c'est une catastrophe, tous les éléments se liguent contre moi.
Pan, je file un grand coup de pied dans le chariot. Je le sens passer. Mon orteil a bien reçu le message. Il va falloir que je finisse par me réveiller. Si j'osais je me filerai quelques claques bien sonores pour me rappeler à l'ordre. Une punition, il faut que je m'inflige une punition, il n'y a que ça que je mérite aujourd'hui. Pas capable d'en placer une, que de la lourdeur dans les gestes, la traversée de la balle résonne comme un gong qui vibre et me secoue comme un prunier.
L'harmonie qu'il me dit toujours mon pro. Le chaos en l’occurrence dans cette partie qui n'en finit pas. Le temps s'accumule. C'est trop long. Je bâcle tout pour en finir. En fait cela ne fait qu'ajouter à la galère qui s'éternise.

Je vois déjà les regards contrits des mes partenaires, je ressens leurs interrogations, je me demande bien ce que je vais pouvoir leur répondre. Il va pas falloir qu'ils me cherchent trop. Je vais les renvoyer sur leurs plate-bandes vite fait.

Round 21/46 écrit le jeudi 26 mars 2015

381 mots | 2159 signes

-Alphonse, comment ça s'est passé ?
-Je n'y étais pas. Je ne comprends pas. J'ai pourtant bien respecté toute la préparation matinale .
-Oui. Tu étais où alors?
-J'étais absent, j'étais crispé, je n'y voit pas grand chose en fait.
-Tu ressens bien quelque chose quand même.
-Quelque chose ? Mais quoi, qu'y a-t-il ? Je viens de te le dire que j'étais absent. Perdu quoi !
Le coach s'inquiétait. Il cherchait à percer le mystère. Depuis le temps qu'ils travaillaient ensemble il pensait qu'il était prêt. Comment avait-il pu se tromper ? Mais qu'avait-il donc manqué pour l'envoyer sur cette épreuve avec certitude et qu'en fait cela avait foiré.
-D'accord, absent, j'ai bien entendu c'est sûr. Je ne comprends pas non plus. Tu étais prêt, du moins je l'ai cru.
-Oui, je me sentais prêt aussi. Mais les jambes m'ont manquées, la tête s'est échauffée, c'était comme si quelqu'un avait coupé le contact.
-C'est toi le coach. Dis moi ce que tu a vu. Expliques moi comment c'est possible que j'ai largué les amarres et que je suis parti à la dérive.
-C'est toi qui es dans tes baskets mon gars. Je ne suis pas à ta place. Comment débriefer si tu ne sais pas dire ce que tu a ressenti.
Alphonse rechargea son sac sur l'épaule. Haussant les épaules brutalement, il se sauvait, s'en allait voir plus loin si le temps pouvait être clément au moins quelque part. Pour l'instant le discours stérile, il ne le supportait pas.
Le coach, ni une ni deux, lui emboîtât le pas. Pas question de rester en rade. Il y avait à entrouvrir une porte d'accès. Il devait dès à présent entamer l'enquête sur le déroulement de la débâcle.
Alphonse se crispa encore plus. Il le sentait le suivre à la trace.
-Dis Alphonse, nous avons du boulot. C'est maintenant, pas demain. Pas question de jeter ça aux oubliettes. Nous avons à affronter ce destin.
-Oh, ça va, j'ai besoin de souffler. On verra ça plus tard.
-Bon, je te laisse un quart d'heure. On se retrouve au practice à la demi. -Grrrrr, il ne me lâchera pas. Alphonse finit par lui jeter en biais une acceptation forcée.

Round 22/46 écrit le vendredi 27 mars 2015

344 mots | 2239 signes

J'avance. Enfin, je retarde autant que je le peux. Ma démarche est pour le moins saccadée. -Te voilà ! Viens, allons nous asseoir par là. Un muret de pierre un peu à l'écart du practice fera l'affaire. -Je te l'ai dit déjà, j'étais à côté de mes pompes. Je n'y comprends rien. Hervé me regardait sans rien dire, d'un oeil inquisiteur. -Oui, ça va, que veux-tu que je te dise si je ne me rends compte de rien. -Je veux juste que l'on débriefe ensemble, que tu essaye de regarder ce qui a bien pu se passer à l'intérieur. -Bah ça bien sûr. Je suis fatigué de chercher dans le vide. Toute la partie, j'ai regardé. Rien vu. Faudrait me laisser le temps de décanter. De toute façon y en a marre. Marre de toujours répéter la même chose. Je ne vis plus, moi. Hervé restait estomaqué de cette dernière réplique. C'est nouveau ça. Jamais leurs échanges n'avait laissé transpiré une quelconque fatigue, un quelconque ras le bol de leur méthode de travail. -Bien oui, j'en ai ras le bol. Toujours vouloir tout expliquer, c'est une marotte. Et les sentiments là-dedans, on continue de les oublier, de les cacher, de ne pas en tenir compte. -Les sentiments ? Quels sentiments ? -Bah, le sentiment que l'enjeu vient museler le cœur, l'impression d'être écrasé par des exigences toujours plus fortes, le rejet de toute forme d'humanité. On n'est pas que des robots. On a bien le droit aussi d'avoir des émotions. Hervé écoutait. Les bras lui tombaient. Désemparé par ces réflexions désagréables qui tombaient à côté de la plaque. L'intelligence émotionnelle, c'était justement ça qu'il essayait de développer, de faire éclore dans ces graines de champion. L'incompréhension submergeait les efforts déployés. Toute l'action entreprise avec ferveur se trouvait ensevelie sous le flot des reproches. Allez, il fallait accepter ces remarques décalées, ces inepties. Elles représentaient une réaction qu'il fallait bien reconnaître. Il était perturbé quand même. -D'accord, tu voudrais retrouver un sens à tous les sacrifices consentis, à toute l'implication déployée. Je comprends que tu va avoir besoin d'un peu de temps. Nous allons convenir d'un délai de travail.

Round 23/46 écrit le samedi 28 mars 2015

383 mots | 2408 signes

Le directeur technique opinait du chef au bout du fil. Hervé avait trouvé les mots justes pour faire part de son désarroi, de ses doutes désormais sur l'intérêt de poursuivre cette collaboration avec Alphonse.
Nous avons parié cette fois-ci encore comme d'habitude. Nous le savons bien que tout ne peut pas réussir. Devant l'évidence nous n'avons pas le droit de nous acharner, nous avons aussi des comptes à rendre sur l'utilisation des moyens qui nous sont attribués. Hervé, je crois que vous avez raison. Suspendons ce travail qui ne fait pas ses preuves. Il y a bien d'autres chats à fouetter ... pour faire monter la crème.
Hervé allait devoir passer le message, couper les ponts pour l'instant. Il tranchait dans le vif, assumait ses responsabilités et l'application des lignes directrices de la fédération. Pourtant il ne se sentait pas vraiment fier. Quelque chose lui plaisait bien quand même dans ce caractère impulsif. Alphonse avait des dons, il en était convaincu.
Patience. Il s'avérait souvent judicieux de faire preuve de patience, de savoir suspendre pour laisser mûrir les caractères. Il allait devoir attendre. Il allait surement guetter le moment ou les blessures sanglantes du glaive entré précipitamment dans les chairs commenceront à se refermer.
L'expérience montrait que cela fonctionnait parfois. Les esprits forts arrivaient à s'en sortir. Enfin, à vrai dire, fort n'est pas adapté. La force en ce cas résulte d'un délicat mariage entre un caractère bien frappé qui aurait saisi un éclair de lumière, un souffle de légèreté, un génie évanescent.
Alphonse devait se débrouiller, toucher le fond et foutre un sacré coup de pied au fond de la nasse pour déclencher la remontée à la surface. S'en sortira-t-il tout seul. Quelque bonne âme le croisera-t-elle pour lui apporter le catalyseur aujourd'hui nécessaire pour que la réaction démarre ? Là n'était pas son problème, il devait juste l'envoyer aux pelotes pour mettre un point d'arrêt à la catastrophe actuelle, pour mettre un point de départ à une nouvelle quête.
Un bien sale boulot sur le moment, pensait-il ? Mais un boulot nécessaire. Il ne pouvait pas laisser Alphonse errer dans l'illusion pendant toute la saison. Il ne pouvait pas le laisser s'enliser alors qu'il avait vu l'inconscience. Il lui fallait un révélateur, alors il l'aurait.

Round 24/46 écrit le dimanche 29 mars 2015

249 mots | 1471 signes

-Je me suis fait jeté, je suis dépité...disait Alphonse d'une voix dure.
-Comment ça ? jeté ? comme ça a du te bousculer. Pierrick lui répondait au bout du fil. Mais comment cela a -t-il pu lui arriver à lui, se demandait-il.
-Tu te rends compte. Pourtant j'en ai fait des sacrifices depuis le temps. Toujours en progression et voilà, juste sur une compétition qui tourne mal, ils me renvoient. Alphonse évitait la table basse du salon, punchait d'un poing rageur le dossier du canapé. Rivé à son portable il dégoisait tout son saoul de rancœur. -Tu parles d'une collaboration équitable, toi. Non, tout ce qu'ils veulent c'est du résultat. Et vite qu'ils le veulent. C'est des machines à broyer les cerveaux les plus résistants.
Vingt minutes qu'il se vengeait. Petit à petit le ton s'affaissait. La fatigue, la détresse avaient raison de ses réprimandes. Il finissait par redescendre sur terre. -Alors tu te retrouves seul pour l'instant, comme auparavant. ça ne t'avait pas empêché de grimper les marches les unes après les autres.
-Oui, bien sûr. Je vais m'y remettre. Il y a sans doute une opportunité à repartir de la sorte.
Mais comment donc vais-je m'en sortir, se demandait bien Alphonse. Oui, bien sûr, Hervé va m'aider. Je vais rebâtir un programme. Je vais lui en parler.
Oui, allez, je vais me rebooster. Je vais faire de cet épisode un tremplin pour sauter le pas. Dès demain, je vais voir Hervé.

Round 25/46 écrit le lundi 30 mars 2015

376 mots | 2287 signes

  • Bonjour Hervé
  • Bonjour Alphonse
  • Je suis de retour. J'ai besoin d'un coup de main. Je vais rebondir.
    Hervé acquiesçait et rendez-vous était pris. Ils commençaient une nouvelle étape.
  • Qu'est-ce qui est le plus dur ?
  • C'est le rejet, plus que la défaite, même si c'est elle qui m'a valu cette disgrâce. Les voilà branchés sur ce refus de reconnaissance, ce renvoi qui bouleverse l'âme. Alphonse ressentait au plus profond cette illusion passée des belles paroles qui s'effritaient lamentablement dès que l'adversité pointait son nez. Son coeur saignait. Bientôt les cicatrices refermeraient la plaie. Puis même les marques de la blessures s'effaceraient.
    Hervé était toujours le même, toujours aux côtés des apprentis, ces futurs joueurs de haut-niveau, ces futurs trempes d'homme qui sauraient apprendre et apprendre encore jusqu'à la prochaine étape. Il le savait bien que ce n'était jamais fini. Il le savait bien que des ressources inexpliquées écloseraient chez chacun à la faveur du franchissement d'un obstacle, à l'occasion d'un dénouement d'un entrelacs de méninges.
    Au fil des entraînements, au fil des jours, Alphonse progressait. Il énonçait parfois de ces vérités délicates qui adoucissent le cœur du combattant et le rendent plus efficace.
  • hier, à l'attaque du green du 5, je me suis planté face au vent. Je l'ai senti souffler dans ma chevelure. Je me suis senti bien, plus rien n'existait que moi et la nature.
  • Alors, j'ai vu clair, j'ai compris la force du vent, j'ai deviné le roulement possible sur la partie droite du fairway, j'ai imaginé la trajectoire finale de la balle, j'ai vu le geste à faire, avec certitude,.
  • Je n'avais aucun doute sur ce que je devais tenter. Alors j'ai intégré les repères, je me suis posé devant la balle, j'ai respiré un coup et j'ai frappé.
  • Tout c'est passé comme je l'avais prévu. La traversée de balle s'est révélée à la fois facile et légère et la balle a respecté l'impulsion et s'est conduite proprement jusqu'à sa destination. Elle a fini par mourir sur le green. Hervé souriait. Oui, Alphonse, pensait-il dans sa barbe, oui tu a été en contact avec une sorte d'ange gardien. Tu es parvenu là ou il le faut pour vaincre.

Round 26/46 écrit le mardi 31 mars 2015

335 mots | 1832 signes

Attablés sur la terrasse du bistrot du centre, ils devisent avec Hervé sur les orientations du programme pour les jours à venir.
Tiens, c'est Nana, comme elle est belle ! Elle est là bas, elle marche sur le trottoir et se rapproche.
Oh, elle détourne son regard, elle m'a vu.
Il le sait qu'il l'a délaissée depuis trop longtemps. Il salue Hervé et part à sa rencontre. Elle ralentit le pas, hésite, elle voudrait changer de trottoir. Mais il est trop rapide, le voilà.
- Bonjour Nana, je voulais passer te voir.
- Ah. Depuis le temps ! le toise t-elle, déconfite.
Lui la regarde droit dans les yeux. - Oui, j'ai réagi comme un bêta. Je me suis laissé emporté par le système.
Elle voudrait reculer, mais se rapproche encore. Ils s'embrassent vite fait, juste un effleurement des joues. Cela suffit quand même pour qu'elle sente une chaleur l'envahir.
- Alors, ils t'ont planté, te voilà revenu au bercail.
Elle sait déjà combien je me suis fait avoir. Sa chair se hérisse. Ses jambes jouent la samba. Le rejet tristement subi se remet à l'agiter. - Oui, tu a raison. Je trouve que tu en rajoute une couche. C'est vraiment dur pour moi.
- Excuse, je suis vexée moi aussi que tu ais disparu de ma planète si vite.
- Pardon, je suis fautif. Je voudrais bien revenir en arrière et faire preuve de plus d'attention envers toi.
Un silence qui dure. Ils ne savent pas quoi faire. Les secondes s'égrènent devant ces deux nigauds qui se protègent.
- Allez, d'accord, on oublie ça. C'est encore Nana qui libère la tension. Ils s'embrassent et des sourires timides reviennent sur leurs visages.
Alphonse se dit qu'il a été vraiment idiot. Il se promet de ne plus agir de la sorte. Il la prend par le bras et continue la route avec elle.
- Tu rentrais chez toi ?

Round 27/46 écrit le mercredi 1 avril 2015

410 mots | 2339 signes

Ils se retrouvent une heure avant le départ. Une bonne séance d'échauffement, c'est l'habitude. Il faut bien préparer le corps à l'effort, et le mental aussi.

Rendus au trou N° 5, il attaque droit devant sur ce long par 4. La balle vole et se loge en plein fairway.
Elle, effectue son swing souple. On n'a vraiment pas l'impression qu'elle veuille avancer. Et pourtant, la balle effectue un joli vol et vient rouler tranquillement au sol.
-- Bravo, joli shot !
Tout en se déplaçant, Alphonse commence à réfléchir au prochain coup. Encore une bonne distance, et un survol de cette pièce d'eau pour aller toucher le green. 140 m à faire. Un fer 5 devrait suffire. Le vent va pourtant la freiner mais ce sera bon pour la pitcher et la tenir sur le green.
Nana, elle, lui indique qu'elle va sans doute faire un second coup sécuritaire. De toute façon elle est un peu loin. Le risque serait important d'attaquer. Elle tentera ensuite l'approche putt pour assurer le par.
Alphonse attaque. Il prend bien garde d'assurer complètement sa préparation et le voilà lancé. Un bon coup, la balle s'élève et file vers sa cible. Oh, trop bon, elle va un peu vite, un peu loin. Mince, un petit effet latéral et elle tombe, un peu longue, en bord droit de green. Et elle roule. Il a beau lui lancer ses imprécations savoureuses, elle roule jusqu'à la pièce d'eau qui entoure en partie le green.
Alphonse s'exclame : - dépité, je suis dépité, j'avais si bien attaqué ce coup. Je n'y arriverai décidément pas. Je manque de régularité.
Nana lui délivre son analyse : - c'est bien joué, le coup était quasi parfait. Tu a placé l'objectif un peu haut. Un tel enjeu, délicat quand même. Je trouve le résultat probable, satisfaisant. Tu a risqué en connaissance de cause. Tu a perdu un point, c'est tout. Dans tous les cas, c'est fait. Maintenant tu a un autre coup à jouer.
- Oui, bien sûr, mais un coup de plus, c'est toujours trop.
- Le résultat, oui, cela pèse. Pourtant, cela faisait bien partie des issues possibles. Soit tu prenais un peu plus de sécurité, quitte à tenter de rentrer une approche, soit tu accepte les conséquences aléatoires d'une tentative ambitieuse. A toi de choisir, mais c'est bien de toi qu'il s'agit, de ton choix, pas de l’exécution du coup.

Round 28/46 écrit le vendredi 3 avril 2015

674 mots | 3822 signes

  • message bien reçu. Tu dis vrai. Mais la question c'est comment réussir à le faire, à choisir juste, au moment ou tu as envie de l'exploit. Rendre l'exploit ordinaire, voilà le but réel. Sortir de ses fonctionnements aléatoires pour entrer dans un monde d'excellence.
  • Rien que ça ! répliquait Nana. Si tu veux sortir de ton ordinaire, n'y a t-il pas quelque chose d'original à adopter. Ton truc, ce n'est pas possible en continuant de même.
  • Original, oui, mais qui me corresponde, c'est ça qu'il me faut trouver.
  • Eh bien alors, tu peux abandonner tout de suite. Si tu tiens absolument à ne pas te changer, pourquoi y aurait-il quelque chose de ta vie qui changerait.
    Nana mettait le doigt sur quelque chose d'essentiel. Sa mère lui avait déjà transmis cette leçon. Accepter de renier une part de soi pour s'ouvrir à un autre monde, à une autre perception. Mais la nature humaine est toujours résistante. Elle se sent si bien dans ses petites habitudes. C'est la sécurité d'abord qui prime. On a beau être encore jeune, renoncer à l'affection qui nous entoure ce n'est pas de la tarte.
  • Quoi ? Tu voudrais que je renie mes origines !
  • Non, pas moi, c'est toi qui prétends rechercher quelque chose d'original !
    Origine, original, kif kif la bourrique. Rien à y comprendre. A moins que cela ne soit un retour aux sources, des retrouvailles avec des comportements instinctifs hérités dès la naissance, ou bien avant. Les mots sont ce qu'ils sont. Ils tentent de dire des vérités, ils soulignent des incohérences, ils cachent des sens oubliés.
  • Ah ! Je ne comprends pas.
  • Oui, tu as juste à oublier qui tu crois être. Tu as juste à te laisser porter par tes instincts, par tes sensations. Facile, non !
  • Allez, moque toi, profites en. Dis moi plutôt comment faire, donnes moi au moins une piste.
    Silence, Nana s'avance vers sa balle, effectue son approche, parviens sur le green à 5 m du drappeau.
    Alphonse reste coi. Il la suit, finit par dropper une balle et approcher également. Quatre mètres en dessous.
  • Tiens Alphonse, regarde. Nana se positionne devant sa balle, elle regarde le trou. Elle ferme les yeux, respire profondément mais avec une tranquillité incroyable. Alphonse regarde, il n'en croit pas ses yeux, elle va putter comme ça !
    Nana, bien planté sur ses plantes de pied, bien en équilibre, les yeux toujours fermés, comme elle est calme. Elle putte, la balle roule doucement, elle s'approche, elle glisse par le bord droit, selon le sens de la pente, elle hésite et tombe.
  • Wahoo, bravo.
  • A toi maintenant.
    Alphonse se bouge sur le green, il prend ses repères.
  • Laisse toi aller Alphonse. Décrispe. Lâche prise. Tout ce que tu as à faire c'est de ressentir le green, de sentir le vent, d'attirer à toi ton ange gardien.
    Alphonse se positionne. Il ferme les yeux. Oh, bizarre, je n'y vois rien.
  • Respire tranquillement, abandonne toi.
    Il respire, tente de se relâcher et surtout de renoncer à ses croyances. Il commence à sentir des effluves, à ressentir des énergies qui le chatouillent.
  • Laisse ça se calmer.
    Il persiste, sa respiration ralentit encore. Une légèreté nouvelle l'envahit. Il reprend son stance, rouvre les yeux pour redéfinir sa cible. Il referme les yeux. Son putter monte tranquillement. Il le tire délicatement et le guide vers la cible. La balle est traversée avec douceur. Il garde les yeux fermés.
    Nana ne dit rien, elle admire, elle se dit qu'il l'a fait, qu'il assimile bien ces leçons de ineffable.
    Glop, glop, la balle percute le fond du trou.
    Alphonse rouvre les yeux, la balle est dedans. Il a vécu des sensations inconnues encore.
    Nana l'enlace, elle se serre contre lui et lui souffle : - tu l'a fait, super.

Round 29/46 écrit le samedi 4 avril 2015

494 mots | 2690 signes

Alphonse progresse sur le fairway. Non de non, ça ne va pas, j'ai encore raté ce coup. Il avance, continue à chercher, ne la voit pas cette foutue balle.
- Elle a roulé dans le rough, signale son adversaire. Elle est un peu plus loin.
Alphonse continue dans la direction proposée. Il maugrée dans sa barbe. Ah zut, je vais la trouver comment.
Tout en noir, il ne pense que tout noir.
Alors, bien sûr, il finit par la voir, bien enfoncée dans ce rough épais et humide. Il regarde, voit son but, se définit sa cible, elle est atteignable mais il va falloir qu'il assure ce coup quelque peu complexe.
Encore deux coups d'essai. Il le sait, il doit préparer le corps à cette traversée délicate, tenir les poignets fermement, tenir les yeux sur la balle jusqu'à son départ effectif. Il est prêt. Il lance son swing. La balle est partie, comme il faut, elle atteint le fairway. Il a réussi à passer le fossé. Plus qu'une petite approche à passer pour tenter de sauver le par.
- Bravo, elle n'était pas facile celle là !
- Merci. Du bout des lèvres il l'a remercié son partenaire. Il me fait braire celui là. Je sais jouer, qu'est-ce qu'il croit. Il ne va pas me chambrer tout le long du parcours.
Allez, Alphonse s'en va droit sur sa balle sans plus rien dire. Il se marmonne quand même toujours quelque critique, quelque reproche. Ah ça, s'il l'avait entamé correctement ce trou, il serait déjà sur le green, il aurait pu réussir le birdie.
Une petite approche classique, une approche dispensée avec sensibilité, une approche de rêve comme il les a déjà fait, à rentrer direct dans le trou, pourquoi pas.
Sur son stance, le voilà déjà en train d'espérer réaliser l'exploit. Il y va, il se dépêche, il joue un peu vite. Dans l'élan la tête a bougé un peu trop tôt, elle accompagne déjà la balle qui n'est pas encore partie. Et hop, un contact qui résonne, qui tremble. La balle fuse, percute le green, roule, passe le trou, continue de rouler, trop loin, bien trop loin, trois mètres au delà du trou. Encore une chance qu'elle ne soit pas ressortie.
- Purée de machin. Je suis nul. Va te faire rhabiller chez les grecs. Tu joue comme un pied. Y a rien à en tirer. Le putt suivant, bien évidemment va être trop court. La peur de re-dépasser encore l'aura retenu. Encore un putt de 80 cm, tout en dévers. Pas gagné !
Le putt, il le rentrera, un coup superbe, tout en rondeur, qui vient mourir dans le trou par le haut, comme il convient pour un pro.
Il grogne, il rage, envoie la balle dans le lac, file un coup de pompe dans son chariot.
C'est ainsi qu'il rejoint le prochain départ.

Round 30/46 écrit le dimanche 5 avril 2015

414 mots | 2480 signes

Chaque trou, oui, chacun des trous, un à un, l'un après l'autre, constituera un chemin de croix. Alphonse, peste. Ses mains tremblent. Devant la balle le doute s'est installé. - Où va t-elle encore aller ? La balle fait ce qu'elle veut. Elle n'est plus contrôlée, elle n'est plus guidée. Alors, à l'image d'un chien fou, elle se ballade, virevolte, fait des ricochets sur les arbres. Il n'y est plus. La peur l'empêche de lancer les bras, de les laisser traverser seuls la balle bien tranquille qui l'attend juste posée là. Le moteur est grippé, le club ralentit dans la balle, la balle ralentit le club. Une sacrée misère. Tous les instants qui sont normalement mis à profit pour avancer selon une stratégie bien déterminée ne sont plus que le reflet d'une errance, d'un chemin chemin cahoteux.
Un chemin de souffrance, long et douloureux, si long qu'il dure alors que l'espoir de sa fin enfle et gonfle dans le cœur d'Alphonse. Sa tête est confuse, comme emplie de coton, bourrée comme un pouf. Lucidité, où es-tu ? J'aurai besoin de toi. Mais non, tu me fais aussi la tête, tu t'es barrée. Tout va donc au plus mal dans le pire des mondes.
Le score accumule les coups ratés. Le résultat plombe la carte. Le désespoir empire. Les épaules sont basses, la tête dodelinante, le souffle rauque, la démarche rugueuse. Les signes extérieurs d'un cerveau en furie. Le langage du corps affiche la détresse. Les spectateurs sont étonnés. Ceux qui le connaissent sont ahuris.
- Le voilà revenu dans ses crises historiques. Il fait une rechute. Il ne s'en sortira donc jamais ! Bien de ses supporters compatissent, ils voudraient bien l'aider, mais ceux qui ont déjà essayé se souviennent encore des ses réactions à brut, de ses colères rentrées qui fusaient quand même. Non, il était assez grand qu'il disait, se souviennent-ils avec regret. Comment donc faire progresser un individu qui refuse, qui résiste, qui s'enlise dans ses croyances à couper au couteau. L'hydre des certitudes est costaud. On ne peut s'y atteler à la légère. Il faudrait tirer un plan de bataille corsé. Il faudrait trouver les mots, les messages pour attirer l'attention du joueur, lui faire prendre conscience de l'inutilité de son obstination, lui faire reconnaître qu'il a besoin de changer, le convaincre qu'il dispose de tous les atouts en lui pour prendre le virage et se rétablir sur une route bien plus stable, bien moins glissante.

Round 31/46 écrit le lundi 6 avril 2015

333 mots | 2137 signes

Pierrick avait retrouvé Alphonse chez lui. Ils se détendaient autour d'une bonne bière, bien méritée après leur footing matinal. Six kilomètres parcourus au bord de la mer, avec le vent qui les poussait à l'aventure.
Toutes les allures les avaient fait transpirer abondamment, les accélérations et les courses folles alternaient avec les ralentissements, quasiment du repos entre les efforts déployés.
Fraîchement douchés, ils étaient à l'aise. Pierrick l'avait vu dans ce drôle d'état lors de la compétition et avait saisi l'occasion d'une petite sortie sportive pour rétablir le lien. Ils se retrouvaient ainsi comme dans l'ancien temps, celui des études en commun au lycée voisin.
- Et que va tu faire maintenant ?
- Nous avons établi un programme sportif avec le pro. Je dois aussi travailler sur moi pour renforcer mon mental.
- Tu dois faire le deuil, quoi ? Laisser derrière les mauvais passages.
- Oui. C'est un peu ça. Je devrais accepter de n'avoir pas été à la hauteur. Je devrais abandonner des fonctionnements destructeurs. Mais c'est difficile. Les habitudes sont tellement ancrées là-dedans. - Ah, c'est un foutu ciboulot qui nous mène par la cravache. Pourtant c'est facile à comprendre. Si ça ne va pas, il faut changer quelque chose. Ils édictaient des lapalissades, des vérités toutes simples, tout ce que les simplistes ne comprennent pas forcément. Eux, ils n'en parlent même pas. Par contre, ils le font, en quelque sorte. Inconsciemment, mais ils savent le faire.
Et nous, qui sommes capables d'analyser, d'extraire des logiques, de bâtir des démarches, des projets, nous butons longtemps sur ces évidences qui se lèvent comme des sommets bien difficiles à franchir. Pierrick racontait ses difficultés à s'imprégner de logiques mathématiques qu'il avait rencontrées en mathématiques spéciales. La triangulation des matrices était restée pour lui un mystère jusqu'à ce qu'un déclic se produise et qu'enfin il voit ce qu'il convenait de faire pour résoudre ces équations emberlificotées.
Comment ? A force de confiance en lui.

Round 32/46 écrit le mercredi 8 avril 2015

455 mots | 2867 signes

  • Un jour, j'ai commencé à relâcher le contrôle, j'ai pris de la hauteur et j'ai laissé venir. Vois-tu, c'est vraiment bizarre, il a suffit que je desserre mon étreinte et quelque chose s'est passé. Je crois qu'à force de vouloir toujours tout contrôler, je ne laissais plus d'espace à des fonctionnements naturels. Comme un oiseau enfermé dans sa cage, j'avais beau me débattre, je ne pouvais pas prendre d'ampleur.
  • J'ai besoin de mener les choses par moi même, volontairement, s'entêtait Alphonse. J'ai du caractère, je peux me diriger comme je l'entends. Pourtant, parfois, je réussis sans trop y penser. Alors, c'est un peu comme si j'étais ailleurs, mais ça passe. Je n'aime pas être comme ça, c'est de la loterie ces moments là. Les deux amis devisaient sur des comportements que d'aucuns pourraient qualifier d'étranges. Nombreux sont ceux qui auraient déjà fui ces extravagances, ces paroles débiles qui font peur, qui feraient presque penser à de la magie, à quelque influence malicieuse d'êtres malveillants.
  • En clair, c'est étonnant, mais le simple fait de se laisser faire suffit à rendre leur liberté à nos facultés originelles. Regarde ma sœur qui tape à la machine, dès qu'elle pense aux lettres qu'elle doit frapper et qu'elle vérifie au fur et à mesure que tout va bien, elle ralentit comme un bœuf essoufflé et pire, elle fatigue tant et plus. Lorsqu'elle parvient à ne plus prêter attention à la qualité de sa frappe, les erreurs se réduisent d'elles mêmes bien qu'elle fonce à toute vitesse. Il fut un temps où elle a appris laborieusement, puis ensuite, le cerveau bien formé développe sa capacité à faire vite et bien.
    Alphonse comprenait bien la démonstration claire et efficace. Cependant, il résistait encore, quoique ce n'était plus vraiment une résistance mais plutôt comme une peur qui le secouait au fonds de ses entrailles. Une émotion piquée au vif qui s'ingéniait à le tenir dépendant. Ce n'était pas le tout de comprendre, il faudrait parvenir à ressentir, à expérimenter et à prendre conscience des libertés que les rouages pourraient retrouver pour fonctionner automatiquement.
    Décidément, il fallait passer un cap, s'appuyer sur tous les apprentissages, sur toutes les mécaniques bien huilées, et lâcher la bride au poste central de pilotage. Lui faire confiance afin qu'il puisse développer tous ses talents. Les talents appartiennent à tout le monde. Chacun a les siens. Pour les repérer et les exploiter il convient d'abandonner tous les contrôles sécuritaires et de laisser monter à la conscience les facilités, les plaisirs, les belles réalisations qui nous appartiennent aussi mais qui exigent un minimum d'autonomie pour se déployer. Comme un enfant qui doit normalement dépasser ce que ses parents ont pu lui apprendre.

Round 33/46 écrit le jeudi 9 avril 2015

324 mots | 1883 signes

Cela la turlupine depuis deux jours, Nana voudrait aider Alphonse mais elle aurait bien besoin de conseils sur la manière d'aborder le sujet. Elle sait bien que Pierrick est son meilleur ami et qu'il doit se trouver dans quelque confidence.
-Allo, bonjour Pierrick, j'aimerai te rencontrer au sujet des déboires d'Alphonse.
-Bonjour, je ne sais pas bien comment je pourrai t'aider.
-Tu le connais tellement bien.
-Oui, c'est sûr.
-Alors, tu veux bien ?
-Ok
Ils se retrouvent au début de l'après-midi au troquet de la rivière, un endroit encore tranquille à cette heure ci. Pas trop de risque d'y voir poindre le museau d'Alphonse.
-On n'a pas eu beaucoup d'occasions de discuter, entame Nana.
-Vrai. Que veux-tu donc aujourd'hui. Tu t'intéresses à Alphonse ?
-J'ai vu qu'il n'allait pas bien. Tu sais que j'ai de l'affection pour lui.
-Oui. Tu as pu lui parler alors.
-Il reste distant. Il reste fier. Il n'ose peut-être pas m'ennuyer avec ses soucis. Pourtant je voudrais bien l'aider.
-Tu voudrais, d'accord, j'entends bien. Mais lui ne le souhaite peut-être pas. Tu voudrais le mettre à nu ?
-Non, pas du tout le mettre à nu, juste comprendre comment je peux lui apporter mon soutien, lui offrir une oreille attentive pour qu'il se libère de ses tensions.
-Ah ! Tu veux l'aider, mais en fait tu va le bousculer quoi !
Nana parle encore et encore. Elle prend une mine attristée. Ses attitudes reflètent sa sincérité.
Pierrick finit par s'attendrir. Il perçoit la vérité de son langage et l'amour sous-jacent de Nana pour Alphonse. Il livre ce qu'il a ressenti de ses derniers échanges avec Alphonse.
-D'accord Nana, je crois que nous pourrions unir nos efforts, le soutenir de nos présences, lui offrir l'attention propice pour qu'il ose se libérer de son anxiété, qu'il puisse redevenir lui-même.

Round 34/46 écrit le vendredi 10 avril 2015

389 mots | 2444 signes

Nana les avait invités à la projection du ciné-club, la fameux film sur la capacité de Nelson Mandela à emporter les foules au delà de leur limites, un film sportif, comme par hasard : Invictus.
Un court débat s'était déroulé au cours duquel la force de conviction, l'acceptation des défaites et les bienfaits du pardon s'étaient épanouis dans l'atmosphère bon enfant des amateurs. De la naïveté, de la sincérité, des aspirations à des modèles de société tolérants envers l'espèce humaine, sa sensibilité et son imperfection perpétuelle.
Ils continuaient à deviser au bistrot de la rivière, assis bien au chaud sur les banquettes accueillantes de l'établissement tenu par un romantique, on pourrait dire un marginal.
Alphonse les écoutait. La première fois qu'ils se retrouvaient à trois pour de vrai. Pierrick, l'individu solide, Nana, la fraîcheur faite femme, il se sentait bien. De tout et de rien, des mots dérisoires ou des paroles significatives de leur soutien, de leur appui commun dans la période tristounette qu'il traversait.
- Tu aurai voulu réussir ton objectif et te voilà dans la peine.
- Ta détresse te va bien en fait, enchérissait Nana
- Ah, surtout ça me fait mal, je ne sais plus ce que je vais devenir.
Le silence laissait la place au ressenti de s'exprimer. Ils étaient sages les deux amis.
- Je suis bien avec vous. Merci Nana de cette invitation à nous retrouver ensemble.
Nana souriait tendrement. Pierrick acquiesçait. Les mots entrecoupés de respirations finirent par rejoindre le sentiment d'échec, le jugement inutile sur soi. Ce n'était pas des conseils, juste des observations, des réalités un peu crues mais si simplement mises à jour. Accepter les détours, prendre le temps de construire, se pardonner ses sentiments d'échec. Le constat se dressait de situations ordinaires vécues par tant et tant d'individus. Alphonse n'était qu'un homme ordinaire en somme.
Puis le sommet franchi, vint le temps des réactions, se bâtit la liste des actions à envisager, surtout la genèse des états d'âme propres à s'élever au dessus des blocages. On y retrouvait alors la confiance en soi, l'enthousiasme, l'audace de tenter. Toute une panoplie de comportements à expérimenter sans prétention d'être dans le vrai, juste dans la conviction qu'il convenait d'essayer, de changer quelque chose, d'explorer des sentiers inconnus.

Round 35/46 écrit le lundi 13 avril 2015

437 mots | 2817 signes

Alphonse se grattait la tête. Les paroles de Nana lui trottaient à l'intérieur et n'arrêtaient pas de tourner. "La tristesse te va si bien", c'était cela qu'il ne comprenait pas. Comment ça ? La tristesse se ressent toujours plutôt comme un passage un peu sombre, un peu gris, un peu fade, elle n'apporte rien, elle ne fait juste qu'endormir.
Assis sur son fauteuil, il restait là, inanimé, on aurait pu croire qu'il s'était statufié. Rien ne bougeait, pas même un cil, et pourtant les pupilles s'agitaient en tous sens, déclarant une excitation du cerveau inhabituelle. Une simple remarque, dérisoire, et voilà qu'il était parti à la recherche éperdue du pourquoi. Nana lui était chère. Il ne pouvait rejeter sa formulation. Au contraire, presque, il la bichonnait, la retournait en tous sens pour en comprendre la signification. Nana, elle savait écouter ses sens, elle vibrait à toutes les émotions, elle accueillait tous les messages, toutes les intentions. Il faudrait qu'il lui demande plus précisément ce qu'elle voulait dire. Mais non, quand même, il ne pouvait pas faire ça. L'aiguillon qu'elle lui avait projeté avait atteint son but, avait accompli son intention, le piquer au vif de sa curiosité.
Il restait là, comme insensible alors qu'il bouillait intérieurement. Prostré, il semblait perdu. Le voilà abandonné par son intelligence, ou plutôt une intelligence émotionnelle qu'il avait encore à découvrir en grande partie. Elle avait juste commencé à s'éveiller. Déjà il avait ressenti cette force légère qu'elle pouvait dégager en certains instants de prise de conscience et de laisser faire. Il était en fait en plein dedans, il laissait faire.
Il commençait à ressentir cet abandon devant son ignorance, son incompréhension. Alors il redevenait nature. Comme un bourgeon qui ouvrait une à une ses corolles, il s'épanouissait sur lui même. Son visage se détendait, il n'avait plus rien à dire, plus rien à démontrer. Ses muscles se décrispaient, ils n'avaient plus rien à exécuter, plus aucun devoir à assurer.
Ta tristesse te va si bien. Il commençait à comprendre qu'elle abattait suffisamment ses résistances internes si laborieusement établies pour résister à la pression d'autrui. Elle lui redonnait un air naturel, sa nature resurgissait, une source de jouvence régénérait son caractère naturel de bonté, de gentillesse, de générosité.
Nana aurait pu rajouter, ta tristesse t'enlève tes carapaces, elle refait de toi l'être que j'apprécie tant.
Oui, Alphonse ressentait cette humilité qui ouvre les portes et les fenêtres de la sensibilité humaine, celle qui restitue à chacun ses capacités et ses dons naturels. Oh, nature, nature, que t'ai-je abandonnée, comment ai-je pu te renier ?

Round 36/46 écrit le mardi 14 avril 2015

409 mots | 2635 signes

Quatre coups sur le par, déjà, et oui seulement au trou 8 et il enfilait un nouveau birdie. Depuis le départ il flottait au dessus du parcours, chaque trou se déroulait tranquillement, aucun coup tragique, et le petit jeu lui offrait des sensations comme magiques. Et cela rentrait. Une efficacité exceptionnelle. Un birdie tous les deux trous, waouhh.
Alphonse était juste dedans. Impliqué dans son jeu il veillait juste à faire ce qu'il avait appris, ce qu'il savait faire. Il s'appliquait, exécutait son coup, appréciait la trajectoire et repérait l'emplacement probable de sa balle.
Il avançait, retrouvait sa balle sans plus la chercher, même lorsqu'elle avait roulé dans le rough. Et voilà, elle était là, il n'y avait plus qu'à adapter le coup à jouer en fonction des paramètres qu'il avait déjà recueilli pendant la marche pour rejoindre sa place. C'était bien huilé, comme mécanique, les conclusions s’emboîtaient sans tergiversation.
Parfois, il le sentait bien, cela échappait quelque peu à la volonté, à la raison, le choix s'imposait sans savoir comment, sans justification précise mais c'était ainsi. Alors, il laissait faire, il acceptait ce qui se pointait de façon instinctive, il adoptait le coup à jouer et il prenait son stance. Les yeux rivés quelques instants subtils sur l'objectif, il respirait, inspirait la force sereine qui lui assurait une montée certaine du club jusqu'à la position adéquate, le coup partait tout seul alors qu'il tenait son corps bien dans l'axe. Les sensations reçues lui apportaient la confirmation qu'il faisait ce qu'il convenait. La trajectoire de la balle le confortait dans son attitude, le roulement de la balle validait le choix fait.
Tout fonctionnait à merveille. Le résultat s'avérait toujours satisfaisant pour lui. Chaque coup n'était qu'un pas en avant, qu'un acte participant à un ensemble. Il ne s'échappait pas en jugements quels qu'ils pussent être. Aucun intérêt, cela ne lui venait même plus à l'idée, il était juste là, concentré sur son jeu, réalisant sa passion, jouer au golf. Et jouer lui faisait oublier le temps, le plaisir indicible faisait de chaque instant une éternité, une durée bien installée qui le maintenait serein, à l'aise. Pas de sentiment d'effort, les muscles entraînés accomplissaient les gestes requis, le mental mettait en place les enchaînements appropriés, la légèreté de l'esprit faisait le reste. Où était l'essentiel ? Peut-être dans l'harmonie, dans le rythme naturel, dans l'expression des talents comme dans celle de son humilité redécouverte.

Round 37/46 écrit le mercredi 15 avril 2015

359 mots | 2258 signes

  • Merci, vous êtes gentil. J'ai fait de mon mieux, je suis heureux d'avoir réussi.
  • Quelque chose vous a -t-il porté pour enchaîner les birdies consécutifs ?
  • Oui, je crois que c'est tout simplement une nouvelle confiance en mes capacités à m'adapter aux embûches. Je parviens désormais à me concentrer sur chaque coup à jouer sans m'embarrasser de ce qui s'est déjà passé, et qui est donc terminé.
  • Vous jouez en fait chaque instant présent.
  • Oui, on peut dire cela, je joue chaque instant présent avec toutes mes qualités, en usant de tous mes talents. Rien ne peut plus les perturber.
    Alphonse répondait sans pudeur à toutes les questions. Il ne pouvait leur dire franchement qu'il n'en avait plus rien à faire de leurs provocations habituelles. Il n'avait plus de colère à l'encontre de la bêtise médiatique, de l'infirmité humaine à se complaire dans le pessimisme, dans la détresse, dans l'agression perpétuelle.
    Les médias faisaient leur boulot, elles restaient engoncées dans leur tambouille, leur frichti indigeste qui se vendait si bien. Oh, la société aurait bien besoin d'une cure de jouvence. Elle aurait besoin, elle aussi, de se confronter aux réalités de leur fonctionnement intérieur.
    Pfft, Alphonse s'allongeait dans sa chambre, il laissait son esprit vagabonder. Son sourire s'entrouvrait pour accueillir la satisfaction, le plaisir d'être ce qu'il était, le bonheur d'avoir retrouvé ses instincts et sa légèreté.
    La nuit l'emporta dans un sommeil réparateur qui lui ouvra la porte des rêves. Ses tourments avaient disparus. Il dormait comme un bébé, comme un ange parmi les anges. Plus de douleurs, plus d'inquiétudes infinies, juste un repos général, les muscles, les neurones, toutes les cellules de son corps se retrouvaient au rendez-vous de la paix intérieure.
    Sept heures le réveillèrent. Il se leva sans tarder, empli d'une conviction généreuse, avec la foi en lui et une certaine excitation à l'idée des challenges qui l'attendaient. Il n'avait plus rien à démontrer, alors il allait pouvoir s'amuser à jouer comme un dieu. Il visait à s'épater lui même, à chatouiller ses terminaisons nerveuses, à les titiller jusqu'à la rigolade.

Round 38/46 écrit le jeudi 16 avril 2015

358 mots | 2101 signes

Nana entre, cherche du regard, s'avance un peu plus. Elle ne trouve personne. Elle danse d'un pied sur l'autre et erre les yeux ouverts dans ce hall de gare désert. Le bruit du train qui arrive, le flot des passagers qui s'échappent, la laisse encore en patience, elle attend. Elle fait juste confiance à l'univers. Son rendez-vous, elle ne se pose pas la question, elle ne s'inquiète pas, il viendra.
Un homme grisonnant pénètre le hall, il est comme en retard, comme en suspens, et il l'aperçoit de suite.. Elle se dit "tiens, le voilà". Il l'aborde en se présentant :
- Harry, directeur technique national
- Nana, je suis heureuse de vous rencontrer. Elle lui serre la main tendue avec fermeté.
Le bar de la gare les accueille pour un café croissants. Elle découvre un homme posé, qui parle concret, qui entre dans le vif sans détours laborieux.
Il apprécie son attention, la qualité de son écoute, ses réparties sans retenue. - Nous avons perdu Alphonse. Ce choix délibéré nous a paru nécessaire. Il est trop doué ce gamin pour ne pas le confronter aux étapes essentielles de sa maîtrise psychologique, à la croissance de son âme en quelque sorte, si ces mots peuvent avoir un sens.
- Alphonse était tout retourné. Avec son meilleur ami nous avons marqué notre présence, notre soutien.
- Il a bien de la chance de votre soutien inconditionnel.
- Il a réalisé les exigences du haut-niveau. Je crois qu'il a assimilé le besoin de distance, de recul par rapport aux enjeux sportifs. Il est en train de sortir de l'attachement au résultat.
- Pourrions-nous convenir d'une méthode de suivi, d'un accompagnement mental, d'un coaching que vous pourrions ajouter à votre appui, à votre présence.
- Bien sûr. Je veux juste garder la liberté de suivre ou non vos consignes.
- Non, ce ne seront pas des consignes, juste des suggestions, des indications d'étapes à dépasser. Mais j'ai bien compris que vous étiez déjà sur la voie. Nous allons pouvoir conjuguer harmonieusement nos points de vue et nos méthodes de travail.

Round 39/46 écrit le vendredi 17 avril 2015

499 mots | 3087 signes

Nana avait été surprise lorsque le DTN l'avait contacté. Enfin, non, surprise ne correspondait pas à l'euphorie qu'elle avait ressentie. En fait elle était ravie de cette démarche autant que surprise qu'elle même soit sollicitée par l'autorité sportive. Comment l'avait-elle dégotée ? Quelle piste avait-il suivi pour la sortir de l'ombre ?
Le DTN était ravi aussi. Il savait pouvoir compter sur les pros. Le pro d'Alphonse s'était révélé encore une fois une aide précieuse, un révélateur du fonctionnement émotionnel d'Alphonse. Comme la vie est simple lorsque l'on sollicite la nature humaine. Il y a toujours quelqu'un pour vous aider. Les gens impliqués se révèlent en fait bienveillants, bien intentionnés. Ceux qui moulinent dans le vide, il est prudent de les laisser tournicoter comme des moulins à vent et de ne pas s'en inquiéter, leur vent fou finira bien par se calmer. Il tapotait sur sa tablette un ordre du jour pour cet après-midi. Il s'efforçait toujours de prévoir un enchaînement logique de ses interventions et gardait son aide-mémoire à portée de vue pour retrouver le sens de son discours lorsque les réactions les avaient portés sur d'autres rives voisines. L'expérience lui avait fait comprendre que ce qui est prévu est de peu d'importance, qu'il se révélait productif de laisser jouer les émotions et les envies de chacun. Le moment se présentait toujours de revenir à l'objectif.
Ils s'étaient tous retrouvés, ils s'étaient salués. Les voilà formant le cercle de discussion.
Le pro présentait le DTN, que tout le monde connaissait en fait, à l'exception de Pierrick qui avait un temps de retard mais ne s'en offusquait pas. Il était heureux de constater l'organisation qui était mise en place.
- Bravo Alphonse, tu es retombé sur tes pattes, tu a mis en place un nouvel équilibre. Peux-tu nous tracer les nouvelles caractéristiques de ton état d'esprit ?
- Oui, j'ai été bousculé, c'est sûr. J'ai eu la chance de retrouver ici le soutien des mes amis et de mon pro. Ils avaient confiance en moi. Ils ne posaient pas de questions. Ils étaient juste là dans une vie ordinaire d'attention et d'affection. Entre le vent de la tempête qui m'avait bousculé et la force tranquille de la marée amicale, j'ai du trouver quelque chose de subtil, une sorte de distanciation par rapport à mes ambitions, par rapport à mes illusions. Je vous remercie sincèrement de votre présence auprès de moi.
Chacun y allait de son ressenti, de son couplet enchanté. Tous s'unissaient dans une alliance déjà établie.
- Alphonse, puisque nous sommes désormais dans une approche plus légère, plus facile, puisque nous sommes d'accord sur des objectifs et les méthodes pour tenter d'y parvenir, je crois que nous pouvons reprendre une collaboration plus précise. Je suis convaincu que tout redevient possible et que les difficultés seront des occasions de progrès.
Le contrat était rebâti, le coaching remis sur le plan de travail. L'avenir ouvrait les portes de l'excellence.

Round 40/46 écrit le samedi 18 avril 2015

306 mots | 1985 signes

Encore un top 5, les deux compères se tapaient les poignets selon leur habitude, le rituel de la satisfaction, du plaisir, ces petites attentions qui sécurisent l'édifice.
Dès le retour d'Alphonse du bureau d'enregistrement des scores, Pierrick l'accompagna encore à la voiture puis posa le sac.
- Alphonse, bonne continuation, voilà pour moi j'arrête comme convenu.
- Allez Pierrick, viens boire un pot. Nous avons fait du bon boulot ensemble.
Enfoncés dans les canapés cosy du club-house ils sirotaient tranquillement leur demi. Le temps était venu d'un nouveau changement. L'un comme l'autre étalaient des regards errant dans le vague.
- Alphonse, je suis fier d'avoir pu mener ce bout de chemin avec toi. Merci de ta confiance.
- Pierrick, je suis tellement heureux de notre collaboration. Un tremolo imperceptible remuait la voix. Une émotion lui chatouillait le fonds des entrailles. Il était totalement présent à ce moment si important.
Tous deux vibraient d'un rythme lent. Une paix intérieure les habitait malgré l'échéance qui les abattaient.
La vie n'est qu'une succession de partages et de séparations. L'unité prends corps dans l'union. L'autonomie exige des sacrifices. Pierrick en était là aussi. Il avait désormais besoin de reprendre une nouvelle autonomie. Il réintégrait sa boite d'informatique. Il prenait de la distance pour s'adonner à de nouvelles créations. Il sentait l'espoir se concrétiser tout comme il laissait partir ces bons moments de camaraderie.
Alphonse devait trouver une nouvelle collaboration. Il était cependant en paix. Leur cheminement l'avait forgé. La mise en application rendue concrète des principes de comportements que Nana lui avait fait jouer et retourner en tous sens les avaient incrustés dans son fonctionnement interne. Les aléas n'étaient plus qu'épiphénomènes qu'il surmonterait bien posé sur la vague de fonds calme et puissante qui le portait pour toujours.

Round 41/46 écrit le lundi 20 avril 2015

414 mots | 2511 signes

Tenir bon, voilà ce qu'il convenait de faire, il fallait s'y accrocher, il avait suffisamment de caractère, non !
Alors il s'enracinait dans sa volonté de parvenir. Il suait sang et eau, jusqu'au bout, avec persévérance, avec ténacité. Le chêne resterait debout au delà de la tempête. Pourtant on sait bien que non, la lutte à tout prix, la résistance au bout de ses forces, et voilà pas qu'un jour tout s'arrache, tout s'écroule. Le chêne se retrouve brisé, le ponton se retrouve emporté, le prétentieux se retrouve abattu, en burn-out comme on dit pour qualifier un état d'inconscience.
Sur son parcours il aurait pu admirer les futaies qui s'élevaient au ciel, il aurait pu y apercevoir ces oiseaux qui virevoltaient d'aise, il aurait pu entendre le bruissement de la brise dans les feuilles, il aurait pu écouter le chant rugueux des mouettes, mais non, il était tout à la tâche. Il se noyait dans sa détresse.
Il maudissait la chance qui le désertait, il grognait contre chaque épiphénomène, contre lui-même. Il était incapable qu'il disait, il se sentait décidément bien nul, mais il s'entêtait sur sa pente glissante, sur son talus rocheux, parsemé des embûches qu'il s'inventait à chaque instant.
Le temps passait, les trous s'enfilaient, il tissait son étendard perméable au moindre aléa. La frustration le rongeait. Il y avait bien longtemps que la lucidité lui avait échappé. Incapable de voir, de prendre conscience, de raisonner, d'accepter l'échec et de décider enfin de changer pour au moins tenter autre chose. Non, il mijotait à petit feux depuis trois heures et la marmite bouillonnait désormais.
Un départ délicat, les spectateurs s'y étaient agglutinés pour voir la maîtrise du golfeur ou pour guetter son effondrement.
La balle est plantée sur le tee. L'alignement est pris. En place sur son stance il se dit à nouveau qu'il ne faut pas rater celle là. Bien crispé, cela ne tourne pas, le club revient dans la balle et les poignets se retiennent, l'effet lifté souhaité se transforme en un léger fade, pas bien grave ailleurs, mais là le plan d'eau l'attend, l'obstacle est bien présent.
Il explose, les attaches de la marmite ont cédées, il grogne un peu fort et lance le driver dans le rough. Les arbitres sont là, attentifs et médusés. Un comportement inadmissible. Disqualifié. La sentence est tombée.
Alphonse peut s'en aller. Il a mis fin à son calvaire. Pourra-t-il en être pardonné ?

Round 42/46 écrit le mardi 21 avril 2015

321 mots | 2090 signes

Alphonse, au fonds du trou, en pleine détresse, cherchait et cherchait encore. Décidément, le sol se dérobait, il sombrait dans l’abîme de l'incompréhension. Ses mouvements, ses dérobades instinctives le portaient à boire encore une bière dont le goût amer ne satisfaisait aucun manque.
Rien de tangible, rien ne se manifestait dans ses méninges qui puisse lui offrir un barreau sur lequel reprendre appui, un embryon d'échelle sur laquelle déjà grimper une marche ou deux.
Devant ses photos de jeunesse, de ses compétitions où le menait ses parents dévoués qui croient toujours en lui, il ne pigeait pas comment ses plaisirs instinctifs avaient bien pu foutre leur camp.
La Biarritz cup, le lieu estival de rencontre, combien d'éditions l'avaient forgé, aguerri le mental, enrichi l'implication.
La victoire, plus fort que l'adversaire fragilisé par l'enjeu, le secret n'était-il pas dans cette distance, dans ce recul décalé en regard du moment à jouer.
Ses parents lui avaient montré depuis toujours, leur sourire bienveillant l'avait souvent accepté avec ses erreurs, avec ces transgressions. Jamais ils ne s'énervaient, juste parfois un ton qui prenait de la fermeté au bout d'un agacement accumulé.
La clef, la voilà la clef, se détacher, laisser les choses se faire, se donner le temps de mûrir les choix initiés. Lâcher prise qu'ils disaient les coachs. Adopter une attitude bien définie pour rester lucide, analyser d'un œil neutre, s'engager avec courage, et s'y tenir. Tenir bon pour lâcher prise, bizarre non !
En fait, rester conscient de chaque chose qui intervient, ressentir les émotions sans les laisser exploser et dominer la sérénité, la paix, le plaisir. Quelque attitude constructive, positive, pour maîtriser son monde intérieur. La clef était bien là. L'exemple donné depuis longtemps resurgissait enfin. Il réalisait qu'il pouvait le faire aisément, en profitant du recul sur les événements et en en profitant goulûment avec une satisfaction perpétuelle qui entretiendrait sa confiance.

Round 43/46 écrit le mercredi 22 avril 2015

585 mots | 3609 signes

Alphonse se trémoussait dans son lit. A force de travail de lâcher prise et de relâchement, son esprit réveillait des émotions oubliées. Des sourires lui venaient au visage. Il croyait ouvrir les yeux sur des moments joyeux. Il court dans le jardin, attrape le ballon, son père l'enlace au passage, ils rient comme des gamins.
Il ne souvenait plus de ça, de ces parties irréfléchies, de leurs ébats dans la nature. Il entendait à nouveau le froissement des feuilles repoussées par les oiseaux au milieu de leurs cris enivrants. Les pépiements des petits dans le nid invisible caché au creux des rameaux. Son père lui disait "écoute" et il levait le doigt pour montrer que le ciel regorgeait de ces chaudes manifestations de la vie.
Puis la sueur le reprenait, elle l'enveloppait de son odeur acide, il se réveillait trempé et bouillant. Oui, ce qui lui était resté était cette douleur au ventre, cet affreux mal de crâne lorsque sa mère lui avait appris la triste nouvelle. Elle poussait avec force quelque souffle venant de son cœur, traversant à force sa gorge pour lui délivrer l’innommable, l'accident tragique. A l'impossible nul n'est tenu mais l'impossible lui avait asséné le coup de grâce.
Son père était mort. Un départ imprévisible, une embardée et ce fourgon absurde qui file et le percute jusqu'à l'envoyer dans le marais. Désarticulé, sa mère lui avait dit qu'il ne pourrait pas le voir. En revenant de sa balade à vélo, il longeait le chemin littoral, il sortait derrière la haie, il n'avait sans doute eu aucun signe d'alerte, il avait traversé la route pour rejoindre la voie du retour à la maison si proche. Et un bruit infernal, le craquement des os, le vol plané du pantin, la chute sur la terre molle et humide. Et voilà, c'était la fin. Les secours sont arrivés pour constater le désastre.
Depuis ce temps là, le deuil insupportable l'avait fait dresser des carapaces. Il en avait tout oublié. Le bon temps n'existait plus. Il l'avait ensilé sous des couches épaisses et dures.
Et maintenant, le travail de deuil se réouvrait. Il se souvenait des instants de vie. Il laissait revenir les joies. Il avait sans doute accepté enfin la séparation physique. Il remplaçait petit à petit les dures protections par les émotions heureuses. Impuissant, il avait été si longtemps impuissant à trouver la résilience, et désormais la résilience l'effleurait, le pénétrait, venait dissoudre ses arcs tendus d'une résistance inutile. Il comprenait cette inutilité à se battre contre les réalités. Il comprenait l'ineptie à toujours vouloir maîtriser les états d'âme.
Non, les états d'âme avaient besoin de l'expression émotionnelle. Il était libre de la manifester. Il n'avait plus peur de paraître faible. Juste il comprenait enfin qu'il suffisait d'être vrai pour que la souffrance se dissolve tranquillement. Il lâchait les amarres, son navire reprenait le vent et les courants de la vie. Il pouvait relever la tête. Son père, il ne l’oublierait plus jamais. Il ne le cacherait plus jamais derrière un quelconque paravent. Il s'appuierait sur son amour indéfectible, sur sa patience interminable, sur sa présence discrète auprès de lui dans ses jeux d'enfant.
Soulagé, c'était simple, les épreuves et les attentions l'avaient soulagé de son fardeau si lourd à porter, l'oubli qui le faisait crouler, l'isolement qui le faisait se distinguer. Désormais il saurait être un homme sensible, un homme solide, un homme valeureux. Il l'était en fait, déjà, comme son père.

Round 44/46 écrit le jeudi 23 avril 2015

527 mots | 3245 signes

Sa démarche était heurtée, un pas puis l'autre qui avait du mal à venir et finissait par la rattraper pour rétablir un équilibre saccadé. Elle extériorisait un agacement nouveau. Les tempes la chatouillaient, quelque chose pétillait là dedans.
-Je suis là. La porte s'était refermée sans qu'elle puisse ralentir complètement sa volée.
Pas un ouragan, non, seule une petite brise qui la poussait hors de ses gonds. Alphonse s'était comporté comme d'habitude, juste attentionné, juste attentif, il resterait toujours aussi distant, jamais il ne manifesterait d'élan pour elle. Fatiguée, déçue, agacée oui, son cœur lui réclamait autre chose. Il battait différemment ce soir, une chamade le bousculait, il avait beau changer de rythme à son approche, lui ne changerait décidément pas.
Dix neuf printemps qu'elle avait ce soir, sa réserve coutumière était submergée par une pulsion, une poussée intérieure qui prenait vie toute seule, sans alerter, la force s'était amplifiée sans qu'elle la sente vraiment venir.
-Décidément, tu ne vois jamais rien. Allez, salut.
Le texto toucha son but. Alphonse sursauta à sa lecture. Quoi donc ? Il tombait des nues. Son amie de toujours lui en voulait. Elle voulait quelque chose qu'il n'avait pas ressenti.
-Désolé si j'ai pu te blesser. Je ne suis qu'un misérable.
Nana rageait. Quel imbécile ! Elle descendit à table avec une mine si triste que ses parents n'eurent pas la courage de l'interpeller. Ils patientaient, ils réagissaient toujours avec les bons comportements, le ton juste.
-Je grandis ce soir, je suis tellement fière de vous avoir, vous. Pourtant, il m'arrive des émotions que je ne maîtrise pas. Je suis comme emportée par la vie, je ne contrôle plus rien. Oui, je sais, vous m'avez appris que parfois il fallait se faire tout petit devant l'imprévu. Mais là, ça me fait bizarre.
-Nana, tu es magnifique. 19 ans, te voilà dans l'énergie féminine qui se développe et t'enveloppe des ailes du désir. Les garçons finissent par le ressentir aussi.
-Ah. Lui ne sent rien. Il reste le même gamin infantile.
-Tu éprouves ces sentiments amoureux. C'est beau.
Nana s'était livrée. Cela calmait un peu sa fougue.
-Nana, tu m'en veux, je pense à toi. Bon anniversaire.
Encore un texto qui tombait à plat. Elle le trouvait ridicule. Il n'y comprenait vraiment rien. Il n'avait qu'à venir lui chanter une romance. Il n'avait donc aucune imagination.
Elle était complètement fumasse. Allongée sur son lit, son livre était transparent. Elle était incapable de se concentrer. Ses idées tournaient en rond et l'empêchaient de raisonner.
Toc. Toc. De petits bruits sur son carreau. Elle se relève, s'approche de la fenêtre. Toc, encore un. Alphonse lui lançait de petits graviers à sa fenêtre faiblement éclairée.
Son cœur s'emporta, elle descendit en trombe les escaliers, sortit en coup de vent devant ses parents paisibles. Elle se jeta dans ses bras. Ils s'enlacèrent sans rien dire. Elle sentait la chaleur de son souffle. Il résonnait à ses émois. La soirée les unit pour de bon. Il la raccompagna enfin. Elle était comblée. Le grand amour s'était engagé.

Round 45/46 écrit le vendredi 24 avril 2015

271 mots | 1713 signes

Nana exultait. Les parcours de reconnaissance les unissait dans la pratique. Elle se sentait bien.
Avec minutie ils arpentaient les fairways et les roughs à la recherche des particularités du parcours, des difficultés qu'il aurait à déjouer. Ils ressentaient les dénivelés et les pentes comme le roulement des greens et pré-greens. Ils étaient bien ensemble. Tous les deux s'offraient un répit hebdomadaire en se baladant ainsi.
Deux facettes se complétaient. Le relevé de tous les indices qui seraient utiles lors de la compétition, le recueil de toutes les informations indispensables pour chasser les doutes, conforter la confiance, clarifier l'inconnu. Le plaisir de parcourir le terrain, d'admirer les paysages, de flairer l'air et la brise.
Ensuite, elle s'éloignait, le laissait libre de ses esprits pour la compétition. Elle veillait à ne pas l'influencer, le distraire de ses objectifs, le provoquer avec une présence inquisitrice. Ses états d'âme le regardait lui en ces moments délicats. Il était autonome, assez grand pour se sortir des impasses éventuelles.
Elle ne le voyait que plus tard après que le parcours se soit terminé. Elle lui sautait toujours dans les bras, toujours aussi enthousiaste de le revoir. Il la serrait à chaque fois trop fort mais elle était vraiment trop heureuse de le sentir, même étouffée elle criait son amour pour lui par les battements de son cœur, par les frissons qui la parcouraient.
L'union se révélait parfaite. Il réussissait. Son jeu lui plaisait. Les difficultés l'intéressait. Il jouait. Le sport sur le terrain. La vie en privé. Il n'y avait rien à demander, tout était là. C'était devenu si simple.

Round 46/46 écrit le samedi 25 avril 2015

499 mots | 3022 signes

Alphonse en tremblait intérieurement. Les trois premiers tours s'étaient déroulés sans anicroche. Il se retrouvait troisième du tournoi, la position d'outsider qu'il appréciait. Le quatrième tour s'était révélé ardu. Les balles ne rentraient pas, le grand jeu était correct mais les sensations de plaisir n'y étaient pas. Heureusement qu'il en avait été de même pour les deux premiers, même pire pour eux, la pression.
Il était quand même à l'aise avec ce résultat qui l'emmenait en play-off. A trois joueurs au départ du 18.
Il était là sans être connecté, allez savoir pourquoi. Il avait connu ça trop longtemps auparavant. Quelque chose se passait. Les ondes lui étaient défavorables. Ce qui devait arriver arriva. Il perdit aussitôt. Un drive un peu mou. Une attaque de green foirée avec la balle qui termine dans le bunker de gauche. Une sortie sur du sable humide qui envoya la balle juste sur le green. Un long putt décidément trop court et cette foutue virgule pour l'éliminer.
Penaud, il sortait penaud du recording. Il cherchait Nana des yeux. Il la cherchait partout. Pas là ! Bizarre, elle était toujours là pour lui remonter le moral lorsque ça n'allait pas, ou, plus souvent, pour partager sa joie d'avoir ressenti la partie. Aujourd'hui, non, rien de tout ça. Alors, on serre quelques pognes, on montre un visage serein pendant qu'à l'intérieur les forces s'épuisent.
Retour à l'hôtel. -Nana ? Rien, pas de réponse. Il s'inquiète. Il tourne dans la chambre. Il descend à l'accueil pour s'informer d'un éventuel message. -Oui Monsieur, votre compagne a laissé un mot.
Il décachette l'enveloppe aux armes de la ville. Il sent encore son parfum laissé malencontreusement par ses doigts délicats sur le papier rosâtre qui a reçu la pression de son stylo à encre, cette encre bleue qui est si claire.
-Je ne sais pas t'expliquer Alphonse. Mais je sais qu'il faut que je m'en aille. Désolée. Ce recul m'est nécessaire.
C'est vrai, elle m'a embrassé tendrement ce matin, peut-être un peu plus qu' à l'habitude. Cela ne m'a pas marqué. Je n'ai encore rien ressenti. Et pourtant c'est peut-être bien cela qui a influé sur mon état dans le jeu.
Alphonse se retrouve devant l'épreuve. La mère de Nana lui dira qu'elle ne sait rien, que Nana est partie à l'étranger, qu'il lui faut l'accepter, que peut-être elle reviendra.
Alphonse est bien obligé d'accepter cette réponse. Elisabeth est bien trop proche de Nana pour n'en savoir pas plus, mais elle est honnête et fidèle, toutes qualités qu'il retrouvait dans sa fille.
Mais là, fidèle, Nana ne l'était pas. Comment pourrait-il s'en sortir ? Encore un bout de chemin à faire. Il se repliait sur lui-même, mais il savait qu'il avait désormais des atouts solides. Il lui faudrait se reconstruire encore, il lui faudrait se développer encore, il avait l'espoir, la confiance en ses moyens et il savait que Nana était celle qu'il aimerait toute la vie.