La poupée, contemporain par Geovane

Campagne commencée le mardi 10 mars 2015

Rounds Mots Signes Temps
4/29 6387 39247 00:00:00

Round 1/29 écrit le mardi 10 mars 2015

1116 mots | 6577 signes

Chapitre 1 : Adieux Katharina

Ce matin, réveillé depuis une heure déjà, je tourne en rond dans ce lit qui est devenu bien trop petit. Je la regarde dormir. Que dire de ses cheveux, longs, blonds, toujours impeccables ? Que reprocher à sa taille fine qu’elle sait mettre en valeur sous des nuisettes toutes plus sexy les unes que les autres ? Katarina est bulgare. Venue en France pour y être mannequin, elle a tenu toutes ses promesses. De pauses lancinantes en sourires provocateurs, Kat est devenue l’égérie d’un très célèbre parfum Mais elle ne se contente pas d’être belle. Avant de venir dans notre beau pays, elle était étudiante en fac de médecine. Elle aime Shakespeare, Rimbaud, et Khristo Botev, un poète bulgare dont j’ignorais l’existence jusqu’à ce que je la rencontre. Mais voilà, Kat a un énorme défaut, du genre rédhibitoire, elle prononce par plus de trois fois le mot « mariage » chaque semaine. Et malgré toutes ses qualités, je ne souhaite absolument pas l’épouser. Attention, je ne suis pas contre l’idée de m’épanouir un jour au sein d’une famille, mais je ne pense pas que ma conquête soit à la hauteur de mes espérances, pour ce qui est de mes ambitions d’avenir tout du moins. Pour le dire plus simplement, je pense être mieux qu’elle, et je mérite certainement de trouver quelqu’un d’autre qu’un mannequin, fille d’agriculteurs qui finira un jour par retomber dans l’anonymat. Cela peut paraître un peu prétentieux, mais voilà, Père le disait souvent, nous n’avons qu’une seule vie, et j’entends faire la mienne avec quelqu’un qui m’arrive à la cheville, ou finir seul ! Le coude contre l’oreiller, tête posée sur la main, je la regarde se réveiller de mes yeux marron qu’elle dit profond. À force de la fixer, il me semble la voir disparaître, et cette impression me procure un sentiment de satisfaction. Elle se réveille toujours aux premières lueurs du jour. Kat a une horloge interne réglée à la minute. Au moins une chose qui va me manquer chez elle, je vais devoir penser à me racheter un réveil. Elle me regarde à son tour. « Bonjour ! », me dit-elle en souriant. «Comme tu es mignon de me regarder dormir ! » Je lui lance juste un bonjour et l’embrasse du bout des lèvres avant de filer sous la douche. Au petit déjeuner, comme à son habitude, Kat ne fait que parler. Parler pour ne rien dire. Je lis le journal, du moins j’essaie, accoudé au bar blanc qui sépare ma cuisine du salon, salle à manger. Dans mon appartement tout est blanc ou bleu, gris. Le carrelage est bleu clair, les murs sobres sont peints en blanc. Le canapé d’angle en cuir, la table basse, la cuisine et le meuble dans le fond de la pièce où végètent quelques plantes sont blancs eux aussi. Seule ma table de salle à manger en verre et fer forgé peint en argenté, et aux chaises assorties échappe à ma passion pour la pureté. Quelques cadres offerts par ma mère ornent tout de même les murs, le portrait d’une femme triste, un village dans le fond d’une vallée et quelques œuvres abstraites de courbes et de cercles bleu, blanc, gris. Les paroles de Kat me montent à la tête, je sens se remplir doucement la coupe et la goutte qui va la faire déborder est proche de tomber. Je l’imagine la valise à la main, passant la porte avec un « Connard » en guise d’adieux, un mot français qu’elle prononce parfaitement lorsqu’elle est en colère. Je frotte mes cheveux bruns pour les remettre sur le devant. C’est un geste qui m’aide à me concentrer. Ma plus grande qualité est de ne pas être lâche, alors comme je me sens décliner, je lance les hostilités avec finesse en rebondissant sur une question de vie quotidienne — Tu n’as pas racheté de beurre allégé ? me demande-t-elle. — C’est fini, lui lâché-je brutalement. — Oui, je sais qu’il est fini ! C’est pour cela que je te demande si tu en as racheté ! — Je parlais de nous Kat, dis-je en la regardant avec sérieux alors que je viens de tourner la dernière page du journal. Je pause mes lunettes Calvin K. au lourd contour noir Elle me fixe dubitative. C’est vrai que je n’ai pas choisit le meilleur moment. — C’est une plaisanterie ? me demande-t-elle perdue. — Je ne trouve pas ça drôle, et j’avoue être un peu expéditif. Mais tu me connais c’est dans mon caractère. La bonne de ma mère a raison, j’ai une tendance au sadisme, pour preuve, je trouve un certain plaisir à la quitter comme je le fais. — Kakvo snatsi tova ? — Tu as très bien compris ce que ça signifie. Nous deux c’est terminé ! Nous n’avons plus rien à faire ensemble. — Et tu me dis cela entre le café et le beurre allégé ? — Je voulais le faire au réveil, mais j’avais peur d’être brutal. Il serait bon que tu vides les lieux rapidement, pour notre bien à tous les deux. — Tu me jettes comme une merde, dit-elle en furie. — Pas vraiment, de toute façon, tu n’avais pas vraiment emménagé avec moi, continué-je sur un ton neutre. Elle me fixe avec des yeux noirs de colère. Je sens la gifle arriver, mais elle se ravise. Peur de perdre un de ses faux ongles, peut-être ? Elle quitte la cuisine en jurant dans sa langue. Je ne comprends pas tout, mais il me semble reconnaître le fameux mot commençant par la lettre C. Elle jette ses vêtements hors de prix dans deux valises blanches, qu’elle a ouvert devant elle. Le soleil reflète sur leurs coques en plastique, et m’aveuglent lorsque je me penche pour voir si elle a bientôt terminé. Il est huit heures et je vais devoir partir. Avant cela, j’aimerais récupérer ma clé, et être certain qu’elle ne va pas saccager l’appartement avant de le quitter définitivement, comme l’avait fait ma précédente compagne. Après un aller-retour dans la salle de bain où elle a jeté ses cosmétiques et autres objets personnels dans un vanity hors de prix qu’elle a bien du mal de fermer, elle enfile une veste en jean et des chaussures à talon. — Mon assistante viendra récupérer le reste de mes affaires ce soir ! — Bien. Elle prend ses valises, ouvre la porte et me fusille une dernière fois du regard. — Connard, lâche-t-elle. — Très classe, réponds-je en mettant mon bol de café vide dans l’évier. Elle claque la porte. Ce n’est pas comme si je ne m’y attendais pas. Elle m’aura au moins épargné la crise de larmes. Je suis heureux, cette journée commence bien !  

Round 2/29 écrit le mercredi 11 mars 2015

1662 mots | 10166 signes

Chapitre 2 : Les amis

Il est huit heures. Kat est partie depuis cinq bonnes minutes déjà. En ce mois de décembre, le froid est vivifiant ! Je fais les vingt minutes qui me séparent de mon travail à pied. Laëtitia, la secrétaire, est déjà à l’œuvre. Mon bureau est au fond du couloir, juste devant le sien. Une mouchette moderne brune se partage la décoration du mur avec une tapisserie grise pour moitié. Mon bureau est dans le même ton. Depuis cinq ans que nous nous connaissons, j’ai l’impression de voir le postérieur de ma collègue prendre quelques centimètres chaque semaine. Du genre vulgaire, elle aime les mini-jupes, son maquillage ferait pâlir de jalousie les petites femmes de Pigalle. Elle se penche sur mon bureau pour m’apporter le dossier que Big Boss lui a laissé hier soir. Son opulente poitrine envahit les trois mètres carrés où je rédige un acte qui ne peut attendre. Mon moi souffre de dégoût. Ses boucles mi-brunes, mi-blondes plongent dans mon café ! — Tiens, le boss veut que tu relises la page dix-sept, il dit que c’est pas clair ! dit-elle en faisant tourner son chewingum dans sa bouche, avec une classe qui dépasse l’entendement. — Tu peux me remettre un café s’il te plait ? lui demandé-je. — C’est déjà froid ? dit-elle surprise — Non, mais tes cheveux nage dedans, et avec tous les produits chimiques que tu mets pour qu’ils aient une allure correcte, j’ai peur de m’empoisonner. Elle rit en retroussant son nez. Mon Dieu que cette fille ressemble à Peggy la cochonne ! Mégane, juriste elle aussi au cabinet Sénasutta, fait son entrée. Ses longs cheveux bruns sont coiffés en queue de cheval haute. Ses yeux bruns sont cernés d’un maquillage noir très chic. Elle a un grain de beauté au coin des lèvres qu’elle a juste surligné avec un brillant clair. Une très belle femme, mais pas pour moi. Elle aime beaucoup Peggy, enfin Laëtitia. Je ne partagerai donc pas mes impressions avec elle. Elle enlève son long manteau noir pour dévoiler un pantalon tailleur bleu marine à rayures et une chemise blanche qu’elle porte légèrement décolleté. Je me répète, très belle, et très classe. Puis elle me salue : — Tu vas bien ? me demande-t-elle. — Ça ne pourrait pas aller mieux ! Et toi ? — Bien ! J’ai croisé Carole hier, dit-elle d’un air sous-entendu. — Il faut que je l’appelle. Ça fait plus d’une semaine que je ne l’ai pas vu, dis-je en me rendant compte qu’elle va encore me faire une scène. — Au moins. Elle n’était pas contente après toi. — Elle se vengera sur sa moitié. — En parlant de Philipe, Manu m’a dit qu’elle l’avait vue… Laëtitia nous interrompt. — Ton café, dit-elle en posant la tasse fumante sur mon bureau. — Je peux en avoir un aussi ma douce, lui demande Mégane en souriant. — Bien sûr ! dit-elle en s’exécutant. — J’adore ses fesses, s’exclame Mégane lorsque Laëtitia quitte notre champ de vision. — Ne me dis pas que c’est ton genre de fille ? lui demandé-je surpris. — Mon genre de fille c’est Manu, après je trouve Laëtitia plutôt excitante. Pour une nuit, je ne dis pas non ! — C’est fou comme dans la bouche d’une fille ces propos sont jolis. Si je m’étais permis de te sortir cela, sûr que tu m’aurais réprimandée ! — Je sais que ce n’est pas ton genre de fille. En parlant de cela, comment va Katharina ? — En… transition ! — Hm, ce mot est plein de sous-entendus. Dois-je acheter Voici demain ? — Ton café, annonçe Laëtitia en posant la tasse sur le bureau de Mégane. Pourquoi, y’a quoi dans Voici ? demande Laëtitia avec cet air intelligent qui la caractérise tant. — Le hit des tenues appropriées pour travailler, lui répondis-je. Mégane me fusille du regard. Laëtitia prit un air de volaille tombée du nid avant de retourner à son bureau, pour sûr, elle n’a pas compris l’allusion. La journée se passa sans heurts, ou presque. A dix-huit heures, je quitte le bureau et tombe nez à nez avec Carole, ma meilleure amie. Elle n’a pas l’air heureuse. — Tu aurais pu me rappeler, je t’ai laissé trois messages, s’exclame-t-elle. — Je n’ai pas eu le temps. — Le temps tu n’as qu’à le prendre. — Allez viens, je t’offre un café chez Suzanne’si. — Ça mériterait quelques macarons ! — Tu es déjà assez grosse. — Oh ! Saleté, dit-elle en me frappant. J’ai connu Carole adolescent. Contrairement à moi, ses parents sont plutôt modestes. Mes parents ne voulaient pas me scolariser dans le privé, aussi, suis-je arrivé au collège, avec ma tête d’intello et mon sac trois fois trop cher pour passer inaperçu. C’est ainsi que j’ai connu Carole. Forte en gueule, mais un très bon relationnel. C’est elle qui m’a aidé à m’intégrer. Depuis nous ne nous sommes jamais quittés. Elle est ma meilleure amie, ma sœur, celle que je n’ai jamais eu. Elle connait tout de moi, le pire comme le meilleur, et j’accepte tous ses défauts. Petite brune, cheveux au carré, des yeux marron tout ronds, un peu boulotte, mais pas vulgaire, ni laide, elle a la classe Carole. — Tu entends ce que je te dis ? me dit-elle tandis que je rêvasse à ma première soirée de célibataire… L’assistante de Katarina ! Mince . J’avais oublié qu’elle devait passer ce soir. — Je dois te laisser. J’ai quitté Kat et son assistante doit passer récupérer ses affaires. — Quoi quoi quoi ? Attends ! Mais tu ne m’avais même pas dit que tu pensais la quitter. — Parce que tu m’aurais fait la leçon. — Mais pourquoi ? — Pas celle qu’il me faut. — Et elle existe celle qu’il te faut ? Tu es incorrigible. Tu sais que tu es en train de te faire une réputation ? Tu es bientôt pire que Vlad ! Je l’embrasse sur le front. — Donne le bonjour à Philipe. — On mange ensemble demain midi ? — Pourquoi pas.

L’assistante de Kat est déjà devant la porte, avec deux énormes sacs plastiques. Elle respire la chaleur humaine. — Bonsoir, lance-t-elle en crachant des glaçons par chacun de ses orifices. — Salut, lui répondis-je espérant l’entraîner sur le terrain de la neutralité, mais son parti est pris. Cela ne fait aucun doute ! J’ouvre la porte et lui fais signe d’entrer. Elle sait ce qu’elle cherche, tout est écrit sur son Smartphone. L’endroit où se trouve les chaussures, dans quel placard est rangée sa tasse fétiche… Ses sacs remplis, elle se dirige vers la porte. Je remarque qu’elle semble avoir des difficultés sous le poids des affaires de mon ex. Je lui ouvre tout de même la porte. Le glaçon me lance le même bonsoir que tout à l’heure. — Il n’y a plus rien ? Elle secoue la tête négativement. — Salut, dis-je en refermant la porte.


Il est midi. Si je l’avais oublié, Carole, elle, s’est rappelé que l’on devait manger ensemble : — Tu as réservé où ? me demande-t-elle. — Ben… euh… — Ok, je vois. Nous descendons religieusement au petit resto en bas de l’immeuble. Par chance, il reste encore une table. — Pourquoi tu as quitté Kat, me demande-t-elle presque agressivement. — Je te l’ai dit hier soir. — Allan, ça fait bientôt vingt ans qu’on se connait, la seule fois où tu es tombé amoureux tu en avais seize. — Faut croire qu’elle m’a traumatisé dis-je ne souriant. — Tu crois ? me demande très sérieusement Carole. — Mais non ! Je ne sais pas pourquoi je ne tombe pas amoureux. Je ne peux pas l’expliquer, je ne me vois juste pas faire une vie avec ces femmes. Je m’ennuie déjà au bout d’un an. — Mais on ne fait plus une vie avec la même personne. Dix, vingt ans, le divorce, un remariage… mais toi, à ce train-là, tu n’auras jamais d’enfants ! — Tu ne songes pas finir ta vie avec Philipe ? — Ah si ! Mais nous c’est différent. Je repense à la conversation que j’ai eue avec Mégane hier. Pauvre Carole, si elle savait ce que fait Philipe de ses prétendues gardes. — Et ça se passe comment à la caserne ? lui demandé-je par politesse. — Son appart franchement ! Avec mon salaire, on pourrait s’offrir deux fois mieux. — Je te parlais du travail de ton homme. — La routine. Les accidents de voiture, les alcooliques, les petits vieux qui calanchent sur la voie publique… — Carole ! — Quoi ? Tu t’attendais à quoi ? Les médailles de bravoure, la petite musique lorsque le héros sort avec sa Fireman’mobile rouge ? Par contre sexuellement, c’est le pied de dormir tous les soirs avec un fantasme. La dame à côté de nous s’étouffe en buvant son verre d’eau. — Une mission pour Philipe, dis-je à Carole en dissimulant un sourire. — Non, mais franchement, je suis dégoûtée que tu aies quitté Katarina ! Elle me filait du maquillage gratos. — Voilà la Carole des bas quartiers ! Avec son langage à faire pâlir les cités ! Avec ce que te paie ton patron, tu n’as pas les moyens d’en acheter ? — L’argent ça part vite, et puis je ne suis pas assez payée pour ce que je fais . Attends, là, j’ai un client, une ordure ce type ! — Toujours le directeur de Diran et Dijan ? demandé-je discrètement. — Oui. Tu sais ce qu’il m’a ressorti ce matin ? Il ne comprend pas pourquoi il ne peut pas gifler sa domestique, puisqu’auparavant on fouettait bien les esclaves ! — Il t’a sorti cela ? — Texto ! — Tu vois qu’il y a pire que Vladimir, m’exclamé-je en riant. — En parlant de lui, il a gagné son procès ! — Non ! C’est du délire. Mon oncle gagne toujours et sur tous les tableaux. Il dit que ce n’est pas la chance. J’ai un doute quand même. — Quand on a un bon avocat, on peut tout faire, même tuer quelqu’un. — Tu ne crois pas que tu exagères un peu ? — Un peu… Alors, tu fais quoi ce soir ? — Rien, je profite de ma tranquillité. Les chips sur le canapé, les bières. Il y a foot ce soir. — Tu n’aimes pas le foot ! — Je n’aimais pas Katarina non plus…

Round 3/29 écrit le jeudi 12 mars 2015

901 mots | 5575 signes

Chapitre 3 : La rencontre

Quel calme ! La paix. Assis sur mon canapé, les pieds sur la table basse, je rêve devant cet horrible match du PSG vs Monaco. Les murs de mon appartement et le miroir bleu de mon carrelage créé une ambiance apaisante dans la douce lumière des spots. J’aurais pu rester des heures ainsi à rêver, si la sonnerie de mon interphone ne m’avait pas sortie de ma douce léthargie.

— C’est Jack .

— Ok, monte, lui répondis-je.

Sa voix enjouée ne me dit rien qui vaille. Qu’a-t-il encore inventé ? Jack a mon âge. C’est un enfant de la bourgeoisie lui aussi. Grand, un peu rond, les cheveux blonds, structurés ou ébouriffés, toujours impeccable, très à la mode, comme le sont ses vêtements. Jack tient un bar / discothèque très branché de Paris, le Barbapapa, où se retrouve bon nombre de jet-setters. Je l’entends monter les dernières marches comme s’il était en fuite, avant qu’il n’abatte son poing sur ma porte :

— J’ai une surprise, ouvre vite !

— Entre, c’est ouvert, réponds-je.

Il ouvre la porte, et reste à l’entrée.

— Je t’ai apporté quelque chose, dit-il en se dandinant amusé.

— Je ne suis pas d’humeur à jouer…

— Katarina ? Je sais déjà, dit-il en refermant la porte.

— Carole ?

— Non, le nombre de verres qu’elle a ingurgités hier soir au Barbapapa. Je suppose que c’est toi qui l’as quitté ? Enfin j’espère, parce que sinon, ma surprise tombe à plat.

— Gagné. J’espère que tu ne comptes pas me présenter une autre fille, je n suis pas d’humeur à rencontrer qui que ce soit.

— Ah, mais Cynthia n’est pas une fille comme les autres !

— Oh non…

Il ouvre la porte plus largement en souriant. J’imagine déjà la pauvre fille qui attend de rencontrer l’âme sœur. Bien que Cynthia sonne un peu comme un nom de travesti. Carole me dit parfois que j’ai des airs et des réflexions de gai, mais les trois pièces c’est pas mon truc, vraiment. Je le vois sortir un grand sac plastique de derrière le mûr.

— Bon sang ! J’espère que tu n’as tué personne, m’inquiété-je. Je dois appeler Carole ?

— Détends-toi mon garçon, dit-il souriant, en défaisant le plastique qui cache sa fameuse surprise.

Soudain, il se retourne en me tendant une femme artificielle, certainement en silicone, et du genre très réaliste :

— C’est une belle imitation, tu as dû la payer une fortune, lui dis-je entre la surprise et l’incrédulité.

— Je ne te le fais pas dire dit-il en explosant de rire.

— Jack, tu es un malade. Il faut te faire soigner. Que veux-tu que je fasse de cette…chose ?

— Ah ton avis ?

— Elle a des seins trop gros, difforme. Je ne te parle pas de sa taille fine comme si elle avait une guêpière trop serrée, ça jure avec les espèces de ballon qui lui serve de fesses !

— Tu es vraiment difficile.

— Non, raffiné. Enfin cette chose est égale à ce qu'elle est. Et puis tu sais bien que je peux avoir toues les filles que je veux. Alors ce machin en plastique...

— Comme je ne t’avais rien offert à ton anniversaire, je me suis dit que cette poupée ferait l’affaire. Regarde les choses en face, c’est la femme parfaite. Elle ne parle pas, toujours impeccable, elle ne grossira pas…

— J’imagine déjà la tête de mon patron au prochain gala : Paul je vous présente Cynthia, ma…que pourrait-elle être d’ailleurs ?

— Un cadeau est un cadeau, de toute façon ça ne se refuse pas, dit-il en lui faisant prendre une pause lancinante sur le canapé.

— Tu veux boire quelque chose, lui proposé-je résigné. Je suppose que ma nouvelle compagne n’a pas soif ? sondé-je en me dirigeant vers ma cuisine.

— Tu vois, encore une qualité. C’est quoi cette chose que tu bois là ?

— De la bière.

— Une bière ? Dans une canette en plus. Quelle horreur ! Mais que t’arrive-t-il… et tu regardes le foot ? Al, il faut qu’on parle !

— Vodka ?

— Da !

Je lui sers un verre, et viens prendre place à côté de mon invité-surprise.

— Vous formez un joli couple.

— N’est-ce pas ? Quoi de nouveau ? m’enquis-je.

— Pas grand-chose. Jeanne veut un enfant, lance-t-il soudain très grave.

— Oh, dis-je surpris.

— Encore une chose que Cynthia ne te demandera jamais !

— Oublie-la un instant. Tu as envie d’avoir un…enfant, toi ?

— J’aime Jeanne.

— Ce n’est pas une réponse.

— J’aime ma vie nocturne aussi, je ne me sens pas prêt à renoncer à tout cela.

— Tu lui as dit ?

— Affirmatif.

— Et ?

— Ça fait deux jours qu’elle dort chez sa mère.

— Tu aurais dû garder ton cadeau pour toi, le taquiné-je. Connaissant Jeanne, si tu ne cèdes pas…

— Je sais, mais trente-cinq ans, c’est trop jeune pour être père.

— Là, nous sommes d’accord.

Malgré le travail qui m’attendait tôt le matin, nous bûmes encore quelques verres, au point que lorsque le réveil sonne, j’ai l’impression que ma tête va exploser. Je me décide à sortir tout de même du lit. En ouvrant la porte de la chambre, je tombe sur mon fameux cadeau, surprise qui me fait d’abord sursauter. « Je t’avais oublié, toi » lui lancé-je. Encore une chose qu’elle ne me reprochera jamais. Jack avait peut-être raison finalement, me dis-je ne souriant. En retard j’attrape au vol un paquet de biscuit que je mangerai avec le café en arrivant au bureau.

Round 4/29 écrit le vendredi 13 mars 2015

2708 mots | 16929 signes

Chapitre 4 : Une petite amie encombrante

Vendredi, vingt heures. Je me fais beau. Ce soir, je sors à l’occasion d’une soirée spéciale au Barbapapa, et Jack compte sur moi. J’avais peur qu’il me demande d’emmener Cynthia, mais non. Toujours assise dans la même position, j’ai l’impression qu’elle me fixe. C’est fou ce qu’on peut faire aujourd’hui. Malgré le surréalisme de son corps, je trouve son visage fin joli. Les couleurs sont harmonieuses. La sonnette de ma porte met fin à mes réflexions.

— Tu n’as pas ta clé ? demandé-je à Carole, certain qu’il s’agissait de mon amie.

— Je l’ai perdue, répond-elle.

— Ce n’est pas possible, tu es impossible, dis-je en ouvrant la porte.

Elle m’embrasse sur la joue et me sourit en entrant.

— Mais non, reprit-elle, je te fais marcher. Elle doit être dans le fond de mon sac, mais je n’avais pas le courage de… qu’est-ce que c’est que ce truc ? dit-elle en fixant Cynthia les yeux exorbités. Ce n’est quand même pas ce que je pense ?

— C’est une poupée gonflable version grand luxe.

— Ah ben si alors, c’est bien ce que je croyais.

Elle fait le tour de ladite poupée, lentement. On dirait qu’elle a peur de la toucher, comme si Cynthia pouvait lui sauter au visage. Puis je comprends que sa peur est tout autre :

— On dirait une poule qui a trouvé un couteau, m’amusé-je en la regardant.

— Mais c’est dégoutant. Laisser traîner ton jouet comme cela, à la vue de tous. Imagine si moi je laissais traîner des godemichets sur mon canapé ?

— Ce n’est pas ce que tu crois, me justifié-je. Tu as des godemichets ?

Regard noir en guise réponse. La tête offusquée de la soudaine prude Carole me fait éclater de rire .

— C’est un cadeau de Jack.

— Un cadeau ? Quelle idée ! Quel cadeau !

— Il dit que c’est-ce qui me conviendrait le mieux en matière de femme. Plus de reproches, plus de prises de têtes…

— Il est certain que tu ne vas pas lui reprocher d’être moins bien que toi, à celle-ci.

— Et le jour où je décide de m’en débarrasser, je ne me ferai pas insulter.

— Et tu en es où avec elle ?

— Nous allions passer aux préliminaires, tu te joins à nous ?

Elle me frappe le bras en se pinçant les lèvres.

— Tu restes en tête à tête où…

— Je prends ma veste, on y va.

La soirée était sans intérêt. De jolies filles, à la recherche d’un contrat ou d’un petit ami. Dans les deux cas, le but est le même : un portefeuille bien rempli. Mes amis me trouvent cynique à leur sujet. Je ne suis pas cynique, ni misogyne. Je trouve par exemple que mon patron n’arrive pas à la cheville de sa femme. Belle, avocate renommée à la tête d‘un cabinet d‘avocats spécialisés en droit international, qu’a-t-elle pu trouver à cet homme, si ce n’est qu’il possède lui aussi son cabinet ? Cherchait-elle un égal dans son travail ? Ce n’est certainement pas sa beauté et son charme trop bien caché qui l’ont convaincu de l’épouser. "Je cherche une personne qui m’aimerait pour ce que je suis", cette phrase n’a plus de sens aujourd’hui, tout du moins à Paris. Chaque mariage présente un intérêt en tout genre. On a régressé à la différence que les parents ne se mêlent plus de l’avenir de leurs enfants. Et l’amour ? L’amour lui ne m’est plus apparu depuis la puberté, comme si devenir un homme m’avait privé de tout sentiment. L’attraction physique est ma seule passion, l’ennui c’est qu’elle trouve vite une issue. L’envie de nouveauté revient comme on change de marque de chocolat (je suis fidèle à ma marque de Vodka). Dans mon lit, je fixe le plafond. N’allez pas y chercher de réponse, je n’en ai jamais trouvé. Il faut que je me lève rapidement. Le samedi, à dix heures tapantes, Dorothée, employée par ma famille depuis mon enfance vient faire le ménage dans l’appartement que mes parents m’ont offert à la fin de mes études. Dorothée me déteste. Un jour je l’ai entendu m’appeler « le petit arrogant vaniteux ». Si elle avait été à l’école, elle n’aurait jamais fait un tel pléonasme… ni fini domestique. La sonnette retentit en même temps que la pendule de mon salon. À défaut d’être une littéraire confirmée, Dorothée est quelqu’un de ponctuel.

— Bonjour, Monsieur Allan.

— Bonjour Dorothée, j’ai laissé le linge dans le coffre de la salle de bain, je n’ai pas eu le temps de faire le tri.

— Je le ferai, dit-elle sur un ton neutre.

— J’ai également fait une tache de café sur le canapé, je n’ai pas réussi à en venir à bout…

Le canapé…La chose en plastique ! Je n’y avais même pas fait attention en me levant. Je n’ai pas le temps d’aller au bout de ma réflexion que Dorothée enchaîne déjà :

— Et où dois-je mettre Madame ? dit-elle la bouche en cul de poule, en regardant par-dessus ses lunettes.

Son visage ne montre rien mais je suis sûr que la sorcière jubile à l’intérieur devant la scène.

— Je… c’est un cadeau.

Je sens des gouttes de sueur naître sur mes tempes, et mes joues s’empourprer. Calme-toi Alan, cette gêne ce n’est pas toi ! Je me pince l’arête du nez et ferme les yeux, comme je le fais chaque fois que j’ai besoin de réfléchir, avant d’ajouter :

— Laissez cet objet sur le canapé, je m’en occuperai… m’en débarrasserai en rentrant à la maison.

Mon dieu, pourvu qu’elle n’en parle pas à ma mère ! Franchement, cette vieille peau croit vraiment que j’ai besoin de ça ? J’ai la femme que je veux rien qu’en claquant des doigts et en voyant défiler les tops model dans mon appartement, elle devrait bien s’en douter, non ?


Il est midi. Je me décide enfin à rentrer chez moi. J’espère que Dorothée est déjà partie. J’ai passé la matinée chez Suzanne’si à boire café sur café, les yeux plongés dans le journal, la tête dans mon appartement. C’est ridicule, je n’ai rien à me reprocher. Pourtant… Je colle mon oreille sur la porte. Aucun bruit. J’introduis la clé dans la serrure, et pousse un soupir de soulagement en découvrant l’absence d’être mouvant. Cynthia, enfin cet objet de plastique est toujours assis sur le canapé, toutefois sa position me semble moins subjective. Je m’assois à côté d’elle et allume la télé. J’ai du travail, mais il attendra un peu. L’alcool ingurgité hier soir ne m’aide pas à avoir les idées claires. Je finis par m’endormir devant BFM TV. La faim me réveillera autour de seize heures. De ma position initiale, je me retourne sur le dos et ouvre les yeux. Quelle horreur ! Je bondis hors de mon canapé, ne sachant plus si j’étais au musée Grévin ou à mon domicile. Dans mon sommeil, j’ai dû basculer sur les genoux de Cynthia sans m’en rendre compte. Cette poupée n’a rien d’excitant, surtout au réveil. Je me décide enfin à la changer de place. Une chaise, à côté de la fenêtre, me semble plus adaptée à mon encombrante invitée. Soudain, le téléphone sonne. C’est Carole.

— Je peux passer, me demande-t-elle ?

— Je ne bouge pas de chez moi.

Sa voix est hésitante, presque mélancolique. Je la connais par cœur, et je suis certain au moment même ou je raccroche le téléphone qu’elle a des ennuis. Carole n’habite qu’à quelques rues de chez moi, à la caserne de la Dauphine. Habiter à côté des pompiers peut avoir ses avantages en cas d’incendie ou d’accident domestique, même si je ne suis pas un inquiet de nature. La sonnette retentit. Sacrée Carole, elle a dû encore oublier sa clé. J’ouvre la porte sur sa mine déconfite.

— Salut. C’est quoi cette tête d’enterrement ? demandé-je devant ses yeux bouffis.

— Philipe me trompe.

Alléluia ! Elle a deviné toute seule. Moi qui commençais à culpabiliser.

— Ah bon ? lâché-je hypocritement. Assieds-toi. Tu veux un café ?

Elle acquiesça et prit place sur le canapé.

— Comment l’as-tu découvert ?

— Il m’a dit qu’il était de garde hier soir. Comme je devais faire des courses, je suis descendue à la caserne pour savoir s’il avait besoin de quelque chose. Je n’arrivais pas à le joindre sur son portable.

— Et ?

— Les gars m’ont dit qu’il n’était pas là. Ils m’ont baratiné un truc, mais j’ai bien senti qu’il y avait un malaise.

— Je suis désolé, Carole, dis-je en la regardant sincère. Tu ne mérites pas cela.

— Quelle femme le mériterait ?

— Tu penses aux autres toi maintenant ? tenté-je pour lui remonter le moral.

— Non, l’idée de ne pas être la seule cocue de Paris me rassure.

Son téléphone se mit à vibrer.

— C’est lui. J’ai pas envie de répondre.

— Tu veux dormir ici ?

— Si tu ne m’imposes pas de dormir avec ta nouvelle copine…

— Ma nouvelle… Ah ! Cynthia. Elle m’a fait assez honte pour la journée.

Je ne m’étendis pas sur mon épopée tantôt.

— Dorothée a changé les draps ce matin. Tu prendras mon lit. Le canapé est suffisamment confortable pour moi.

— Merci, me dit-elle la voix pleine de compassion. Tu es un véritable ami pour moi. Le seul en faite.

— Tu es aussi ma seule amie, lui dis-je en lui prenant la main avant de déposer un baiser dessus.

Elle se blottit contre moi, avant de s’inquiéter de l’absence de ma nouvelle compagne.

— Où est cette… chose ?

— Je l’ai mise sur une chaise, là, derrière.

— Tu vas en faire quoi ? me demande-t-elle en se retournant pour mieux voir la poupée.

— À vrai dire je ne me suis pas posé la question. Est-ce que tu crois que Jack serait vexé si je m’en débarrassais ?

— Attend un peu, dans quelque temps, il ne s’en souviendra même plus. Carole alla chercher Cynthia et la remit sur le canapé.

— Tu as peur qu’elle s’ennuie ? lui demandé-je.

— Non, je voulais voir comment elle était, en fait. C’est fou ce qu’ils arrivent à faire de nos jours. Tu as vu comme elle est réaliste, ça fait flipper.

Carole commence à la déshabiller.

— Qu’est-ce que tu fais ? lui demandé-je surpris.

— Je voudrais voir comment elle est en dessous.

— Tu veux que je vous laisse ?

— Ce que tu peux être coincé, s’exclame-t-elle. Je ne vais pas lui faire l’amour à ta poupée, je veux juste voir jusqu’où ils poussent le réalisme.

Carole observe sa poitrine perplexe. Pourtant je trouve ses tétons presque réels.

— Ouais, ça fait un peu tétine pour bébé, expose-t-elle.

Puis mon amie soulève sa jupe te regarde son appareil génital avec une grimace de dégoût. J’esquisse un sourire.

Après avoir parcouru le corps de Cynthia à des fins expérimentales, Carole sortit sa trousse de maquillages.

— Mais tu fais quoi à la fin ?

— Je me passe le temps pour oublier, dit-elle en commençant à remaquiller la poupée qui l’était déjà suffisamment.

Après quelques minutes, force est de constater que si Cynthia n’était pas quasi nue, on aurait pu facilement la prendre pour un transsexuelle. Cette vision nous fit rire aux éclats.

— Il y a bien longtemps qu’on n’avait pas ri comme ça toi et moi, me dit-elle.

— Il y a bien longtemps que je ne ris plus avec personne, lui répondis-je en prenant conscience de ce fait moi-même.

— Tu es sûr que tu ne nous fais pas une petite dépression ?

— Non, je m’ennuie. C’est juste que j’attends des choses qui n’arrivent pas. Si seulement je savais quoi…

— Tu veux toujours aller trop vite, constate-t-elle.

— Peut-être…

Carole démaquille Cynthia.

— Tu as vu, on peut la démaquiller complètement. Elle doit vraiment coûter une fortune. Elle est quand même plus jolie comme ça, non ?

— Oui, on a moins l’impression de l’avoir rencontré sur un trottoir, dus-je admettre.

C’est vrai que j’aurais pu la trouver belle, si elle n’avait pas ses énormes obus et sa semi-culotte de cheval.

— Quoi ? me demanda Carole en me surprenant dans ma rêverie.

— Rien, je rêve, tenté-je pour couper court, mais je connais la bête, elle ne va pas me lâcher si facilement.

— Tu la trouves trop grosse, je suis sûre !

— Je n’y peux rien, j’aime les lignes.

— Tu te rends compte que je suis loin d’être une ligne comme tu dis ! Je trouve cela insultant, s’agace-t-elle.

— Pourquoi, vous les femmes, dès qu’on parle de formes ou de kilos vous vous sentez obligées de tout ramener à vous ?

— N’importe quoi !

— Et puis je te rappelle que toi et moi n’avons aucun avenir amoureux ou marital. T’es trop chiante.

— Ah ! Là-dessus au moins nous sommes d’accord, dit-elle en riant. Bon, je vais habiller ta nouvelle conquête, si elle te dégoûte à ce point !

— Ce n’est pas ce que j’ai dit… tu vas où ?

— Chercher dans ton armoire, où veux-tu que je trouve des vêtements ?

Elle revient quelques minutes avec une de mes chemises, une cravate et un boxer. Carole remit sa robe à Cynthia, mon boxer, et agrémente la tenue de ma chemise et de la cravate avec laquelle elle lui entoure la taille. Puis, elle lui attache les cheveux en un chignon.

— Si tu veux que je t’achète une Barbie à ton prochain anniversaire, n’hésite pas à me le dire, je galère toujours pour avoir une idée originale, lui dis-je amusé.

— Elle est pas mal quand même ! Si tu ne t’en sers pas comme…enfin tu sais bien…tu peux toujours la mettre comme déco, c’est tendance les mannequins dans les appartements !

— Ouais, mais tu sais je me lasse vite des mannequins.

— Oh, tu es ignoble. Pauvre Kat !

Carole prend un tabouret en bois de mon bar et le pose à l’angle de la fenêtre gauche, juste devant le long rideau beige, puis elle y assit Cynthia. Après s’être gratté la tête, certainement à la recherche de l’idée de génie, elle croise les jambes du mannequin, puis remis du rose à ses lèvres et un peu de fard brun sur ses pommettes et sur ses yeux, avant d’admirer son travail.

— Qu’est-ce que tu en dis ?

— Je dois avouer qu’elle me parait moins…dérangeante. C’est vrai que c’est très décoratif. Bravo ! Je n’y aurais jamais pensé. Puis quelqu’un frappe à la porte :

— Qui est-ce ? demandé-je surpris de ne pas avoir entendu l’interphone.

— Allan, c’est Philipe.

Je jette un œil interrogateur à Carole qui fixe la porte avec colère.

— Tu devrais lui parler, lui suggéré-je.

— Ouvre, dit-elle, résignée.

Je laisse rentrer Philipe, qui regarde Carole, désolé.

— Je savais que je te trouverais ici.

— Qu’est-ce que tu veux, lui demande-t-elle agressivement.

— M’expliquer ! Tu dois m’écouter Carole, tu te fais de fausses idées !

— Tu crois ? Où étais-tu hier soir ? Ou plutôt avec qui ?

— Je vais vous laisser…, dis-je en sentant bien que je n’ai pas ma place.

— Non, Allan attend, j’aimerais que tu sois témoin, me demande Philipe.

— Témoin ?

Je m’attends au pire !

— J’étais bien avec une femme hier soir, mais pas pour les raisons que tu imagines, se justifie Philipe.

— Tiens donc ? s’agace-t-elle.

Philipe sort une boîte de sa poche et se met à genoux, Seigneur ! J’espère que ce n’est pas ce que je crois. Pourtant cela lui ressemble bien.

— J’étais avec une vendeuse pour choisir ceci, dit-il en ouvrant la boîte où brillait un joli diamant serti sur un anneau en or.

Quelle originalité !

— Carole Mesteur, veux-tu devenir ma femme ?

Refuse Carole, tu mérites mieux que ce grimpeur d’échelle !

— Oui, dit-elle en lui sautant dessus.

Je m’approche pour les féliciter à contrecœur. Vous vous demandez peut-être pourquoi je ne dis rien ? C’est peut-être un peu tard pour expliquer à Carole que son couple illustrerait plutôt bien le mot tromperie. L’allez pas croire que la solidarité masculine est un prétexte à mon ignoble silence. Je ne veux pas faire de mal à Carole, du moins, je ne veux pas être celui qui lui fera du mal. Par ailleurs elle a l’air tellement heureuse qu’elle ne me croirait sans doute pas. Après des poignées de mains chaleureuses et des embrassades, les deux fiancés s’excusent.

— Sympa ta nouvelle…potiche ? me demande Philipe amusé, en regardant dans la direction de ma nouvelle… plante ?

Une avec laquelle tu ne pourras au moins pas tromper Carole !

— Merci. Bonne soirée, dis-je sans chaleur.

J’ignore à cet instant si l’imbécile de l’histoire se trouve devant ou derrière la porte.