La rébellion des animaux par David Meulemans

Campagne commencée le vendredi 6 mars 2015 et terminée le dimanche 14 juin 2015

Rounds Mots Signes Temps
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Round 1/56 écrit le samedi 7 mars 2015

515 mots | 3148 signes

L'homme est la mesure de toute chose. Si bien que la rencontre d'un lapin géant, je veux dire, un lapin anormalement géant, un lapin de plus de deux mètres, peut être de nature à effrayer, u horrifier, même si le lapin, à proprement parler, est un animale qui, dans certaines nations, est considéré comme un animal de compagnie, qu'il est donc mal vu de déguster dans sa sauce au vin, ou aux champignons, et bien sûr, ma première pensée, quand je vis ce lapin géant, alla à tous ces civets de lapins que j'avais mangés au cours de ma courte existence, et ma seconde pensée fut plus incongrue encore, puisque je me demandai s'il était possible que ce lapin puisse lire mes pensées. L'idée qu'un lapin puisse être télépathe peut surprendre, car elle implique de le croire doté d'intelligence et d'un pouvoir surnaturel, mais la rencontre de ce mammifère d'une taille anormale avait fiat céder en moi quelque chose, et le vraisemblable, le réel, le probable, l'improbable, le fantastique, le merveilleux, tout cela s'était mêlé, et mon instinct de conservation, désormais, me posait de manière lancinante cette question: et si cette bête qui t'observes de ses grands yeux découvre que tu as mangé quelques dizaines de ses congénères, il est possible qu'il se décide, par vengeance, à te manger aussi. A ce moment là, alors que la bête restait interdite, et me regardait sans me voir, une troisième pensée incongrue me vint: combien de repas pourrait-on faire avec la viande de cette bête? Il me dominait de deux ou trois têtes, mais le plus important demeurait sa corpulence: clairement il faisait trois à quatre fois mon poids. Il y en avait pour deux cents, trois cents kilos de chair. Voyant qu'il demeurait lui aussi comme interdit, je me mis à imaginer notre combat. Après tout, je pourrais peut-être le prendre de vitesse, bondir sur lui, l'amener à terre, lui faire une prise d'étrangement, et m'en sortir ainsi. Ce qui m'effrayait le plus, c'était ses dents. Des dents de lapin, sur un lapin de taille normale, c'est mignon. Mais, quand elles font trente centimètres et ressemblent à des faux, c'est moins mignon. Quant à fuir, j'écartais rapidement cette possibilité. D'un bond, la bête serait sur moi. Une dernière pensée s'imposa à moi, et m'apporta comme un détachement jamais ressenti, un détachement souverain et inouï: je n'échaffaudais ces plans que parce que j'imaginais que cette bête nourrissait quelque intention belliqueuse, mais, à vrai dire, je n'en avais nulle preuve, et concrètement, la bête ne m'avait donné aucune raison de douter de sa parfaite douceur. Après tout, rien n'imposait que son accroissement en taille ait altéré son caractère: changer de taille ne vous fait pas toujours changer d'âme. Je me souvins des câlins que ma grand-mère faisait à ses chats. Les enlaçant et frottant son nez à leurs museaux. Peut-être pourrais-je, d'un geste lent et doux, ouvrir mes bras, m'approcher, et enlacer l'animal, poser ma tête dans son coup, et par la chaleur de mon corps, diffuser dans sa poitrine un amour infini pour ma petite personne.

Round 2/56 écrit le dimanche 8 mars 2015

443 mots | 2656 signes

Il resta longtemps sans bouger face au lapin géant, qui le regardait sans le voir, immobile, sinon pour sa gueule, qui était toute occupée à grignoter des carottes, que ses petites pattes attrapaient sur un tas, portaient à sa bouche. Il finit par ressentir un fourmillement douloureux dans les jambes. Mais il n'osait pas bouger. Il s'imaginait ce qui pourrait se passer s'il faisait un mouvement. Est-ce que le lapin lui sauterait dessus, et lui arracherait la tête? La bête était à cinq pas de lui, faisait deux bons mètres. D'un seul bond, elle lui tomberait dessus, l'écraserait à terre, planterait ses dents dans son coup, et couperait tout cela comme on arrache une mauvaise herbe. Le fourmillement devient plus fort et, sans bouger la tête, il quitta des yeux la bête, pour diriger son regard vers ses mains et découvrit avec horreur que ses jambes et ses bras s'étaient couverts de fourmis - de vraies et belles fourmis, lancées à l'assaut de son corps, profitant de sa paralysie pour prendre cette citadelle. Il fut sur le point de sursauter, de crier, de hurler, mais l'idée que la bête était toujours là, le traversant du regard, le retint, et il n'en fit rien. Les picotements se firent plus vifs quand les bêtes commencèrent à passer sous sa chemise. L'idée qu'il ne puisse voir l'étendue de l'invasion, désormais dissimulée sous ses vêtements, le terrifiait et il ne parvenait à se raisonner qu'en se répétant que le danger que les fourmis, quel que fut leur nombre, demeurait moindre que ce que le lapin géant présentait. Il parvient même à une certaine forme de contentement quand il se rendit compte qu'il résistait finalement assez bien à cette torture, qu'on aurait pu imaginer insurmontable, mais qu'il supportait plutôt bien, au point qu'un léger sourire finit par se peindre sur son visage: on aurait beau tout lui fiare, tout lui infliger, il résisterait à tout, et même, plus on l'accablerait, plus il serait ferme, inflexible, pétrifié et imperturbable. Cet excès de confiance en soit le perdit. D'un seul coup, il sentit comme une pointe glacée au creux des reins: les fourmis avaient contourné sa taille et remontaient dans son dos et là, sa volonté ne suffit pas, il éternua. Le lapin redressa sa tête et fixa son regard sur lui, et il comprit que, jusqu'à présent, la bête n'avait même pas perçu son existence, mais que désormais, elle le savait là, et le surveillait et devait sans doute, pour autant que les bêtes pouvaient ébaucher des raisonnements, être en train de se demander quel sort réserver à ce curieux personnage, qui venait perturber son repas.

Round 3/56 écrit le lundi 9 mars 2015

433 mots | 2561 signes

Son regard croisa celui du lapin. Il eut alors la certitude que son existence était achevée, et qu'il ne pouvait souhaiter autre chose qu'une fin rapide et sans douleur. Un immense relâchement se fit en lui. Ses épaules tombèrent, ses bras lui semblèrent plus lourds, il inclina la tête, prêt à recevoir le coup de grâce. Puis, il attendit. Il patienta. Rien ne venait, il entr'ouvrit les yeux et vit que le lapin le regardait fixement, comme paralysé. Un murmure commença à parcourir l'arène - les spectateurs étaient, de toute évidence, déçus, contrariés. Un objet vola: un bout de bois cogna le lapin sur l'oreille qu'il tenait dressée. La bête tourna sa tête vers l'assemblée, dont s'éleva ce cri: à mort! à mort! à mort! Le lapin tourna un oeil mauvais vers notre héros, qui sentit sa fin approcher. Dans un geste d'abandon complet, il ouvrit largement les bras, ferma les yeux, et marcha vers la bête. Il avait compté en son for intérieur qu'il avait, tout au plus, trois pas, quatre pas, à parcourir, avant que la bête, soit lui saute dessus, soit le décapité d'un coup de patte, soit l'égorge d'un coup de dent. Mais rien ne vint. Il continua à avancer et finit par entrer en contact avec l'épais et chaud pelage du lapin géant. Ne pouvant plus avancer, il enlaça, autant que ses bras le purent, le large animal, et lova sa tête dans son épaule. Il sentit que le lapin à son tour enlaçait, avec douceur et tendresse. Un silence inédit se fit dans l'arène. Il sentit peu à peu comme des vibrations, des spasmes, dans ce corps de géant qu'il embrassait. Le lapin pleurait. D'abord discrètement, puis, peu à peu, il fut pris de sanglots. Quelque chose de brisa en lui, et il se mit lui aussi à pleurer de longues larmes qui venaient se perdre dans les polis soyeux du rongeur. La foule se mit à hurler et il entendit voler des objets, qui ricochaient, soit sur le sol, soit sur les oreilles du lapin, que l'animal avaient rabattues devant lui, lui offrant ainsi une protection inespérée contre tous les objets que les spectateurs furieux déversaient désormais sur eux, non plus temps dans l'espoir d'exciter la bête, que pour manifester leur déception, voire, se venger, et condamner au trépas les deux combattants, tous deux incapables de se battre, et désormais unis dans le spectacle désolant de cette étreinte contre-nature où une animal, pourtant chargé de venger l'ensemble du règne animal des vilenies que les hommes leur avaient infligées, faisait la paix avec cet ennemi immortel.

Round 4/56 écrit le mardi 10 mars 2015

348 mots | 2161 signes

La foule désormais hurlait. Singes, ânes, chiens, coqs, serpents, chevaux, vaches étaient unis dans un même tintamarre: ils avaient payé, ils voulaient du sang, et que leur avait servi leur champion Jeahn Lapin? Une dépression nerveuse, une crise de larmes aussi inattendues qu'infinie? Et l'ennemi, l'homme, était toujours debout, à sangloter lui aussi, enlaçant dans une obscène étreinte le lapin géant. Les deux corps finirent par se détacher, les deux champions se regardèrent dans les yeux, comme mus par une profonde compréhension mystique, et ils se tournèrent, main dans la main, vers la foule, présentant leur poitrail et leurs larmes à la foule furieuse. Heureusement, les gardes à l'entrée ne permettaient pas que l'on entrât dans le stade avec des objets, ou des armes, sinon une pluie d'acier se serait déjà abattue sur eux. Leur attitude stoïque et digne ne faisait qu'ajouter à l'ire des spectateurs et, sentant sans doute que les choses pouvaient prendre un tour autrement désagréable, le héron cendré qui officiait comme maître de cérémonie s'approcha des champions, de ses pas empruntés, et, après une révérence obséquieuse à destination de la foule, qui eut pour effet d'obtenir un semblant de silence, s'écria, d'une voix gouailleuse qui s'opposait à l'élégance de sa figure: mesdames et messieurs, bons citoyens de Valaria, la fourberie humaine est infinie! Voici que l'homme, ne pouvant vaincre par la force, triomphe par la perfidie! Quelle tristesse de voir ainsi tomber notre plus grand champion! Mais nous ne sommes pas dupes! Non! Ce n'est pas la fin! Non! Que cela nous serve de rappel: l'ennemi est toujours là! Il respire, il vit, il pense, il mange, il fomente ses coups, ses attaques! Que ce soit le rappel du besoin de rester toujours vigilant, de rester toujours prêt à défendre nos valeurs, nos enfants, nos vies, face à un ennemi qui n'a ni morale, ni âme, ni honneur! Mort aux hommes! Mort aux hommes! Mort aux hommes! - La foule était conquise. D'abord prudente, elle s'était comme retournée, et la voilà qui scandait: mort aux hommes! mort aux hommes! mort aux hommes!

Round 5/56 écrit le mercredi 11 mars 2015

409 mots | 2409 signes

Il se fit la réflexion que les cachots pour animaux ne différaient en rien des cachots pour êtres humains. Lui qui avait si souvent mené des prisonniers dans leur cellule, il se trouvait désormais à la place tenue et chauffée par les criminels, les assassins, les bandits, mais aussi ceux qui avaient fraudé l'hôtel des impôts, les marchands qui avaient coupé leur sucre avec du sable, les teinturiers qui avaient menti sur les teintes qu'ils employaient, et les bourgeois qui s'étaient ralliés au culte du Pan. Alors qu'on le menait à sa cellule, il jetait discrètement des regards interrogatifs sur les animaux qu'il voyait, çà et là, enchaînés aux murs. Est-ce que les bêtes étaient condamnées pour les mêmes crimes que les hommes? Est-ce qu'il y avait parmi eux des assassins? Est-ce que tuer une souris, pour un chat, était aussi grave que, pour un homme, tuer un autre homme? Le régime des lois était-il si différent ici? Il fut tiré de sa songerie par le bruit sec de métal. Entrez. Le garde les poussa, lui et le lapin, il se refusait à l'appeler Jehan, il n'était, après tout, qu'un lapin, certes, un lapin de deux bons mètres, mais un lapin. D'ailleurs, entrant dans cette cellule, il se félicita, lui, d'être de taille modeste car l'architecte de ces lieux n'avait sans doute pas pensé que ces murs enfermeraient un jour une bête si volumineuse et le lapin devait se tenir courbé pour avancer. Le lapin justement lui donna un coup d'épaule, le poussant de côté pour aller prendre possession de l'unique mobilier, une couche en pierre, sur laquelle il s'allongea, jetant un regard noir à Téo. Téo resta debout, la porte se ferma derrière lui. Et les pas du gardien disparurent dans le silence du cachot. De l'autre côté de la cellule se trouvait, assis par terre et appuyé contre le mur, un chat, dont les pattes de devant, il avait manqué de les appeler des mains, bien qu'enchaînées au mur, tenaient un curieux instrument à cordes, puis petit que le gluth traditionnel, mais plus rond et bombé. Il avait d'abord vu les yeux du chat, jaunes et perçants, puis sa mine défaite, quand il avait compris qu'il devrait désormais partager sa cellule avec deux autres hôtes. Téo regarda Jehan le lapin, qui, surpris en train d'observer Téo, se retourna sur sa couche, dans un grognement las. Le chat, pour sa part, soupira, et pinça une corde.

Round 6/56 écrit le jeudi 12 mars 2015

376 mots | 2149 signes

La voix du chat s'éléva: - Damoiseaux et et damoiselles, voici la triste histoire de ... Le lapin, sans bouger, sans se retourner, maugréa: le chat, si tu chantes, je t'étrangle avec tes chaînes. Le chat se tut, plongea son regard dans le sol, et pinça discrètement une autre corde. Téo, désormais certain que le garde était loin s'approcha de la porte. Il prit un barreau dans chaque main, et éprouva leur solidité. La porte ne bougea pas. Le couloir était sombre. Seul l'éclairait, au loin, l'escalier qui montait et par lequel ils étaient venus. Téo entreprit de faire un tour méthodique de la cellule, palpant les murs, suivant de ses doigts la frontière qui séparait chaque pierre. Il passa à un examen du sol: de la terre, bien tassée. Dans un angle, un pot pour les besoins. Enfin, sur le mur opposé à la porte, une petite ouverture laissait entrer la lumière éclatante du jour. Mais le soupirail n'était pas très large et les barreaux qui le barraient semblaient plus solides encore que ceux de la porte. Bien pire, en se dressant sur la pointe des pieds, il vit que la cellule donnait sur le vide. Ils étaient sur le côté sud du château, celui qui donnait sur la faille de Mania. Il s'adossa au mur, croisa les bras et soupira. Le chat lui sourit. Il n'y as pas d'autre issue que la porte. Et on ne passe par la porte que parce que les gardes vous emmènent, soit au juge, soit à l'arène, soit à l'exécuteur. Téo ne répondit pas. Même si Jehan n'avait pas fait montre d'une grande ardeur au combat, il semblait plus fort et plus résistant que toutes les bêtes qu'il avait croisé. Le garde avait beau être un porc massif, il ne devrait pas être invincible. La difficulté serait bien sûr de convaincre le lapin de l'aider. Puis, passé le garde, ils devrait échapper à la garnison. Enfin, seul être humain dans une ville qui compte plusieurs milliers de bêtes, il lui sera très difficile de passer inaperçu. Comment ruser? Comment obtenir sa libération? - Il s'étonna alors que le chaut fut enchaîné alors que, des trois prisonniers, il semblait être, et de loin, le plus inoffensif.

Round 7/56 écrit le vendredi 13 mars 2015

370 mots | 2120 signes

Dis, le chat, pourquoi es-tu enchaîné? Le chat sourit, pinça une corde, et s'apprêta à répondre en chanson, quand un grognement du lapin lui rappela cette règle: pas de chanson. Le chat soupira, posa son instrument au sol, s'assit en tailleur, mit ses pattes sur ses genoux et répondit: je me suis un peu débattu lors de mon arrestation et nos gardiens n'ont pas apprécié que j'use de ce droit élémentaire pourtant, qu'a toute personne, de faire mine de résister, de ne pas consentir à l'oppression. Ils se vengent, c'est tout. Tu verras qu'un des gardes a encore le groin tout balafré d'un de mes coups de griffe. J'aurais pu viser les yeux, mais, dans ma colère, je conserve toujours le discernement de ne pas aller trop loin. Enfin, cela ne change rien, me voilà enchaîné. Mais, enchaîné ou pas, c'est la même chose, il n'y a pas d'issue, sinon attendre de comparaître devant le juge. - Et sais-tu quand cela aura lieu? - cela ne devrait pas tarder. Toi qui viens de loin, tu ne connais pas la justice de Maquis, mais, ici, en raison du manque de place en prison, la justice est rapide. Je serai jugé dans deux jours tout au plus et devrais m'en sortir par quelques mois dans l'Armée de Grand Conétable. - Et qu'as-tu fait pour mériter cela? - Un crime bien innocent qui, si j'en crois la rumeur, n'est pas puni chez vous, dans la bonne ville de Lavandier, j'ai chanté une chanson dont je ne savais même pas qu'un édit l'interdisait. (silence). - Et quelle est cette chanson, qui fait trembler les prévôts et les connétables? Le chat s'éclaircit la gorge, et, prenant une voix aiguë, mais élégante et d'une douceur insoupçonnée, il chanta les premiers vers d'un air que Téo ne connaissait pas: A l'orée de temps, vivait Garama, Mère de tout ce qui est / O Garama! - le lapin sursauta, se redressa et, s'asseyant brusquement, interrompit le chat: tais-toi! Les gardes vont nous tomber dessus. Moi, je n'ai rien à voir avec vous. Je ne veux pas me retrouver dans l'Armée, pour simplement avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. Le chat prit une mine renfrognée.

Round 8/56 écrit le samedi 14 mars 2015

605 mots | 3361 signes

  • Garde, je veux avouer! s'écria Téo, avant de commencer à taper sur la grille de leur cellule. Le chat et le lapin le regardèrent avec étonnement. Le chat: attends, l'homme, qu'as-tu à avouer? Tu es juste un homme, c'est un crime suffisant. Mais Téo continuait à taper, cogner, crier. Si bien et si fort que le garde, trottant péniblement sur ses jambonneaux, vient, criant, silence, silence! Qu'est-ce qu'il y a? Dois-je vous jeter dans un cachot plus sombre, plus noir, plus oublié, et vous y abandonner? - Téo prit un air sérieux: j'avoue, je suis coupable de prosélytisme. Je suis un missionnaire de la cause humaine. C'est la vraie raison de mon séjour dans cette ville. Il montra du pouce le lapin: et lui, c'est un converti qui s'est proposé de m'aider à convertir d'autres animaux à notre cause. Les deux oreilles du lapin se dressèrent d'un coup, à en toucher le plafond. Il bondit sur Téo, mais le garde, appuyant son bâton sur la poitrine velue du rongeur, l'arrêta. Ola, mon lapin, tu ne vas pas t'en sortir ainsi. Ses yeux revinrent sur Téo. Il hésitait. Eh bien, eh bien. Je ne sais pas. Je... je... je vais voir le prévôt. Mais, l'homme, tu comprends bien que le prosélytisme est interdit, que tu vas être condamné. Je ne veux pas déranger le prévôt pour rien. Si tu me m'abuses, tu goûteras de mon bâton. - Non, c'est la seule et vraie vérité. - Il hésitait encore. Si je reviens dans un instant, tu n'auras pas changé d'idée, hein. Car si tu changes d'idées, que tu lui racontes une autre histoire, je te promets que je te ferai passer l'envie de rire. - Téo se laissa tomber à genoux, et, avec le plus grand sérieux, cria: non, c'est la vérité, je comprends la gravité de mon crime, mais je veux mourir pour ma cause, en martyr. Il regarda par en dessous le cochon et ajouta, pour faire bonne mesure: Vive l'Homme! Vive l'Homme! Le cochon, épouvanté, fit un pas en arrière, puis, une idée mauvais étincella dans son regard, il venait de comprendre qu'il avait capturé un missionnaire, et serait sans doute récompensé. Il trépigna de joie, se ressaisit: surtout, ne bougez pas! Je reviens avec le prévôt! Et il repartit, en courant sur ses pieds malhabiles. Quand ses pas furent loin, Téo se retourna: il va falloir faire vite. Le lapin l'attrape par le col et le soulève de terre, amenant son nez contre ses dents de devant - mais sais-tu que ce que l'on fait, dans cette ville, aux animaux traîtres à leur race? On les jette du haut d'une tour sur la place publique, cinq cents coudées plus bas! Mais pourquoi? Pourquoi? Es-tu fou? Et toi aussi, on va te tuer! - Téo: je ne crois pas non. - Quoi? Téo lui fit signe de le poser. Sitôt à terre, Téo remet son col d'aplomb, non, vois-tu, moi, ils chercheront à m'échanger contre des bêtes captives en mon pays. C'est juste toi qui es mal parti. L'incrédulité se lut sur la figure allongée du lapin. Il se tourna vers le chat, qui haussa les épaules: je crois que l'homme a raison, tu es le seul qui est mal parti! Le lapin leva les poings au ciel, tomba à genoux: non, non, non! - Teo attendit, puis lui mit une main sur l'épaule. - A moins que... - A moins que? - A moins que tu n'uses de ta force peu commune pour nous faire sortir d'ici. Il montra du doigt le mur extérieur. Le lapin se demanda quel était ce fou.

Round 9/56 écrit le dimanche 15 mars 2015

614 mots | 3357 signes

Téo prit le lapin par la main. Il l'amena au mur extérieur et posa sa patte sur une pierre qui sortait un peu du mur. - Vois: il faut taper là. - Le lapin retira prestement sa main. - Tu es fou! Je ne vais pas taper sur un mur. Tu me prends pour un idiot? Téo croisa les bras. - Moi, cela m'est égal. Ce n'est pas moi qui vais être balancé dans le vide sur la grande place de Maquis. Le lapin regarda le chat, qui haussa les épaules. Le lapin bougonna: perdu pour perdu. Il ramena son bras derrière lui et lança son énorme poing contre le mur de pierre. Malgré la force terrible du coup, ce ne fit d'abord qu'un petit bruit sec, suivit d'un hurlement de douleur du lapin, qui se mit à vociférer dans une langue inconnue, et de Téo et du chat. Téo calma le lapin et, lui posant la main sur l'épaule, il montra du doigt la pierre, et dit: encore. Nouveau coup, nouveau petite bruit sec. Encore! Nouveau coup, nouveau petit bruit sec, un peu de sang reste sur la pierre. Encore! Téo fait un pas de côté, tend sa main au chat, qui, un peu étonné, l'accepte. Encore! Petit bruit sec, sang sur la pierre, rien n'a bougé, vibré, changé. Téo sa campa solidement sur ses jambes, agrippa fermement la main du lapin, posa son autre main sur l'épaule du lapin: ENCORE. Le lapin prit son élan, lança son coup, et là, bruit terrible, son poing traversa le mur, et lui aussi traversa le mur, tout le mur, toutes pierres tombèrent, dans le précipice qui était de l'autre côté, et le lapin bascula en avant, et Téo partit en avant avec lui, car il le poussait pour ainsi dire, et le lapin perdit l'équilibre, et ses bras battirent l'air en vain, et il vit le vide devant lui, la faille de Mania, où toutes les pierres du mur tombaient, tombaient, et lui avec, quand il sentit une main attraper une de ses oreilles, et le retenir, ou du moins, retenir son oreille, car son corps, lui, était bien parti dans le vide, son corps retenu par son oreille, l'oreille retenue par Téo, Téo qui, bien que bien campé sur ses jambes, glissait, retenu d'une main au chat, et le chat lui-même, enchaîné au mur, qui voyait ses chaînes se tendre, et lui entrer dans les chairs, il poussa un cri. Le lapin aussi cria de douleur, car, c'est un fait peu connu, les oreilles de lapin sont très sensibles et ne sont nullement fait pour qu'on s'y agrippe. Le lapin se retourna, planta ses pattes dans le sol de la cellule, et remonta d'un bond sur le sol, chassant d'un revers la main de Téo, encore agrippée à son oreille. Le chat se mit à hurler. Téo lui fit signe de se taire, s'approcha de ses chaînes, attarpa une chaîne, mit un pied sur le mur, tira un bon coup, et la chaîne, qui n'avait sans doute jamais eu à supporter un tel poids, lâcha d'un coup. Il recommença avec la seconde chaîne. Le chat se redressa. Il portait toujours ses chaînes, mais il n'était plus attaché au mur de la cellule. Tout le mur extérieur de leur cellule s'était effondré et avait chuté dans le vide. Ils avaient devant eux la faille de Mania, avec, de l'autre côté, à plusieurs centaines de mètres, la falaise qui marquait le début du territoire des hommes. Le chat: messieurs, je vous remercie de cet effort de redécoration, mais, même si j'apprécie le grand air, il n'est pas certain que notre situation se soit nettement améliorée.

Round 10/56 écrit le lundi 16 mars 2015

555 mots | 3252 signes

Une voix surgit alors du vide, remontant le long du gouffre, pour résonner dans la cellule: voici! Et la lumière éclatante du jour, que l'effondrement du mur avait révélé, à nouveau fut obscurcie, par une immense figure, un oiseau large comme la cellule, qui se posa devant Téo. Téo agrippa l'oiseau au col, l'embrassa, puis bondit sur son col, lui. Il tira ensuite sur la chaîne qu'il tenait encore: toi, le chat, tu viens avec moi. Le chat ouvrit de grands yeux, mais un coup sec sur sa chaîne acheva de le convaincre de suivre la manoeuvre. Téo installa le chat derrière lui, lui jeta un coup d'oeil par dessus son épaule et se pencha à l'oreille de l'oiseau pour luis souffler un mot inaudible. L'oiseau, alors, laissa choir ses ailes sur le sol et tomba dans le vide, comme une pierre poussée au bord d'un précipice. Le chat, l'homme, l'oiseau avaient disparu. Le lapin, d'abord hébété; reprit vite ses esprits et se pencha dans le vide - il manqua de se faire emporter par l'oiseau, qui avait remonté la pente tel une flêche tirée vers le ciel. Il cria. Il s'époumona. Ils l'avaient abandonné! Déjà l'oiseau s'éloignait et on distintinguait sur son dos deux silhouettes penchées sur le col de la bête, les mains enfouies dans les plumes blanches. Le silence revint. Il ne servait à rien de hurler. L'homme, comme tout homme, était fourbe: il était venu chercher son chat, s'était fait enfermer, avait trouvé un idiot pour lui ouvrir une voie, s'y était jeté, rejoint par un ennemi - et quel ennemi! Un autre animal, un pigeon (littéralement un pigeon) qu'il avait sans doute dupé, ou corrompu. Et lui, le lapin, pauvre de lui, que deviendrait-il? Ce vacarme n'avait pas du passer inaperçu, et la garnison devait déjà se presser dans le grand escalier en colimaçon du cachot. Que lui feraient-ils? Sans doute le tortureraient-ils pour s'assurer qu'il ne savait rien. Et quand il serait bien lessivé, lavé, épongé, saigné, ils le jetteraient, et il rejoindra ses ancêtres, dans les limbes hantées par l'esprit de tous ces lapins que la duperie des hommes avait abusés. Il était là, à se lamenter, quand il aperçut, dans le ciel, comme une pierre qui volait vers lui - avant de sentir un grand coup de poing le frapper dans le ventre et lui couper tout souffle. Le choc avait été rude, et il avait roulé sur le sol, jusqu'à taper contre le mur. Quand , toujours allongé, toujours à demi-ensuqué, il se redressa sur un coude, il vit, illuminé par le soleil du soir, l'homme, qui était revenu, et essuyait de ses vêtements la poussière. Derrière lui, le pigeon, avec le chat toujours sur son dos. Le pigeon: je ne pourrai pas vous porter tous les trois. L'homme: alors, prends le chat et le lapin. Et toi? Eh bien moi, je prendrai la prochaine diligence. L'homme tendit la main au lapin, et l'aida à se redresser. Lapin, mon ami le pigeon t'amènera à Lavandier. Là-bas, dis que tu es l'ami de Téo Anderson. Et attends-moi. Je te rejoindrai bien vite. Dans le couloir, le bruit si caractéristique des cochons courant maladroitement leur arriva. Téo poussa le lapin sur le dos du pigeon, qui soupirait, maugréait, chougnait, mais finit par s'ébrouer et s'élancer dans le vide.

Round 11/56 écrit le mardi 17 mars 2015

545 mots | 3190 signes

L'arrivée à Lavandier fut difficile. Sitôt déposés à terre, le chat et le lapin furent entourés par la soldatesque locale. Sur les visages des gardes se lisaient la frayeur: s'ils avaient déjà vu des chats qui parlent, sans doute n'avaient-ils jamais rencontré de lapin géant et, il était bien placé pour le savoir, même à l'intérieur des frontières de la nation animale, Wynn restait un lapin d'une taille peu commune. Les soldats formaient donc un cercle, une barricade autour d'eux, hérissée de piques. Ils étaient fébriles, mais une voix, venue de derrière ce mur de côtes, de cuirs, de bouts d'amures rapiécées, les apaisa. La ligne se coupa en deux, et apparut une Dame. Car, même si nos amis les bêtes différaient en ce temps beaucoup de nous, leurs usages n'étaient pas si différentes, quand il s'agissait de distinguer le noble de l'ignoble, le riche du pauvre, et Wynn savait reconnaître une dame quand il en voyait une. La Dame ouvrit les bras et dit: Messire McCloud, vous êtes en retard! - le chat bondit du col du pigeon sur le sol, puis, posant un genou à terre, courbant l'échine, il fit, à grands renforts de mouvements de pattes, mille salutations: Dame Winckler, c'est une joie de vous retrouver. Il se redressa, la Dame lui tendit ses mains, il les prit dans ses pattes, et les baisa de sa langue rose et râpeuse. L'horreur se lut sur les visages des soldats, et Jehan ne put s'empêcher de sourire, en se disant que les porcinets encarapacés qui gardent la Tour de Maquis auraient été tout aussi horrifiés de voir cette fraternisation, cette promiscuité entre une femme et un animal - qui plus est, un chat, qui, bien qu'ils aient fourni de tous temps le gros des cabinets diplomatiques, n'en demeuraient pas moins, au sein de la nation humaine, de bellicistes, peu enclins à frayer avec l'Homme. Dame Winckler: je ne vois pas XXX. Où est-il? Un pli barrait son front, quand son regard revint sur McCloud: il avait ôté son chapeau, qu'il tenait pressé contre son coeur - Messire XXX est toujours prisonnier à Maquis. - Est-il blessé? - Non, je ne crois pas. - Eh bien, il nous reviendra plus tard. De toute évidence, elle cherchait à masquer son anxiété. - Et derrière vous, quelle est cette bête? - Je vous présente Jehan le géant, sans qui notre fuite aurait été impossible. C'est le moment que choisit le pigeon pour se dégager, et, d'un déhanchement élastique, se débarrasser du lapin dont le poids faisait ployer son dos. Jehan se retrouva sur les fesses. - Mais la Dame n'écoutait pas et coupa les présentations: Messire McCloud: le voyage a dû vous épuiser - faîtes-vous ôter ses chaînes, Wynn, mon intendant, va vous accompagner chez mon tailleur. Emmenez avec vous votre camarade. Je vous attendrai ce soir pour dîner. Vous nous ferez le récit de vos exploits, Et nous discuterons des moyens pour récupérer mon fils. Je compte sur vous. Sans attendre de réponse, elle se tourna et repartit. La ligne des soldats se reforma. Le face à face entre la garnison et les trois animaux reprit. De derrière la ligne, on toussa. Un homme grand et sec apparut, et s'adressa à McCloud: venez.

Round 12/56 écrit le mercredi 18 mars 2015

629 mots | 3724 signes

Au bout de quelques minutes, les convives s'étaient peu à peu détendus et, ici ou là, des foyers de conversation s'étaient allumés. Jehan, bien que placé à droite du chat et donc, tout près de l'invité d'honneur, ne prêtait guère d'attention aux discussions. Il se sentait engoncé dans le costume d'apparat que le tailleur lui avait confectionné en toute hâte, les larmes aux yeux à l'idée que tant de tissu puisse être utilisé pour un seul costume, costume qui, de toute évidence, ne serait pas porté plus d'une fois. Même si les animaux étaient civilisés et, depuis quelques siècles désormais, portaient vêtements, chausses et chapeaux, il demeurait évident que la variété de forme, de pelage, de plumage, de nombre de membres, imposait aux habitants des contrées de l'Ouest de porter des vêtements plus variés dans leurs formes que ceux que ce pauvre tailler devait avoir pour habitude de confectionner. Enfin. Le col grattait Jehan, ses manches le picotaient aux coudes, sa queue de lapin étaient comme tordue dans ce pantalon, et, quand il était, comme c'était présentement le cas, ses mollets étaient pincés par une broche, certes jolie, mais douloureuse. - Et vous? - On lui parlait. La Dame lui parlait. Il sortit de sa rêverie: Moi? - Oui, et vous, de quelle région des contrées de l'Ouest venez-vous? - Je viens de la prairie de Morrow. Les lapins en sont les seuls habitants, si vous me donnez une carte, je vous la montrerai, c'est très à l'ouest. - Nous avons des cartes ici, mais aucune qui détaille vos contrées. La Dame se redresse, sembla chercher du regard quelque chose derrière Jehan, qui du se baisser pour qu'elle trouvât se qu'elle cherchait. - Voilà, derrière vous, au dessus du miroir, il y a les contrées de l'ouest, sur une vieille carte. Voyez-vous? - Oui, je vois. - Alors, où est cette contrée de Morrow? - Madame, je suis embarassé: je crois que l'auteur de cette carte ne s'est jamais rendu dans ces contrées: l'échelle n'est pas bonne: toutes les contrées de l'ouest ne font pas plus du quart de sa surface alors qu'elles sont dix fois plus grandes que le duché de Lavandier. - Ah ah, et dire que le bonhomme qui nous l'a vendu m'a longuement raconté ses aventures, ses pérégrinations dans vos contrées. Quel petit voleur! - Madame, il ne faut pas trop lui en vouloir: dans les contrées de l'Ouest, il est très rare de rencontrer un homme. Rien ne vous interdit de vous y rendre, mais ce sont des territoires où la population connaît peu les hommes et il serait dangereux d'y voyager. Le silence se fit. Et, comme cela arrive souvent, plusierus conversations s'éteignirent d'un seul coup, donnant un éclat plus grand à une conversation que menait avec fougue un seigneur de Lavandier, large et gras, à la voix d'égoût et aux manières de soldat, qui frappa la table de la paume de sa main, en s'écriant, et alors, quand c'est qu'on nous sert de la viande? avant de partir d'un grand éclat de rire, qui résonna dans la salle vidée de tout bruit de conversation. Les trois convives qui s'entretenaient avec lui, comprenant que toute l'assemblée avait entendu ces derniers mots, plongèrent leur regards et leurs mines déconfites dans leurs soupes. Et le braillard jeta des regards étonné autour de lui et, après un silence gêné, maugréa, oh, je dis ce que je dis hein, c'est pas parce qu'on accepte de manger avec eux qu'on doit manger tout ce qu'ils mangent, hein. La Dame se tourna vers le convive, assis en bout de table: Messire Strougatski, je connaissais votre manque de manières, et votre manque de goût pour la diplomatie, mais votre réputation est en-deçà de vos talents réels pour la bêtise.

Round 13/56 écrit le jeudi 19 mars 2015

646 mots | 3714 signes

Dame XXX, sauf le respect que je dois à votre condition, nous sommes entre nous, je peux bien dire ce que je pense. Qu'on invite des bêtes à notre table, je comprends. Après tout, ce sont des choses qui se font, désormais. Les temps changent. Et il faut être de son temps. Mais ils sont chez nous! On ne va pas se plier à leurs manières... animales! Voyons! Dame! Personne, à cette table, n'ose vous le dire, mais c'est ce que tout le monde pense! Que nous tolérions l'existence des bêtes, soit, mais qu'elles ne viennent pas nous imposer notre manière de vitre! J'ai pas raison? J'ai pas raison? - Il cherchait du regard un appui dans l'assemblée, devenue parfaitement silencieuse, chacun étant occupé à chercher du regard, avec la plus grande minutie, quelque chose au fond de son bol de soupe. Dame XX était écarlate. D'un seul coup, elle respira. Son teint reprit une couleur plus normale et elle se leva lentement. Puis, posant ses mains à plat sur la table, elle dit, d'une voix qui semblait remonter des profondeurs: Messire XXX, vous avez insulté mes invités, et vous avez enfreint les règles de l'hospitalité. Ce faisant, vous m'avez doublement offensée. Vous avez offensé mes invités, vous m'avez offensée. Je vous provoque donc en duel pour laver mon honneur. Etant l'offensé, je vous demande réparation sur le champ, dans l'heure, et sur le lieu. - Jehan jeta un regard au chat, qui lui souffla: cela veut dire "ici". Tous les convives redréssèrent la tête, comme pris d'effroi. Le sire XXX était devenu blanc. Puis, il se ressaisit et éclata d'un grand rire. Mais, Dame XX, qui vous défendra? Si j'ai bien compris, votre fils, qui si souvent, joue de l'épée pour vous faire respecter, est prisonnier chez vos amis les animaux. Je ne vois qui aurait envie de croiser le fer avec moi? Allons allons, j'ai trop bu et donc trop parlé. Oublions cela, et reprenons ce délicieux repas! - Elle l'interrompit: Non. Offensée je suis, vengée je serai. Il m'appartient de choisir mon champion. Elle parcourut l'assemblée des yeux. Les convives, s'ils l'avaient pu, auraient tous rampé sous la table pour s'assurer de ne pas être le malheureux qui, parti pour un repas à l'oeil, se retrouvait engagé dans un combat à mort avec un personnage qui, Jehan s'en rendait compte à présent, semblait plus costaud que la moyenne: mieux bâti, plus grand - et balafré, ce qui pouvait suggérer qu'il avait déjà connu le fer et n'en avait pas peur. Il était encore à cette rêverie quand un cri le fit sursauter: Messire Jehan! - Si peu habitué à ce qu'on lui donnât du messire, Jehan eut besoin d'un instant pour comrpendre que Dame XXX s'était adressée à lui. Messire Jehan: c'est par votre faute, je crois, que mon fils n'est pas avec nous ce soir - je vous propose, pour faire oublier cette faute, de prendre sa place comme mon champion. Jehan restait interdit - c'est le chat qui se redressa et s'exclama, la tête inclinée: Dame XX, c'est un immense honneur que vous nous faites - c'est avec joie et gratitude que Messire Jehan, d'un coup, lavera votre honneur, ainsi que celui de tous les animaux, que Messire XXX, imbibé d'alcool autant que de préjugés, a terni. - Messire XXX; tira sa serviette de son col, la jeta sur la table et se leva, renversant sa chaise. - Il est hors de question que je me batte contre un animal. Ce n'est pas l'automne, et nous ne sommes pas dans un pavillon de chasse. - Dame XX reprit s'assit. Eh bien, Messire XXX, je vous savait fanfaron, mais nous en avons désormais tous la preuve, vous parlez, vous parlez, mais d'honneur, vous n'en avez pas. - Messire XXX fulminait. Soit, dit-il. Les convives se levèrent tous.

Round 14/56 écrit le vendredi 20 mars 2015

726 mots | 4434 signes

Jehan n'était pas enthousiaste à l'idée de se battre. Pouvait-il vaincre? Devait-il, par correction, feindre de perdre, par politesse? Les humains avaient l'air si compliqués, dans leurs usages, dans leur commerce quotidien. Il leur était impossible de faire simple, d'avoir des relations franches, de dire ce qu'ils ressentaient, de ressentir ce qu'ils disaient. Il se faisait ces questions alors que l'assemblée quittait la table, et, menée par des pages, s'avançait vers la grande salle de réception. Malgré sa taille imposante, Jehan n'était pas un foudre de guerre et n'aimait rien d'autre, comme tout lapin qui se respecte, que batifoler dans les champs. A vrai dire, il ne s'était jamais battu, et avait triomphé de bien des situations grâce à la peur que sa stature avait inspirée à son adversaire. Un regard jeté à la dérobée sur la face rougeaude du Sire Strougatski lui indiqua que ce bougre là ne renoncerait pas au duel et qu'il lui faudrait, pour une fois, se battre pour de vrai -ce qui lui serait d'autant plus difficile que les animaux, et ses hôtes humains devaient le savoir, ne sont guère formés au maniement des armes, et préfèrent griffes, poings et crocs pour vider leurs querelles. Le page qui menait la procession leva la main, l'assemblée s'arrêta et forma un cercle autour de Jehan et Strougatski. Dame Anderson se plaça entre les deux duellistes. - Messieurs, il m'appartient de choisir l'arme de ce duel. Elle se tourna vers Strougatski: Sire, vous êtes mon invité, je vous laisse choisir. - Jehan trouva qu'avaler sa propre salive était devenu fort difficile. - Strougatski le regardait, le jaugeant, s'interrogeant à n'en pas douter sur l'arme avec laquelle Jehan pourrait être le moins à l'aise. - L'épée. - A ces mots, Jehan poussa intérieurement un long cri de désespoir, s'imaginant se taper le front contre un mur de briques, s'arrachant ses longues oreilles: il n'avait jamais manié l'épée. Il allait se faire massacrer. C'était bien la peine d'échapper au cachot de Maquis pour finir là, loin des siens, et, qui sait?, peut-être que ces fous le mangeront après, de pèleront, le dépèceront, l’éviscéreront pour le manger en civet. Il était encore pris dans ces réflexions quand le chat se planta devant lui et lui dit: laissez le venir à vous. Il est imbibé de boissons: ses coups seront sans force, sans précision. Parez, parez, puis, quand vous verrez une ouverture, frappez! Ne frappez pas pour tuer, mais pour faire couler le sang. Le combat s'arrêtera là. Le chat vit la peur dans les yeux de Jehan. Il lui dit, comme pour le rassurer, en lui palpant son bras velu: au pire, il vous piquera un peu et nous pourrons arrêter le combat. Bon, idéalement, pour notre invitée, il faudrait gagner. Cela arrangerait le reste de notre séjour ici. Allez, courage. Il lui donna une dernière tape et s'écarta. La foule dessina un grand cercle. Un page amena à chacun une épée. Strougatski prit la sienne avec dextérité, la fit sauter d'une main à l'autre, la pesant, la souspesant, puis, fit quelques moulinets habiles. Jehan ne savait que faire de son épée, qui était plus courte que son bras. Il était encore à examiner son épée quand Strougatski bondit bruyamment sur place, claquant le talon de ses chausses sur le parquet, et prenant sa position de garde. Strogatski fit mine d'attaquer et Jehan sursauta, terrifié. Strogatski partant d'un grand rire, comme l'entière assemblée. - les lapins sont réputés pour leur lâcheté, je vois que vous êtes fidèle à votre réputation! - Strogatski fit mine de frapper à nouveau, pour effrayer Jehan - il l'astocotait, le taquinait, le moquait. Il lança un autre coup, plus large, un peu plus menaçant. Et c'est là que Jehan, comme par réflexe, fit partir son seul et unique coup: un large coup circulaire, dont nous ne saurons jamais si Strogatski eut le temps d'apprécier l'élégance et la simplicité: l'épée de Jehan, d'un seul coup puissant et bref, trancha la tête de Strougatski, qui s'éleva à la verticale, fit quelques tours sur elle-même, et retomba, dans une explosion de sang. Son corps tomba comme un chêne effondré par une tempête. L'effroi se lu sur le regard de tous les convives, dont les bouches s'ouvrèrent d'horreur. Tous les regards se tournèrent vers Dame Anderson, qui, après un instant de stupéfaction, partit d'un grand rire.

Round 15/56 écrit le samedi 28 mars 2015

632 mots | 3640 signes

  • Eh bien, votre ami n'y est pas allé de main morte! J'aimerais dire que cela servira de leçon à Messire Strougatski, mais le pauvre ne me semble plus guère en état d'apprendre quoi que ce soit. Elle regarda sur le sol le corps décapité du riche seigneur. Il est mort comme il a vécu: la tête ailleurs! - L'assemblée restait coite. Un cri s'éleva: un jeune noble, la main sur le pommeau de son épée, courait vers Jehan. Sur un signe de tête de la Dame, deux soldats arrêtèrent sa course. Messire Strogatski junior: vous êtes désormais le chef de votre maison. Si vous désirez le rester, je vous conseille de faire preuve d'un peu plus de tenu quand vous êtes invité à un événement. Ma maison va s'occuper du corps de votre père. Demain, envoyez vos gens récupérer sa dépouille. Il aura de belles funérailles, j'en suis sûr. Je ne suis pas très libre cette semaine, sauf le jour du marché - je vous conseille de faire l'enterrement ce jour-là, que je puisse y assister et pleurer comme ils e doit la disparition, survenue trop tôt, d'un de nos plus nobles héros, qui sut, sa vie durant, manier l'épée aussi bien que la plume, et dont nous garderons un souvenir ému, en pensant aux nombreux fêtes que son esprit avait égaillées. Elle se tourna vers son maître de maison: notez cela, ce sera le coeur de mon discours, lors de l'enterrement. - Messire Strougatski, il se fait tard. Mes amis, nous avons perdu l'habitude de tant d'émotions. Messire Jehan, merci pour ce spectacle. Si j'étais malicieuse, je dirais que, d'un coup d'épée, vous avez exaucé le rêve secret de plus d'un convive de ce soir... même si nul ne l'avouera à haute voix. Retirons-nous. Elle tourna les talons et partit. Les membres de l'assemblée partirent dans l'autre direction, vers l'entrée de la grande salle. Personne ne faisait attention à Jehan, si ce n'est le fils du défunt, qui, bien que retenu dans sa rage par deux soldats, jetaient de furieux regards à Jehan, qui aurait voulu disparaître, pétrifié et humilié. Finalement, deux personnes de la maison Strougatski, qui portaient les mêmes couleurs que le jeune homme, vinrent lui dire quelque chose à l'oreille. Il baissa la tête et partit aussi, non sans avoir jeté un dernier regard à Jehan. La salle était vide et silencieuse et la mare de sang que faisait le corps décapité s'étendait peu à peu, jusqu'à toucher les bottes de Jehan. Une grande claque tapa Jehan dans le dos - c'était le chat. Je crois que dans cent ans encore, votre entrée en matière sera racontée dans les dîners en ville, Jehan. Vous avez fourni là une bien belle anecdote. Quelle irruption! Bam. Le pauvre Strougatski n'a rien vu venir. Et lui qui se demandait déjà comment il allait vous empailler comme trophée! - De la point de sa botte, il poussa la tête qui était à ses pieds. - Non mais regardez sa mine horrifiée! Je me demande vraiment s'il a compris ce qui lui était arrivé. Tué par un lapin. Ce n'est que justice. Je ne voulais pas vous effrayer, mais, maintenant, je peux vous le dire, l'homme était un boucher. Il a dû tuer des centaines de nos compatriotes. Si nous parvenons à revenir à Maquis, vous serez un héros. Le lapin qui a tué Strougatski: ici on en fera une anecdote, chez nous, on a fera des odes! Il lui mit la main sur l'épaule. Demain, nous nous occuperons des conséquences de cet incident. C'est toujours ainsi: la nuit, les soldats gagnent la guerre. Et, le lendemain, les diplomates gagnent la paix. Mais ce sera demain. Reposez-vous, ce soir. Demain, nous aurons fort à faire. Jehan resta seul avec le corps.

Round 16/56 écrit le samedi 28 mars 2015

838 mots | 4976 signes

1/ Donnez lui un nom.

Où l'on propose à Jehan d'aller sauver Candice Anderson.

2/ Décrivez-la en une ligne.

Jehan a tué un homme. La mère de Candice Anderson lui propose de monnayer sa protection: une expédition diplomatique part à Maquis pour aller récupérer Candice, sa fille, qui a aidé Jehan à s'échapper. Si Jehan épaule l'expédition, il aura la protection de la maison Anderson.

3/ Écrivez-nous ce qui change dans cette scène.

C'est la scène de l'appel du héros. Jehan n'a aucune envie de retourner à Maquis, où il craint d'être condamné à mort. Mais sa situation à Lavandier est devenue précaire car il a tué en duel un noble. Il se croyait protégé par Dame Anderson, mais, en fait, il découvre qu'elle n'est pas l'amie des bêtes, mais use de cet incident à son avantage.

4/ Indiquez-nous la source de la tension, du conflit.

Jehan pensait qu'il était protégé. Ce n'est pas le cas. Il pensait que Dame Anderson était une amie des bêtes. Elle est une amie des chats, soit, mais pas des lapins.

  1. Rédigez la scène en une page.

Au matin, il s'éveilla en sursaut: au pied de son lit étaient deux pages, les bras chargés de vêtements pour lui. Depuis combien de temps étaient-ils là? Le plus âgé des deux toussa: Dame Anderson vous attend dans la salle d'audience. Voici des vêtements. - Il se redressa sur son lit. Le plus jeune des pages sursauta. Sans doute n'avait-il jamais vu un lapin de cette taille. Le plus âgé lança un regard sévère à son camarade, qui fit un précautionneux pas en avant, pour regagner sa place initiale. Jehan s'étira. A nouveau, le jeune page sursauta. Le plus âgé posa sur le lit les vêtements qu'il portait, attrapa ceux de son camarade, déposa ceux-là sur le lit. Portez-vous une culotte, messire? Jehan se leva, et l'air narquois, montra ses fesses au page, agita sa queue de lapin, montrant ainsi que toute culotte taillée pour un humain serait un peu compliquée à porter pour lui. Le page soupira. Il glissa à l'autre: va me chercher des ciseaux et du fil.

Quelques minutes plus tard, Jehan enserré dans ses plus beaux habits, suivait le page à travers les escaliers, couloirs. Le page poussa une petite porte, et ils étaient arrivés. La salle d'audience était couverte d'ors et de tableaux représentant des scènes champêtres. Jehan ne put s'empêcher de sourire en voyant un tableau où l'on voyait une élégante bergère caressant le crâne d'un petit lapin. Cela devait faire de mille ans qu'il n'existait plus de lapin de cette taille, mais, comme toujours, les hommes s'agrippent au souvenir des temps glorieux où ils étaient maîtres et possesseurs de la nature.

Devant le tableau, on avait tiré trois chaises, et des domestiques jouaient une musique comme seuls les humains savent la faire, légère, dansante, superficielle. Mais ces domestiques n'étaient pas des humains, mais des animaux. Et quels animaux! Un rhinocéros à la flûte, un héron au tambourin, et un lion au violon. Il y avait donc des animaux dans cette ville.

Messire Jehan, comment allez-vous? Dame Anderson était assise devant un secrétaire où elle était absorbée dans la rédaction d'une lettre. Elle posa sa plume, prit à deux mains la lettre achevée, le relut rapidement, souffla sur l'encre. Puis, elle plia méthodiquement la lettre, fit fondre un peu de cire rouge, et la scella. Toute contente d'elle, elle se leva. D'un grand sourire: alors, comment trouvez-vous l'air, ici? - Euh, l'air? - Oui, on me dit que les habitants de Maquis ne sont pas habitués à l'air marin. Maquis est assez haut, non? - Euh, oui, c'est sur le flanc d'une montagne. - Et alors, vous vous faîtes au climat. - Euh, oui, très bien, très bien. - Elle partit d'un grand rire. - Parfait, parfait! - je veux vraiment que vous vous sentiez bien! Elle baissa la voix, prenant un air entendu; surtout après votre exploit d'hier! - Jehan faisait passer son poids d'une patte à l'autre. - Euh oui, à ce propos, je suis désolé, je... - - Ah, mais ne vous excusez pas, ce fou de Strougatski avait perdu sa tête il y a bien longtemps. - Elle prit un air pensif. - Cela dit, cela rend les choses compliquées. (un silence). - Oui? - Non, rien. Rassurez-vous: tant que vous êtes ici, vous avez ma protection, je vous le promets. Mais tous les nobles ne le voient pas comme cela. - Je ne voulais pas... - Ah, mais je sais bien! Vous n'avez fait que vous défendre. - Le problème, c'est que tout cela nous met quand même dans l'embarras. - Oui? - Il y aurait bien une manière de se sortir de ce mauvais pas, de montrer votre parfaite bonne foi. - Oui? hésita-t-il? - Eh bien, voyez-vous, Candice est toujours captive à Maquis. Une expédition va aller payer sa rançon. Mais, si, par exemple, vous accompagniez cette expédition, et reveniez avec ma fille, cela serait du plus bel effet. Plus personne ne trouverait à redire. - Qu'en dites-vous?

Round 17/56 écrit le samedi 28 mars 2015

673 mots | 3870 signes

  • Euh, c'est à dire que, je ne vois pas très bien. Alors, bien sûr, je veux rendre service, mais, comment dire?, il y a comme un problème, euh. - Elle le regarde avec patience. - Bien , par exemple, si je pose la patte sur le territoire de Maquis, les gens du prévôt me feront arrêter. Je ne pense pas qu'ils aient apprécié que je m'échappe de leurs prisons. - Oui, c'est vrai. Je ne voudrais pas vous jeter dans la gueule du loup. Elle s'esclaffe - surtout que je crois que le maître de Maquis est un loup, non? - Euh, oui, d'ailleurs il n'est pas réputé pour son sens du pardon. - La porte grinça: le chat rentra. - Ah, mon cher ami, dit-elle: vous allez nous tirer de l'embarras! Voyez-vous, pour calmer un peu l'ardeur des patriciens et les convaincre tout à fait de l'amour que Jehan porte aux hommes, je proposais qu'il accompagne votre mission à Maquis, pour récupérer ma fille. Qu'en pensez-vous? - Cela me semble une idée à creuser? - N'est-ce pas? Mais Jehan attire, fort justement, mon attention sur les risques qu'il encourt en se rendant dans une ville où sa tête est sans doute mise à prix. - Le chat était pensif, et se triturait une longue moustache, longue comme son bras. Il claqua des doigts: j'ai une idée. Il suffit de lui obtenir un sauf-conduit diplomatique comme le mien. Comme vous le savez, le Loup Blank est très... légaliste. Il ne touchera jamais une oreille de Jehan s'il est sous protection diplomatique. - Il se tourna vers Jehan. Et puis, mon vieux, il faut bien voir que, pour vexante que soit votre évasion, vous n'êtes pas du gros gibier. Le seigneur Blank a bien d'autres chats à fouetter, si je peux me permettre. - Ah ah, s'écria Dame Anderson: un chat à fouetter, que vous êtes drôle! Vraiment, vous êtes unique! - Elle applaudit, questionnant du regard Jehan, qui, d'abord hésitant, se joint au mouvement et se met, lui aussi, de ses grosses pattes velues, à applaudir, un geste qui ne lui est guère familier, et fait autant de bruit que si l'on cognait deux coussins de velours l'un contre l'autre, à toute force. Les musiciens aussi, leurs instruments lâchés, se mirent à applaudir, et le chat, d'abord modeste, accepta de remercier son bon public par quelques courbettes, agitant son superbe chapeau dans l'habiles arabesques. Dame Anderson claqua une dernière fois ses paumes l'une contre l'autre: parfait, c'est décidé! Jehan, vous partez demain. J'ai écrit au seigneur Blank pour lui dire que je lui envoie une expédition avec pour mission de négocier la rançon de ma fille. Vous avez une journée pour vous préparer. Voyez avec mes gens si vous avez besoin de quoi que ce soit! Je vous suis tellement reconnaissante d'avoir accepté. Et puis, vous verrez, cela fera des merveilles pour votre situation, ici. Les patriciens, quand ils vous verront revenir avec ma fille, n'oseront plus évoquer la fin de ce malheureux Strougatski. Et puis, quand vous reviendrez, il sera enterré et déjà en bonne voie de décomposition. Non, vraiment, c'est parfait. Et puis, je suis sûr que vous apporterez beaucoup à la mission. Vous verrez, c'est un bel équipage, mais ils ne sont jamais, pour la plupart, rentré en territoire animal. Cela leur fera du bien de vous avoir à leurs côtés. Et puis, vous aurez messsire XXX avec vous! - Elle tendit sa main au chat, qui la saisit, et de sa petite langue, la lécha. Un gentleman et un diplomate. - Allez, allez! Tous ces préparatifs m'ont épuisée. Je dois me reposer. Le page était à nouveau aux côtés de Jehan, lui indiquant de le suivre par la grande porte. Quand la porte se referma sur Jehan, il eut juste le temps d'entrevoir le chat et la Dame se donna l'accolade, alors que la musique repartais de plus belle, et que les musiciens, concentrés sur leur musique, conservaient leurs yeux plongés dans le plancher.

Round 18/56 écrit le lundi 30 mars 2015

561 mots | 3343 signes

Au début, les cochons n'avaient guère apprécié le bon tour que Candice leur avait joué. Cela étant, ils l'avaient bien cherché. Etablir leur place forte dans une ancienne cité humaine dont, de toute évidence, les murs n'avaient pas été faits pour maintenir prisonniers des bêtes, mais de frêles humains. Après l'évasion, les cochons lui trouvèrent une cellule nouvelle - le plus éloigné possible de la falaise. Il y faisait sombre, et noir, et froid. Elle passa les premiers jours allongée, à se réciter le code des impôts de Lavandier. Puis, un jour, la porte s'ouvrit, les deux gardent entrèrent, et s'effacèrent pour laisser pénétrer une oie, parée d'or et enveloppée de soie. Dans les yeux du volatile, elle sentit un mépris infini. - Levez-vous. Vous êtes attendue. Candice suivit l'animal, et son pas chaloupé, pour aboutir dans une grande salle de garde, où un loup vautré sur son fauteuil, se faisait servir un repas. Il lui fit signe de s'asseoir face à lui et congédia l'oie. - Votre réputation vous a précédée, Dame Candice. Je ne pensais pas un jour que ma modeste table accueillerait une personne de votre rang. Je vous ai fait cuisiner mon plat préféré, pour l'occasion. Il souleva le tissu qui couvrait le plat et dévoila, horreur, un poulet cuit. Candice était horrifiée. La surprise se lut sur la figure du Seigneur Blank. Quoi? Etes-vous tant surprise que cela? Croyez-vous vraiment que les animaux soit tous végétariens? - Mais, mais, n'est-ce pas la loi? - Il planta sa fourchette dans le blanc du poulet, attrapa la cuisse et tira pour l'arracher. Chair, tendons, muscles, vaisseaux, chaque fibre claqua et lâcha l'une après l'autre. Il leva la cuisse, comme pour l'admirer. Pour qui sont faîtes les lois, sinon ceux qui les aiment? Pour nous autres, qui avons la force pour nous, la loi est peu de chose. Elle nous sert à calmer les faibles dont le nombre, parfois bien pratique, peu se révéler du plus grand embarras quand ils se rebellent. J'ai bien connu ce poulet. C'était un faussaire. Nous n'avons même pas eu à le tuer. Nous l'avons placé dans une cellule avec deux marchands qui avaient été condamnés pour avoir diffusé, à leur insu, de la fausse monnaie. Ils reconnurent l'escroc, le ruèrent de coups. Cela m'arrangeât bien car, généralement, ici, on meurt tout désséché. Il approcha de sa gueule la cuisse et la mordit voracement, la sauce éclaboussant son menton, imprégnant ses poils gris et noirs. - Cela aurait été dommage. Il parlait, il mangeait, et candice ne pouvait quitter des yeux les bouts de chair de poulet qui se trouvaient, à chaque mastication, plus petits, plus insignifiant, et souvent postillonnés au-dessus de la table. - Votre mère m'a écrit. Elle envoie une ambassade vous récupérer. C'est dommage. Je n'ai pas mangé d'humain depuis fort longtemps. Ce sera pour une prochaine fois. Une pause. Vous êtes sûre que vous ne voulez rien? Pas un petit bout? - Non, je ne mange pas de chair. - Ah! On me l'a dit: il y a des humains qui ne mangent pas les animaux. Eh bien, grand bien vous fasse. Profitez de ce luxe, tant que vos murs tiennent, que vos ambassadeurs peuvent payer vos rançons. Mais, un jour, nous viendrons vous trouver, et vos murs tomberont, et il faudra, soit nous manger, soit être mangé.

Round 19/56 écrit le mercredi 1 avril 2015

517 mots | 3127 signes

Téo et Jehan descendaient, accompagnés du page, la grande rue de Lavandier. Jehan n'avait jamais voyagé dans les terres humaines et, bien qu'il soit familier de l'architecture des hommes, après tout, Maquis était une ancienne place forte humaine, se promener dans cette rue le maintenait dans un état de fébrilité permanent. La plupart des humains les ignorait, mais, ici ou là, il percevait des regards dérobés, des coups d'oeil curieux, et des murmures. De plus, les vêtements qu'on lui avaient taillés, bien qu'ils soient à se mesure, s'avéraient un peu serrés et destinés sans l'ombre d'un doute à envelopper le corps de personnes qui n'avaient d'autre idéal que celui de ressembler à une statue. Téo, par contre, était d'une gaïté surprenante: il s'écartait du chemin, attrapait une pomme sur un étal, jouait avec, taquinait le marchand sur sa fraîcheur, la reposait, faisait des courbettes devant les dames et, plus d'une fois, fit des grimaces aux bourgeois qui le dévisageaient, leur tirant sa langue rose. Mais il finit par apercevoir le malaise de Jehan. - Qu'avez-vous, mon ami? - Je ne suis pas habitué à ces rues, à tout ces êtres humains. - On s'y fait, on s'y fait. Restez quelques semaines, et vous ne vous en rendrez plus compte. - Justement, je ne vais pas rester quelques semaines. - Ah oui. Disons que Dame Anderson, par orgueil sans doute, n'a pas avoué que votre duel avec Strougatski était une source de graves problèmes et que votre position n'est guère tenable. - Oui, mais pourquoi me renvoyer à Maquis? Je ne pense pas y être bien reçu. - Il faudra être discret, oui. Peut-être faudra-t-il ne pas trop vous montrer aux autorités, mais je pense que, si nous revenons victorieux de cette ambassade, vous serez accueilli en héros et... Il s'interrompit. Devant eux, cinq hommes barraient la rue. A leur tête, le fils Strougatski. A ses côtés, quatre géants. C'était la première fois que Jehan croisait des hommes qui avaient, à peu de chose près, sa taille. Grands, chauves, sans dent, les visages cabossés de ceux que les poings n'effrayent pas, ils se tenaient dressés, les points sur les hanches. Messire Strougatski avait l'air d'être une miniature, par comparaison. Il jetait un regard noir à Jehan. Téo mit sa patte sur la poitrine de Jehan et lui glissa: rebroussons chemin. Mais, alors, il vit que toute retraite leur était barrées par trois autres sbires, qui semblaient taillés dans le même bois que les trois premiers. Le chat soupira: si la diplomatie échoue, les badauds auront droit à un beau spectacle. - Messire Strogatski: mes condoléances! Je vous présente mes excuses: je ne pourrai me rendre à l'enterrement de monsieur votre père - je dois aller défendre l'honneur de Lavandier dans des terres lointaines. Mais soyez assuré... la gifle partit et mit fin aux sarcasmes de Téo. Une goutte de sang perla sur le nez blanc du chat, et son regard, qui était habituellement l'image même de la douceur, prit une lueur inquiétante. Il se tourna vers Jehan: mon ami, vous allez avoir l'occasion de montrer votre valeur.

Round 20/56 écrit le jeudi 2 avril 2015

543 mots | 3237 signes

Le combat fut de courte durée. Un des sbires de la maison Strougatski tenta d'attraper la queue de Jehan, mais le lapin fit un large mouvement de son bras gauche qui alla frapper sous le menton le bougre. Mais le lapin s'était de lui même déséquilibré et son poing, parti trop loin, fut attrapé par un des gros bras. Alors qu'il s'apprêtait à lui envoyer un coup de patte pour se dégager, il sentit un coup sur sa patte gauche, qui se plia, lui faisant mettre un genou à terre. Le choc de son genou avec le sol fut comme un signal et tous lui tombèrent dessus. Ils se maitenanient sur lui, l'étouffant sur leurs poids et, à intervalles réguliers, envoyaient un coup de poing dans se côtes. Il perdrait peu à peu son souffle et son visage s'enfonçait dans la boue. Jamais il n'avait été dans une situation si défavorable et l'idée qu'il put mourir là, terrassé par des idiots, dans une ville si loin des prairies de son enfance, cette idée le remplit de colère, puis, quand cette colère s'avéra insuffisante pour renverser le cours du combat, de chagrin. Déjà, il sentait qu'il peinait de plus en plus à respirer. Les coups dans ses côtés se firent plus nombreux, mais leur intensité même les rendait moins pénibles, et c'était davantage le manque d'air qui le souciait. La rue était devenue silencieuse. Il se demanda se que faisait Téo. Avait-il fui? Était-il muselé? Il sentait que ses assaillants s'épuisaient à le maintenir au sol. Mais la fatigue lui viendrait plus vite à lui qu'à eux, et bientôt, on n'entendait que leurs souffles à eux, lui, il se sentait partir. Quand une cloche retentit, avec insistante, d'abord lointaine puis proche, si proche qu'elle en devenait assourdissante. Puis, des bruits de bottes, qui vinrent se planter devant lui, lui éclaboussant le visage. Enfin, un cor sonna et ses assaillants s'agitèrent, se relevèrent s'écartèrent, les piétinant à plusieurs reprises, mais le libérant aussi. Il sentit l'air revenir dans sa gorge, dans sa poitrine, l'air lui sembla glacial. Et il rit, sentant la pluie qui lui tombait dessus, désormais qu'il n'était plus protégé du ciel par cette barrière de corps lourdauds. Quelqu'un toussa. Cette toux appartenait aux bottes qui s'étaient arrêtées devant lui. Il redressa la tête, suivit les bottes noires, la culotte noire, la ceinture noire, le fourreau noir à la taille, et un blason noir et bleu, représentant une chauve-souris. Quelle étrangeté que les hommes prennent des animaux comme emblème! Il ne viendrait jamais à l'idée d'un animal, quelle que soit sa nation, de se peindre un humain sur la poitrine!Non, il ne comprendrait jamais rien aux humains. Le visage était masqué par une épaisse barbe noire et frisée, qui, chez un animal, aurait été du plus bel effet, mais, chez un être humain, lui parut incongru. Enfin, les yeux bleus et perçants le scrutaient. - Pouvez-vous vous lever seul ou avez-vous besoin d'aide dit, d'une voix douce, la barbe noire. - Jehan posa ses pattes à plat sur le sol boueux et, repoussant la terre avec difficulté, se redressa, et finit par se relever. Ses vêtements neufs avaient été détruits, lacérés, arrachés pendant la rixe.

Round 21/56 écrit le vendredi 3 avril 2015

475 mots | 2720 signes

Jehan était assis au milieu de la boue, au milieu de la rue, au milieu d'un large attroupement de badauds: marchands, serviteurs, nobles dames - tous étaient attirés par la rixe et avaient profité du retour du calme pour s'approcher, et entendre, puis parler, murmurer, jacasser. Le brouhaha monta monta monta. L'homme à la chauve-souris brodée leva sa main ouverte vers le ciel et le silence se fit sur le champ. - Duels, combats, rixes sont proscrits dans les rues de Lavandier. - Il regarda Jehan. Puis Téo. Puis, enfin, Messire Strougatski. - Messire Strougatski, pouvez-vous me dire ce qui se passe? - Strougatski prit un air innocent. - L'homme soupira. Soit soit. Il fit signe à Jehan de se relever. Puis, il promena son regard sur les visages des sbires de Strougatski, qui regardaient avec passion le sol, comme s'ils y cherchaient une vérité ancienne et dissimulée. Vous, les brutes, vous repartez d'où vous êtes venues. - Se tournant vers Téo: quant à vous messire, je vous recommande de remonter vers le palais de Dame Anderson. - Jehan demeurait interdit. L'homme se tourna vers lui: quant à vous, notez que les combats sont proscrits dans nos rues. Ce n'est pas un champ de bataille ici. Vous pouvez peut-être tuer en légitime défense, mais si je vous surprends encore à chercher querelle à qui que ce soit, direction le cachot. Il tourna les talons. Sa petite troupe lui emboîta le pas. Jehan commença à répliquer, sans doute pour protester de son innocence. Mais Téo lui plaça la patte sur le bras, et, d'un signe de tête résigné, lui fit signe de ne rien tenter. Ils repartirent vers le palais, non sans avoir jeté un dernier coup d'oeil, au-dessus de leur épaule, à Strougatski et ses gros bras. Le jeune noble le regardait d'un air mauvais. Et, d'un mouvement du pouce, lui signifia que toute nouvelle rencontre s'achèverait avec son cou tranché. - Pressons le pas. Le prévôt ne nous sauvera pas deux fois de ces assassins. Même si la loi nous protège, ses bras manquent de muscle, et ses mots parlent plus fort que ses actes. - Enfin, je dis cela, mais c'est surtout vous, mon ami, qui êtes en délicate situation: je ne pense pas qu'ils en aient contre moi, et ils craignent trop les représailles si une seule de mes moustaches finissait raccourcie. Mais vous, vous manquez d'appuis, ici. - Je vois bien cela. - Accompagnez notre ambassade. Cela vous assurera une place. Et voyez les badauds qui se sont amusés de cette exécution. Ils aiment tous dame Candice. Si vous la ramenez, avec moi, bien sûr!, de Maquis, ils verront en vous un héros et prendront en horreur quiconque chercherait à vous nuire. - Je n'ai guère le choix, donc. - Eh non.