Round 1/90 écrit le lundi 8 février 2016
939 mots | 5869 signes | 00:01:57
Le ciel commençait à s'éclaircir sur Aberfa, indifférent à l'agitation qui l'ébranlait. La seconde cité de l'empire hallgerd grouillait comme à son habitude de marins et marchands, mais ce jour là les regards nerveux remplaçaient l'ambiance bon enfant qui leur était coutumière. Les soldats impériaux fouillaient la ville de fond en comble, malmenant sans vergogne quiconque se mettait en travers de leur chemin. Ils tiraient les habitants de leur sommeil, débarquaient dans leurs maisons, interrogeaient des familles entières hébétées. Les navires étaient maintenus à quai et soumis à une inspection rigoureuse. Aberfa avait pris des allures de fourmilière furieuse.
Au coeur de cette agitation, un chariot surmonté d'une cage roulante attendait devant un entrepôt de poissonnerie. À l'intérieur se trouvaient trois prisonniers : Varagna, Antas et Sabius. - Toi le volatile, fais venir ta bestiole. Varagna releva la tête : de l'autre côté des barreaux, nez à nez avec elle, se tenait Skog l'ancien rebelle à présent passé sous les ordres de l'Imperator - et promu capitaine pour sa trahison par-dessus le marché. Le petit homme leva un bras au bout duquel se balançait une cage à oiseau. - Alors ? J'attends. Tu crois quand même pas qu'on va laisser ton anima en liberté ? L'esprit de Varagna était embrumé par la douleur qui la lançait depuis l'épaule - résultat d'une manœuvre de Skog pour faire parler ses compagnons -, mais il lui restait assez de force pour envoyer paître son tortionnaire. Elle lui cracha au visage. Furieux, Skog fit un signe à son voisin. Celui-ci était si grand que Varagna aurait dû se démettre le cou pour apercevoir le haut de son crâne. Sans un mot, Deke plongea le bras dans la cage et attrapa Varagna sans ménagement par le cou. - Varagna ! Hurlèrent à l'unisson Antas et Sabius. Les bras et jambes liés, ils ne pouvaient intervenir pour aider leur amie. L'air passait difficilement dans la gorge de la jeune fille. Elle ferma les yeux. La voix de Sakala, son anima, retentit dans son esprit. "Vara, arrête tes bêtises !" Lorsqu'elle perçut un froissement d'ailes, la Sajara rouvrit les yeux. Une fauconne crécerelle venait d'atterrir sur l'épaule de Skog et rentrait d'elle-même dans sa prison. - Voilà qui est mieux, déclara le traitre. La poigne de Deke se desserra d'un coup. Varagna reprit sa respiration bruyamment. Son cou était marqué des empreintes de doigts de Deke. Antas et Sabius rampèrent vers elle ; elle les rassura d'un regard. Skog referma la porte de la cage d'un claquement sec et se détourna. - Bien. A-t-on retrouvé le gosse ? - Il s'est échappé par les souterrains, répondit un soldat. - Alors enfumez-le. Gobbo, Nahash, je vous laisse gérer les recherches ici, le plus tôt j'emmène ceux-là à Doveria sera le mieux. Gobbo et Nahash étaient eux aussi d'anciens rebelles. Le groupe formé par ces deux frères, Deke et Skog avait retourné sa veste pour servir l'Imperator. Le convoi s'ébranla, entouré de cavaliers. À l'avant du chariot, Skog se tenait aux côtés de Deke qui conduisait. - Eh, de quel gosse ils parlaient ? chuchota Antas à ses voisins. Sabius, se pencha vers lui pour répondre sans se faire remarquer de leurs ravisseurs. - Nuncio. - Et Damian ? L'érudit secoua sa tête en mauvais état : Deke et Skog n'y avaient pas été de main morte et il faisait peur à voir. Ses lunettes étaient tordues et se tenaient de travers sur son nez ; un éclat en forme de toile d'araignée fissurait l'un des verres. Sa lèvre était fendue et tuméfiée, tandis que sa joue avait doublé de volume et changé de couleur. - Damian est celui qui les a renseigné. Antas sursauta et dû faire un effort important pour ne pas crier sa réponse. - Comment ?! - Les gardes nous sont tombés dessus dès votre arrivée, pas plus tôt, pas plus tard. Si c'était uniquement le fruit de la trahison de Skog, ils seraient venus avant non ? Ils ont attendu votre retour pour agir. Et les seuls au courant en dehors de nous étaient Nuncio et Damian. Effectivement, ce raisonnement tenait la route. La colère submergea Antas. - Ne lui en veux pas trop Antas, dit Sabius devant son changement d'expression. Sa famille a dû être menacée, il n'a pas eu le choix. La vague retomba brusquement à l'intérieur du jeune homme, mais resta là, tapie comme une flaque. Ils traversaient Aberfa, entourés d'une escorte militaire. Les habitants se faisaient toujours malmener par les soldats qui effectuaient les fouilles de la ville, en quête de celle sur laquelle l'Imperator voulait mettre la main à tout prix : Cateline. Pourvu qu'elle soit loin... pensa Antas. Et surtout qu'elle ne cherche pas à nous venir en aide. Son coeur se serra en pensant à la jeune fille. Si son absence était douloureuse, il était soulagé qu'elle soit partie sans attendre : cela lui avait sans doute sauvé la vie. Un grognement de douleur le ramena à la situation présente. - Vara, ça va ? Elle approuva d'un faible signe de tête, mais son visage exsangue, la sueur accumulée sur sa peau et sa mâchoire crispée la contredisait. Avant leur départ, Skog lui avait embroché l'épaule avec un plaisir sadique. La strangulation par Deke n'avait pas arrangé son état. - Il aurait fallu que je recouse la plaie, intervint Sabius les sourcils froncés. Mais Deke m'a confisqué tout ce qui aurait pu servir d'arme. Le soignant se pencha vers la Sajara et posa son front contre le sien pour en évaluer la température. - Tu es glacée... Il fit signe du menton à Antas de se rapprocher encore. Les deux hommes essayaient de protéger la jeune fille du froid. - Repose-toi, dit Sabius, de toute façon seul un miracle nous sortirait se là. Et tu sais que je ne crois pas à ce genre de choses.