L'Opale de Feu - Tome 3 : L'Air par Anne-Cerise

Campagne commencée le lundi 8 février 2016

Rounds Mots Signes Temps
11/90 9881 62567 00:01:57

Round 1/90 écrit le lundi 8 février 2016

939 mots | 5869 signes | 00:01:57

Le ciel commençait à s'éclaircir sur Aberfa, indifférent à l'agitation qui l'ébranlait. La seconde cité de l'empire hallgerd grouillait comme à son habitude de marins et marchands, mais ce jour là les regards nerveux remplaçaient l'ambiance bon enfant qui leur était coutumière. Les soldats impériaux fouillaient la ville de fond en comble, malmenant sans vergogne quiconque se mettait en travers de leur chemin. Ils tiraient les habitants de leur sommeil, débarquaient dans leurs maisons, interrogeaient des familles entières hébétées. Les navires étaient maintenus à quai et soumis à une inspection rigoureuse. Aberfa avait pris des allures de fourmilière furieuse.

Au coeur de cette agitation, un chariot surmonté d'une cage roulante attendait devant un entrepôt de poissonnerie. À l'intérieur se trouvaient trois prisonniers : Varagna, Antas et Sabius. - Toi le volatile, fais venir ta bestiole. Varagna releva la tête : de l'autre côté des barreaux, nez à nez avec elle, se tenait Skog l'ancien rebelle à présent passé sous les ordres de l'Imperator - et promu capitaine pour sa trahison par-dessus le marché. Le petit homme leva un bras au bout duquel se balançait une cage à oiseau. - Alors ? J'attends. Tu crois quand même pas qu'on va laisser ton anima en liberté ? L'esprit de Varagna était embrumé par la douleur qui la lançait depuis l'épaule - résultat d'une manœuvre de Skog pour faire parler ses compagnons -, mais il lui restait assez de force pour envoyer paître son tortionnaire. Elle lui cracha au visage. Furieux, Skog fit un signe à son voisin. Celui-ci était si grand que Varagna aurait dû se démettre le cou pour apercevoir le haut de son crâne. Sans un mot, Deke plongea le bras dans la cage et attrapa Varagna sans ménagement par le cou. - Varagna ! Hurlèrent à l'unisson Antas et Sabius. Les bras et jambes liés, ils ne pouvaient intervenir pour aider leur amie. L'air passait difficilement dans la gorge de la jeune fille. Elle ferma les yeux. La voix de Sakala, son anima, retentit dans son esprit. "Vara, arrête tes bêtises !" Lorsqu'elle perçut un froissement d'ailes, la Sajara rouvrit les yeux. Une fauconne crécerelle venait d'atterrir sur l'épaule de Skog et rentrait d'elle-même dans sa prison. - Voilà qui est mieux, déclara le traitre. La poigne de Deke se desserra d'un coup. Varagna reprit sa respiration bruyamment. Son cou était marqué des empreintes de doigts de Deke. Antas et Sabius rampèrent vers elle ; elle les rassura d'un regard. Skog referma la porte de la cage d'un claquement sec et se détourna. - Bien. A-t-on retrouvé le gosse ? - Il s'est échappé par les souterrains, répondit un soldat. - Alors enfumez-le. Gobbo, Nahash, je vous laisse gérer les recherches ici, le plus tôt j'emmène ceux-là à Doveria sera le mieux. Gobbo et Nahash étaient eux aussi d'anciens rebelles. Le groupe formé par ces deux frères, Deke et Skog avait retourné sa veste pour servir l'Imperator. Le convoi s'ébranla, entouré de cavaliers. À l'avant du chariot, Skog se tenait aux côtés de Deke qui conduisait. - Eh, de quel gosse ils parlaient ? chuchota Antas à ses voisins. Sabius, se pencha vers lui pour répondre sans se faire remarquer de leurs ravisseurs. - Nuncio. - Et Damian ? L'érudit secoua sa tête en mauvais état : Deke et Skog n'y avaient pas été de main morte et il faisait peur à voir. Ses lunettes étaient tordues et se tenaient de travers sur son nez ; un éclat en forme de toile d'araignée fissurait l'un des verres. Sa lèvre était fendue et tuméfiée, tandis que sa joue avait doublé de volume et changé de couleur. - Damian est celui qui les a renseigné. Antas sursauta et dû faire un effort important pour ne pas crier sa réponse. - Comment ?! - Les gardes nous sont tombés dessus dès votre arrivée, pas plus tôt, pas plus tard. Si c'était uniquement le fruit de la trahison de Skog, ils seraient venus avant non ? Ils ont attendu votre retour pour agir. Et les seuls au courant en dehors de nous étaient Nuncio et Damian. Effectivement, ce raisonnement tenait la route. La colère submergea Antas. - Ne lui en veux pas trop Antas, dit Sabius devant son changement d'expression. Sa famille a dû être menacée, il n'a pas eu le choix. La vague retomba brusquement à l'intérieur du jeune homme, mais resta là, tapie comme une flaque. Ils traversaient Aberfa, entourés d'une escorte militaire. Les habitants se faisaient toujours malmener par les soldats qui effectuaient les fouilles de la ville, en quête de celle sur laquelle l'Imperator voulait mettre la main à tout prix : Cateline. Pourvu qu'elle soit loin... pensa Antas. Et surtout qu'elle ne cherche pas à nous venir en aide. Son coeur se serra en pensant à la jeune fille. Si son absence était douloureuse, il était soulagé qu'elle soit partie sans attendre : cela lui avait sans doute sauvé la vie. Un grognement de douleur le ramena à la situation présente. - Vara, ça va ? Elle approuva d'un faible signe de tête, mais son visage exsangue, la sueur accumulée sur sa peau et sa mâchoire crispée la contredisait. Avant leur départ, Skog lui avait embroché l'épaule avec un plaisir sadique. La strangulation par Deke n'avait pas arrangé son état. - Il aurait fallu que je recouse la plaie, intervint Sabius les sourcils froncés. Mais Deke m'a confisqué tout ce qui aurait pu servir d'arme. Le soignant se pencha vers la Sajara et posa son front contre le sien pour en évaluer la température. - Tu es glacée... Il fit signe du menton à Antas de se rapprocher encore. Les deux hommes essayaient de protéger la jeune fille du froid. - Repose-toi, dit Sabius, de toute façon seul un miracle nous sortirait se là. Et tu sais que je ne crois pas à ce genre de choses.

Round 2/90 écrit le mardi 9 février 2016

737 mots | 4455 signes | 00:01:57

Cateline ramena son couvre-chef sur ses yeux et évita de se tourner vers le soleil. Un temps nuageux aurait été moins risqué. En effet, si sa pupille rencontrait une lumière trop forte, elle se réduisait à une fente, comme l'oeil d'un chat, ce qui risquait de la trahir. Elle dissimulait son oeil droit, le vert, derrière un morceau de tissu, avait coupé ses cheveux noirs et bandé sa poitrine. Elle voulait ainsi se présenter comme un garçon qui cherchait du travail à bord de bateaux en partance vers le sud. L'avis de recherche qui pesait sur elle décrivait une jeune fille aux yeux vairons, pas un garçon borgne. Maigre déguisement tout de même en cas de contrôle, pensa-t-elle. Je ne dois pas me faire remarquer. La magie de son pendentif en forme de lion ailé, une opale de feu, lui indiquait la direction pour poursuivre sa quête : vers le sud-ouest. Cateline avait déjà rassemblé la magie de deux éléments - la Terre et l'Eau - et devait encore réunir les deux derniers pour sauver le lion ailé. Et avec lui, toute la magie des animas était en jeu. La nuit avait été mouvementée sur Aberfa, des soldats avaient patrouillé la ville de long en large et elle avait joué à cache-cache avec eux. Son agilité de félin lui avait permis de grimper sur un toît et de laisser l'agitation se calmer adossée à l'arrière d'une cheminée. Son anima, Kaslane, avait monté la garde aux alentours du bâtiment. A plusieurs reprises des soldats étaient passés près d'elle, mais un chat errant en ville n'attirait pas l'attention. Quand le soleil se trouva plus haut dans le ciel, Cateline se coula au sol et se dirigea vers le port. Elle démarcha plusieurs bâtiments avant que le capitaine de l'un d'eux, le Sirena, la prenne à son bord comme bras supplémentaire. Des marins lui avaient fait faux bond et il devait lever l'ancre dans la journée. - T'es pas bien grand, mais je suis pas en position d'être regardant gamin. En plus ces fichus soldats m'ont mis un peu plus en retard ! Cateline tâcha de maintenir un visage impassible à l'évocation de l'armée hallgerd, mais intérieurement elle manqua un battement de cœur. Le capitaine était un homme grand et mince, à la tenue fonctionnelle mais propre. Loin du cliché du marin à l'hygiène douteuse et l'intelligence limité, on sentait un esprit vif dans son regard. Il inhala sur sa cigarette, la pris entre ses deux doigts et la pointa vers un enchevêtrement de caisses et de ballots sur le quai. Des hommes les soulevaient pour les monter à bord. - Pour l'instant va filer un coup de main par là gamin. Te fais pas un tour de rein non plus, hein ? J'ai besoin de quelqu'un d'agile pour manipuler les voiles là-haut. Cette fois il pointa vers le haut du mât et Cateline déglutit. Monter ne serait pas un problème, il faudrait juste prendre garde que personne ne remarque ses griffes, mais elle avait le vertige depuis toujours. Son rêve récurrent où elle se retrouvait précipitée dans le vide depuis le dos du lion ailé était la source de cette phobie. Mais elle se contenta de hocher la tête en enfonçant un peu plus son couvre-chef, puis se dirigea vers les marchandises.

Lorsque le bateau appareilla, elle fut assignée comme prévu à la vergue, la poutre transversale qui portait la voile. Après un coup d'oeil autour d'elle, elle grimpa rapidement à l'aide de ses griffes. Personne ne faisait attention à une demie portion comme elle, ce qui l'arrangeait bien. Les doigts tremblants, elle dénoua les cordes qui retenaient les voiles, tâchant de ne pas regarder en bas. Le navire n'était pas très grand, aussi était seule pour accomplir ce travail, ce qui arrangeait ses affaires. "Respire Cat, tout va bien" C'était la voix de Kaslane dans son esprit. Ce simple encouragement l'aida à se calmer. "Tu as réussi à monter à bord sans ennui ?" "Oui, je me suis glissée dans la cale, répondit l'anima. Des marins m'ont aperçue, mais ils n'ont pas cherché à me chasser." "Ils ont tout intérêt à te garder à bord au contraire, les rongeurs sont une plaies pour les marchandises." "Heureusement que tu n'as pas un rat pour anima alors." Cateline esquissa un sourire. Elle ne savait pas si Kaslane plaisantait pour lui faire oublier le vide sous ses pieds, mais c'était efficace en tout cas. Le Sirena larga les amarres et se dirigea vers le sud. Première escale : la capitale Doveria.

Round 3/90 écrit le mardi 9 février 2016

413 mots | 2619 signes | 00:01:57

Alban monta à bord de l'Ouroboros. Cela faisait des mois qu'il n'avait pas mis pied sur le pont de son navire. La dernière fois, sans le savoir, il avait ramené dans ses cales un élément essentiel pour ses recherches : une fille en rapport avec le lion ailé. Depuis des années, il essayait de mettre la main sur la créature fabuleuse. Le sang de cette dernière avait transformé de simples roches en opale de feu aux pouvoirs magiques. La fille portait l'une d'entre elles autour du cou, un médaillon qui avait pris la forme du lion ailé lui même. De son côté Alban possédait une gemme de même nature - bien que de forme grossière - qui lui permettait de rajeunir provisoirement. Bien qu'immortel, le vieillissement le rattrapait sans cesse. Il semble que cela s'accélère... songea-t-il. Ces dernières années il devait recourir de plus en plus souvent à ses potions, comme si son corps devenait peu à peu insensible à sa magie. Il ne s'écoulait plus que quelques mois, parfois quelques semaines, avant que d'infimes rides se creusent sur son visage, que des douleurs articulaires se répandent et que l'effort l'essouffle plus rapidement. Il ne pouvait pas se permettre la moindre faiblesse. Il savait qu'à la première faille, les dissidents s'engouffreraient, les traîtres le poignarderaient dans le dos et ses anciens fidèles le chasseraient sans ménagement. C'était déjà arrivé, il y avait bien longtemps, mais il n'avait pas oublié. Alors il tuait pour se maintenir jeune et cherchait toujours plus de pouvoir pour garder la main en toute circonstance. Ces derniers mois il avait perfectionné sa potion pour lui permettre de s'emparer de la magie des animas de ses victimes. Déjà il sentait les bienfaits de ces opérations : ses sens s'étaient aiguisés, ses réflexes affinés, sa force décuplée. Mais il lui manquait une pièce essentielle pour se libérer définitivement de son fardeau : le sang du lion ailé lui même. Et cette fille le mènerait vers l'animal magique. - Messire Alban ! L'appel d'Ebed le tira de ses réflexions. Il pivota pour faire face à son bras droit. - Qu'y-a-t-il ? - Les prisonniers seront là demain d'après la dernière missive. Les fouilles d'Aberfa pour retrouver la fille n'ont rien donné. Un éclair furieux traversa les yeux noirs de l'Imperator, mais il se contint. - Faites circuler l'information de leur arrivée à Doveria. Ça devrait faire sortir la gamine de là où elle se terre. Et préparez des troupes prêtes à intervenir, je m'attends à une attaque de leurs amis en conséquence. - Bien, Messire.

Round 4/90 écrit le vendredi 12 février 2016

1256 mots | 7961 signes | 00:01:57

Varagna se réveilla sans comprendre où elle se trouvait. Elle voulut se redresser et étouffa un juron de douleur. "Tu tiens le coup ?" La jeune fille chercha autour d'elle où se trouvait son anima. Lorsque son regard fit enfin la mise au point sur la petite cage qui se balançait de l'autre côté des barreaux, la situation lui revint en mémoire. "J'ai eu de meilleurs jours, on va dire..." Son épaule droite était poisseuse de sang coagulé. Sa gorge lui semblait remplie de sable tant elle avait soif. Sans compter qu'elle était fourbue de courbatures liée à son repos tout relatif sur cette surface dure. Sabius et Antas émergèrent à ses côtés, la mine pas tellement plus brillante. Le visage de Sabius était coloré de diverses teintes, passant du jaune au bleu. - Nous approchons, remarqua-t-il. En effet, les premières bâtisses de Doveria se découpaient à l'horizon. Au loin, dominant la cité blanche de sa masse grise, se découpait la forteresse de l'Imperator. Antas réprima un frisson. À chaque nouveau tour de roue, il sentait ses muscles se crisper un peu plus. Plusieurs mois auparavant, les rebelles avaient permis l'évasion des Âmes Liées retenues dans les cachots du massif édifice. Mais ils avaient eu de la chance et la surprise avait largement joué en leur faveur. À présent l'Imperator se tenait sur ses gardes et la surveillance avait dû être renforcée. Une fois derrière ces murs, la probabilité d'en ressortir était pratiquement nulle. - Est-il possible qu'Arthur soit au courant de notre arrivée ? chuchota le jeune homme. - Ça m'étonnerait, répondit Sabius. À moins que ce ne soit un piège. - Tu veux dire que... - Silence derrière ! Skog s'était retourné sur son siège et les toisait de sa position. Antas le fixa sans se démonter avec un sourire narquois. - Tiens, pour une fois que t'es plus haut que quelqu'un. Skog le foudroya du regard et fit un signe de la main à l'un des cavaliers qui entouraient la cage. Le soldat approcha sa monture et envoya un coup de pied vers Antas. Le nez du jeune homme ne dut son salut qu'à ses réflexes. - Maintenant, bouclez-la !

Ils pénétrèrent dans Doveria après un peu plus de quarante-huit heures de voyage, alors que l'activité de la cité prenait son essor pour la journée. Les passants affairés se figeaient en apercevant le convoi et s'écartaient précipitamment, soucieux de rester hors du chemin des soldats impériaux. Ils détournaient le regard à leur passage, puis jetaient un coup d'oeil curieux dès que les gardes leur tournaient le dos, dévisageant les prisonniers. Dans la foule, Antas cherchait avec un vain espoir un regard ami, n'importe qui susceptible de prévenir Arthur avant qu'il ne soit trop tard. Mais est-ce qu'il n'est pas déjà trop tard ? pensa-t-il, amer. Il n'avait aucun moyen de contacter l'organisation rebelle. D'un autre côté si cette dernière était déjà au courant de leur captivité, la possibilité qu'il s'agisse d'un piège n'était pas exclue. Face à cette hypothèse, Antas se surprit à finalement espérer que personne ne vienne les secourir. Son regard continuait toutefois de parcourir les passants, mais sans y être attentif. Appuyée contre lui, Varagna somnolait. La rumeur étouffée des passants contrastait avec le claquement sec des sabots. Soudain, il sentit Sabius se figer à ses côtés. Il ne dit rien, de peur d'attirer l'attention, mais Antas sentit sa vigilance soudaine et tourna la tête. Là, à deux pas à peine des cavaliers qui les escortaient, Arthur les fixaient, dissimulé sous une capuche. Ses larges sourcils montèrent en signe de reconnaissance et il glissa la main sous sa cape. Sans les lâcher des yeux, il accompagna le mouvement du véhicule sur plusieurs mètres. Lorsque le groupe tourna dans une rue adjacente plus étroite, il fit un signe à Antas et Sabius. Avant que les prisonniers aient le temps de réagir, le bras d'Arthur surgit de sous sa cape, dévoilant son épée. Il se rua sur le cavalier le plus proche. Brusquement, la rue fut envahie d'hommes armés, qui surgissaient de toutes les directions. Depuis les toits des maisons qui bordaient la rue, des archers visaient la tête du convoi, tandis que l'arrière était attaquée à l'épée. De partout, des rebelles se déversaient, prenant en tenaille le groupe. Varagna s'était brusquement redressée. Sakala criait en s'agitant dans sa cage, mais le bruit se perdait dans celui des épées qui se rencontraient. Les trois prisonniers suivaient les combats, impuissants, mais comme électrisés et près à bondir à la première occasion. - Luc ! Par ici, détache nous ! L'interpellé se retourna à l'appel de Sabius. C'était l'un des membres du conseil décisionnel de l'organisation clandestine, un homme tout en lignes, blond et froid. Sans un mot, il s'approcha des mains du sage et d'un coup d'épée trancha les liens. De l'autre main, il fit glisser une dague sur le sol de la cage. - A vous de jouer. Sans rien ajouter, il se retourna pour contrer l'attaque d'un cavalier. Déjà des groupes de soldats impériaux approchaient pour contenir l'attaque et le temps était compté. Les unités s'étaient mises en place vite, trop vite pour croire à une coïncidence. Elles manœuvraient pour prendre en tenaille les assaillants à chaque extrémité de la rue. Sabius trancha les liens qui lui retenaient les jambes, puis libéra Antas et Varagna. Celle-ci tenta de se mettre debout, mais ses jambes tremblaient et elle trébucha. Antas la rattrapa de justesse par la taille. - Passe ton bras sur mes épaules. La jeune fille se contente de répondre d'un hochement de tête. - Par ici, vite ! D'un coup d'épée Arthur avait fait sauter le cadenas de leur cage. Il tenait la porte ouverte d'un main, tandis qu'il repoussait un assaut de l'autre. Sans perdre une minute, les prisonniers se ruèrent à l'extérieur, Antas et Varagna avançant tant bien que mal. Autour d'eux c'était le chaos. Dans un espace restreint, le convoi initial - ou ce qu'il en restait - combattait les rebelles, tandis que des renforts impériaux tenaient les extérieurs. Arthur joua des coudes et de la lame pour tailler un chemin de retraite aux évadés. - Arthur ! hurla Sabius pour se faire entendre par-dessus le vacarme. Comment tu comptes nous sortir de là ? La route est coupée des deux côtés ! - Il reste deux autres bords, répondit Arthur sans sourciller. En effet, une porte s'ouvrit comme par magie à côté d'eux et les invita à se mettre à l'abri. Sabius poussa Arthur devant lui. Soudain, à deux pas de la porte, une épée surgit bien au-dessus de la tête d'Antas et Varagna. Deke le colosse s'était frayé un chemin jusqu'à lui et ne comptait pas laisser les prisonniers filer ainsi. Désarmés tous les deux, Antas et Varagna virent la lame se rapprocher sans rien pouvoir faire. Dans un réflexe protecteur, le jeune homme prit son amie dans ses bras, dos tourné à l'agresseur. Un hurlement le fit se retourner. Juste avant l'impact, Sabius s'était jeté devant eux. C'était la deuxième fois qu'un homme protégeait Antas de son corps. Cette fois ci, il s'agissait de quelqu'un qu'il considérait comme sa famille. Choqué, Antas visualisait la scène comme dans un rêve. Ou plutôt un cauchemar. Le tumulte des combats lui parvenait éloigné, l'odeur du sang emplissait au contraire tous ses sens. A ses pieds, baignant dans une mare écarlate, le corps sans vie de Sabius était prostré. Hurlant de rage, Arthur s'opposait à Deke avec l'énergie du désespoir. Antas était figé, incapable d'esquisser le moindre geste. Il avait vaguement conscience de la chaleur de Varagna contre lui, de sa voix qui l'appelait, mais son cerveau semblait incapable de réagir. Brusquement, Luc les poussa à l'intérieur de la maison qui leur offrait asile et les entraîna à sa suite.

Round 5/90 écrit le mardi 1 mars 2016

1067 mots | 6824 signes | 00:01:57

Les courants et les vents avaient permis au Siréna d'atteindre Doveria en à peine vingt-quatre heures. Pour autant le capitaine avait pesté tout le long du trajet sur le retard pris à Aberfa. Perchée dans la vergue, Cateline avait fait partie des premiers marins à apercevoir le port de Doveria. Son coeur déjà mit à mal par sa peur du vide avait manqué un battement en reconnaissant un massif navire à quai. "L'Ouroboros !" Kaslane qui somnolait dans la cale releva brusquement la tête. À travers le lien doré qui l'unissait à Cateline, elle projeta sa conscience hors de son corps, pour observer la situation à travers les yeux de la jeune fille. Le bâtiment surplombait tous les autres, il était impossible de le louper. La tension de Cateline augmenta encore d'un cran lorsque le Siréna s'amarra à quelques mètres à peine du navire impérial. Calme toi, Cat, il n'y a aucune raison que l'Imperator soit dans les parages... Ses mains moites glissèrent sur les cordes. Elle marmonna un juron en rattrapant la voile qui faillit redescendre. Elle manqua de tout lâcher de nouveau quand elle aperçut un groupe de cinq soldats impériaux qui approchaient du Siréna qui accostait. - Oh gamin, tu t'actives ! La réprimanda un marin. Elle tenta de faire abstraction des gardes, mais son esprit était ailleurs. Soudain, un cri du capitaine lui fit relever la tête. Il s'agitait en discutant avec les soldats. De là où elle se tenait, Cateline ne captait que quelques bribes de mots emportés par le vent. Elle terminait sa tâche avec un noeud qu'elle serra d'un coup sec. Le capitaine était de plus en plus remonté. D'un coup d'œil circulaire sur les quais, elle vit qu'il y avait des soldats impériaux partout. Il n'a quand même pas appris que je suis ici ? Cette possibilité lui tordit l'estomac et elle manqua de glisser. Elle planta ses griffes dans la poutre et ce réflexe lui évita la chute. Enfin, le capitaine se retourna vers le pont. - Venez tous par ici ! Il inhala rageusement sur sa cigarette en attendant que ses hommes se réunissent. Sa mine renfrognée n'augurait pas de bonnes nouvelles. - On est consignés à bord. Un concert de protestations monta des marins. Cateline se tenait en arrière pour ne pas se faire remarquer des gardes qui patrouillaient le port. - Bouclez-la ! Vous croyez que ça m'amuse ? Le silence retomba d'un coup sur l'équipage. Le capitaine n'était décidément pas à prendre avec des pincettes. - J'ai déjà pris du retard à cause de ces foutus soldats à Aberfa ! Et maintenant leurs copains nous empêchent de travailler ici ! Apparemment il y a du grabuge en ville, on est censé se tenir tranquille le temps que ça se calme. Il tira de nouveau sur sa cigarette, qu'il jetta par-dessus bord d'une chiquenaude. - En attendant que je vois personne tirer au flanc ! Vous préparez le déchargement sur le pont. Au boulot !

Qu'est-ce-qu'il se passait en ville ? Se demanda pour la cinquantième fois Cateline tout en travaillant. Les soldats semblaient nerveux, même l'Ouroboros tout proche paraissait touché par l'agitation. À chaque fois que des gardes approchaient du Siréna, Cateline se tendait un peu plus, consciente de se trouver dans le lieu le plus dangereux de l'empire. Les épaules voûtées, elle s'efforçait de maintenir sa casquette rabattue sur son visage. Une fois la marchandise rassemblée sur le pont, l'équipage dut encore patienter. Le capitaine les houspillait, condamnant toute oisivité. Cateline sentait que le retard imposé pesait finalement moins à cet homme que l'inaction. Ça, je peux comprendre. Quand enfin ils reçurent l'autorisation de décharger, un soupir collectif de soulagement parcourut le Siréna.

# Fourbue de sa journée de travail, Cateline se serait volontiers terrée dans un coin de la cale jusqu'au lendemain. - Aller gamin, tu viens avec nous ! Voilà ce que le capitaine avait décidé, sans lui laisser le loisir de protester. C'est ainsi qu'elle se retrouvait dans une taverne du port, entourée de marins, de commerçants, mais aussi de soldats venus se détendre après leur service. Autrement dit, elle se trouvait en mauvaise posture. Elle gardait le nez dans sa chope, qu'elle buvait à petites gorgées. la Sajara n'avait jamais bu d'alcool auparavant, mais là encore personne ne lui avait demandé son avis. - Alors cap'taine, pourquoi on s'est trouvé bloqué à bord c't'aprèm ? Demanda un membre de l'équipage qui en était déjà à sa seconde tournée. - Une échauffourée avec des rebelles d'après ce que j'ai entendu. Cateline manqua de s'étrangler sur sa gorgée. Elle toussa, tandis qu'une main rude la tapait dans le dos. - Bah alors gamin, se moqua un autre marin, tu tiens pas l'alcool ? Un éclat de rire autour de la table noya la quinte de toux. Quand elle put de nouveau parler, Cateline se pencha vers le capitaine. - Avec des rebelles, en pleine ville ? - Mmmm ? Il leva un sourcil interloqué tandis qu'il allumait une cigarette. - Oui, une histoire de prisonniers apparemment. Cette fois, la jeune fille eut la sensation que ses entrailles se glaçaient. - Oh. Ils étaient si importants que ça ? Les yeux du capitaine se plissèrent, une lueur rusée s'alluma dans ses prunelles. - Pourquoi, ça t'intéresse ? - Euh, je... Elle bafouillait sans trouver de réponse adéquate. L'alcool lui engourdissait le cerveau et ne l'aidait pas à réagir. - On dirait bien que tu supportes pas la bière, gamin. Tu es tout rouge. Aller, viens prendre l'air.

# Sans autre forme de procès, le capitaine avait entraîné Cateline par le bras et l'avait traînée dehors. Sur les quais déserts, il l'avait lâchée pour allumer une autre cigarette. La tête de Cateline tournait et elle s'était retenu à son épaule par réflexe. - Oh, pardon. - Pas grave. Dis moi, tu avais déjà bu de l'alcool ? Elle secoua la tête, ce qui eut pour effet d'accentuer ses vertiges. - Ouais, me semblait bien. En silence, il lui reprit le bras et marcha tranquillement vers le Siréna ammarré plus haut. La tranquillité nocturne du port contrastait avec son activité diurne. - Tu sais... Commença-t-il avant de marquer une pause. Il tira plusieurs fois sur sa cigarette avant de reprendre. - Je sais pas d'où tu sors gamin, mais t'as un drôle d'accent. Tu fais peut-être bien de rester silencieux avec les autres. Cateline se raidit. - Et tu devrais faire attention aux sujets auxquels tu t'intéresses. Au moins quand il y a des soldats dans le secteur. Elle voulut dégager son bras, mais le capitaine avait une poigne solide. - Tout doux, on est arrivé. Va te reposer, gamin. Et sans rien ajouter, il l'abandonna devant le Siréna pour retourner en direction de la taverne.

#

Round 6/90 écrit le mercredi 2 mars 2016

497 mots | 3148 signes | 00:01:57

  • Vous êtes de fichus incapables ! Furieux, Alban tempêtais dans sa salle d'audience. La rage qui irradiait de son visage semblait hérisser sa chevelure, lui donnant une aura encore plus menaçante que de coutume. Les soldats impériaux qui lui faisaient face se recroquevillèrent et reculèrent instinctivement. Peine perdue, l'Imperator se dirigeait déjà vers eux, l'épée en main. Il la leva au-dessus de sa tête devant Skog, qu'il tenait pour responsable de ce fiasco. Le visage blême du petit homme avait perdu toute trace de son arrogance coutumière.
  • Messire, vous devriez le garder en vie. Ebed, le conseiller d'Alban, avait proféré cette phrase d'un ton égal. La lame siffla dans l'air, frola le visage de Skog et s'abattit sur le sol à un millimètre de son pied.
  • Je t'écoute Ebed. L'Imperator pivota et tourna le dos à un Skog dégoulinant de sueur. Ses jambes tremblantes peinaient à le maintenir debout.
  • L'héritier s'est enfui, soit. Cet homme et ses compagnons en savent plus long sur lui et les dissidents qui le protègent. Alban fit la moue, déçu d'être privé d'une cible sur laquelle passer ses nerfs.
  • Certes. Retrouvez le Dareios et vous resterez en vie. Il se retourna, fixa Skog, un éclat dangereux dans son regard noir.
  • Echouez et vous regretterez de ne pas être mort ce jour. Trahissez moi et je vous promets d'être particulièrement créatif pour votre torture. Skog déglutit et opina d'un menton tremblant. Derrière lui, Deke avait perdu son expression sadique habituelle et n'en menait pas large. Cet homme semblait moins costaud que lui, mais son aura maléfique inspirait une crainte irrationnelle.
  • Ebed, tu es chargé de les surveiller. Je veux des rapports réguliers.
  • En parlant de rapport, Messire, un navire de contrebande a été araisonné au nord de Doveria.
  • Et ? Quel intérêt ?
  • Sa marchandise devrait vous intéresser... Et peut-être vous aider dans votre recherche de la fille. Une lueur d'intérêt s'alluma dans les yeux de l'Imperator, qui planta là un groupe de soldats soulagés, bien que toujours tremblants.

# Les jambes de Skog le lâchèrent dès que l'Imperator eut quitté les lieux. Il se retrouva à quatre pattes, le coeur palpitant. Son nouveau maître était certes puissant, et lui avait offert un statut social intéressant, mais il était impitoyable. Pour la première fois, Skog avait eu un aperçu de la cruauté de cet homme. Était-il seulement encore humain ? - Vous êtes toujours là ? Skog releva la tête : Ebed était de retour, seul cette fois-ci. Le conseiller se planta devant lui, se pencha. Un sourire moqueur se peignit sur son visage tout proche. - Il fait peur, hein ? C'est rien de le dire, pensa Skog sans oser le prononcer à voix haute. - Évitez de le contrarier et vous devriez survivre. En attendant, vous n'auriez pas un ou deux prisonniers à torturer au lieu de vous tourner les pouces ? L'ancien rebelle balbutia une vague réponse et fila sans demander son reste, Deke sur les talons. Il devait à tout prix retrouver Antas et étouffer toute révolte s'il tenait à sa peau.

Round 7/90 écrit le vendredi 4 mars 2016

883 mots | 5295 signes | 00:01:57

Le rat se faufila par un tuyau d'évacuation tout juste assez grand pour lui. Il le remonta, se fiant d'avantage à son toucher et son odorat qu'à sa vue dans ce tunnel noir. Trottinant dans un cloaque malodorant, il était parfaitement à son aise et trouva sans mal une ouverture vers le sous-sol de la forteresse. Il vérifia qu'aucun ennemi - homme, chien ou chat - ne se trouvait en vue, puis traversa rapidement le couloir. Il passa entre deux barreaux pour s'approcher d'une forme massive prostrée au sol. La forme ne bougea pas à son approche, trop accoutumée à cohabiter avec ses semblables. Le rat contourna l'homme et s'approcha de son visage tuméfié. D'un coup de museau dans la barbe hirsute du prisonnier, il tenta de le ramener à lui. L'homme grogna et s'agita. Ses chaînes se heurtèrent au sol de pierre et produisirent un bruit métallique. Il ouvrit les yeux, ou plutôt son seul oeil encore valide. A y regarder de plus près, le prisonnier était couvert de bleus, de coupures et de traces de brûlure. Arthur fixa le rat juste devant lui. Ce dernier ne fit pas mine de bouger. Sur son dos, un morceau de papier était attaché. - Tu es un anima, n'est ce pas ? murmura Arthur. Au son de sa voix, on devinait qu'il dormait peu et ne buvait pas à sa soif. Il ne devait pas non plus manger à sa faim, car l'homme massif qu'il était habituellement avait fondu à vue d'œil pendant ses semaines de captivité. Le rat approuva de la tête et ne bougea pas lorsque Arthur tendit la main vers lui. Toujours prostré au sol, il prit le morceau de parchemin et le déplia dans un rayon de lune. "Arthur, un autre anima va attraper la clé de ta cellule. Ils te guideront tous les deux hors de la forteresse. Des hommes t'y attendent." Le message n'était pas signé, mais Arthur reconnu l'écriture nerveuse. Après tout, il était présent quand Sabius avait appris à écrire à Antas. Un mélange de tendresse et de nostalgie s'empara de lui à l'évocation du jeune homme. Il repoussa la vive douleur due à la perte de Sabius, son ami le plus proche, son plus grand soutien. En grognant il se redressa en s'appuyant sur le sol. Tout son corps hurlait sa douleur, mais il le força à changer de posture pour s'asseoir. Il se sentait las, tellement épuisé par les séances d'interrogatoire quotidiennes. Il ne pensait pas avoir donné d'information importante à ses tortionnaires, mais ses souvenirs étaient flous, son cerveau embrumé et il ne pourrait jurer n'avoir traversé aucun moment de faiblesse. Skog en savait déjà beaucoup sur le mouvement rebelle de toutes manières. Mais il ignorait où celui-ci s'était replié, quittant Doveria devenu trop peu sûre à présent. Arthur soupira en grattant sa barbe qui le démangeait. Si seulement il avait écouté Sabius : celui-ci n'avait jamais eu confiance en Skog. Un frottement sur le sol de pierre le ramena au présent. Le rat n'avait pas bougé, mais s'agitait nerveusement. Il le fixait de ses yeux qui n'avaient rien de commun avec ceux d'un rat ordinaire, un regard presque humain. Il attendait une réaction au message qu'il était venu délivrer. - Dis leur que je refuse. L'anima sursauta et écarquilla les yeux. Il secoua la tête avec énergie, frustré de ne pouvoir répondre, transmettre les pensées de son humain posté à l'extérieur. - Antas va être furieux, hein ? Le rat approuva vigoureusement. - Est ce que tu peux faire deux choses pour moi avant de me quitter ? Sans en parler à ceux dehors ? Il vit l'anima hésiter, puis donner son accord à contre coeur. - Je voudrais de quoi écrire. Le dos du parchemin suffira, il me manque de l'encre. L'anima fila hors de la cellule, vers la salle des gardes. Il devait bien y avoir un registre à tenir, quelque chose comme ça. Il jeta un regard prudent sur la pièce : un seul garde se trouvait là, ronflant sur sa chaise. Il trottina silencieusement à côté de lui : son espèce était passée maître dans l'art de vivre aux côté des humains sans se faire repérer. Sur une table il avisa un livre. Juste à côté de celui-ci, un encrier et une plume. Le rat grimpa habillement sur la table, attrapa la plume dans sa gueule et l'apporta à Arthur. Puis il revint pour l'encrier. Il eut bien du mal à le transporter et manqua à plusieurs reprises de le renverser. S'il le faisait tomber, le bruit réveillerait à coup sûr le garde endormi. Après plusieurs minutes de casse tête, il eut une illumination. Il redescendit, attrapa la cape du garde qui traînait au sol et la tira devant la table. Puis il remonta, vérifia que l'encrier était bien fermé et le fit rouler par dessus bord. L'encrier atterrit sur le tissu avec un "pouf" étouffé. L'anima mordit dans un bout de la cape, puis la traîna jusqu'à la cellule d'Arthur. - Merci, murmura celui-ci, reconnaissant. Il s'empara de l'encrier et griffona un message à la hâte, utilisant tout l'espace disponible du parchemin. Puis il le replia et le rattacha sur le dos du messager. - Remets le à Antas s'il te plaît. J'espère qu'il pourra me pardonner... Il marqua une pause, le regard perdu à l'intérieur de lui même. - J'ai une dernière faveur à te demander. Apporte moi de la ciguë ou autre poison foudroyant.

Round 8/90 écrit le lundi 7 mars 2016

557 mots | 3668 signes | 00:01:57

Cateline avait craint que le capitaine du Siréna ne la livre aux autorités. Cependant, après ses avertissements à demi-mots, il s'était comporté normalement et la traitait comme n'importe quel membre de l'équipage. Mais la Sajara remarquait parfois que les yeux rusés de l'homme l'observaient avec insistance. Lorsque leurs regards se croisaient, il se contentait de hocher la tête avec un sourire énigmatique. Cateline se sentait mal à l'aise. Le capitaine était un homme intelligent, probablement trop pour faire son affaire. Qu'avait-il noté à part sa façon de parler ? Entre les remarques du capitaine à Doveria et sa dissimulation de son véritable sexe, Cateline n'ouvrait pratiquement pas la bouche de la journée. Elle travaillait en silence aux côtés de ses collègues, dormait en retrait des autres marins, s'isolait souvent dans un coin du pont ou de la cale où Kaslane s'abritait. La jeune fille avait toujours été une solitaire, même lorsqu'elle vivait dans sa propre tribu. Pourtant pour la première fois, elle se sentait véritablement seule. Varagna avait toujours été près d'elle, ainsi que leur deux familles. Et puis Antas lui manquait. Même si elle aurait préférer se casser un membre que de l'avouer à voix haute.

Après plusieurs semaines de navigation, Cateline était plus à l'aise avec son travail en hauteur, même si elle descendait toujours du mât les dents serrées. Le capitaine ne lui avait causé aucun ennui et les marins l'ignoraient la plupart du temps. Cependant, maintenir secret son véritable genre était un travail d'équilibriste. Kaslane montait la garde dès qu'elle avait besoin d'intimité, ce qui n'était pas de trop : elle avait failli être découverte à plusieurs reprises. De port en port, une routine s'était installée. Le Siréna cabotait le long de la côte, déchargeait des marchandises achetées ailleurs, embarquait d'autres cargaisons. Les escales étaient plus ou moins longues selon les transactions et les marées, mais ne dépassaient jamais vingt-quatre heures. Parfois Cateline disposait de quelques heures de libres pour se rendre dans une taverne. Elle y allait moins pour boire - elle avait compris que l'alcool ne lui réussissait guère - que pour écouter les rumeurs qui couraient à travers l'empire Hallgerd. Elle avait appris à rester silencieuse, l'oreille tendue et devait se retenir de poser les questions qui lui brûlaient les lèvres. L'altercation de Doveria entre les rebelles et les troupes impériales étaient évidemment au coeur des discussions. Cateline avait failli faire un malaise lorsqu'elle avait appris que l'héritier Dareios s'était trouvé au coeur de ce conflit. Elle grappillait ainsi les informations, par bribes parfois contradictoires. - Il a été tué c'est sûr ! On l'a plus revu après ça. - Dis pas n'importe quoi, Gil. Il a été vu dans le village de... - J'ai entendu dire que des Âmes Liées l'ont enlevé. M'étonne pas de ces sauvages. Cateline serra les poings sous la table crasseuse de la taverne. Un bref coup d'œil à sa droite suffit à retenir son envie de répartie : des soldats venaient d'entrer. La conversation autour du mouvement rebelle se tut brusquement.

L'existence de l'héritier Dareios se propagea à travers le continent, mais Cateline ignorait toujours s'il était libre et en bonne santé. La rumeur de son retour tenait pour l'instant plus d'un souhait inespéré du peuple que de quelque chose de tangible. Elle se raccrochait aux avis de recherche pour Antas qui se trouvaient toujours placardé dans toutes les villes qu'elle traversait. Juste à côté du sien.

Round 9/90 écrit le lundi 7 mars 2016

704 mots | 4627 signes | 00:01:57

Varagna passa une main dans sa chevelure, lissant ses cheveux. Elle savourait la chaleur du soleil printanier sur ces derniers et la liberté retrouvée d'être elle même. Les passages dans le monde hallgerd qui l'avaient obligée à se dissimuler, lui avait pesé. L'approche d'un nouveau groupe d'Âmes Liées avait été signalé par le guetteur. Varagna se dirigeait à cheval vers eux pour les accueillir, survolée par Sakala. Après l'évasion mouvementée et la fuite de Doveria, le groupe de rebelles qui était venu au secours des prisonniers, les avaient conduits vers le sud-est. De vaste plaines cultivées s'y étendaient et à une vingtaine de kilomètres de la capitale un bois apparaissait soudain. Les clandestins y avaient établis un campement de pavillons de toile. Plusieurs semaines plus tard, la clairière initiale n'avait plus été suffisante pour accueillir ceux qui joignaient leurs forces au mouvement rebelle. Les arbres abattus pour faire de la place au nouveaux pavillons avaient servi à dresser une palissade autour du bois. A présent, c'était une petite ville qui s'était développée au milieu de la campagne hallgerd. Elle était composé d'un mélange hétéroclite de pavillons de tissu hallgerds, parfois richement tissés, d'abris de peau ou de végétaux montés par les tribus Âmes Liées, de constructions de bois. La cohabitation entre Hallgerds et Âmes Liées dans le campement ne se passait pas sans quelques tensions et incompréhensions. Les Hallgerds avaient été élevés dans la crainte des Âmes Liées et les aspects parfois surprenants de ces derniers les rendaient nerveux. Par ailleurs, ils considéraient toujours les animas comme des bêtes sauvages et sursautaient à l'approche d'un loup, d'un ours ou tout autre prédateur. Il fallait développer des trésors de patience pour leur faire comprendre que les animas possédaient une intelligence humaine et que les Hallgerds n'avaient rien à craindre d'eux. Ces réactions de peur, voire d'hostilité, n'étaient pas toujours bien comprises côté Âmes Liées et menaient à des situations de vexations, parfois à la limite d'éclater en bagarre. Bref, faire cohabiter deux mondes aussi différents relevait du défi. Il avait donc fallu un médiateur qui connaisse les deux cultures. Le choix de Varagna s'était imposé tout naturellement : par sa naissance elle avait la confiance des Âmes Liées ; par son amitié avec Antas une place parmi les Hallgerds. Sa diplomatie naturelle et son caractère enjoué avaient fait le reste. "J'espère que Sionna et Maman sont parmi les nouveaux arrivants," pensa Varagna à l'adresse de Sakala. "Si on ne compte pas les peuples du nord, il ne manque à l'appel que les Rinjis, les Bibalé et elles. Il y a de bonne chance qu'elles soient là !" Varagna éperonna son cheval pour accélérer. Elle était impatiente de retrouver de la famille. Ces dernières semaines avaient été éprouvante entre sa convalescence, son nouveau rôle et l'absence de Cateline. De sa vue perçante, Varagna repéra le guetteur au sommet d'une colline. Il s'agissait comme elle d'une Âme Liée à un rapace. La vision performante en faisait des guetteurs de choix et les animas transmettaient toute information rapidement. La nuit, les rapaces nocturnes remplissaient la même fonction. Lorsqu'elle approcha, la femme l'informa de la situation. - Un groupe d'Âmes Liées, on les voit d'ici. Elle pointa dans la direction opposée au camp, vers le pied de la colline. Sakala fila vers le groupe, le survolant pour l'observer. "C'est bien eux !" informa l'oiseau. "Je vois Chahine et Sionna !" Le coeur de Varagna bondit de joie et elle lança sa monture au galop pour les rejoindre. Déjà Sakala dansait dans les airs avec Pengana, le faucon de Chahine. Un héron volait autour d'eux, bien moins rapide, mais plus imposant. Celle-ci fit accélérer sa monture pour aller à la rencontre de sa fille. Elle était suivie de près par Sionna et sa renarde Azeri. Les trois femmes mirent pied à terre précipitamment et se tombèrent dans les bras. La séparation avait duré plus d'une saison. Passé les effusions, Sionna regarda autour d'elles. - Cat n'est pas avec toi ? La gorge de Varagana se noua : les deux femmes n'étaient au courant d'aucun des évènements récents. - Elle est partie de son côté. - Pardon ? Sionna la fixait, bouche bée, soudain très pâle. - C'est une longue histoire, soupira Varagna, elle ne pouvait pas faire autrement. - Et Faolan ? Il est là ? - Nous sommes sans nouvelles de lui depuis plusieurs semaines...

Round 10/90 écrit le mercredi 9 mars 2016

1195 mots | 7622 signes | 00:01:57

Antas soupira, repoussa le parchemin devant lui et frotta ses yeux cernés. Des semaines que les quatre conseillers - surnommés simplement les Quatre - qui géraient le mouvement rebelle l'assomaient d'informations. À quoi bon ? Songea-t-il amèrement. Je ne suis qu'un pantin à présenter au peuple après tout. Bientôt Arthur sera de retour, il reprendra tout cela en main. Après l'évasion mouvementée à Doveria, Varagna et lui avaient été pris en charge par Luc, l'un des Quatre. Dans la confusion qui avait suivi la chute de Sabius, le jeune conseiller avait guidé les deux adolescents hors de la ville. Il avait gardé la tête froide, indifférent aux protestations d'Antas qui voulait revenir sur ses pas pour secourir Arthur, venger Sabius et se battre contre la terre entière si besoin. Une claque cuisante du conseiller lui avait remis les idées en place. A ce souvenir, Antas se massa la joue. Luc était certes le plus jeune membre du conseil, mais aussi le plus effrayant. La rage du jeune Dareios était retombée d'un seul coup à ce moment là devant son regard glacial. Luc les avait conduit en lieu sûr, à une vingtaine de kilomètres de la capitale. Dans cette région de plaines cultivées, la rébellion avait trouvé refuge dans un bois entouré de collines. Les Quatre avaient rapidement harcelé Antas de questions et recommandations après son arrivée. Le mouvement en crise avait besoin d'une figure de ralliement et les conseillers voulaient utiliser son statut d'héritier Dareios. Mais Antas avait une toute autre priorité à ce moment là. - A-t-on des nouvelles d'Arthur ? Il avait posé la question à Eloi, le plus petit conseiller, à la silhouette sèche et athlétique. Celui-ci était sans cesse par monts et par vaux et disposait d'un réseau d'informateurs à Doveria. - D'après nos espions, il est retenu prisonnier dans la forteresse de l'Imperator. - Alors il faut organiser son évasion. Les Quatre avaient réagi bien différemment les uns des autres à sa déclaration. Eloi s'était agité en protestant, tandis qu'Aurèle avait tenté de tempérer. Tout en bonhommie, ce conseiller au visage poupin ne s'opposait jamais frontalement aux autres. - Nous ne pouvons pas prendre un tel risque, était intervenu calmement Adhamhan en lissant son bouc. Dans sa quarantaine, le doyen des Quatre était surmonté d'une tignasse rousse facile à repérer. S'il n'égalait pas Arthur en corpulence, c'était tout de même un homme massif. Assis sur une table à l'écart, Luc avait observé les querelles en silence. Ses homologues tentaient de raisonner Antas qui refusait toute négociation. Pour celui-ci, peu importait son propre statut, seule comptait la situation d'Arthur. - Je crois qu'il faut tenter le coup. La déclaration posée de Luc avait fait converger tous les regards sur lui et cesser toute dispute. - Tu as perdu la tête Luc ? S'était écrié Eloi. - Non, avait répondu Luc en haussant les épaules. Si Antas y tient tant, alors essayons. Il s'était levé et approché du jeune homme bouche bée. - Mais en attendant Antas, tu devras faire ce que nous souhaitons. Et voilà comment Antas s'était retrouvé propulsé symbole du mouvement rebelle. Les Quatre s'étaient assurés que le retour de l'héritier Dareios se fasse connaître à travers l'empire hallgerd. La conséquence avait été un afflux de sympathisants venus de tout le continent pour lui prêter allégeance. La plupart n'avait qu'eux même à proposer, mais de plus en plus de petits seigneurs se joignaient aussi à eux. Ils apportaient ainsi des hommes et des ressources matérielles. Cette dernière catégorie de population avait tenu à offrir à l'Héritier un pavillon digne de son rang. C'est ainsi que Antas se retrouvait dans une tente spacieuse, tissée d'étoffes précieuses et aux mobilier sculpté en bois fin. Il avait voulu refuser tant de luxe, mais les conseillers avaient accepté en son nom. - Monseigneur, l'unité envoyée à Doveria est de retour. Antas sursauta, tiré de sa rêverie et bondit sur ses pieds. Plus qu'au titre dont il avait été affublé, le nom de la capitale l'avait fait réagir : enfin des nouvelles d'Arthur ! Les Quatre pénétrèrent dans le pavillon, accompagnés de la dizaine d'hommes - Âmes Liées et Hallgerds confondus - qui avaient été envoyés à Doveria pénétraient dans le pavillon d'honneur. L'arrivée progressive des Âmes Liées avaient permis à Varagna de proposer l'utilisation d'animas pour infiltrer la forteresse. A l'absence d'Arthur et la triste mine de ces hommes, Antas compris que leur mission avait échoué. Il pâlit et se retint à la table. - Où est Arthur ? demanda-t-il toutefois. Sans répondre, un petit Âme Lié s'approcha. Il avait été choisi pour cette mission pour son anima passe partout : un rat gris, tout ce qu'il y avait de plus ordinaire à première vue. Son humain paraissait également insignifiant et aussi gris que son anima. Sa capacité à se fondre dans le décor était en réalité sa plus grande force. Il tendit un parchemin froissé et taché à Antas. Ce dernier reconnut le message qu'il avait adressé à Arthur. Mais l'autre face avait été noircie. Avant qu'il ne le déplie, l'Âme Liée se retira, entraînant ses compagnons à sa suite. Luc échangea un coup d'oeil avec les autres conseillers, mais s'abstint de tout commentaire. Les doigts tremblants, Antas déplia le papier. "Antas, j'espère que tu pourras me pardonner. Je ne veux pas compromettre la rébellion pour ma seule personne. Je te la confie, je sais que tu es capable de la porter à bout de bras. Je te demande pardon d'avoir gardé le secret de tes origines toutes ces années. Tu peux te reposer sur Luc pour toutes tes questions, il a toute ma confiance. Quand tu liras ces mots, je ne serai plus de ce monde. Mais grâce à ton intervention, je vais pouvoir mettre un terme à ma souffrance. Merci. Adieu, prends soin de toi. Arthur." Les larmes affluèrent aux yeux du jeune homme. A l'intérieur de lui le désespoir et la colère le disputait. - Fichu égoïste ! Il avait jeté le parchemin sur la table en hurlant, puis s'était effondré dans son fauteuil, les mains sur le visage. Luc chuchota quelques mots à l'oreille d'Adhamhan. Ce dernier hocha la tête et entraîna Eloi et Aurèle à l'extérieur. Pendant plusieurs minutes, Antas pleura en silence, le visage toujours enfouit entre ses mains. Soudain, Luc brisa le silence. - Je partage ta douleur, mais Arthur n'a pas agi par égoïsme. Bien au contraire. Le jeune homme releva la tête et foudroya le conseiller du regard. Il ne répondit rien cependant. - Il a voulu protéger notre cause, reprit Luc, et toi par la même occasion. À vrai dire je me doutais de sa réaction. - Donc ton plan c'était de m'accorder une requête pour me faire coopérer, tout en sachant qu'elle n'aboutirait à rien ? Le regard gris métallique du conseiller resta impassible. - Nous lui sommes venus en aide d'une autre façon. - Qu'est-ce que... Les mots moururent sur les lèvres d'Antas. "Je vais pouvoir mettre un terme à ma souffrance". Le cynisme de Luc fit triompher la rage dans son coeur. - Hors de ma vue ! Foutu manipulateur ! Toi, Arthur et les autres, la seule chose que vous voyez tous en moi, c'est ma lignée ! Le conseiller haussa les épaules et se dirigea vers l'extérieur. Juste avant de sortir, il répondit tout de même au jeune homme. - C'est sûrement vrai pour certains d'entre nous. Mais ce n'est pas ce que ressentait Arthur et tu le sais.

Round 11/90 écrit le jeudi 10 mars 2016

1633 mots | 10479 signes | 00:01:57

Enfin, après plusieurs semaines de navigation, le Siréna atteignit L'iman, le port le plus méridionnal de l'empire hallgerd. Cateline n'était pas fâchée de quitter le navire, le temps lui avait paru long, et rester en permanence sur ses gardes l'avait épuisée nerveusement. Par ailleurs, travailler sous les ordres de quelqu'un la rendait folle : elle était bien trop attachée à son indépendance. Elle reconnaissait cependant que le capitaine était un homme juste et honnête, des qualités rares dans le milieu comme elle l'avait constaté au cours de son voyage. Son isolement et la lente routine à bord, avaient laissé toute latitude aux pensées de la jeune fille pour redevenir foisonnantes et obsédantes. Les rêves mystiques étaient également revenus en force, perturbant à nouveau son sommeil. Seule la présence de Kaslane lui permettait de conserver sa santé mentale. Ça, et son habitude de prêter l'oreille aux rumeurs relatives à ses amis. De port en port, elle avait appris avec soulagement que l'Héritier - comme le nommait à présent les gens - était en vie. D'après les informations qui circulaient, il se trouvait dans un camp au large de Doveria, dont l'emplacement était un faux secret. On racontait que déjà des seigneurs lui avaient offert leur soutien. Aucun mot cependant sur les Âmes Liées, à croire que ces derniers mois de travail à une alliance n'avaient été qu'un rêve. L'opinion publique va mettre du temps à nous percevoir différemment... songea amèrement Cateline. Après des années de désinformations orchestrées par l'Imperator, les gens nous croient toujours dangereux. Elle rassembla ses maigres possessions, puis se dirigea vers la cabine du capitaine du Siréna pour lui faire ses adieux. Elle frappa à la porte et une voix grave l'autorisa immédiatement à entrer. Le capitaine était assis près d'une table, une chope à la main. Il avait dégraffé le haut de sa chemise et allongé ses jambes croisées. - Capitaine, comme prévu je vous quitte ici. - Ah gamin ! Tu es sûr, tu repars pas avec nous alors ? - Non, capitaine. - Bon, bon, je te retiens pas. Dommage, tu travaillais bien. Pas causant, mais efficace. Il se leva et le plancher grinça sous son poids. En deux enjambés, il se trouva devant Cateline dont il prit la main d'une poigne ferme. - Bien, bien, fais attention à toi, gamine. Cateline se figea et le fixa, interdite. Le capitaine se contenta d'un sourire entendu et lui ouvrit la porte. - Bonne chance à toi ! # Cateline s'éloigna à grandes enjambées du Siréna, de peur que le capitaine change d'avis et décide de la dénoncer. C'était peu probable après toutes ces semaines qu'il avait consacré à l'observer en silence, mais elle se sentirait plus tranquille loin de cet homme rusé. Elle avisa une ruelle ombragée et s'y engouffra. Assise sur un muret, elle patienta Rapidement, celle qu'elle attendait apparut. Une forme rasa le sol et fila entre ses jambes. "Alors le capitaine t'avais percée à jour ?" demanda Kaslane en se frottant à elle. "Oui, trop intelligent comme je le craignais." répondit la jeune fille en grattant les oreilles de son anima. La journée commençait à peine, mais il faisait déjà chaud à cette latitude et le printemps était arrivé. Cateline retira sa cape, mais conserva son couvre-chef rabattu pour protéger son oeil visible. Le second était toujours masqué depuis son départ de Doveria ; elle risquait de souffrir lorsqu'elle le découvrirait enfin. Elle remonta les manches de sa tunique et s'assura que la bande qui lui comprimait la poitrine n'était pas visible par transparence. L'agglomération de Liman était bien différente de celles du nord du pays. Les maisons étaient construites à partir de terre, de simple cubes aux toits plats pour la plupart. Certaines étaient cependant décorées de mosaïques colorées en céramique, autour de portes en bois sombre gravées d'arabesques. "Et maintenant ?" demanda Kaslane. "Il faut continuer vers le sud-ouest. En passant par la terre, il y a un désert à traverser." "Trop dangereux. Reste la mer." "Oui, reste la mer..." "Mais aucun navire ne nous conduira par là." "Non, en effet." La chatte fixa Cateline, interrompant leur câlin. "Donc il nous faut un bateau que tu fasses naviguer seule." "Finement observé," railla la jeune fille, "mais je n'ai aucune idée du coût pour en obtenir un." Elle sortit sa bourse qui contenait la paye reçue à bord du Siréna et observa l'une des pièces. Côté face, l'Imperator la fixait. Même ainsi il continuait à la poursuivre. La Sajara avait du mal à se faire à l'utilisation de l'argent et à en comprendre la valeur. Parmi son peuple, soit les ressources étaient suffisantes pour être partagées, soit les gens avaient recours au troc. La jeune fille ne comprenait donc pas l'obsession des Hallgerds pour ce morceau de métal. Elle l'avait pourtant appris à ses dépends lorsque sa première paye avait disparu à bord du Siréna ; depuis, elle gardait sa bourse sur elle. "Il me reste une centaine de pièces, aucune idée de si ça suffira." "Eh bien, tentons notre chance, nous verrons bien."

Cateline s'épongea le front de la manche ; la matinée touchait à sa fin et la chaleur était devenue suffoquante. Cela faisait deux heures qu'elle parcourait le port à la recherche d'un petit voilier, en vain. Les rares embarcations disponibles dépassaient de beaucoup son budget et elle était bien incapable de marchander. "On pourrait en voler un ?" suggéra Kaslane. "Tu me proposes d'enfreindre la loi ? Ca ne te ressemble pas." L'anima haussa les épaules, puis s'allongea en soupirant. "A la guerre, comme à la guerre. Je n'ai pas d'autre idée dans l'immédiat. Et par cette chaleur j'ai surtout envie de dormir." "Pffff, faignasse !" "Ce n'est pas toi qui supporte toute cette fourrure." "Alors pourquoi tu t'étales au soleil ?" Allongée de tout son long dans une flaque de soleil, Kaslane semblait au septième ciel. "Hmmmmmm..." "J'ai compris, je te laisse." Cateline abandonna là Kaslane qui ronronnait déjà de contentement et marcha au hasard vers les quais, les mains dans les poches. Un fracas assourdissant suivit de hurlements la tira brusquement de ses pensées. Un mouvement de foule suivit vers l'extrémité du quai où un nuage de poussière s'élevait. Cateline s'approcha aussi et s'aperçut qu'un échaffaudage s'était effondré. L'assemblage servait pour le ravalement du bâtiment ancien qu'il bordait, mais celui-ci était si vétuste qu'un pan de mur s'était fracturé. L'ouvrier qui se trouvait sur la plate forme supérieure était mort sur le coup : sa tête formait un angle impossible. Les deux hommes qui se tenaient encore sur les étages inférieurs avaient eu plus de chance. Ils fixaient leur collège d'un oeil hagard. Soudain Cateline remarqua un hurlement au milieu de la scène, celui d'une femme. La Sajara se faufila entre les badauds pour apercevoir celle qui criait ainsi. Agenouillée au sol, sa robe de soie bleue autour d'elle, une femme blonde tenait un enfant en pleurant. La fillette de tout au plus cinq ans, lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. Un pieu de bois traversait sa poitrine de part en part. Elle respirait encore, bien que laborieusement. Interdite, la foule regardait la mère sans oser intervenir. Cateline joua des coudes pour s'approcher, bousculant sans vergogne les badauds immobilisés. Elle se tourna vers la personne la plus proche du drame, une petite femme au visage bouffi. - Vous ! Y a-t-il un dispensaire dans cette ville ? Prise au dépourvu, la femme cligna des yeux comme une chouette avant de répondre. - Euh... Oui. - Eh bien, qu'attendez vous pour aller chercher des soignants ! Vous ne voyez pas qu'il y a des blessés ! L'intervention de Cateline sembla sortir les gens de leur torpeur et il y eu un mouvement pour aller chercher du secours. Sans attendre, elle se pencha sur l'enfant. Du sang sortait de ses lèvres, les poumons devaient être noyés. Elle posa une main sur le bras de la mère. - Madame, des secours arrivent. - Ma fille ! Ma fille ! hurlait en boucle la femme sans la voir. Cateline fixa la fillette. Elle posa les mains sur elle et sentit son opale de feu palpiter sur sa poitrine. La vie était en train de quitter l'enfant. Le temps que les secours arrivent, il serait déjà trop tard. Et quand bien même, la médecine ne pourrait plus la sauver. L'adolescente inspira et pria la panthère des neiges de la magie de l'Eau de lui venir en aide. Sans écouter ni les hurlements de la mère ni les protestations de la foule, Cateline tira sur le pieu pour le retirer. Le sang jaillit à gros bouillons ; il n'était à présent plus possible de déterminer la couleur d'origine de la robe de la fillette. Elle ne devait pas perdre une seconde : la vie de l'enfant s'écoulait aussi vite que le liquide écarlate. Toujours indifférente à ce qui l'entourait, elle posa les deux mains sur la poitrine de la fillette et ferma les yeux. Elle sentit la magie de l'opale de feu affluer à travers elle, puis se répandre dans le corps inanimé. La conscience de Cateline plongea toute entière dans cette sensation, à la recherche de l'énergie vitale de la blessée. Elle sombra dans un trou béant, pour se retrouver en un lieu sans gravité ni limites. Une douleur épouvantable la traversa de part en part, lui coupant la respiration, écrasant son coeur. Cateline s'aperçut qu'un cordon l'entourait, comme un serpent sa proie, la comprimant pour l'étouffer. Une pulsation de vie le traversait tel un cordon ombilical. Elle lutta pour rester en vie, oubliant son but. Alors que l'air venait à lui manquer, un éclat apparut. Des griffes surgies du néant s'attaquèrent au serpent, l'obligeant à lâcher prise. Cateline reprit sa respiration bruyamment ; elle se rappela soudain pourquoi elle se trouvait ici. Elle se tendit vers le cordon palpitant, dont la pulsation ralentissait et y posa sa conscience. Lentement, elle retricota chaque couche de chair, de vaisseau sanguin, chaque cellule, une à une. Cateline puisait son énergie sans compter et la transmettait à ce cordon ombilical qui reprenait peu à peu de la vigueur. Quand, enfin, la pulsation fut stable et vigoureuse, une immense fatigue s'abattit sur elle. Le devoir accomplit, elle se laissa aller au sommeil.